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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche d’expérience Dossier : Processus de transition et réformes d’Etat

, Grenoble, octobre 2005

Lustration à l’Est, purification et réconciliation dans les administrations (PECO)

Ces 15 dernières années dans les pays de l’Est ont été marquées par des publications, plus ou moins précoces, plus ou moins complètes et plus ou moins bien encadrées de listes de collaborateurs, potentiels ou réels, avec les services secrets des anciens régimes communistes. Dans presque tous les cas, ces démarches ont nourri des rumeurs et des chantages, par manque de transparence. Au fil des années, des lois ont été adoptées pour réguler l’accès aux dossiers et accompagner la publication de listes de juridictions ad hoc chargées de trancher une collaboration effective ou supposée. La redécouverte de ce passé est indispensable mais elle a lieu dans un climat de suspicion et d’amertume, de honte et de douleur. Pour désigner cette opération, le terme « lustration » s’est imposé dans tous les pays. Il vient du latin « lustratio » qui désigne le rituel courant dans la Rome antique de purification et de réconciliation au cours duquel on offrait un sacrifice solennel(1).

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L’Allemagne de l’Est est le pays le plus précoce dans cette démarche

Dès 1990, le siège de la STASI est pris d’assaut. Bonn encourage dans un premier temps la destruction des dossiers avant de donner raison aux dissidents. En 1991, une loi est votée sur le traitement des dossiers de la STASI et le Bureau Gauck (du nom de son premier directeur) est créé en 1992. 2 millions de personnes viennent les consulter. La réunification a permis qu’un cadre juridique existe et que des moyens importants soient consacrés à cette tâche (plusieurs milliers de personnes ont été employées). Ainsi il n’y a pas eu de place pour la libre interprétation et les rumeurs.

La République tchèque

Une loi de 1996 permet à toutes les victimes d’accéder aux dossiers. En 2003, une liste de 75.000 collaborateurs est publiée, mais elle ne contient que peu d’agents de la police secrète. C’est pourquoi, Cibulka, un ancien dissident publie la liste exhaustive avec 20.000 noms d’officiers, contre 106 sur la précédente. Les dossiers se trouvent au ministère de l’Intérieur et sur un site Internet. La consultation est publique et anonyme. Il faut être âgé d’au moins 18 ans et faire une demande préalable.

Pologne

Une première liste circule en 1992 qui nourrit d’âpres débats ; y figuraient 66 noms de hautes personnalités de l’Etat. Une loi entre enfin en vigueur en 1997 et institue une cour spéciale habilitée à trancher s’il y a eu collaboration ou pas, mais il reste la possibilité de faire appel, toutes les catégories ne sont pas concernées (par exemple les journalistes) et il n’existe pas de sanction : les reconnus coupables perdent tout au plus leur « qualification morale » pour occuper un poste.

En 1999, un institut de la mémoire nationale est créé, il gère les archives de l’ex-ministère de l’Intérieur et des Services de sécurité. Les victimes ont accès à leur dossier et les journalistes et chercheurs à l’ensemble des archives. En 2004, le président de la Diète, reconnu coupable de mensonge par le tribunal de lustration, démissionne. Enfin en 2005, est publiée sur Internet la liste de Wildstein qui comporte 240.000 noms. En réaction, de nombreux Polonais inscrits font des demandes de certificat de « non-collaboration » à l’Institut car y figurent des gens approchés par les services de sécurité mais qui n’avaient pas forcément travaillé pour eux. De nombreux dossiers avaient été détruits par les chefs de service pour protéger leurs indics.

Etats baltes

En Estonie, une loi de 1994 reconnaît les déclarations sur l’honneur. Si la collaboration est établie, elle n’est pas rendue publique.

En Lettonie, les collaborateurs doivent se présenter à l’Office national de la mémoire historique. Une loi de 1994, instaure une enquête obligatoire sur les candidats aux élections et les fonctionnaires d’Etat sur des postes nouveaux.

En Lituanie, la loi de 1999 demande aux personnes ayant travaillé pour le KGB de se présenter devant une commission spécifique. Mais le dispositif comporte des failles : des personnalités ont échappé au système sous le prétexte qu’ils étaient officiers de réserve.

