José Pablo Batista, Guatemala, December 2004
Oser la paix dans l’Amérique centrale des années 1980 - 1990 : le courage politique des nouvelles autorités démocratiques.
Les nouvelles autorités démocratiques voulaient chercher une alternative aux modèles conservateur et révolutionnaire, les seuls qui s’imposaient à la société et qui, par là même, imposaient l’affrontement comme seule façon de vivre ensemble.
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Traversée par des conflits armés de plus en plus complexes, l’Amérique centrale a entamé dans les années 1980 un processus de démocratisation du pouvoir en vue de mieux répondre au grand défi concernant la pacification des rapports sociaux. La violence, devenue non seulement extrême mais aussi institutionnelle, était la première menace à démonter.
Les autorités politiques centre-américaines ont entamé un processus de pacification de la région appelé « Esquipulas ». À la question de la pacification, elles donnaient une réponse animée par une triple dynamique : dialogue, cessez-le-feu, dialogue. Les gouvernements exhortaient les parties en conflit à une concertation pour cesser les affrontements. Ils s’engageaient à réaliser toutes les actions nécessaires pour obtenir un cessez-le-feu effectif dans le cadre constitutionnel, ainsi qu’à créer les mécanismes qui permettraient le dialogue avec les groupes opposants. Ici se trouve résumée la première volonté des présidents : leur objectif était de pacifier la région. Une instance ad hoc fut constituée dans chacun des États en conflit, la Commission nationale de Réconciliation, chargée de vérifier le déroulement du processus de pacification.
Entre les extrémistes de droite et de gauche, une troisième voie :
Les nouvelles autorités démocratiques voulaient chercher une alternative aux modèles conservateur et révolutionnaire, les seuls qui s’imposaient à la société et qui, par là même, imposaient l’affrontement comme seule façon de vivre ensemble. Ces deux modèles, en effet imbriqués l’un dans l’autre et produisant ensemble un système de violence irrationnel, peuvent être caractérisés de la façon suivante.
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Le modèle « conservateur » était celui des dirigeants de la droite anticommuniste. Il était caractérisé par la monopolisation du pouvoir politique par une élite dominante noyautée par les militaires, par la répression de toute opposition politique et par la quête de satisfaire les attentes des autorités politiques des États-Unis en vue d’obtenir leur soutien politique et financier dans un contexte de guerre froide. Celles-ci, à leur tour, exerçaient leur influence dans leur arrière-cour. La théorie politique mise en œuvre était celle de « la Sécurité nationale ».
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Le modèle « révolutionnaire » était celui des dirigeants de la gauche révolutionnaire. Il peut être caractérisé par quatre éléments. Il était porté par un conglomérat de membres des élites politiques, militaires et intellectuelles qui s’unissaient par les idéaux révolutionnaires des uns, réformistes des autres ( pour la majorité). En affirmant qu’elles voulaient gouverner pour les plus démunis de la société, ces élites cherchaient la conquête du pouvoir politique. Elles considéraient, à cause de la rigidité du modèle autoritaire et de ses techniques de répression de l’opposition, qu’elles pourraient prendre le pouvoir uniquement via une révolution. Elles comptaient sur le soutien de l’internationale communiste et de quelques pays amis.
Dans une dynamique de diabolisation réciproque, chacun des deux groupes cherchait la destruction de l’autre. Via la mobilisation de jeunes gens envoyés combattre « pour la liberté » les uns, « pour la justice » les autres, généraux conservateurs et commandants révolutionnaires renforçaient et exacerbaient les divisions sociales ainsi que la violence. La population civile, quant à elle, fournissait les victimes.
Le pouvoir politique sur le pouvoir militaire. Au Guatemala, au Salvador, au Honduras, au Nicaragua, l’armée constituait la première force politique et nul changement ne pouvait être fait sans elle. La question clef était : "qui gouverne ?". Les rapports de force entre les militaires, chefs des armées, et les civils, chefs du gouvernement, étaient très complexes. Puisque l’armée détenait la plus grande partie du pouvoir réel et disposait d’une richesse financière considérable, une branche militaire avait l’intention de continuer à gouverner derrière des présidents civils. Cependant, bien qu’il fut admis qu’une force publique était nécessaire pour garantir l’existence de l’ordre social et la sécurité du pays, l’histoire récente révélait l’écart fondamental entre ces principes et leur application : des pratiques militaires étaient, souvent, en contradiction avec le droit constitutionnel. Sous les gouvernements autoritaires, les armées étaient devenues une instance politique ainsi qu’une institution de répression. La décision des nouvelles autorités politiques d’ouvrir des dialogues de paix avec les groupements armés opposants a dévoilé de profondes divisions au sein des armées. Elles étaient un embrouillement de tendances en concurrence et en luttes intestines.
L’affrontement au sommet entre les trois tendances militaires les plus puissantes est devenu officiel.
La première de ces tendances était celle des militaires anticommunistes d’extrême droite aux méthodes autoritaires qui, ayant déjà accompli leur mission de nettoyage social et de répression de l’opposition, voire d’élimination, ne cherchaient que leur impunité. Ils exigeaient d’inclure le point sur l’amnistie dans le document, en vue de s’assurer une retraite sans passé et sans risques. C’était une stratégie fonctionnelle : accepter le passage aux gouvernements civils, signer des accords de paix avec les anciens ennemis et, en échange, garantir leur impunité. La deuxième tendance était celle des militaires en faveur de la démocratie. Ils voulaient prendre part à la transformation politique de leurs pays en tant que « militaires au service de la démocratie et soumis aux gouvernements civils ». Cela leur permettrait de prendre le contrôle des armées après la retraite des « durs ». La troisième tendance était celle des militaires capitalistes. Le « combat contre le communisme » avait également fonctionné comme moyen d’enrichissement économique. L’armée avait accordé à ses officiers l’accès à la richesse. Ils n’ont exigé des autorités civiles que la liberté de faire des affaires. Ils ne voulaient surtout pas apparaître dans le document, et il en a été ainsi.
Dans une situation aussi complexe, les présidents prenaient leur décisions avec, sur certains aspects, l’accord des militaires, sur d’autres, leur tolérance et avec, sur d’autres sujets, leur désaccord, notamment sur ce qui était derrière cela : la volonté affirmée des nouvelles autorités civiles à prendre le pouvoir en main et à instaurer un gouvernement dont l’un des objectifs majeurs était la pacification des rapports sociaux.
Commentary
Avec le soutien des autres présidents centre-américains et des forces démocratiques, M. Oscar Arias, président du Costa Rica de 1986 à 1990, affirmait haut et fort que la polarisation extrême de la société et ses combats contre elle-même n’allaient pas sur la bonne voie. Il proposait aux responsables politiques de la région de ne se laisser entraîner ni par l’un ni par l’autre des groupes d’extrémistes. Sa stratégie consistait à ouvrir une alternative politique démocratique : le fait d’institutionnaliser une troisième voie politique, entre l’extrême droite anticommuniste et l’extrême gauche révolutionnaire, est devenu son projet, soutenu par les nouvelles autorités centre-américaines.