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, Grenoble, October 2005

Généalogies et alternance au pouvoir au Kirghizstan

Description de la relation au pouvoir au Kirghizstan et sa grande continuité

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Le pouvoir exécutif kirghize est distribué du sommet de l’Etat, avec le président et le gouvernement, jusqu’au village avec le chef, en passant par le raïon, dirigé par un chef et l’oblast’ dirigé par un préfet. Toutes ces figures du pouvoir ont une autorité effective qui provient de leur réseau de parenté. Ainsi ce modèle d’autorité est légitime au niveau le plus bas, celui où les entités administratives correspondent aux clans institués, mais il est plus contestable en s’élevant dans la hiérarchie de l’Etat.

Le chef d’un clan, ou d’un réseau, est appelé Manap. C’est lui qui règle tous les conflits. Ce modèle existe depuis la fin du XIXe siècle, il s’est perpétué et adapté, y compris au système des kolkhozes pendant la période soviétique : le kolkhoze repose et se confond avec un lignage dont le chef décide de tout. La transformation socio-économique a donc donné lieu à une recomposition identitaire en instrumentalisant les kolkhozes. Le modèle persiste puisque les chefs qui dirigent sont issus des mêmes familles ; ils ont autorité sur des groupes fondés sur la même base, c’est-à-dire lignagère. Cette structure lignagère est similaire au Kazakhstan. Cette organisation suppose que chaque individu connaît sa propre généalogie ; celui qui ne la connaîtrait pas serait considéré comme exclu du système.

L’ensemble de la structuration sociale est fondé sur la parenté. Les différents groupes de cette culture pastorale, correspondent à des clans familiaux qui portent un nom permettant de les identifier (ils représentent des centaines voire des milliers de personnes). Ces clans connaissent également une base territoriale. Ils possèdent une mythologie nourrie des ancêtres illustres. Ils ont chacun des domaines d’activité spécialisé. Le chef du clan connaît le droit coutumier, les généalogies, il possède un savoir-faire pour diriger les hommes et s’occuper des bêtes. C’est lui qui en a la meilleure connaissance. Les clans entretiennent des relations et s’allient en contractant des mariages.

Ainsi on observe une grande continuité dans les figures politiques, elles sont héréditaires même si les règles de transmission du pouvoir ne sont pas précisément définies. L’arrière-grand-père d’Akaev, président kirghize, de 1991 à 2005, était un grand khan du Nord du Kirghizstan. Il existe un accord tacite dans le pays pour une alternance au pouvoir entre les clans du Nord du pays et ceux du Sud. Il n’est donc pas étonnant que l’actuel président soit un Kirghize du sud. La spontanéité et le succès du soulèvement populaire qui l’a conduit au pouvoir doivent être analysés dans cette perspective.

Une telle structuration sociale et sa préservation au cours des siècles laissent peu de place à l’émergence d’une communauté unique et d’un Etat auquel tous les citoyens s’identifieraient. C’est un autre des échecs, et non des moindres, du système soviétique que de n’avoir pas su créer des entités politiques avec lesquelles les citoyens puissent s’identifier ; il est lié à l’échec économique et écologique. L’identité kirghize se construit par rapport à :

  • Une généalogie

  • Un clan

  • Un territoire

Ce système permet de se sentir tous différents mais alliés, grâce aux réseaux d’alliances qui unissent les différents clans.

Les Kirghizes s’identifient encore avec :

  • Certains lieux dont ils sont très fiers comme le lac Issyk Kul ;

  • L’indépendance qui procure également une grande fierté ;

  • Les séances parlementaires représentent également un motif de fierté. Elles sont télévisées et très regardées dans le pays. La mise en scène du pouvoir doit contribuer à cet attrait, tout comme le sentiment d’être en contact avec un lieu de pouvoir après la période soviétique dominée par la politique du secret.

Par contre il n’y a pas de référence ou d’identification avec la constitution. Le rôle de protection et de représentation appartient au niveau local, celui du village, les institutions centrales ne suscitent pas assez de confiance pour cela. L’Etat n’est pas perçu comme redistributeur et fournisseur de services. Il n’est pas un interlocuteur. Le seul moyen de renforcer l’Etat est de s’appuyer sur les lieux de pouvoir légitime, c’est-à-dire les chefs locaux.

L’ensemble de ce système pose le problème de la démocratisation : le mode de distribution du pouvoir n’est pas démocratique puisqu’il est héréditaire. Le pouvoir ne quitte pas le lignage auquel il appartient (1).

Commentary

Dans ce système traditionnel où la transmission héréditaire du pouvoir domine, comment instaurer la démocratie ? Le concept de souveraineté du peuple est-il compatible ? Une légitimité électorale est-elle possible ? Faut-il penser un système hybride ?

Notes

(1)Entretien avec Svetlana Jacquesson, docteur en ethnologie, spécialiste du Kirghizstan, mai 2005.

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