Montargis, août 2007
Entretien avec Michèle Guillaume-Hofnung.
La médiation, nouvelle liberté publique.
Michèle Guillaume-Hofnung est professeure de droit public, responsable du DU de médiation de l’Université de Paris 2 et vice-présidente du comité des droits de l’Homme de la commission nationale française pour l’UNESCO. Elle est l’auteure de nombreux articles et rapports sur la médiation ainsi que du « Que sais- je ? » sur ce thème, 4° édition PUF 2007.
NVA :
Vingt ans après ses premiers grands développements dans la société française, où en est la médiation ?
Michèle Guillaume-Hofnung :
La médiation est aujourd’hui à la croisée des chemins, porteuse de tous les périls et de tous les espoirs. Il y a eu entre 1985 et 1999, période que j’ai vécu en tant que pionnière de la médiation, une phase de multiplication des initiatives qui ont été appelées « médiation » mais qui avaient peu à voir avec elle. Ce « primat de l’urgence pratique » n’était pas réaliste car je pense que mal nommer c’est se condamner à mal faire, pour paraphraser Albert Camus. Les associations puis les pouvoirs publics découvraient en fait le besoin de médiation et appelaient « médiation » toutes réponses à ce besoin, mais il s’agissait le plus souvent de conciliation.
La seconde phase peut être définie comme le « primat de l’urgence théorique ». Elle a abouti à l’élaboration de ce que j’aime appeler un « SMIC », un seuil minimum d’intelligibilité conceptuelle, qui comme son homologue économique, le salaire minimum interprofessionnel de croissance, devrait permettre la survie de la médiation. On reconnaît dorénavant qu’il n’y a pas de médiation sans la réunion des trois critères suivants : le tiers, le processus et l’intégralité des fonctions de la médiation.
L’intervention d’un tiers tout d’abord sort les protagonistes d’un face à face réducteur. Ce noyau dur de la médiation la distingue de la négociation ou de la conciliation qui peuvent se concevoir entre deux parties en conflit chercher une solution avec l’assistance éventuelle d’avocats ou d’experts.
Le tiers doit être impartial et sans pouvoir décisionnel ou consultatif, avec la seule autorité que lui reconnaissent les « médieurs ». Ce tiers doit mettre en œuvre un processus vraiment ternaire, sans lien institutionnel, juridique, de subordination ou de représentation avec l’un des médieurs. Et assurer son indépendance à l’égard de partenaires encombrants (institutions, financeurs). Le plus souvent, les textes ou les accords qui les instituent ne leur assignent pas une mission de médiation : les médiateurs se voient alors dotés d’une mission de conciliation ou de sécurité ou d’assistance - ou bien ils dépendant de procédures allégées ne permettant pas la communication entre les partenaires… voire les impliquant dans les régulations plus ou moins autoritaires très éloignées du processus de médiation.
NVA :
La théorie de la médiation en fait d’abord une attitude et un outil de communication, de développement des liens. Une autre approche la relie plus directement aux situations conflictuelles. Comment définit-on aujourd’hui les fonctions de la médiation ?
Michèle Guillaume-Hofnung :
La médiation est un processus à la fois de création ou de recréation du lien social ainsi que de prévention ou de règlement des conflits. Basée sur l’autonomie et la responsabilité des personnes concernées, la médiation est une réponse aux besoins de gouvernance ressentis dans tous les secteurs de la vie humaine : l’entreprise, la famille, la cité… On ne peut la réduire à un simple mode de résolution des conflits même si c’est son utilisation la plus connue, la plus étudiée car la plus spectaculaire. La culture du conflit que nous connaissons en France altère le tissu social et entraîne un gâchis d’énergies personnelles et collectives. Je pense que les médiateurs peuvent devenir des acteurs majeurs de la construction et de la reconstruction du tissu social, porter de nouvelles formes de solidarités interactives. Il ne s’agit pas de rivaliser avec les pouvoirs publics, mais d’être des partenaires majeurs, dans tous les sens du terme : de première importance et mûrs.
La réflexion et l’action politique devraient faire une place importante à la médiation face à la précarité relationnelle qui affecte nos concitoyens. Un régime juridique du bénévolat, mieux adapté, permettrait de libérer les énergies civiques qui font le terreau de la médiation. La médiation est une nouvelle liberté publique à l’appui des autres libertés, c’est un droit de l’Homme.
NVA :
Compte-tenu de la multiplicité des écoles et des pratiques de médiation, comment formuler une définition qui soit largement admise ?
Michèle Guillaume-Hofnung :
La médiation est un processus de communication éthique reposant sur l’autonomie et la responsabilité des personnes concernées (les médieurs), dans lequel un tiers impartial neutre, indépendant, sans pouvoir, avec la seule autorité que lui reconnaissent les médieurs, favorise par des entretiens confidentiels l’établissement ou le rétablissement du lien, la prévention ou le règlement de la situation en cause. C’est la définition que je donne dans mon « Que sais-je ? » et qui est maintenant largement admise. Elle a été retenue par le séminaire européen « Médiation sociale et nouveaux modes de résolution des conflits de la vie quotidienne », organisé à Créteil en septembre 2000 dans le cadre de la présidence française de L’Union Européenne et avec le soutien de la Commission Européenne.
