February 2008
Le principe de neutralité dans l’action de promotion de la non-violence au Kosovo
L’ONG internationale Equipes de Paix dans les Balkans (EpB) est intervenue au Kosovo dans le contexte particulier de la ville de Mitrovica/ë. L’objectif d’EpB est de faire baisser le niveau de violence en proposant aux différentes communautés locales des outils et des conditions de reconstruction d’un dialogue inter-communautaire.
L’ONG internationale Equipes de Paix dans les Balkans (EpB) est intervenue au Kosovo dans le contexte particulier de la ville de Mitrovica/ë. Celle-ci est ce que l’on appelle une ville divisée. En effet, les bombardements de l’OTAN en 1999 ont cristallisé la séparation physique des différentes communautés qui habitent la ville. La rivière Ibar passe dans la ville et sert désormais de frontière (frontière naturelle au service du politique) : les Serbes kosovars habitent au nord tandis que les Albanais kosovars habitent au sud. Il existe aussi des petites enclaves au sein de chacune de ces parties de la ville.
L’objectif d’EpB est de faire baisser le niveau de violence en proposant aux différentes communautés locales des outils et des conditions de reconstruction d’un dialogue inter-communautaire. Le mode d’intervention est celui de l’accompagnement des populations locales. L’idée est donc de proposer des outils répondant aux besoins exprimés.
Les volontaires internationaux doivent pouvoir jouer le rôle de tiers médiateurs. Cela implique qu’ils pratiquent l’écoute active auprès de chacune des communautés tout en maintenant une position neutre.
Or, dans un contexte comme celui de Mitrovica/ë, tout geste, toute attitude tend à être interprété comme partial par les membres des communautés locales. En effet, la ville abrite 2 systèmes qui coexistent. On trouve 2 langues différentes (l’albanais et le serbe), 2 réseaux de téléphonie (pour appeler de l’un vers l’autre il faut composer l’indicatif de l’étranger), 2 monnaies (le dinar serbe au nord de la ville et l’euro au sud, même si celui-ci est accepté dans les 2 parties de la ville). Donc le choix de l’un des 2 items sera souvent interprété comme un rejet de l’autre.
De même, les coupures d’eau et d’électricité, si elles sont fréquentes dans les deux parties de la ville, n’ont pas lieu au même moment, ce qui attise la suspicion de part et d’autre de la rivière Ibar et fait penser à chacune des communautés que l’autre a probablement un meilleur traitement. Ces réactions sont le résultat de blessures liées aux événements des dernières décennies, qui ont engendré de part et d’autre un sentiment d’injustice et d’inégalité.
Ainsi, les volontaires internationaux, en vivant à Mitrovica/ë, sont amenés à travailler en naviguant d’un côté à l’autre de la ville en restant très vigilants aux contraintes du terrain et au risque constant d’être perçus comme partisans.
En premier lieu se posent les questions du lieu d’habitation et de la langue utilisée.
Jusqu’en 2004, l’UNMIK (la mission des Nations Unies au Kosovo) interdisait à son personnel international d’habiter au nord de la ville par « mesure de sécurité ». La quasi totalité des expatriés, qu’ils travaillent pour l’UNMIK ou pour des ONG, se sont installés au sud de la ville, coté albanais kosovar. C’est aussi de ce côté de la ville que le plus de logements ont été construits ou reconstruits, car les fonds internationaux affectés après 1999 ont surtout été destinés au sud de la ville.
Les volontaires internationaux de EpB ont emménagé dans un appartement au sud de Mitrovica/ë. Le logement était situé du côté albanais kosovar de la ville. Toutefois, il était tout proche de la zone de confiance (zone délimitée par l’UNMIK située entre les 2 parties de la ville, sous surveillance des forces de police et qui est sensée être accessible à toutes les communautés de la ville).
Concernant la langue, l’albanais et le serbe appartiennent à des familles de langues différentes. La langue de travail était l’anglais. Cette langue ne permet de communiquer qu’à un nombre restreint de Kosovars, en particulier les individus les plus jeunes et qui sont déjà en contact avec la communauté internationale. Certains volontaires internationaux font la démarche d’apprendre une des 2 langues locales ce qui est généralement très apprécié et facilite la prise de contact. La question de la langue est particulièrement délicate. Une langue est une grande part de l’identité d’une communauté et au Kosovo elle est révélatrice des relations qui existaient entre les communautés serbe et albanaise de la ville. En effet, les Albanais kosovars devaient connaître la langue serbe tandis que les Serbes kosovars n’avaient aucune obligation d’apprendre la langue albanaise.
Donc il n’est pas possible de tenir une position complètement neutre en étant volontaire international au Kosovo, en tout cas pour ce qui est des faits concrets. En effet, dans l’idéal il faudrait habiter en zone neutre et il faudrait que chaque volontaire fasse l’apprentissage des 2 langues locales. Moi je parlerais plutôt d’un contexte dans lequel tout fait est interprété et où le statut de tiers doit rester sans cesse comme point de vigilance…
Les conditions objectives pour maintenir un statut de tiers neutre sont très difficiles car tout est chargé de sens dans une ville clivée. Il s’agit donc d’être vigilant pour s’approcher au plus près du point d’équilibre. Il faut appréhender ces risques et ces difficultés de manière objective pour incarner au mieux ce tiers neutre ou plutôt ce tiers qui prend deux fois partie (selon l’expression de Jean-Marie Muller).
En revanche, la neutralité peut être atteinte dans la façon d’appréhender les contacts humains et les situations sur place. Ainsi, il s’agit de ne pas prendre partie et d’écouter autant l’une partie que l’autre, tout en ne laissant pas prononcer des propos injurieux à l’encontre de l’autre communauté.
Dans la mise en place de projets avec les associations locales, Equipes de Paix dans les Balkans a veillé à promouvoir des projets en parallèle pour les différentes communautés de la ville. Par exemple, pour soutenir des ateliers de jeux coopératifs, EpB a veillé à ce qu’il y en ait à la fois dans les écoles du nord de la ville et dans les écoles du sud. Pendant un certain temps, EpB a soutenu des ateliers qui étaient réalisés de part et d’autre de la ville. Mais au bout d’un certain temps, les ateliers n’ont plus fonctionné au nord de la ville. EpB a alors décidé de ne plus soutenir les ateliers dans les écoles albanaises kosovares et de trouver un nouveau mode de soutien qui puisse être apporté en parallèle aux différentes communautés.
Commentary
Cette fiche montre ainsi les différentes difficultés rencontrées par une équipe de médiateurs dans une ville « divisée » telle que Mitrovica/ë. La parité et la neutralité face aux différentes communautés doivent être scrupuleusement respectées afin de consolider ce rôle de tiers qui prend « deux fois partie ».