Arles, 2002
Images de guerre, guerre des images : débat animé par Thierry Fabre
La pensée de midi a souhaité réfléchir sur le rapport entre les conflits et les médias en organisant un débat - animé par Thierry Fabre - entre Bruno Etienne (“La fabrique des regards”), Benjamin Stora (“Dans le miroir des fictions”), Rashid Khalidi (“En finir avec la guerre contre les civils”), Ilan Greilsammer, professeur en sciences politiques à l’université Bar-Ilan (Tel-Aviv, Israël)et Alain Joxe, directeur d’études à l’EHESS. Des propos qui confirment qu’on peut et doit penser la guerre en questionnant notre regard.
Thierry FABRE :
Peut-on considérer qu’il existe une guerre des images, et quelle est la place de la question des images et des médias dans la façon de penser la guerre-?
Bruno ÉTIENNE :
Ce qu’il y a de nouveau depuis la guerre du Golfe, c’est que, d’abord, le monde entier est dans un zapping généralisé. Ça a complètement transformé l’image de la guerre. J’ai étudié cela depuis la guerre du Golfe jusqu’à l’Intifada. Dans la première guerre du Golfe on n’a rien vu, ou alors des wargames à la place de l’image. Depuis l’Intifada, on a commencé (je parle d’abord de la télé) à voir, des horreurs. C’est-à-dire qu’on tape non pas sur l’analyse rationnelle, lucide ou géopolitique-stratégique, mais sur l’émotionnel. On a donc affaire non plus à un peuple qui réfléchit mais à des spectateurs de télévision fascinés par l’image. C’est un changement dans la démocratie, dans la perception du monde. On n’a plus de peuples qui réfléchissent, on a des gens en prime time pour qui on fait pleurer Margot sur du sang, les thèmes principaux étant les femmes et les enfants. En revanche, dans la presse hebdomadaire que j’ai étudiée pour ce numéro, on a le “choc des photos” et le “poids des mots”. En fait, toutes les couvertures représentent un musulman agressif, hurlant, hystérique, armé, et toutes les femmes sont voilées. Là, on bascule dans une représentation fantasmagorique de l’altérité diabolique. Et lorsqu’on décrit le vocabulaire, on voit le glissement de deux grandes thématiques. Quoi qu’on pense de la thèse de Samuel Huntington, c’est Islam versus Occident. On sait très bien que les mots ne sont pas homothétiques, mais on oppose une religion à une conception du monde. Deuxièmement, ce qui m’a beaucoup frappé, c’est la terminologie utilisée pour désigner l’ennemi diabolique. L’équation est simple : musulman égale terroriste, égale islamiste, égale intégriste, égale égorgeur de femmes et d’enfants ; et après on passe à Arabe égale Djihad, égale tchador, égale burka. On y revient constamment, les femmes servent de clef à l’imposition de l’image, sur ce plan-là.
Thierry FABRE :
Benjamin Stora, parlons de la guerre d’Algérie, qui, d’une certaine façon, est une matrice, à la fois de ce qu’on nous montre et de ce qu’on ne nous montre pas.
Benjamin STORA :
La guerre d’Algérie, c’est difficile à dire, parce qu’il y a un déséquilibre…
Thierry FABRE :
Je devrais dire “les” guerres d’Algérie !
Benjamin STORA :
Oui. Ce sont les Français qui, principalement, produisent les images. Très peu d’images, de photographies parviennent du côté algérien. Un océan d’images arrive en revanche du côté français. Dans les archives photographiques de l’armée française, cent mille clichés sont consultables. Il n’y a pas d’équivalent en face, du côté algérien. Il faut partir de là. Quand on parle de représentation…
Thierry FABRE :
De dissymétrie entre ceux qui produisent les images et ceux qui les reçoivent.