On retrouve une formulation assez proche dans le texte du Conseil National Consultatif de la Médiation Familiale présidé par Monique Sassier, en réponse à un mandat officiel du Ministère de la Justice et du Ministère de la Famille : « La médiation familiale est un processus de construction ou de reconstruction du lien familial, axé sur l’autonomie et la responsabilité des personnes concernées par des situations de rupture ou de séparation dans lequel un tiers, impartial, indépendant et qualifié et sans pouvoir de décision - le médiateur familial -favorise à travers l’organisation d’entretiens confidentiels, leur communication, la gestion de leur conflit dans le domaine familial entendu dans sa diversité et dans son évolution ». La fonction de gestion de conflit (prévention ou règlement) ne vient qu’en fin de définition. Très précise en même temps, elle décolle la médiation de l’indifférencié parajuridictionnel, grâce aux critères du tiers et du processus. Les caractéristiques que doit réunir le tiers pour mériter la qualification de médiateur le distinguent bien du conciliateur qui peut ne pas être tiers ou qui peut dépendre d’une institution, l’essentiel étant qu’il arrive à l’accord amiable, la conciliation.
NVA :
La professionnalisation de la médiation est-elle un objectif majeur ? N’est-ce pas aussi une compétence qui doit diffuser chez les individus, dans la société, pour changer les comportements et initier une autre culture ?
Michèle Guillaume-Hofnung :
La médiation a surgi de la société civile. Le souci de garanties ne doit pas en faire l’apanage des pouvoirs publics et des professionnels. La société civile doit en rester le vivier, ce qu’une professionnalisation trop systématique, et un encadrement trop institutionnel remettraient en cause. Pour qu’une intervention des pouvoirs publics, en particulier législative et règlementaire soit légitime, il faut qu’elle soit nécessaire, c’est à dire indispensable et toujours adaptée à la nature de la médiation. Une part de la professionnalisation devrait être de la responsabilité des associations de médiation, structurées en fédérations, et non dotées des prérogatives de puissance publique qui dénaturent le phénomène associatif. Cela dit on ne peut pas empêcher que la médiation soit un enjeu de pouvoir, un enjeu de marché. C’est le risque que nous évoquions au début.
La médiation repose sur une remise en capacité des citoyens - c’est la notion d’« empowerment » - pour se sortir par le haut de situations que nous avons culturellement l’habitude de traiter par le conflit et l’arbitrage de l’Etat. L’esprit de la médiation repose sur l’autonomie et la responsabilité des acteurs sociaux, des particuliers mais aussi des personnes morales publiques ou privées. Elle a déjà permis l’implication active d’acteurs qui ne trouvent pas toujours leur place, ou pas suffisamment dans la vie de la cité. Les femmes, les étrangers, les jeunes qui n’ont pas encore le droit de vote s’investissent dans d’utiles actions de médiation très souvent ignorées parce qu’elles ont permis d’éviter des conflits ou en ont permis le règlement pacifique. Combien de médiations ignorées parce que réussies ont permis que le pays ne s’embrase pas plus en novembre 2005 ?
La médiation permet de surmonter les limites de la démocratie classique qui confisque la parole du citoyen de base. La démocratie hyper-représentative se coupe des citoyens, qui en retour se coupent d’elle. La médiation fonctionne déjà dans nos sociétés civiles. Discrètement, nos concitoyens l’ont inventée et la font vivre. Les adultes relais, les femmes relais - lorsqu’ils ou elles sont correctement formé(e)s et se dotent de chartes déontologiques - jouent un rôle très important. Nous en avons besoin pour ne pas exclure les banlieues et aussi pour ne pas nous priver de leur créativité positive.
NVA :
Dans votre définition de la médiation, vous parlez de « communication éthique ». Qu’entendez-vous par là ?
Michèle Guillaume-Hofnung :
Quand on est en médiation, on communique authentiquement grâce à un tiers. La médiation garantit l’authenticité de la démarche, elle est « passeuse » de compréhension. Le médiateur, neutre, n’ajoute rien au message de chaque partenaire, il facilite leur ajustement, permettant les déplacements nécessaires à la rencontre. Fondamentalement, la communication suppose la reconnaissance de l’autre sous peine de perdre tout sens. L’émission du message n’a de sens que si l’émetteur reconnaît une valeur symétrique au récepteur. La communication est trop souvent une émission unilatérale « efficace », qui ne se préoccupe du récepteur-objet que pour s’assurer d’un enregistrement sans déperdition du message émis, elle l’instrumentalise. L’émetteur en « communiquant » ne cherche qu’à accroître sa puissance. La médiation, au contraire, implique la reconnaissance mutuelle et l’autonomie des partenaires. Le médiateur garantit l’éthique de la communication. Alors qu’on peut imposer un jugement à une personne qui nie toute légitimité au juge, et à travers lui aux victimes que le jugement va reconnaître - c’est la posture de la plupart des criminels contre l’humanité -, le processus de médiation requiert la reconnaissance de l’autre.
