Fiche d’expérience Dossier : Processus de transition et réformes d’Etat

, Grenoble, octobre 2005

La reconstruction du secteur économique en Bosnie-Herzégovine

Difficultés de la reconstruction de l’économie après la guerre. Ainsi,tous les secteurs économiques peinent à retrouver leur dynamisme perdu.

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Désindustrialisation

Le processus de désindustrialisation s’est produit à une échelle dévastatrice : dans les principaux centres industriels (Tuzla, Zenica et dans une moindre mesure Novi Travnik, Capljina), 70 à 80% des emplois ont disparu. Les quelques entreprises qui se sont maintenues ne laissent pas beaucoup d’espoir de survie. Le secteur privé est dominé par des micro-entreprises de commerce et de services de base qui génèrent peu d’emplois. Les rares productions ont une faible, voire nulle, valeur ajoutée : l’exportation d’aluminium a remplacé la fabrication d’avions.

Du coup, les Bosniens, rejetés de l’économie formelle, sont nombreux à abandonner les villes pour regagner les terres que leurs parents avaient quittées. Ils vivent de travaux occasionnels, de commerce informel et d’agriculture de subsistance.

En contraste, on perçoit une certaine prospérité dans les grandes villes mais du seul fait de la présence internationale qui a également généré des déséquilibres évidents : l’arrivée de fonds internationaux a créé une bulle de l’impôt sur le revenu permettant au gouvernement bosnien d’augmenter ses budgets. L’administration publique est ainsi devenue la source principale d’emplois dans les milieux urbains, faisant du paiement des salaires un poste démesurément important du budget public. Ainsi se trouvent concentrés les centres administratifs, l’activité économique et par conséquent le revenu des impôts. Les déséquilibres entre Sarajevo et les campagnes sont éloquents ; c’est le cas pour toutes les entités de la Bosnie-Herzégovine (1).

Parmi les défis que doivent relever les responsables politiques : des ouvriers qualifiés pour des postes qui n’existent plus ; des services destinés aux entreprises qui n’existent plus ; un sous-développement rural sévère ; des poches de populations dépendantes d’industries en faillite.

  • Entre 60 et 84% de population en Bosnie-Herzégovine vivent en dessous du seuil de pauvreté ;

  • Les taux de chômage sont au même niveau en 2001 qu’en 1995, soit 40%, la tendance serait même à l’augmentation(2).

Extrême lenteur de la privatisation

Dans un premier temps, la privatisation a consisté dans la distribution des titres de propriété, en guise de salaires aux travailleurs. Ne recevant plus de salaire pour survivre, ils ont dû les monnayer et les ont revendus à des prix très bas. Dans un second temps, ces nouveaux propriétaires ont cherché à tirer profit de tout ce qu’ils pouvaient vendre dans ces entreprises, ce qui a achevé de détruire le capital des entreprises. Enfin, l’Etat négocie le rachat de ce qui reste de ces entreprises en échange d’une prise en charge des coûts sociaux générés par l’indemnisation des personnels en sureffectif, et des garanties d’un niveau d’investissement minimum. Ces négociations sont freinées par les ententes officieuses entre autorités publiques et propriétaires, ces derniers étant la plupart du temps membres des mêmes partis politiques au pouvoir(3).

Création d’un secteur privé

L’expérience de la municipalité de Kalesija nous permet de juger des opportunités et des limites du contexte d’après-guerre en Bosnie-Herzégovine pour la création d’un secteur privé(4). Kalesija est une des régions rurales de Bosnie les moins développées ; les entreprises d’Etat datent des années 70. Lourdement détruite par la guerre, Kalesija a reçu d’importantes sommes d’aide à la reconstruction. Elles ont stimulé l’activité économique à court terme et ont d’ailleurs disparu en 1999.

Avant la guerre déjà, la ville était subventionnée de l’extérieur pour son développement et aucune initiative locale n’existait pour l’encourager. Après la guerre, le même schéma se poursuit mais cette fois avec des donateurs internationaux. En 1997 cependant, les citoyens ont mobilisé des ressources locales importantes pour le développement local des télécommunications et des routes dans des zones qui avaient toujours été négligées par les plans du régime socialiste.