Benjamin STORA :
… Un déséquilibre existe. Il faut d’abord partir de ce fait, une guerre inégalitaire des images. A partir de ce simple constat, une première question se pose : qui produit l’image et à partir de quel lieu cette image est-elle construite ? Autre interrogation, sur la guerre d’Algérie. La majeure partie des images est celle non pas de la guerre en elle-même mais de la “pacification”. Ces images visent à montrer comment la France éduque, protège, soigne, construit, fabrique des routes, etc. La guerre des images est aussi une guerre de propagande, dans le sens classique du terme. Cette guerre d’images vise à expliquer que d’un côté se trouve une barbarie, de l’autre côté existent des populations qu’il va falloir protéger, pacifier. Un autre aspect est celui qui touche à la visibilité des cadavres. Ce sont, la plupart du temps, des photographies d’égorgements ou de règlement de compte internes aux Algériens. La plupart des images connues de la guerre sont celles d’Algériens qui se sont affrontés entre eux, combattus, entre messalistes (les partisans de Messali Hadj) et frontistes (ceux du FLN), par exemple. Evoquer le déséquilibre des images, c’est aussi dire que les images de la violence sont, dans le fond, d’un seul camp. Et enfin, dernier aspect, il n’y a pas, à ma connaissance, d’images de la torture pratiquée en Algérie. J’ai effectué beaucoup de recherches dans ce domaine, et je n’en ai pas encore trouvé. D’autres images consistant à montrer des exactions, par exemple au napalm, de l’armée française n’existent pas non plus. De sorte que les seules façons de se référer à des exactions commises par la France reposent sur des témoignages. Et lorsque demain les témoins disparaîtront…
Thierry FABRE :
Donc, concernant l’Algérie, si on cherche à regarder la guerre, on ne peut pas la regarder justement.
Benjamin STORA :
Non. Par exemple, il y a eu cette fameuse erreur commise par Le Monde 2. Ce magazine avait publié une image d’un Algérien torturé. Cette image venait du musée du Moudjahid à Alger. Elle était une image évidemment trafiquée par les Algériens qui essayaient à toute force de construire une image d’Algérien torturé mais sans mesurer le fait que la torture ne pouvait pas être représentée. Il n’y a pas d’images de ce type d’exaction. C’est une grande différence avec ce que dit Bruno Etienne, bien entendu par rapport au conflit actuel. L’absence d’images induit le fait que des témoignages peuvent devenir contradictoires. Le jour où les femmes algériennes qui ont été violées ou torturées disparaîtront, dans trente ans ou quarante ans, il sera alors possible pour certains de dire qu’il n’y a pas eu d’exactions, pas eu de tortures. Il existe déjà des livres en France d’officiers de l’armée française expliquant qu’il n’y a pas eu de tortures en Algérie.
Au fond, concernant l’histoire de la guerre d’Algérie, cette absence d’image se révèle très angoissante. Du point de vue des Algériens, l’angoisse naît de l’absence de représentations de l’exaction commise par les autres. Avec le sentiment, aussi, que tout peut s’effacer et disparaître. Le jour ou les générations passeront, les traces visuelles du conflit disparaîtront.
Thierry FABRE :
Je voudrais passer la parole à Ilan Greilsammer. Dans le conflit israélo-palestinien, j’ai l’impression qu’il y a au contraire une profusion d’images. On a parlé de propagande, de l’importance de l’émotionnel, de dissymétrie. Vu d’Israël, comment regarde-t-on la guerre-? Il y a eu des polémiques très fortes dans la presse internationale, notamment à propos de la couverture ou de la non-couverture de ce qui s’est passé à Jenine ?
Ilan GREILSAMMER :
Je crois malheureusement qu’un des traits qui caractérise l’Etat d’Israël et la société israélienne, on n’en prend peut-être pas assez la mesure à l’étranger, c’est l’inorganisation qui règne dans tous les secteurs de cette société. A savoir que chacun peut faire quelque chose, et son contraire le lendemain. On en arrive ainsi souvent à des absurdités, la plus connue en Israël étant celle consistant, par exemple, dans le courant d’opérations militaires de l’armée israélienne, à autoriser tous les correspondants étrangers à couvrir les événements, mais à interdire aux journalistes israéliens de les couvrir. Il y a eu une polémique avec un journaliste de la télévision israélienne, qui voulait filmer des soldats. Cet homme disait : “Attention, nous sommes des Israéliens et des sionistes, on voudrait voir quand même ce qui se passe. Les Français, les Anglais, les Italiens, etc. peuvent bien le voir.” Et lorsqu’on essaye de comprendre pourquoi un tel état de fait existe, on arrive à de toutes petites causes : c’est en général parce que le type chargé du service de presse du gouvernement a décidé que ça devrait être ainsi… Dans le cas dont je parle, il s’agissait d’un journaliste israélien qui avait transgressé une interdiction d’entrer dans un périmètre militaire fermé. Alors, en représailles, on a interdit à tous les Israéliens de filmer.
