Audrey Morot, Grenoble, France, février 2006
La démarche des communautés de paix : de l’opération «Genesis » au « retour » et à la création des premières communautés de paix
Origine des communautés de paix, structuration du processus et difficultés rencontrées
Mots clefs : Organisation sociale pour la paix | Résistance civile et pacifique à la guerre | Respect des droits des déplacés | Conflit colombien | Résistance aux groupes guérilleros | Résistance aux groupes paramilitaires | Représentations mentales et paix | Utilisation de l'imaginaire | Militaires | Gouvernement colombien | Mouvements internationaux de citoyens | Communauté de paix | Résister civilement et pacifiquement à la guerre | Etablir le dialogue entre les acteurs et les partenaires de la paix | Elaborer des propositions pour la paix | Mener des négociations politiques pour rechercher la paix | Colombie | Bas Astrato
Le Bas Atrato, dans le département du Choco, présente plusieurs spécificités. Isolé géographiquement et historiquement du reste de la Colombie, il dispose d’une biodiversité très riche, d’une population de composition ethnique particulière (surtout afro colombienne), d’une culture politique et de processus d’organisation distincts. La population est majoritairement rurale et vit d’une économie de subsistance.
Deux facteurs historiques majeurs ont favorisé l’émergence de communautés de paix qui ont suivi l’opération Genesis de 1997. D’une part, les mouvements civils du Bas Atrato ont été influencé par l’implication des FARC et de l’Union Patritique et ont été politisés très tôt. Ainsi, dans les années 80, la colonisation du Bas Atrato s’est accompagnée d’un mouvement politique important de gauche, dans lequel étaient activement impliquées les FARC et l’Union Patriotique qui ont influé sur la formation politique des leaders et sur les formes d’organisations des communautés, notamment sur les Juntas de Accion Comunal. Ainsi, les organisations du Bas Atrato ont vite été assimilées à la guérilla, alors que les intérêts des paysans et ceux de la guérilla divergeaient. D’autre part, les populations afro colombienne (comme indigène) s’inscrivent dans une tradition de rébellion contre l’opression et de résistance. Avec l’appui de secteurs de l’Eglise catholique, elles ont lutté pour êtres reconnues en tant qu’ethnie et pour l’affirmation de leurs droits, en particulier leur droit de propriété sur des terres ancestrales. Après l’approbation de la loi 70, la formation de conseils communautaires, tels que prévus par cette loi, a généré des désaccords au sein des organisations communautaires du Bas Atrato, affaiblissant la cohésion du processus de résistance. C’est dans ce contexte qu’une nouvelle vague de violence touche durement le Choco à partir de 1996, donnant lieu à des déplacements de population massifs.
Intensification de la violence armée et déplacements civils
La guérilla était déjà présente de manière régulière depuis le milieu des années 80 dans cette zone qui représente un couloir vers d’autres régions du pays, une zone de retranchement, d’approvisionnement ainsi qu’un itinéraire de mobilisation. Jusqu’au milieu des années 1990, il y eut peu d’affrontements entre la guérilla et l’armée nationale. En revanche, les FARC prirent le contrôle de la zone, en ayant recours à des assassinats sélectifs d’opposants et en semant la peur parmi la population.
La violence guerrière est entrée par l’Uraba. Les paramilitaires ont fait incursion dans Carmen de Atrato le 12 juin 1996, dans Riosucio le 20 décembre et dans Vigia del Fuerte le 22 mai 1997. Après l’entrée des paramilitaires dans Riosucio, la XVIIe Brigade de l’Armée Nationale et la Force Aérienne Colombienne ont lancé, le 24 février 1997 l’ « Opération Genesis » contre le front 57 des FARC présent dans la zone. Durant cette opération, les communautés de Caño Seco, Tamboral y Arenales dans le bassin du fleuve Salaqui ont été bombardées, entraînant le déplacement d’environ 15 000 paysans des bassins des fleuves de Cacarica, Jiguamiando, Curbarado, Domingodo, Truando et Salaqui. L’ « Opération rastrillo » ainsi que l’action simultanée des paramilitaires qui ont suivi ont aussi provoqué d’autres déplacements.
