Karine Gatelier, Grenoble, octobre 2005
Les effets pervers de l’intervention internationale : la dépendance en Bosnie-Herzégovine
La Bosnie-Herzégovine connaît un triple processus de transition et à ce titre subit les lourdeurs de son héritage : elle doit passer d’un monopole du politique par l’Etat à une démocratie et une économie de marché, d’une situation de guerre à la paix et du statut de république fédérée à un Etat indépendant. Il n’y a pas de doute qu’elle a besoin de l’aide internationale pour relever ces défis mais les conditions dans lesquelles elle est conduite doit mener à un développement durable.
L’intervention internationale
Depuis les négociations de paix puis la signature d’un accord de paix, l’encadrement international a pris plusieurs formes pour encadrer la construction de l’Etat bosnien. Le Bureau du Haut Représentant (OHR en anglais) a été institué pour coordonner les aspects civils de l’accord et établir les contacts entre les 3 parties, les encourager à respecter les termes de l’Accord et coopérer. D’autre part, l’OSCE, dès 1996, prend la charge primordiale de superviser les élections. L’organisation est plus généralement investie dans les domaines des droits de l’homme et de la démocratisation. Des agences de l’ONU sont également investies sur des missions spécifiques (UNHCR) et les volets militaires (IFOR, SFOR, MINUBH, IPTF).
L’aide internationale représente désormais 30% du PNB du pays et concerne trop souvent le domaine du bâtiment alors que les investissements dans le secteur économique sont rares. Une telle dépendance provient de l’orientation de la politique des donateurs : l’économie parallèle, le flux indirect d’argent liquide des organisations internationales et la présence des étrangers représentent un segment crucial de l’économie (1). La dépendance n’est pourtant pas seulement économique, la situation sur le terrain rend difficile le transfert de responsabilité. Ainsi l’encadrement international se maintient encore.
La dépendance
L’encadrement par la communauté internationale de la construction de l’Etat de Bosnie-Herzégovine pose le problème d’une assistance trop importante qui ne permet pas l’émergence d’un Etat souverain. Cette situation donne lieu à des recommandations opposées : un usage limité des pouvoirs du Haut représentant et le renforcement de la prise de responsabilité (ownership), ou au contraire un usage encore plus étendu de ses prérogatives pour combattre l’obstructionnisme et compenser les faiblesses des politiques locaux.
Plusieurs processus expliquent la situation de dépendance en même temps qu’ils en découlent :
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Jusqu’aux élections de 2000, les représentants des pouvoirs locaux ne se sentaient pas responsables de la situation du pays. Leur responsabilité était de défendre les intérêts de la population face aux représentants de la communauté internationale.
Les élections municipales et nationales de 2000 ont montré un soutien croissant pour les partis modérés. Pour la première fois depuis la fin de la guerre, la Bosnie-Herzégovine avait un gouvernement non-nationaliste dans les deux entités et au niveau national. L’obstacle à ces changements reste cependant la position faible du gouvernement non-nationaliste. Les autorités législatives et exécutives issues de ces élections n’ont presque rien fait dans le domaine du retour des réfugiés, de la lutte contre la corruption et sur la mise en oeuvre des décisions du Tribunal constitutionnel sur la constitutivité des peuples.
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Les dirigeants et la population ont trop tendance à voir l’aide internationale comme un substitut de l’Etat socialiste, censé résoudre tous les problèmes. L’initiative locale est bloquée rendant trop passifs les dirigeants et la population.
La passivité du gouvernement bosnien se traduit par un vide de politiques crédibles :
par exemple le manque d’informations sur les mutations actuelles de la société bosnienne montre l’absence de politique active ; de même le profil de dépenses des budgets concerne le fonctionnel et très peu l’opérationnel. Cette passivité est un problème politique et non technique, la solution ne réside donc pas dans une réforme institutionnelle (les institutions créées par Dayton ont souvent été blâmées). C’est bien un signe du manque de volonté politique pour travailler ensemble. Il existe une concurrence pour les budgets que les différents niveaux se disputent au lieu de collaborer et de les répartir au mieux ensemble.