Une partie des dossiers se trouvent à Moscou puisque le KGB avait procédé à la destruction ou au transfert de nombreux documents. Dès l’indépendance, une loi prévoyait l’assainissement de la vie publique, l’ouverture des archives, l’exclusion des anciens collaborateurs et le procès des agents du KGB. L’accès est ouvert à tout citoyen sauf en Lituanie, où seules peuvent y accéder les victimes ou les personnes après une autorisation préalable.

Roumanie

Dès 1990, il existe une pression pour le silence, la collaboration est un sujet tabou tellement le phénomène avait pris une ampleur considérable. On estime à un million le nombre des collaborateurs sur 22 millions de Roumains. C’est le « joug de la peur » . Un journaliste dénonce :

« Un peuple dont on laisse la mémoire perdre sa substance risque de découvrir que son destin s’est métamorphosé en agonie. Un peuple qui finit par comprendre qu’il n’a plus rien à attendre de la justice est condamné à survivre dans la défiance et le désespoir » . (Radu Portocala, journaliste et écrivain exilé à Paris, auteur de Autopsie de coup d’Etat roumain, éd. Calman-Lévy, Paris, 1990).

En 1989, la Securitate prend le nom de SRI, Service Roumain d’Information. En 1999, une loi crée le Conseil National pour l’Etude des Archives de la Securitate (CNSAS) et permet à tout citoyen d’accéder aux dossiers le concernant mais le retour des anciens communistes en 2000 bloque le processus. En 2005, le nouveau président, Traian Basescu, ordonne le transfert rapide vers le CNSAS.

Slovaquie

La loi qui crée l’Institut de la Mémoire Nationale en 2002 est véritablement révolutionnaire : elle permet au public un accès aux archives confidentielles de l’ancien régime, plus large qu’en Pologne, en République tchèque et en Hongrie.

Les dossiers y ont été tous transférés. La liste des collaborateurs a été publiée sur un site Internet gouvernemental où la consultation est publique et anonyme.

Hongrie

Le département de Sécurité intérieure est dissout en 1990 mais de nombreux employés intègrent le nouvel Office de sécurité nationale. En 1994, la lustration est imposée pour certains postes à responsabilité. En 1996, est créé l’Office de l’Histoire. L’accès aux dossiers disponibles est prévu pour les victimes, les magistrats spécialisés et les chercheurs. Mais de nombreux dossiers avaient été détruits ou d’autres restent classés secret d’Etat. En 2002, le Premier Ministre, et ex-espion, Péter Medgyessy promet l’ouverture des archives. Son successeur Ferenc Gyurcsàny fera la même chose. La question fait débat au sein du Parlement alors que plusieurs listes apparaissent sur Internet.

Bulgarie

Les dossiers qui n’ont pas été détruits, se trouvent au Ministère de l’Intérieur et de la Défense. En principe tout citoyen y a accès mais en pratique personne. Il faut attendre 1992 pour que l’interdiction de détruire les dossiers soit votée et 1997 pour que soit décidé un large accès aux documents et créée une commission censée les gérer et établir une éventuelle appartenance aux services de sécurité. Cette loi est finalement abrogée et remplacée par une autre qui prévoit le dépôt des dossiers aux archives de l’Etat, mais sa réalisation est renvoyée aux calendes grecques.

Une lustration plus approfondie est difficilement imaginable à cause des pratiques trop courantes de manipulation de dossiers, étouffement des affaires et de la suppression d’une grande quantité de dossiers au changement de régime. Le cas de la Hongrie est à ce titre remarquable, la destruction des dossiers s’est faite à une échelle industrielle : 100.000 sur 110.000 dossiers de recrutement.

Commentaire

De la même manière qu’une Commission Vérité et Réconciliation ou qu’une justice transitoire est indispensable dans les pays émergeant d’un conflit violent, toute la lumière doit être faite sur les termes de la collaboration des populations des PECO avec leurs services secrets. Ce besoin de vérité est nécessaire pour réconcilier la société mais aussi pour empêcher les pratiques abusives qui creuseraient encore davantage les fossés entre les individus.

Notes

(1)Ufi, magazine conservateur-libéral, Budapest, paru dans Courrier International, n°752, 31 mars au 6 avril 2005