On a observé que les bombardements ont provoqué deux types de déplacement. Tandis que les 23 communautés des bassins de Cacarica et quelques unes du bassin du Truando se sont dispersées entre Turbo, Bocas del Atrato et Panama, les communautés en amont du fleuve se sont déplacées de manière beaucoup plus organisée à Pavarando. Entre 4 000 et 6 000 personnes sont arrivées à Pavarando le 28 mars 1997 après plus d’un mois de marche à travers la jungle quand l’armée stoppa leur progression.
Le résultat des opérations militaires contre-insurectionnelles dans la région fut l’abandon massif des terres par les communautés et l’effacement des processus d’organisation existants, interrompant ainsi les efforts communautaires pour la reconnaissance de leurs droits de propriété sur les territoires collectifs. Ce chaos donna naissance à de nouvelles organisations principalement destinées à assurer et à préparer le retour des communautés sur leurs terres d’origine, à éviter le déplacement d’autres personnes et à apprendre à vivre au milieu du conflit.
Les Communautés de Paix
Une fois installées à Pavarando, les Communautés déplacées ont dû s’organiser pour négocier avec les entités étatiques et non gouvernementales et pour administrer l’aide humanitaire. De ce processus naît l’Organisation Interethnique du Bas Atrato OIBA, laquelle s’est consacrée à travailler essentiellement sur les droits de propriété des terres pour le retour au travers de la Loi 70. L’organisation était constituée d’un représentant de chaque communauté, soit un total de 48. Elle a fonctionné jusqu’au début de 1999. De la même manière, les femmes ont créé l’Organisation des Femmes Paysannes du Bas Atrato, OMCABA.
Quand les déplacés du fleuve Atrato arrivèrent à Pavarando, la première Communauté de Paix venait de se constituer dans l’Uraba antioqueño, à San José de Apartado, le 23 mars 1997. Cette expérience fut l’aboutissement d’un processus de réflexion de la part du Diocèse d’Apartado, du CINEP, de la Commission Intercongrégationnelle de Justice et Paix et des communautés pour protéger la vie des habitants de l’Uraba et permettre le retour à leurs terres.
A Pavarando, alors que la population était prise en tenaille et subissait de graves représailles au prétexte d’appartenir à l’une ou l’autre force armée en présence, un processus d’analyse conjoint entre les communautés déplacées, le CINEP, Justice et Paix et le diocèse d’Apartado a été initié pour définir des mécanismes de protection pour les communautés en tant que population civile et pour rester sur leurs terres. Ce processus d’analyse déboucha sur la première proposition de constitution d’une Communauté de Paix en mai 1997. Cette idée a ensuite été développée durant plusieurs mois durant lesquels un représentant de chaque communauté suivait des ateliers de formation sur la Constitution, la loi 70, les droits humains, le droit international humanitaire pour ensuite informer sa propre communauté. Cette idée a encouragé les déplacés, malgré qu’elle ne signifiait pas véritablement le retour sur leurs terres, elle leur permettait de retourner dans l’Atrato. Les communautés se sont mises complètement en marge du conflit et ont établi des règles claires de comportement contre la violence. Chaque communauté a écrit sa propre déclaration d’engagement en tant que « Communauté de Paix » . Chaque individu a pu décider d’y appartenir ou non et son choix respecté. Une fois le règlement et les déclarations rédigés, les communautés ont informé chacun des acteurs armés de leur projet. Les réactions furent variées. Les guérilleros ont fait entendre qu’ils respecteraient ces conditions sous réserve que la communauté ne collabore pas avec les autres acteurs armés. Les paramilitaires ont été concis et clairs en déclarant qu’ils n’étaient pas les ennemis de ceux qui ne se considéraient pas comme leurs propres ennemis. La réaction des Forces Militaires fut problématique puisqu’elles les accusèrent d’avoir l’intention de un territoire indépendant de la Colombie. Malgré cela, les communautés (soit un total de 45) se sont déclarées Communautés de Paix de San Francisco de Asis le 19 octobre 1997 en présence d’institutions gouvernementales, d’ONG de Colombie et de représentations diplomatiques étrangères.
Le règlement général de la Communauté de Paix pose différents principes:
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Ne pas participer de manière directe ou in indirecte au conflit armé
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Ne pas porter d’armes à feu
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N’apporter de soutien tactique, logistique et stratégique à aucune des parties en conflit
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Ne fournir, manipuler, produire d’informations à aucune des parties en conflit
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S’engager pour une sortie politique et négociée du conflit armé
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Renforcer le travail communautaire et la défense de l’identité culturelle et du territoire.