Thierry FABRE :
C’est, me semble-t-il, à propos d’un assaut dans une maison, donné par des militaires israéliens, où des civils ont été tués, et les images ont été montrées.
Ilan GREILSAMMER :
Absolument. Deuxièmement, malgré tout, quoiqu’on puisse dire d’Israël, c’est un pays démocratique, un pays dans lequel les gens ont l’idée que les journalistes doivent pouvoir faire leur travail et tout couvrir. Il y a ce sentiment qui tendrait à donner des autorisations pour tout aller voir et tout filmer, et, en même temps, certainement, au cours de cette Intifada, la soudaine réalisation du fait que montrer toutes les opérations militaires peut nuire à l’image d’Israël. On assiste alors très souvent, à l’ouverture des accès aux opérations, puis à leur fermeture sans raison, et à nouveau à leur réouverture et à leur fermeture. Il y a un autre aspect, tout de même, qu’il faut souligner, c’est que, finalement, au cours de cette Intifada, les opérations militaires israéliennes sont permanentes. Car malgré quelques rémissions, il y a tout le temps des couvre-feux, des actions, des barrages, etc. C’est-à-dire qu’on peut filmer au quotidien ce que fait l’armée israélienne (quand on en a l’autorisation !) : vous voulez voir des personnes battues, des barrages avec des gens qu’on empêche de passer ? C’est en permanence. Tandis que les attentats sont des faits ponctuels, qui sont filmés aussi, mais qui sont une image, comme un autobus qui a explosé…
Thierry FABRE :
Une image choc, mais fugitive.
Ilan GREILSAMMER :
Je ne sais pas si elle est “fugitive”, mais en tout cas ce n’est pas du même type. Ce ne sont pas les mêmes types d’images, et je dirais simplement, pour l’instant, que les Israéliens ont l’impression d’être incompris. Ils ont l’impression que le monde entier est devenu fou puisqu’il ne voit pas à quel point Israël est attaqué, et est en danger. A tort sans doute, les Israéliens pensent qu’on ne filme pas et ne montre pas assez les choses quand eux souffrent, même si les autres souffrent effectivement. Alors, certainement, ce débat des images est un débat extrêmement central en Israël. Je crois qu’on peut citer l’affaire Enderlin, à propos de la mort de Mohammed al-Doura, qui a défrayé la chronique en Israël.
Thierry FABRE :
Pouvez-vous préciser ce qu’il en est, à propos de Charles Enderlin, le correspondant de France 2 à Jérusalem ?
Ilan GREILSAMMER :
Pour ma part, je défends Enderlin et je n’ai absolument aucune critique à faire en ce qui concerne sa façon de filmer. Je crois que les Israéliens lui ont reproché deux choses. La première, c’est de ne pas avoir situé la mort d’un enfant dans le contexte plus général des fusillades, des tirs aux alentours, d’avoir donc fait un focus sur l’enfant mort, parce que c’est une image forte, mais de ne pas avoir donné une image de la réalité. Comme si on donnait un morceau d’un tableau qu’on ne montrerait dans son entièreté. Et la deuxième critique, sans doute, c’est de ne pas avoir recherché plus qui a véritablement tiré sur cet enfant. La majorité des Israéliens pensent que ce ne sont pas les Israéliens qui l’ont tué. Je défends Enderlin là-dessus, mais j’explique ce que les Israéliens ont ressenti.
Thierry FABRE :
Rashid Khalidi, vous êtes citoyen américain et palestinien. De quelles façons les médias américains regardent-ils la guerre au Proche-Orient-? Peut-on avoir un éclairage à ce sujet-? Est-ce que, du point de vue politique ou stratégique, le fait de regarder la guerre, c’est peut-être déjà aussi une façon de la faire ?
