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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche d’expérience Dossier : Du désarmement à la sécurité collective

, Grenoble, France, août 2006

Paix et sécurité en Asie et dans le monde

Au Forum Social Mondial de Mumbai, en 2004.

Mots clefs : Subordination du pouvoir militaire au pouvoir civil | Engagement de militaires pour la paix | Développement et paix | Action contre l'utilisation militaire de l'énergie nucléaire | Sécurité et paix | Acteurs sociaux. Des citoyens et leurs organisations. | Citoyens pour la paix | Militaires | Forum Social Mondial | Agir pour empêcher une guerre | Résister civilement et pacifiquement à la guerre | S'opposer de façon non-violente à la guerre | Proposer un nouveau projet de société | Passer de la logique de gestion de conflits par la violence à la logique de la négociation politique | Démilitariser et désarmer des groupes hors la loi | Asie | Inde | Pakistan | Asie du sud

Depuis la fin de la guerre froide, les interrogations sur l’émergence d’un nouvel ordre mondial portent notamment sur le rôle spécifique des militaires. Dans cette perspective, et notamment dans le cadre de l’Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire, nous avions déjà organisé des rencontres entre des militaires de différents pays mais aussi entre des militaires et d’autres acteurs de la société pour examiner les raisons et les conditions du recours à la force pour servir le droit.

Le forum social mondial réuni à Mumbai devait être l’occasion de confronter ces réflexions aux enjeux de la mondialisation et de la construction d’une société civile mondiale en même temps qu’aux réalités d’une des régions les plus peuplées du globe et en proie à de fortes tensions. Par le débat que nous avons organisé sur ce thème mais aussi à la faveur des diverses rencontres faites dans le cadre du forum, nous avons pu aborder plusieurs points fondamentaux.

I. La vision d’un « allié » de la région

L’amiral Ramu Ramdas, ancien chef d’état-major de la marine indienne, appartient à la Coalition pour le Désarmement Nucléaire et pour la Paix. Son expérience de soldat et ses convictions personnelles – lors de sa prise de commandement à la tête de la marine, au début des années 90, il avait tenu à s’incliner d’abord devant le mausolée de Gandhi afin d’affirmer que le premier devoir d’un militaire est la paix – lui font prendre des positions très mesurées. Dans le conflit entre l’Inde et le Pakistan, l’option militaire est, selon lui, très limitée. Les guerres conduites entre les deux pays ont négligé les vrais besoins des deux populations. Il faut espérer pour elles que les récents efforts de rapprochement faits par les deux pays annoncent des jours meilleurs ; ainsi que pour l’Asie du sud qui a connu une forte augmentation des budgets militaires au détriment des politiques d’éducation, de lutte contre la pauvreté et contre le chômage, etc. On doit néanmoins retenir que l’Inde et le Pakistan ne renonceront pas à leur armement nucléaire sans un accord général sur cette question et que, par ailleurs, si les perspectives d’intégration économique régionale sont intéressantes pour générer la confiance entre les peuples, ceci prendra du temps.

II. Des interrogations en Asie et dans le monde.

Tandis qu’il apparaît, effectivement, qu’une certaine volonté d’apaisement serait partagée par les deux populations, indienne et pakistanaise – c’est ce dont témoigne une jeune femme engagée dans un mouvement pour les droits de la femme, la justice social et la paix et qui accompagne des musulmans agissant dans le même sens ; c’est aussi la tonalité de la presse, notamment à propos de la réouverture des voies de communications et de retrouvailles familiales - on continue de s’interroger sur le degré de confiance que l’on peut accorder aux militaires : ne sont-ils pas héritiers d’une mentalité marquée par la suprématie masculine ? L’image du militaire en souffre, alors que les risques de militarisme ou de militarisation diminuent progressivement malgré tout. Une étudiante afghane se demande justement « quelles peuvent être les causes de la guerre » dans son pays alors que celui-ci « n’a pas d’ennemis ». En définitive, il y a accord sur le fait que la sécurité est une nécessité, mais qu’on doit, en même temps, se référer à des valeurs.

