Claske DIJKEMA, Grenoble, octobre 2005
L’aide internationale en Afghanistan: obstacle à l’émergence d’un Etat souverain
Lors de la troisième conférence des donateurs étrangers, réunie du 4 au 6 avril 2005, Hamid Karzaï a plaidé en faveur d’une plus grande autonomie de son Gouvernement dans la gestion de l’aide internationale, afin de mieux asseoir son autorité.
Répartition des pouvoirs entre le Gouvernement et les acteurs internationaux
Le Monde (1) expose très bien le dilemme posé par l’aide internationale accordée après les situations de crise. D’un côté, les donateurs internationaux affirment que les gouvernements doivent être renforcés et qu’ils doivent prendre leurs responsabilités de gouvernance face à la population. D’un autre côté, leurs actions perturbent l’exercice du pouvoir comme, par exemple, en offrant des salaires bien supérieurs à ceux proposés par le Gouvernement. Un autre exemple consiste à subventionner une politique de reconstruction qui ne coïncide pas avec les priorités du gouvernement. Sur le principe, les donateurs s’accordent à vouloir renforcer les autorités afghanes en leur donnant les moyens de leur politique mais beaucoup font valoir que l’administration manque de ressources humaines, qu’elle est très largement corrompue et politisée ce qui risque de déséquilibrer la distribution de l’aide. En conséquence, ils gardent la gestion de l’aide internationale sous leur contrôle. Cette dynamique crée un obstacle au renforcement de l’Etat, mais pose également des problèmes de positionnement pour plusieurs organisations étrangères travaillant dans ce cadre international. Guy Caussé, médecin volontaire pour Médecins du Monde (MDM) en Afghanistan depuis des années, explique le dilemme pour MDM.
Expérience MDM
Le point de vue de MDM est le suivant : « Comment renforcer la crédibilité d’un gouvernement alors que la plupart des secteurs publics sont régis par des organismes internationaux ? » . Il fait référence à la mise en place du Performance-based partnership agreement ou « contrat de partenariat basé sur la performance » , instauré par la Banque Mondiale dans certaines provinces de l’Afghanistan. Dans le domaine de la santé, la Banque Mondiale a imposé ses priorités. Cet accord est critiqué d’une part parce qu’il établit un système de santé afghan presque entièrement organisé sur la contractualisation des acteurs privés et d’autre part parece que le suivi n’est organisé que pour une durée de 3 ans, sans aucune perspective de reprise en main ultérieure par les Afghans. La Banque Mondiale admet au contraire que le choix de privatiser l’aide médicale par l’intermédiaire des ONG permet un meilleur contrôle de l’utilisation des fonds et de la situation sur le terrain. Finalement, la question posée par MDM est la suivante : « Souhaitons-nous devenir les sous-traitants des organisations internationales via le Ministère de la Santé pour les soins de santé primaire ? Si la réponse est « oui » , à quel prix cela se fera-t-il pour notre indépendance et notre éthique ? » . Leur décision a été de ne pas participer à la contractualisation des services de santé et de garder leur indépendance. Ils continuent à prodiguer des soins dans des régions qui ne sont pas couvertes par la politique du Ministère de la Santé.
Légitimité des acteurs internationaux
On peut s’interroger sur l’opinion de la population afghane quant à la légitimité de la présence internationale. Guy Caussé rappelle que les loyautés en Afghanistan sont très fluides. Le temps de tolérance qu’ils peuvent accorder à l’étranger sur leur territoire reste limité. Ainsi cette confiance – somme toute limitée – qu’ils accordent aux internationaux venus « reconstruire le pays » (Etats-Unis, Grande Bretagne, Allemagne, France...) pourrait très rapidement s’inverser si les déceptions étaient trop grandes. Déjà les organisations humanitaires étrangères sont discréditées par l’opulence affichée dans laquelle elles travaillent. Un sentiment d’injustice est ici alimenté par l’impression de la part des Afghans que les fonds qui leur sont consacrés sont ainsi détournés.
Commentaire
A plus long terme on peut s’interroger sur les conséquences pour l’autonomie du corps médical afghan si les services sont ainsi sous-traités à des étrangers et que les Afghans se voient seulement octroyer les plus basses tâches.
Notes
(1)Le Monde du 6 avril 2005