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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche d’expérience Dossier : Processus de transition et réformes d’Etat

, Grenoble, France, octobre 2005

Une convergence d’intérêts internes et externes pour le changement au Salvador

L’équilibre des forces dans la guerre civile au Salvador conduit à une impasse miliaire

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En 1992, au Château de Chapultepec au Mexique, les dirigeants et délégués du gouvernement salvadorien et de la guérilla unifiée sous le Front Farabundo Marti de Libération Nationale (FMLN), entourés de hauts représentants des Nations-Unies, de Colombie, Cuba, Espagne, Etats-Unis et Venezuela, ont signé les accords de paix mettant fin à douze années de guerre civile.

Cet accord de paix est le fruit d’un long processus de négociations. Pour comprendre les facteurs décisifs permettant la réussite des négociations, il convient tout d’abord de s’interroger sur les acteurs des négociations pour ensuite étudier les événements nationaux, régionaux et internationaux favorisant la sortie négociée du conflit.

Les multiples acteurs des négociations

Aux racines de la guerre civile se trouve une grave crise politique et sociale avec une accentuation des tensions lors de chaque élection. Les années précédant la guerre civile sont marquées par une répression de grande ampleur de la part de l’Etat, répression entraînant de violentes manifestations populaires ainsi que des actions de guérilla urbaine. Il y a par conséquent une très forte opposition entre la guérilla d’inspiration communiste et le gouvernement de droite voire d’extrême droite. Ce sont deux idéologies et deux classes sociales qui s’affrontent. Le Front Démocratique Révolutionnaire (FDR), coalition d’organisations de gauche, de mouvements populaires et de secteurs de l’église naît alors, les mouvements de guérilla se regroupent ensuite au sein du Front de Libération National Farabundo Martí (FMLN) pour former une union politique et militaire.

Lorsque le président Reagan, arrive à la Maison Blanche, il porte une attention toute particulière sur l’Amérique centrale, zone stratégique pour son pays. Les Etats Unis fournissent alors des aides militaires et entraînent les forces armées. Quant aux rebelles unifiés sous le FMLN, ils reçoivent de l’aide de l’Union Soviétique, de Cuba et du Nicaragua (1).

Les deux parties au conflit et leurs soutiens régionaux et internationaux respectifs vont demander l’intervention du Secrétaire Général des Nations Unies en 1990. Ce dernier a été le catalyseur du processus et a pu compter sur l’appui de la communauté internationale (plusieurs résolutions de l’Assemblée Générale et du Conseil de Sécurité ont été adoptées) et surtout sur la coopération et l’aide que lui ont apportée en permanence les chefs d’Etats et de Gouvernement de la Colombie, de l’Espagne, du Mexique et du Venezuela («les amis du Secrétaire Général » ) et de leurs représentants diplomatiques accrédités au Salvador et auprès des Nations Unies à New York (2).

Une conjonction de faits rendant la négociation inévitable

  • Une situation interne mûre pour le changement

Trois facteurs internes ont contribué au déblocage de la situation : l’impasse militaire dans laquelle se trouvaient les parties, le désir de paix au sein de la population ainsi que les offensives de la guérilla touchant des secteurs de la population jusque là relativement épargnés.

En effet, la négociation a été rendue possible par le fait que les forces en présence étaient à peu près égales, aucune des deux factions ne prenait l’avantage sur l’autre. Zartman avance que les conflits sont «mûrs » pour une solution négociée seulement sous certaines conditions, la principale est la situation de mutually hurting stalemate. Les deux parties doivent prendre conscience que leur but ne peut pas être atteint en continuant la violence (3). Face à l’impasse militaire dans laquelle elles se trouvaient à la fin des années 1980, les deux parties se sont alors rendues à l’évidence que la seule possibilité de sortie de crise était de négocier, tout en admettant de faire quelques concessions.

Au fur et à mesure du développement du conflit, le désir de paix s’est intensifié dans la conscience collective du peuple salvadorien. Au final, la certitude que l’alternative la plus raisonnable pour en finir avec le conflit était la négociation s’est généralisée dans la plupart des couches de la population, y compris au sein même du Gouvernement à partir de l’élection de l’ARENA au pouvoir. C’est surtout à partir de novembre 1989 avec la grande offensive de guérilla qui touche pour la première fois les zones résidentielles de San Salvador que le processus va évoluer de façon notoire. Le conflit atteint alors tous les secteurs de la population y compris les plus aisés. Le gouvernement se rend compte que sa légitimité est en danger si le conflit vient à perdurer. Ce dernier s’est rendu à l’évidence qu’il n’était donc plus en position de force et que la seule sortie possible est de négocier la paix.

Par ailleurs, le bombardement par les forces aériennes de quartiers populaires et l’assassinat de six jésuites oeuvrant en faveur de la paix a mis en avant aux yeux du monde la brutalité de l’armée salvadorienne et la nécessité de trouver une sortie rapide au conflit (4).

