Marie Mwira, Goma, février 2008
Entretien avec Mme Marie MWIRA
Propos recueillis par Henri Bauer et Nathalie Delcamp (Irenees).
Irenees :
Pourriez-vous vous présenter s’il vous plaît ?
Marie Mwira :
Je travaille dans le mouvement associatif depuis 1992, j’assume la fonction de Secrétaire Permanente au sein du Réseau Femme et Développement (en sigles : REFED/Nord-Kivu) et suis présidente d’une association qui travaille sur les traditions et coutumes au Nord–Kivu « Genre et Tradition pour le Développement et la Paix » (GTDP).
Irenees :
Vous travaillez depuis de nombreuses années en RDC et dans la région africaine des Grands Lacs, quels sont, selon vous, les facteurs les plus importants de ce conflit ? La pauvreté ? Les ressources naturelles ? L’ethnicité ? Les intérêts étrangers ?…
Marie Mwira :
Les facteurs les plus importants en RDC et dans la Région Africaine des Grands Lacs se résument dans trois points à savoir :
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1. l’identité
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2. le pouvoir
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3. la terre
Dans les pays de l’Afrique Subsaharienne les peuples s’identifient par rapport aux collines d’origines et au pouvoir (coutumier et moderne). La terre étant la seule source de richesses (production des ressources) pour la vie, elle est gardée jalousement par les témoins et Chefs coutumiers. La mauvaise gestion de ces trois éléments (identité, pouvoir et terre) par le colonisateur a entraîné de graves conséquences dans la région des Grand Lacs africains, notamment :
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Des conflits ethniques liés à l’identité (Exclusion sociales). Les membres des groupes ethniques en sont arrivés à croire que leur sécurité était conditionnée par l’élimination de l’autre.
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Des conflits fonciers interminables.
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De la discrimination par rapport aux coutumes (identité de la femme).
A cela s’ajoute la convoitise étrangère des ressources naturelles de la RDC. Il ne fait donc aucun doute que le climat d’insécurité dans la Région des Grands Lacs est le résultat de la mauvaise gouvernance.
Irenees :
Quels sont selon vous les défis prioritaires pour la paix dans cette région ? Quelles sont les actions que vous mettez en œuvre pour la construction de la paix ?
Marie Mwira :
Les défis prioritaires pour la paix dans cette région sont :
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La culture de la bonne gouvernance.
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Le retour des groupes armés étrangers sur le sol congolais et la démobilisation des groupes armés locaux (les Maï-Maï, les Mongols et autres bandits opportunistes).
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La satisfaction des besoins fondamentaux des populations.
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Les conflits fonciers.
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Les coutumes et traditions qui excluent la femme à la gestion de chose publique.
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La manipulation de la population par les politiciens à mal de positionnement et en quête de pouvoir.
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La société civile politisée.
Quant aux actions mises en œuvre pour la construction de la paix, elles sont nombreuses. Parmi elles, nous avons :
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Les campagnes de vulgarisation des textes et conventions internationaux sur les droits humains (de l’enfant et de l’homme).
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L’éducation à la paix et l’éducation civique.
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Des activités économiques de rapprochement des communautés en conflits (chèvres pacificatrices distribuées à toutes les ethnies avec comme stratégies de suivi les mêmes personnes des différentes ethnies).
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Des journées de sensibilisation sur la gestion positive des conflits.
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Des échanges d’expérience.
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Les tables rondes de dialogue.
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Le plaidoyer auprès des décideurs, des groupes armés et autres.
Irenees :
Quel est le rôle des femmes dans la construction d’une société plus démocratique, équitable et pacifique dans la région des Grands Lacs ?
Marie Mwira :
De manière traditionnelle, les femmes sont contre la guerre, non seulement elle les empêche de mener leurs activités économiques et d’assurer par conséquent le suivi de leur ménage, mais aussi et surtout elle les expose à divers dangers dont les plus importants sont : la perte de la vie humaine et les violences sexuelles à leur encontre.