Il peut y avoir médiation sans conflit, par nécessité de dialogue, par humanité. C’est en cela que la médiation se réfère à Habermas qui fait une large place à « l’éthique de la discussion » et refuse de l’opposer à l’autorité ; car la discussion n’affaiblit pas l’autorité, elle peut même la rendre efficace. La discussion repose sur la reconnaissance de la valeur de l’autre, sans conduire à nier d’éventuelles oppositions, elle ne présume pas non plus l’impossibilité d’aboutir à la découverte de valeur(s) commune(s) que l’absence de dialogue avait enfouie(s). La formule « on ne peut pas discuter » est une des plus désespérantes et une des plus négatives qui soit. Mais pour la dépasser, il faut une médiation qui fait brèche et passerelle, qui donne du jeu, justement, là où on pourrait croire que les jeux sont faits.
Dans un avenir proche, face aux illusions de communication que procurent les médias modernes, et aux manipulations qu’ils permettent, se développera un secteur de la médiation qui en fera la garantie de la réalité de l’image ou du message. La garantie ne sera possible que si le médiateur bénéficie d’une indépendance, d’une extériorité suffisante pour ne pas contribuer à la manipulation. La médiation deviendrait alors un pilier de la démocratie.
NVA :
Qu’est-ce qui, à votre avis, pourrait protéger la médiation d’éventuelles dérives et constituer des avancées significatives en ce domaine ?
Michèle Guillaume-Hofnung :
Tout d’abord l’affirmation de principes déontologiques qui pourraient s’articuler autour des deux principaux critères de la médiation : le tiers médiateur et le processus. La généralisation de cette présentation aurait, je pense, un effet positif, sans imposer des contenus trop stéréotypés. Une première série de principes garantirait le processus de médiation qui requiert l’autonomie de la volonté des participants y compris celle du médiateur, et la totale confidentialité. Sans quoi les médieurs ne s’exprimeront pas, rendant impossible la communication entre les partenaires.
Une deuxième série de principes garantirait la qualité de médiateur, qui doit s’assurer de sa qualité de tiers tout au long du processus, comme il doit veiller non seulement à être impartial, autonome, et sans pouvoir, mais aussi à bien être perçu comme tel. L’exigence d’une formation à la médiation fait partie de la déontologie. Il ne suffit pas de transposer l’expérience acquise dans une carrière précédente et de l’allier à des qualités qu’on croit posséder naturellement, en fonction de l’idée qu’on se fait de la médiation. La possibilité de respecter tous les principes constitue un test redoutable pour les faux-semblants de médiation. Les médiateurs, mais aussi leurs employeurs et les prescripteurs sont responsables du respect des principes déontologiques.
En matière de formation je pense utile que nous indiquions en quoi consisterait un tronc commun à tous les secteurs de la médiation, pour éviter une tribalisation à outrance des médiateurs, et aussi pour leur donner un outil capable de traiter les situations nécessairement complexes que nous rencontrons. Ceux qui ont fait des médiations savent bien que lorsque nous sommes demandés pour une médiation scolaire ou médicale, par exemple, au bout de quelques minutes nous percevons qu’elle comporte tout un pan de médiation familiale. Pour le détecter et s’adapter, il faut avoir une base généraliste.
Il me semble également indispensable de créer rapidement un Observatoire européen de la médiation sans autre autorité qu’une autorité scientifique résultant de sa composition. Il regrouperait les données relatives à la recherche et à l’action dans les pays de l’Union Européenne. Il publierait un rapport annuel sur ces thèmes, pourrait être consulté par les autorités nationales ou européennes sur les questions relatives à son objet. Sa composition devrait assurer un juste équilibre géographique et matériel entre les chercheurs et les praticiens.
Propos recueillis, le 22 mai 2007, par Guy Boubault, membre du conseil d’administration et rédacteur de Non-Violence Actualité.
Commentaire
Evolution et perspectives de la médiation. Comment développer une pratique qui perdrait son essence si elle s’institutionnalise trop? L’essentiel est de comprendre que le développement de la vie sociale appelle le médiateur et demande sa participation dans la reconstruction et le maintien du tissu social.
Notes
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Michèle Guillaume-Hofnung est responsable pédagogique du Diplôme d’Université sur La médiation à Paris II. 180 heures de formation à la médiation, théorie et pratique. Centre de formation permanente, 4 rue Blaise Desgoffe, 75006 Paris. Tél. 01 53 63 86 26. www.u-paris2.fr/cfp
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Par ailleurs, l’Institut de Médiation Guillaume-Hofnung propose une gamme complète de services : médiation, formation à la médiation, audit, accompagnement… L’IMGH peut intervenir aussi bien dans le domaine de l’éthique que de la médiation. Contact : IMGH, 5 place d’Alleray, 75015 Paris. Tél. 06 77 70 51 98. Blogs : imgh.over-blog.fr et imgh.blogspot.com - E-mail : clovishofnung@orange.fr