Rashid KHALIDI :
On doit exposer ce que les télés américaines pratiquent avec le conflit entre les Palestiniens et les Israéliens dans le cadre de ce qu’ils font avec la violence généralement. Il faut citer Michael Moore et son film Bowling for Columbine. Il a raison : les télés font peur aux gens. Des nouvelles, des nouvelles, des nouvelles, dénuées de contexte, d’histoire, de cadre. C’est dans cette situation qu’il faut comprendre ce qu’on nous montre sur ce conflit. On voit beaucoup de conflits sur les chaînes américaines, mais sans mots explicatifs, et en fin de compte on reste avec quelques images. Les images de bus, les images des attaques contre les restaurants en Israël, les images de manifestations incontrôlables de rage palestiniennes, etc. Au final, on a fait un petit sondage sur le nombre de tués depuis le commencement de l’Intifada-: la plupart des gens qui regardent la télé ont pensé que la majorité des morts étaient Israéliens. Les Américains s’informent par la télévision. Il est logique qu’ils se soient dits-: “On a vu des bombes dans un restaurant, un bus exploser, quelques tirs sur les Palestiniens. La plu¬part des tués sont donc Israéliens.” Mais ça ne vient pas seulement d’un contrôle d’information, ça vient aussi du fait qu’il y a un parti pris chez la plupart des Américains, et chez la plupart des journalistes américains. Ça ne veut pas dire qu’ils sont tous pro-israéliens, non, mais aux Etats-Unis il n’y a pas de journalistes arabes. Il n’y a pas de producteurs, de rédacteurs, de propriétaires de journaux arabes, il n’y a personne qui reflète un point de vue arabe. Il y a des gens qui sont pour Israël ou contre, mais qui ne connaissent que le point de vue israélien. Beaucoup sont très critiques envers ce pays, mais ne connaissent la réalité seulement que du côté d’Israël.
Thierry FABRE :
Et cette façon de regarder la guerre pèse dans la façon d’appréhender le conflit ?
Rashid KHALIDI :
Je le crois. On voit des journalistes qui sont à Jérusalem-Ouest, qui parlent de ce qui se passe à Ramallah ou à Gaza. On parle de Jérusalem-Ouest, ce sont des gens qui vivent avec leur famille à Jérusalem-Ouest. CNN, NBC, toutes les chaînes ont leurs correspondants en Israël. La plupart ne sont pas Israéliens. Si on regarde par exemple al-Jazira, on voit des Palestiniens qui habitent ou à Gaza ou à Ramallah, qui ont leur famille là-bas. Il se peut que ce soient des Palestiniens israéliens, mais ils sont Arabes et ils fournissent aux Arabes qui regardent al-Jazira une autre réalité.
Thierry FABRE :
Mais est-ce qu’il y a des correspondants d’al-Jazira en Israël-?
Rashid KHALIDI :
Non !
Thierry FABRE :
On est donc dans des occultations croisées, des regards “cyclopiques” de part et d’autre.
Rashid KHALIDI :
Exactement. Les Américains “démonisent” al-Jazira. C’est partial oui, vous avez raison, mais CNN c’est la même chose ! Exactement la même chose, vu de l’autre côté !
Thierry FABRE :
Alain Joxe, pour vous, qui avez le regard du stratège qui s’interroge sur la guerre, sur la façon de penser la guerre, quel est le poids des médias ?
Alain JOXE :
Je ne suis pas spécialiste des médias dans ce sens-là. Je pense que le résultat du zapping c’est quelque chose qu’on va aussi trouver ailleurs. C’est le choc de la communication électronique, soit une sorte de dictature de l’immédiat et du rapide. C’est du même niveau que l’instantanéité de la spéculation financière et l’instantanéité virtuelle de l’opération militaire. On est dans un monde dominé par la révolution électronique, qui est celle de l’avènement du temps ultra-court et ultra-immédiat sur une cible ultra-précise. Et dans tout ça, ce qui disparaît effectivement, c’est le discours de la temporalité. Par exemple, introduire la Shoah dans ce rapport à l’image est impossible. Or malgré tout, c’est un argument qui est tout le temps présenté… et qui ne peut pas être illustré.
Thierry FABRE :
On est là dans l’irreprésentable.
Alain JOXE :
La peur des Israéliens semble procéder uniquement du terrorisme palestinien, alors que si on est un sociologue de l’histoire on sait que la peur israélienne vient de plus loin. Ça, ça ne passe pas, ça n’est pas dans l’immédiat. Il y a quelque chose qui provoque la destruction de l’Histoire, de l’histoire des familles. C’est valable évidemment du côté palestinien, mais aussi du côté israélien.