Le règlement prévoit des sanctions en cas de violation de ses dispositions, organise le fonctionnement organique des Communautés et définit ses fonctions.
Les accords de Pavarando ont été signés le 19 décembre 1997 et constituent un Acte d’engagement entre le gouvernement national et les représentants des communautés paysannes de Riosucio. Ce document était destiné à permettre le retour des communautés dans le Bas Atrato.
Les Communautés se réinstallèrent à Caño Seco, Villa Hermosa, Clavellino, La Marina, La Grande, Buena Vista, Domingodo et Montaño.
La situation des communautés empirant à Pavarando en raison des affrontements entre les trois acteurs armés, et l’Etat ne remplissant pas ses engagements, celles-ci se tournèrent vers le Diocèse d’Apartado et la Croix Rouge internationale pour garantir des conditions dignes de retour.
De retour sur leurs terres, les communautés se retrouvèrent à nouveau prises en étau entre les acteurs armées et les paramilitaires menacèrent dans un premier temps les communautés d’une incursion, qu’ils réalisèrent le 7 avril 1999. A Villahermosa, 6 personnes furent tuées et 4 séquestrées et à Caño Seco, 3 leaders furent assassinés et 3 enlevés. Certaines familles terrorisées, fuyèrent, puis revinrent de nouveau une fois les séquestrés relâchés. Après des succès concrétisés par la permanence des communautés sur les territoires et de nouvelles attaques, la Communauté de Paix de San Francisco de Asis finalisa son retour le 4 septembre 1998.
D’autres communautés déplacées à Riosucio décidèrent de suivre ce processus. Ainsi, s’est formée la Communauté de Paix de Natividad de Maria (composée d’une communauté de Curbarado) le 2 décembre 1998 et la Communauté de Paix de Nuestra Señora del Carmen (composée de 11 communautés du fleuve Salaqui) en février 1999. Mais l’Etat ne signa pas d’accords similaires à ceux de Pavarando.
Après 2 ans, les communautés déplacées de la Communauté de Paix de Nuestra Señora del Carmen ont pu retourner sur leurs terres, dans le bassin de Salaqui, en mars 1999, avec l’appui du Diocèse de Apartado, le CINEP et la Croix Rouge internationale.
Le 19 octobre 1999 une nouvelle Déclaration dresse une liste des communautés qui souhaitent poursuivre ce processus. A cette date, les Communautés de Paix de Natividad de Maria et Nuestra Señora del Carmen décidèrent de mener un processus de maintien des engagements conjoints. Cela permit de porter leur message d’une seule voix autour de la table de dialogue et de négociation avec l’Etat.
Les accords de Pavarando comportent une série d’engagements en matière de transport, de sécurité, d’alimentation et de bien être, de titre de propriété, de subventions agricoles, d’habitat, d’éducation et de santé. A la différence des accords avec les Communautés de Cacarica, aucun mécanisme d’interlocution n’est prévu avec les autorités responsables, ni de suivi des engagements pris par les autorités. Ces accords n’ont pas été honorés et finalement les Communautés de Paix n’on obtenu l’accompagnement d’aucune institution étatique. Le désengagement de l’Etat a conduit les communautés à finalement retourner aux 49 communautés d’origine, ce qui a rendu encore plus difficile le processus d’accompagnement et servit à justifier l’indifférence pour cette population.
En mai 2000, une personne de chaque bassin a été désignée pour former la Commission de Négociation chargée des processus de négociation avec l’Etat et une autre pour la Commission Humanitaire chargée du dialogue avec les acteurs armés, puis les deux commissions ont fusionné.
Commentaire
Une première organisation régionale indigène apparaît, soit la OREWA (1979), déterminante à la constitution postérieure de l’ACIA (1987) dans le Moyen Atrato. Simultanément, dans le Bas Atrato, la lutte contre les entreprises exploitantes de bois ont amené les paysans à former des organisations de base, dont OCABA (1985).
La loi 70: En application de l’article 55 de la Constitution colombienne, la Loi 70 est adoptée le 27 août 1993. Son but est de reconnaître aux communautés noires qui ont occupé les terres en friche dans les zones rurales riveraines des fleuves du Bassin du Pacifique en utilisant des pratiques traditionnelles de production, le droit de propriété collective. Elle établit des mécanismes pour la protection de l’identité culturelle des droits des communautés noires de Colombie en tant que groupe ethnique, et la promotion de son développement économique et social.