III. Le nouveau rôle des militaires

Le général Jean-Claude Glevarec, qui a commandé les troupes de montagne en France, et qui souligne que le militaire est d’abord un citoyen avant d’être un soldat, peut témoigner de l’affirmation d’un nouveau rôle de l’armée à la faveur des opérations de rétablissement de la paix dans lesquelles ces unités sont de plus en plus souvent engagées. Les militaires ne doivent pas se voir attribuer des responsabilités qui relèvent du politique. Le pouvoir militaire est toujours subordonné au pouvoir politique légitime. Le politique, au plus haut niveau, ne peut ignorer les actions sur le terrain ; c’est souvent lui qui les ordonne, y compris dans l’exécution. L’engagement des militaires, tel qu’on l’a vu au Kosovo et en Afghanistan récemment, vise à faire « baisser la tension », à séparer les antagonistes (zones tampons) pour créer les conditions d’un retour au calme et d’un rétablissement de la paix. Cette action initiale est souvent indispensable pour permettre aux autorités politiques et aux différentes ONG et associations concernées d’intervenir et de rebâtir la paix. Les militaires n’ont pas pour mission de « construire la paix », même s’ils sont appelés à le faire ponctuellement. Une telle mission ne peut être que de courte durée ; les militaires doivent au plus vite « passer la main », dès que les conditions d’un dialogue minimum sont rétablies.

 

Pour qu’un autre monde soit possible, un autre contrat social est nécessaire.

Les militaires seront d’autant plus sûrement des « soldats de la paix » que trois conditions seront réunies :

  • proches de la population, les forces armées doivent recevoir une mission claire, dans ses buts et sa durée, et observer des règles d’engagement précises ;

  • les militaires doivent recevoir, dans le cadre de leur instruction, une formation au « comportement » pour faire un usage « contrôlé » de leur force ;

  • les forces militaires doivent être engagées, autant que possible, dans le cadre d’un mandat « international » qui légitime leur action.

Cette rencontre de Mumbai, en regard, en particulier, de l’incroyable défi à la fois humain, économique et démocratique que constitue la situation de l’Inde, peut être considérée comme un pas important dans le rapprochement entre deux évolutions qui font l’actualité en ce début de XXIè siècle : l’affirmation croissante d’une société civile mondiale et la recherche d’une réponse adaptée aux nouveaux défis de la sécurité et de la défense. Deux autres ateliers traitaient justement de deux autres thèmes particulièrement proches : les campagnes visant l’abolition des armes nucléaires, d’une part, les efforts de création d’une force internationale de paix non-violente, d’autre part. Des avancées significatives sur ces deux terrains ne pourront se faire sans que se manifestent une forte volonté politique et des changements psychologiques et comportementaux seuls capables de conduire à des stratégies alternatives. Dans cette optique, et face aux défis du développement, une éventuelle limitation raisonnable du nucléaire militaire ne peut être imaginée sans que les autorités concernées soient d’abord conduites à reconnaître la nécessité d’en débattre. Il y a déjà là, en soi, matière à une action ambitieuse de sensibilisation, voire de persuasion, associant le politique, le militaire et la société civile, en vue d’une prise de conscience à la hauteur de cet enjeu de bonne gouvernance. De même, penser la formation et le déploiement de forces d’intervention civile, capables d’accompagner des processus de paix en prévenant la mort et la destruction et en défendant les droits de la personne, nécessite que l’on se convainque de l’utilité d’une démarche intégrant les diverses compétences civiles et militaires. Ces questions sont certainement parmi les grands chantiers de demain. Il est regrettable que le mode de fonctionnement même du Forum Social Mondial, par le refus notamment que le rassemblement donne lieu à une déclaration finale, ne permette pas que des recommandations fortes puissent être faites en la matière. Ceci renvoie donc à la responsabilité des mouvements, organisations et autres institutions participantes qui devront prendre les initiatives nécessaires entre ces grands rendez-vous.