Thierry FABRE :
Il y a un écrasement du regard par l’instantanéité…
Alain JOXE :
Oui, tout repose ensuite sur le discours. Je fais partie d’un groupe de réflexion sur l’image et la parole. Le problème, c’est qu’est-ce qu’on dit avec l’image ? Je pense que ce qui est dit avec l’image, c’est la chose la plus importante. Dans ce groupe, on pense qu’il faudrait posséder un atelier de remontage des actualités, accompagnées d’un autre discours. Autrement dit, produire, à partir du stock d’images dont on dispose, la même image, mais exiger ce commentaire qui réintroduit la temporalité longue, les identités, la notion de la peur, qui ne peut pas être immédiate, la peur est toujours une chose latente.
Thierry FABRE :
Dans la captation de notre regard, une des questions qu’on se pose dans ce numéro sur “Regarder la guerre” c’est justement comment se donner des armes pour résister à cette immédiateté, pour avoir peut-être une intelligence des images. Bruno Etienne ?
Bruno ETIENNE :
Pour ma part, je voudrais signaler une contradiction entre l’immédiateté de l’information, la masse d’informations télévisées, et les titres des hebdomadaires que j’ai signalés. Il y a deux éléments complètement contradictoires : si vous zappez la nuit aux heures autres que le prime time, il y a de très bons documentaires sur ces événements-là. Et deuxièmement, contrairement à ce que j’ai dit (mais je le maintiens pour les titres des journaux, il y a manipulation de l’image et des mots), les articles d’hebdos sont souvent très corrects sur le plan de la présentation, y compris historique. Mais je n’arrive pas à gérer cette contradiction, cette pulsion à la fois d’une image immédiate, “audimatiste”, sentimentale, subjectiviste, instrumentalisée, et la présence dans ces mêmes hebdos, dont les titres peuvent être crapuleux, d’un article de qualité pour quelqu’un qui veut être informé. Je précise bien ma pensée : tout ce qui est immédiat et quantitatif dans l’informatif est détestable, mais dès que l’on passe aux hebdos (et je ne parle pas des revues) et aux diffusions sur les chaînes câblées ou normales, mais à d’autres heures que les heures où le bon populo va pleurer, on est quand même relativement bien informé.
Benjamin STORA :
Concernant la transparence et la démocratie, et à propos du fait de tout filmer, il faut s’interroger sur le phénomène du flux tendu de l’image, déversée en permanence. Il existe la possibilité de tout voir sans aucune mise en contexte, ce qui s’oppose à la mise au secret, à l’invisibilité de l’autorité. Ce que l’on peut voir avec le drame algérien actuel, où l’on a affaire à une tragédie à “huis clos”. Mais on peut s’interroger sur les stratégies étatiques, d’un côté, qui font silence et interdisent de filmer, et, de l’autre côté, des stratégies de productions “robinets à images” qui sont difficiles à analyser, à sérier, à comprendre, à trier, etc.
Une réflexion peut se développer sur les stratégies étatiques de contrôle des images. Mais une autre question m’intéresse. A côté du flux visuel de la télévision, par le documentaire ou les informations télévisées, existe aussi la fiction. N’y a-il pas la possibilité de mieux comprendre la guerre, de mieux la voir, de mieux la regarder, en s’approchant de la réalité par la fiction, c’est-à-dire principalement par le cinéma ? Les images ne sont pas celles, simplement, de la télévision. Le cinéma encourage la possibilité d’un recul sur un événement, par une construction. Alors que la télévision à flux tendu d’images propose la guerre comme un feuilleton, chaque soir. Avec une mise en spectacle perpétuelle qui interdit la réflexion. Il est fréquent d’entendre : “Venez avec nous, vous allez tout savoir, je vous emmène ici…” Le cinéma se manifeste comme occasion de rompre avec cette façon de monter les images qu’est la télévision. Grâce à la fiction et au travail des cinéastes, la possibilité existe de comprendre davantage, de poser des regards, différents, de “scénariser” différemment la guerre.
Mais cette façon de filmer la fiction, de poser un regard sur la guerre et la reconstruire, peut être aussi un enjeu extraordinaire, dangereux. Par la fiction il est possible également de regagner une bataille perdue. L’exemple sur le Vietnam prouve cela : par la production de fictions, la guerre du Vietnam, que les Américains avaient perdue, est à nouveau gag¬née… Néanmoins, le cinéma conserve cette force de la sensibilité à hauteur d’hommes, et de femmes, dans un conflit.
