Jean Marichez, Grenoble, juillet 2006
Résistance des Hongrois 1849-1867
Lutte nationale non violente pour l’autonomie et échec du gouvernement impérial autrichien
Face à la volonté de l’Autriche d’annexer son pays, toute la société hongroise entreprend des actions de non-coopération pour marquer son refus de se soumettre au gouvernement de François Joseph. 18 ans plus tard, celui-ci redonne à la Hongrie son autonomie.
L’armée hongroise étant vaincue par les Autrichiens, ceux-ci instaurent un régime policier en Hongrie. En 1849, un manifeste de l’empereur François Joseph, réduit la Hongrie au statut de simple province autrichienne. Aussitôt, la résistance de la population est très vive. Tous les pasteurs refusent de lire en chaire les réglementations du gouvernement et beaucoup sont jetés en prison. A l’occasion de ces procès, les étudiants organisent de grandes manifestations silencieuses au cours desquelles ils tous sont vêtus de noir.
Le gouvernement révoque alors son décret et propose au leader du mouvement de résistance, Ferencz Déak, de faire partie du gouvernement hongrois - aux pouvoirs limités. Celui-ci répond que la seule solution acceptable pour les Hongrois est de rétablir leur Constitution de 1848, ce qui est refusé. Ferencz Déak continue à mettre ses concitoyens en garde contre la folie de vouloir atteindre leurs objectifs par la violence, il les adjure fermement de s’en tenir à ce qui est juste et légal selon la justice hongroise tout en luttant contre l’illégalité et l’injustice de l’occupation autrichienne. A titre d’exemple, voici une action à laquelle se trouvent confrontés les fonctionnaires autrichiens. Quand un percepteur autrichien des impôts se présente, tout le monde refuse de payer en l’assurant qu’il exerce là une fonction totalement illégale. Le percepteur fait alors appel à la police, qui fait main basse sur les biens. Mais le commissaire-priseur hongrois refuse de mettre aux enchères ces biens. Il faut alors faire venir un commissaire autrichien. Une fois arrivé, celui-ci découvre qu’il faut aussi faire venir d’Autriche des acquéreurs éventuels… Le gouvernement autrichien découvre bien vite que cela lui coûte plus cher que les impôts attendus.
D’autres actions ont lieu : refus de collaborer au parlement impérial de Vienne, refus de s’enrôler dans l’armée autrichienne, réunions discrètes de la Diète hongroise « dissoute », boycott des produits autrichiens…
La patience et la ténacité des Hongrois sont couronnées de succès : en février 1867, l’empereur rétablit la Constitution, la Diète et le gouvernement hongrois.
Commentaire
On constate ici le phénomène commun à toutes les résistances : un pouvoir n’existe que par l’obéissance des citoyens. Dans son discours sur la servitude volontaire, Étienne de la Boétie disait qu’un tyran n’a que la puissance que ses sujets veulent bien lui donner. S’ils refusent d’obéir, il ne peut plus diriger. Il a grand besoin de soutien et de docilité. Le gouvernement autrichien ne peut exercer son autorité que si les citoyens l’acceptent. S’ils refusent de payer l’impôt, d’obéir aux nouvelles lois, de s’enrôler dans l’armée ou encore d’acheter les produits autrichiens, le pouvoir ne s’exerce plus. Ne pouvant le supporter, celui-ci réagit par la violence mais cela renforce la détermination des résistants. Par ailleurs, ses troupes doutent, et l’opinion internationale le condamne. Ne sachant plus que faire, il ne lui reste plus qu’à négocier ou accepter la demande de la population. S’il ne le fait pas, il se détruit. Bientôt, ne pouvant plus gouverner, il disparaît.
Le succès est ici facilité :
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Par la présence d’un leader naturel intelligent, aussi résolu sur l’objectif à atteindre que sur l’importance de ne pas verser dans la violence. Il comprend que l’utilisation de la violence serait un mauvais choix qui mènerait assurément à la défaite de la résistance ;
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Par l’attitude commune des pasteurs qui, dès le départ, prennent parti pour refuser ce pouvoir illégitime de manière claire et courageuse, dans une société où l’avis du clergé a un large échos ;
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Par l’attitude non violente face à la répression (emprisonnements et réactions violentes de l’adversaire) qui renforce la détermination de la population. Cela suppose que celle-ci, après avoir pris conscience de l’enjeu et de ses possibilités collectives, se concerte bien au sein de ses groupes de vie habituels (travail, associations, quartier…) ;
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Par la stratégie qui consiste à empêcher le pouvoir agresseur de s’exercer ;
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Par la persévérance dans la pression exercée : les résistants n’ont pas que la résistance pour horizon, ils la font pour gagner, ils peuvent réussir, ils se savent majoritaires, il s’agit de tenir bon et de ne pas négocier sur l’essentiel ;
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Par l’utilisation de la loi pour justifier des actions (usage fréquent dans les résistances) ;
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Par une foule de petites actions anodines qui place l’adversaire dans une fourmilière dont il ne peut se dépêtrer, il est dépassé par le nombre. S’il réprime il s’enferme encore plus ;
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Par la cohérence de nombreuses actions dans une même direction stratégique.
On remarque par ailleurs que le pouvoir raisonne souvent en termes de coûts : si l’occupation de la Hongrie lui coûte plus cher que le maintien de son autonomie, il hésite. Les résistants peuvent avoir intérêt à augmenter les coûts de l’adversaire par des actions non violentes appropriées.
Ces remarques, que l’on retrouve dans la plupart des autres résistances stratégiques, ont fait l’objet de nombreuses études. Ce sont des éléments caractéristiques de la réussite.