Emploi

Le nouveau secteur privé a déjà plus que remplacé les emplois des anciennes entreprises d’Etat. A Kalesija, la privatisation est achevée. Elle a eu recours à différentes méthodes : la vente pour les plus petites entreprises, les offres publiques, les offres réservées aux dirigeants et aux ouvriers et enfin la privatisation par coupons (vouchers) par des fonds d’investissement. Fin 2001, la structure économique de la municipalité est entièrement transformée.

Le nombre d’emplois dans le secteur public a été réduit de 40% pendant que le secteur privé a créé 1200 emplois (soit plus que les emplois perdus dans le secteur public). Il faut encore ajouter 422 emplois créés dans l’agriculture privée et quelques milliers encore d’emplois saisonniers. Le secteur privé compte maintenant pour 40% du taux d’emploi alors qu’avant la guerre il comptait pour 5%. Il représente aussi l’essentiel de l’activité économique du pays : il a commencé avec la construction et les services, il se tourne maintenant vers la production. L’étude recense 10 nouvelles entreprises qui emploient chacune plus de 10 personnes (en tout 170) et 626 autres qui comptent pour 1030 emplois. Le secteur privé a doublé la taille du secteur des privatisations. Il faut encore ajouter les emplois de l’agriculture privée et les emplois itinérants de l’industrie de la construction.

Le marché de l‘emploi doit pourtant relever un défi de taille : les profils des formations techniques sont spécialisés dans les métiers de la métallurgie et de l’agriculture alors que les compétences pour la nouvelle économie sont rares. La croissance du secteur privé est encore modeste mais suffisante pour combler le déficit d’emplois de l’ancien secteur d’Etat. Elle contribue par ailleurs à casser le cliché de la Bosnie rurale où le secteur privé est inexistant.

Infrastructures

Le manque d’accès aux infrastructures nuit au développement : 70% des emplois sont concentrés dans 2 des 18 districts de la municipalité. Les locaux adaptés au commerce manquent si bien que des immeubles d’appartements ont été transformés en centres commerciaux, parfois des centres artisanaux se sont développés (zanatski). La municipalité a permis des extensions de plusieurs bâtiments publics comme des centres culturels qui ont été entourés de petits commerces. Mais face à la pénurie de locaux, la municipalité a loué des bâtiments d’anciennes entreprises d’Etat qui étaient abandonnés. Les clés du développement futur résident dans la capacité des autorités locales à fournir les ressources principales que sont la terre et les services.

Les mécanismes de l’époque socialiste étant maintenant inopérants, les municipalités sont obligées de trouver des nouveaux financements pour les fonds de développements. La municipalité de Kalesija a voulu reconstruire et améliorer son réseau de routes. La moitié du budget devait être pris en charge par un prêt du canton de Tuzla mais à cause d’une crise du budget cantonal, la participation s’est réduite à seulement à 1/5 (200.000 DM). L’intérêt des habitants de Kalesija était tel que les communautés locales se sont mobilisées et en peu de temps ont réuni 1,8 million de DM en contributions volontaires, sans utiliser de mécanismes de recherche de fonds formels. Cette somme, ajoutée à un bail municipal sur la terre, des crédits et le budget annuel, a atteint un budget total de 3,7 millions de DM et a permis de refaire 44km de routes.

Les infrastructures ne sont pas les seuls domaines qui ont besoin d’une meilleure gestion et de titres de propriété mieux établis. La municipalité possède des biens qui peuvent être valorisés comme les forêts et les terres. Après inventaire, la location des terres et des bâtiments de la municipalité lui rapporte un tiers de son budget. La législation sur la propriété de la terre a un besoin urgent de réforme : elle ne permet de céder que des droits d’usage et dans la limite de certains objectifs publics.

Les institutions et leurs relations avec les communautés locales

La taille des municipalités n’a cessé de grandir en Yougoslavie pour atteindre une moyenne de 42.000 habitants. Avec une telle taille, elles n’étaient plus capables de jouer un rôle efficace d’autonomie locale. Les fonctions locales étaient peu à peu laissées aux communautés (mjesne zajednice – MZ) qui exerçaient une autorité déléguée par la municipalité. Ce système repose principalement sur le volontarisme, sans capacité administrative réelle. Leur efficacité dépend donc de l’initiative des habitants.