Bruno ETIENNE :
Je voudrais revenir à un exemple de film de fiction. Cet été, imaginez-vous qu’en pleine Intifada, au moment de la guerre d’Afghanistan, j’ai revu toute la série des “Rambo”. Eh bien moi, je vous recommande de voir le “Rambo III” qui a été tourné en Afghanistan avec Massoud en personne. C’est un film qui a quinze ans, et c’est un film étonnant, vous comprenez tout ! Est-ce que vous imaginez que dans ce film il y a Massoud-? Pourquoi je pose cette question ? Parce que, Massoud, est-ce une image qui a été construite par les médias ? On sait très exactement qui était Massoud, il y a eu des livres qui sont sortis sur Massoud, il y a des films, des documentaires qui ont été faits. Alors il y a quand même des preuves concrètes : l’Alliance du Nord, c’était des gens peu recommandables, c’est eux qui vendaient de l’opium. Les moudjahidins et les talibans avaient supprimé l’opium, qui est depuis revenu, enfin il faut être sérieux ! On est dans de la fiction en voulant démontrer que l’histoire fausse est plus intéressante que la vraie. Ou bien avons-nous tous intérêt quelque part à la méconnaissance ?
Thierry FABRE :
Regarder la guerre, sur un mode critique, est-ce se déprendre de la mythologie ?
Alain JOXE :
Il faut savoir que, depuis Pearl Harbour, le cinéma américain a une cellule du Pentagone installée à Hollywood, et qu’il y a une articulation extrêmement précise pour la fabrication des scénarios. L’imaginaire stratégique est toujours préparé par une quantité de films. Il y a des films qui sont des films de révision de l’histoire, et il y en a d’autres qui sont des films de fiction ou de purs thrillers, mais qui sont censés quand même donner une idée de ce que peut être une guerre future. Ça veut dire que l’imaginaire de ces films est contrôlé, aidé par la pensée militaire opérationnelle. Le personnage typique de cette articulation, c’est le commandant Peters. C’est aussi un producteur de scénarios de science-fiction. A la fois militaire et chargé de créer des fictions ! Ce mélange-là n’est pas livré complètement au hasard : si on tombe sur un scénario qui a l’air de préfigurer l’avenir, c’est parce que c’est son rôle et que, malgré tout, il y a des cellules pour ça. Alors, évidemment, c’est spécial aux Etats-Unis, et puis ça vient de Pearl Harbour. Depuis, il y a eu la crise de Cuba, et il y a eu les attentats sur les deux tours. Ce sont des moments où les Américains prennent conscience que le monde extérieur existe et qu’il pourrait devenir dangereusement hostile, et c’est au même moment que l’on met en branle des organes qui essaient de mettre en forme l’histoire, ou le bout d’histoire à venir.
Benjamin STORA :
Il est difficile aujourd’hui de trouver l’équilibre entre l’instantanéité, la vitesse, l’immédiateté déversée par les médias, et le temps long de l’histoire qui vient peser. Comme disait Marx, “les générations mortes pèsent sur le cerveau des vivants” et les empêchent d’avancer dans le présent. Quelque part, actuellement, on a du mal à trouver la bonne temporalité, historique, entre ce poids énorme du passé et cet écrasement, cette vitesse instantanée qui interdit l’histoire. C’est une des grandes difficultés de notre époque.
Ilan GREILSAMMER :
Je voudrais dire que je viens d’un pays dans lequel, certainement, au coeur de la culture démocratique, se trouve le droit de voir toutes les images possibles et imaginables. J’en parle complètement en connaissance de cause dans la mesure où c’est ce que j’enseigne aux étudiants israéliens : la démocratie, la parole. Je ne pense pas qu’à un moment donné quelconque de l’Intifada des voix se soient élevées sérieusement en Israël pour chercher à limiter ce que nous voyons en Israël, ce qui se passe dans les territoires occupés, ce que fait l’armée, les liquidations, les bavures qui entourent ces liquidations. Il est acquis en Israël que c’est quelque chose que l’on doit voir sans tiquer. Je n’ai pas le souvenir que Sharon ou les “sharonistes” aient demandé que l’on limite la quantité d’images de ce qui se passe dans les territoires occupés à la télévision israélienne. Eux-mêmes sont beaucoup plus inquiets et critiques de ce que l’on montre en Europe et en France. Mais, comme spectateur de télévision assidu pendant toute l’Intifada, je crois pouvoir dire que depuis son déclenchement nous avons pratiquement tout vu. Sauf évidemment ce que font les services secrets et ce qui se passe dans les enceintes du Shin Beth (1). Bien entendu, je ne crois pas qu’il y ait des services secrets au monde qui montrent ce qui se passe dans leur enceinte.