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La corruption et le crime organisé sont liés au pouvoir. Il est indispensable de respecter le principe de transparence et d’établir l’Etat de droit.
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La fuite des cerveaux vers les organisations internationales.
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Une grande partie de l’aide consacrée à la démocratie et au développement d’une société civile est inadéquate ; elle ne concerne qu’une faible partie de la population. Une élite se professionnalise et se détourne des problèmes de la base. Il est nécessaire d’encourager les interventions des citoyens et leurs initiatives.
La dynamique de la dépendance est la « quadrature du cercle » : l’inertie et l’aggravation de la situation sociale et économique renforcent la dépendance et conduisent à la stagnation et la décadence. Deux phénomènes majeurs sont à craindre : la disparition de la bulle artificielle de consommation et d’importation nourrie par les fonds internationaux ; le paiement du service de la dette. Le gouvernement bosnien rencontrera alors un moment critique où il devra devenir plus actif avec moins de moyens.
Le capital social est un indicateur important dans la mobilisation et la participation de la population d’un Etat. En Bosnie-Herzégovine, il est très faible : 84,2% des personnes sondées affirment ne pas avoir confiance envers les gens. La confiance dans la société en général, et dans les autres ethnies en particulier, baisse et la famille reste une valeur refuge. La participation aux associations civiles et dans les actions sociales reste faible (2. Les rapports sociaux intenses qui existent dans les petites communautés (familles, clans etc.) doivent sortir de ces sphères et alimenter les citoyens ne leur appartenant pas. Ce capital social doit passer de la société civile à l’Etat. « Sans rapports avec les institutions formelles, les communautés locales ne peuvent influencer les politiques et les programmes publics. » (3)
Pour une transition de la dépendance à la souveraineté
Le transfert de la responsabilité et de l’autorité est déjà engagé, il ne peut être que progressif et fondé sur un authentique partenariat, clairement planifié. Il est capital que soit créée une commission indépendante ayant pour mandat d’assurer le suivi et l’évaluation critique et constante de ce processus de transfert. Elle aurait le mérite de démontrer la volonté de la communauté internationale de s’engager résolument en faveur de la souveraineté de la Bosnie-Herzégovine et placerait le Parlement et le gouvernement bosniens face à leurs responsabilités. (4)
Sur le plan économique, d’une part, la mondialisation conduit à un développement déséquilibré. D’autre part, la transition est réduite au paradigme du passage à l’économie de marché et à la simple privatisation. Le soutien au renouvellement des structures sociales a été négligé alors que la structure de la société a été profondément atteinte. Pour prévenir une explosion sociale, une politique sociale doit être mise en œuvre s’appuyant sur les collectivités et administrations locales autonomes, les organisations créées au sein des communautés, les initiatives citoyennes et autres ONG de base. L’aide internationale doit adopter une nouvelle approche dans sa stratégie et associer la relance économique à la reconstruction du secteur social. Dans la même logique, les organisations internationales doivent mieux se coordonner et s’inspirer d’une aide indirecte pour renforcer les potentiels locaux.
Enfin le passage de l’aide d’urgence à la croissance stable s’impose.
Commentaire
L’obstacle majeur dans le processus vers la souveraineté de l’Etat bosnien est l’absence de consensus sur l’avenir du pays : il n’existe pas à ce jour de volonté politique d’élaborer un projet de vie commun. La Bosnie a toutefois besoin d’un Etat fonctionnel et efficace, et au service des citoyens.
Notes
(1)« La Bosnie Herzégovine sept ans après la guerre : dépendance ou responsabilité et autonomie » Zarko Papic in La Bosnie Herzégovine. Enjeux de la transition, Christophe Solioz et Svebor André Dizdarevic, L’Harmattan, Paris, 2003.
(2)Miroslav Zivanovic, association Bosnie et Herzégovine 2005, Centre pour les droits de l’Homme de l’université de Sarajevo, in Courrier des Balkan.
(3)Ibid.
(4)Christophe Solioz, Forum for Democratic Alternatives, Sarajevo, Bruxelles, Genève, Juillet 2003.