Chaque MZ possède un conseil local et est constituée en entité légale ce qui lui permet d’avoir des droits d’usage sur les locaux municipaux. Elles disposent généralement d’un bureau et leur statut est adopté par le conseil de la MZ – de 5 à 11 personnes, volontaires, élues par une réunion publique ou nommées par les partis représentés au conseil municipal. De nombreuses dispositions juridiques concernant leur statut ne sont toujours pas réglées. Les limites d’action des MZ sont fixées par référendum local et inscrites dans la loi municipale.

La loi sur l’autonomie locale a conduit à confier au niveau municipal la gestion des services publics : ils étaient fournis par un système complexe d’accords bilatéraux entre fournisseurs et consommateurs par l’intermédiaire d’un réseau institutionnel unique connu comme « les communautés d’intérêt autonomes » (samoupravne interesne zajednice – SIZ). Ces SIZ étaient responsables des accords de développement qui régulaient l’offre et le paiement des services publics. Leur influence venait du fait qu’elles contrôlaient les fonds utilisés pour le développement de ces services. Avec le temps elles ont remplacé le rôle régulateur de l’Etat. Ainsi, les services publics n’étaient pas financés par l’imposition et les dépenses publiques mais par des contributions volontaires de la part des entreprises d’Etat, obtenues par des négociations directes et inscrites dans des contrats contraignants. Ce système a duré 20 ans et avait pour principaux défauts de nécessiter une constante intervention politique pour fonctionner, de multiplier les niveaux de bureaucratie, de déséquilibrer les budgets municipaux, de rendre impossible toute coordination et in fine a conduit à la stagnation des services publics. Les SIZ ont été abolies peu avant la guerre et réunies dans le fonds municipal.

Commentaire

Les questions économiques ne sont pas abordées dans l’accord de paix de Dayton ce qui est révélateur de la sous-estimation de l’impact de cette question sur l’ensemble du processus de paix. La principale erreur commise par les acteurs économiques internationaux fut de mésestimer la collusion entre les sphères politiques et économiques, une tendance héritée du régime précédent et poussée à son paroxysme avec la guerre. En 1996, les partis au pouvoir, pour la plupart, contrôlaient la vie économique, décidaient de l’allocation des ressources et recouraient au clientélisme. Ils n’avaient aucun goût pour la transparence, le libéralisme et les privatisations sauf si elles leur permettaient de s’accaparer des ressources.

En conséquence, le passage à l’économie de marché ne pourrait se faire qu’en adéquation avec un processus de démocratisation plus avancé que la seule organisation d’élections ; il doit intégrer la lutte contre la corruption et le clientélisme. A cause de cet imbroglio politico-économique, le versement des fonds internationaux, trop peu contrôlé, parvenait à des personnes suspectées de crimes de guerre, exerçant des fonctions politiques et publiques importantes (5).

L’enjeu de la reconstruction économique de la Bosnie, au-delà de la privatisation, de l’émergence et du développement d’un secteur privé, réside dans la volonté de la part des institutions politiques de trouver les moyens de soutenir la capacité des institutions locales et des nouveaux entrepreneurs privés à générer des ressources locales.

L’étude exhaustive d’un exemple local rend possible de dresser un tableau du processus de transition économique et d’en tirer les leçons qui sont généralisables à l’ensemble de la Bosnie et au Kosovo, dans le cas précis de Kalesija vu son retard de développement.

Notes

(1)European Stability Initiative, octobre 2004.

(2) « La Bonie Herzégovine sept ans après la guerre : dépendance ou responsabilité et autonomie » Zarko Papic in La Bosnie Herzégovine. Enjeux de la transition, Christophe Solioz et Svebor André Dizdarevic, L’Harmattan, Paris, 2003.

(3) Entretien juin 2005 avec Hugues de Courtivron, DCAF, Genève.

(4) Cette présentation est le résultat d’une étude détaillée menée par le European Stability Initiative (ESI) sur les politiques économiques post-privatisation. L’étude est centrée sur les schémas de développement local, l’évolution des acteurs-clé et des institutions et le rôle du gouvernement local dans l’émergence d’un secteur privé.

(5)Révélation de Human Rights Watch en janvier 1997 : les individus impliqués dans le nettoyage ethnique de Prijedor bénéficiaient directement de l‘aide humanitaire et à la reconstruction versée par la communauté internationale.