Eduquer une femme c’est éduquer une nation dit-on. Dans la Région Africaine, les femmes ont joué un rôle remarquable dans la construction de la paix, notamment par le plaidoyer auprès des décideurs, belligérants et leaders des bandes armées (en RDC, participation active au Dialogue intercongolais, sensibilisation de Laurent Kunda du CNDP). Ce plaidoyer est suivi des différentes déclarations et mémo sur la mauvaise gouvernance et l’impunité. En RDC, les femmes sont arrivées à influencer l’adoption de la loi sur les viols et violences sexuelles.
Elles jouent un rôle très important à travers des organisations comme : la COCAFEM (qui regroupe plusieurs associations féminines du Rwanda, de Burundi et de la RDC) avec comme mission, la construction de la paix dans la région des Grands–Lacs. En RDC, nous avons le CONAFED avec l’approche genre comme axe transversal pour la Paix en RDC.
Des activités économiques et de développement sont menées dans le but de rapprocher des communautés et des peuples dans la région.
Dernièrement elles ont contribué à l’organisation d’une conférence sur la paix, la sécurité et le développement au Sud et au Nord – Kivu qui a abouti à un Acte d’Engagement des différents groupes opérant à l’Est de la RDC.
Comme vous pouvez donc le constater, les femmes apparaissent comme des personnes qui doivent subir les décisions dont elles ignorent l’origine. Pourtant elles ont une expérience, une compétence et des perspectives originales à mettre au service de la paix.
Le rôle qui est le leur dans la création et la présentation de la vie, les a dotées des aptitudes pratiques et psychologiques indispensables à des relations humaines pacifiques et au développement social.
Elles insufflent une inspiration neuve à un effort concerté pour passer de la culture de la guerre à une culture de la paix. Malheureusement peu d’entre elles savent aussi ce qu’elles valent et sont aveuglées par les traditions et coutumes rétrogrades qui constituent un frein à leur épanouissement et les empêchent à jouer pleinement leur rôle à tous les niveaux (cas des élections en RDC). Le combat de la femme pour plus de justice et plus d’équité est un travail de longue haleine auquel son partenaire (l’homme) doit apporter une contribution significative afin de poser des bases réelles pour la Paix et le développement durable dans la Région des Grands Lacs.
Irenees :
Quelles sont les difficultés principales que vous rencontrez pour la réalisation de votre travail ?
Marie Mwira :
Elles sont malheureusement énormes, à la fois internes et externes et elles varient selon les milieux.
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Parmi les difficultés internes :
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Les conflits éthiques et conflits fonciers ;
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La présence des bandes armées étrangère et locale ;
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L’insécurité persistante (suivi des viols et violences), déplacés internes suivi des conséquences humanitaires (803.500 à l’Est) ;
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La pauvreté et l’analphabétisme élevé des femmes ;
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La sous information ;
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Le recrutement des mineurs dans les bandes armées ;
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L’impunité et la justice non équitable ;
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Parmi les difficultés externes :
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Les bandes armées étrangères sur le sol congolais ;
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Une diplomatie fragile et non sincère ;
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La circulation et détenu des armées par les civils ;
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Le non respect des différents accords (celui de Goma en particulier) ;
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Le manque de confiance à la Communauté Internationale sur place par la MONUC.
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Irenees :
Quelles ont été les raisons décisives de votre engagement pour la paix ?
Marie Mwira :
Notre engagement est parti d’une expérience de vie personnelle au sein de ma famille élargie d’abord (Grand-père polygame et mon Père monogame) ; une rencontre de deux visions opposées.
Notre observation alimentée plus loin par des attitudes et comportements de certains leaders locaux, des dissidents, politiciens et les femmes passives et consommatrices des faits.
Notre engagement pour la paix, c’est pour nous un devoir et nous vivons cet engagement comme une vocation.
Irenees :
Qu’est-ce que la paix pour vous ?
Marie Mwira :
Plusieurs choses… La paix pour moi c’est :
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1. Une justice équitable, sans discrimination ;
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2. Une bonne gouvernance à tous les niveaux (ménage, environnement et institutions publiques et privées, la cohabitation pacifique des populations…) ;
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3. La satisfaction des besoins fondamentaux, l’accès facile aux services de base et le partage équitable du revenu national ;
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4. L’absence de bandes armées et la sécurité des biens et des personnes ;
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5. La participation active de la femme à la gestion de la chose publique ;
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6. Une diplomatie et des relations externes sincères entre les pays : Nord – Sud et ceux du Sud–Sud.