Selon Joaquin Villalobos (5), ancien commandant de la guérilla salvadorienne, la paix est par conséquent davantage la conséquence du rapport interne des forces que de facteurs externes.

Avant le processus final, plusieurs tentatives de négociations avaient eu lieu, mais n’avaient pu aboutir en raison des pré-requis du gouvernement pour entamer les négociations et le refus de la part des deux parties de faire les moindres concessions. Le gouvernement exigeait le désarmement de la guérilla comme pré-condition au dialogue alors que cette dernière s’y refusait catégoriquement. Par ailleurs, l’armée étant financée et le pouvoir soutenu par Washington, le gouvernement espérait une sortie victorieuse au conflit. Seuls des accords partiels concernant des questions humanitaires telles que le traitement des blessés et les échanges de prisonniers avaient pu être conclus.

  • Une situation régionale et internationale en faveur des négociations

Plusieurs initiatives régionales en faveur de la paix ont été entreprises. En 1983 est formé le Groupe Contadora réunissant le Panama, le Venezuela, la Colombie et le Mexique afin de promouvoir une solution régionale négociée aux conflits d’Amérique centrale et de «répondre à une triple préoccupation : mettre un terme aux terribles souffrances qu’endurent les peuples en Amérique Centrale du fait des conflits militaires qui s’y déroulent» (6). L’accord de Contadora pour la Paix et la Coopération en Amérique Centrale est soutenu et appuyé par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des Nations Unies ainsi que par de nombreux organismes régionaux et internationaux. Le président du Costa Rica, Oscar Arias, va relancer l’initiative du Groupe Contadora et parvenir à la signature des accords d’Esquipulas.

Parallèlement, dans un contexte de fin de Guerre froide, à la fin des années 1980 a eu lieu aux Etats-Unis une remise en cause de la moralité et de l’effectivité de la politique étasunienne au Salvador. Après trois ans de méfiance envers le processus de négociation, les Etats Unis vont oeuvrer pour une solution politique.

Alors que Reagan a prôné et appuyé l’option militaire pendant huit années, l’administration Bush opte pour une approche plus pragmatique, ouvrant une sortie vers la paix tout en n’écartant pas la voie des armes. Les Etats-Unis stoppent l’aide aux militaires à la suite de la multiplication des pressions internes s’opposant à la poursuite de cette aide par George H.W. Bush. Avec l’effondrement du bloc socialiste, la guérilla perd elle aussi ses principaux soutiens internationaux et renouvelle sa ferme volonté d’intégrer la vie politique légale.

On observe alors une relative symétrie de pouvoir dans la négociation, symétrie de pouvoir qui a permis d’obtenir des accords de paix satisfaisants et viables, aussi bien pour le gouvernement que pour le FMLN.

Commentaire

Le Salvador est un exemple de pays en guerre pour lequel la résolution du conflit est le résultat de la convergence des intérêts des parties et des soutiens au conflit. La paix est donc la conséquence de la conjonction entre l’impasse dans laquelle se trouvaient les belligérants et la situation internationale.

Suite aux accords de paix, un nouvel acteur voit le jour sur la scène politique : le FMLN. Lors des élections de 1994, le FMLN apparaît comme la deuxième force politique nationale. Le parti perd les élections présidentielles mais remporte 15 municipalités et 21 sièges sur 84 à l’Assemblée législative. Depuis le FMLN a gagné en force. Il possède désormais 31 sièges contre 29 pour l’ARENA à l’Assemblée législative et détient 77 municipalités dont la capitale San Salvador.

La politique de non coopération de la part de l’ARENA et son refus de prendre ses responsabilités suite au rapport de la Commission Vérité explique les difficultés du pays à mener à bien le processus de réconciliation nationale et à éradiquer la violence. Le taux de criminalité est aujourd’hui plus élevé que durant la guerre civile.

Notes

(1)Canadian Foundation for the Americas, Building Peace and Democracy in El Salvador : An Ongoing Challenge, 18 février 2000, www.focal.ca/pdf/elsalvador.pdf

(2) Guadalupe de Muñoz, Acuerdos de paz, www.monografias.com/trabajos14/acuerdo-paz/acuerdo-paz.shtml#pro

(3) Hugh Miall, Olivier Ramsbotham, Tom Woodhouse, Contemporary Conflict Resolution, Polity Press, 1999, p162

(4) Antonio Gonzales, Un pacto social para El Salvador, www.geocities.com/praxeologia/paz97.html

(5) Joaquin Villalobos, « Ni vainqueurs ni vaincus : la paix au Salvador » in Critique internationale n°5, automne 1999

(6) 1985 - Le Groupe Contadora, portal.unesco.org/culture/fr/ev.php-URL_ID=9374&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html