Thierry FABRE :
Et concernant l’importance de la mythologie ?
Ilan GREILSAMMER :
D’abord, je pense qu’il y a une très grosse prédominance de l’image d’actualité sur les films de fiction. C’est intéressant à comprendre, parce que c’est un des éléments de la culture démocratique israélienne. On peut critiquer ce que l’on veut en Israël, mais jamais un de mes étudiants, parlant de cela, ne m’a dit : “On montre trop les crimes qui sont effectués contre les Palestiniens.” Ça n’est jamais arrivé.
Rashid KHALIDI :
Je crois qu’il y a deux leçons à propos du Vietnam : une, c’est le fait que, même si la plupart de ces films ont essayé de gagner une victoire qui n’était pas à eux, ça n’a pas réussi avec le public américain. Les Américains savent que c’était une guerre perdue, que ce n’était pas une guerre légitime. Et, maintenant, on peut parler du Vietnam, ma génération, qui était appelée sous les couleurs dans les années soixante, peut dire aujourd’hui : “On était contre, vous aviez raison.” Même les rescapés du Vietnam disent ça, les gens qui ont combattu là-bas, affirment : “Oui, ils avaient raison de ne pas aller, on aurait dû ne pas y aller nous aussi.” Et cela, on l’entend dans toute la société.
Deuxième leçon, c’est celle qui a été apprise par le Pentagone : il ne faut pas laisser voir ce qu’il se passe. La guerre du Golfe en est un bon exemple : on n’a rien vu, on n’a rien vu non plus en Afghanistan, mis à part ce qu’ils voulaient nous donner à voir. J’étais ici en Europe durant l’Afghanistan, j’ai pu voir beaucoup de choses. On pouvait voir, ici, c’était possible. Mais les Américains, eux, non.
Thierry FABRE :
Alors justement, pour avancer dans le plus contemporain, qu’en est-il de l’après-11-septembre, et de ce qui se prépare aujourd’hui vis-à-vis l’Irak ?
Rashid KHALIDI :
On ne va pas voir la guerre d’Irak aux Etats-Unis, on va juste voir ce qui se passe après…
Alain JOXE :
On va être dans le différé, pas dans le direct pendant la guerre.
Benjamin STORA :
Je voudrais revenir sur ce qui a été dit à propos de la sécurité israélienne qui n’interdit pas les images. Le problème n’est pas de savoir si l’Etat interdit, ou pas, une diffusion. Le problème c’est que, dans la société israélienne comme dans la société américaine, s’installe une logique du flux d’images comme un spectacle permanent. Il faut donner à voir dans une logique commerciale, du profit maximal de l’image. La même culture existe dans les deux sociétés. Ce n’est pas une question étatique, de volonté d’un deus ex machina qui décide. Le spectateur se trouve embarqué dans un flux tendu d’images qui se pare sous l’argument démocratique. La censure étatique n’est pas, pour moi, la seule référence décisive.
Thierry FABRE :
En fait c’est un argument marchand.
Benjamin STORA :
Oui, c’est ça. Nous nous trouvons dans l’exacerbation du capitalisme qui se transfère sur le problème de la logique de l’image à flux continu, qui est désormais d’ailleurs voulu par les sociétés. Cette logique du flux continu d’images donné en spectacle commercialisé se donne comme argument démocratique. Mais ce n’est pas une question de censure étatique, cette logique-là n’est pas la seule en cause.
Ilan GREILSAMMER :
Vous dites que l’on n’est plus dans la logique de la censure, il y a encore suffisamment de pays qui sont dans la logique de la censure. Mais, à dire la vérité, la question qui s’impose c’est pourquoi ce flux d’images ? Ce flux d’images auto-accusatrices, finalement, n’a pas d’effets sur l’action. Et une des raisons, à mon avis, c’est précisément la quantité d’images, c’est-à-dire que quand on a vu les mêmes images (car finalement, ce sont à peu près toujours les mêmes images d’incendies, de tanks, etc.) vingt fois, cent fois, mille fois, une sorte d’anesthésie s’installe. Cela provoque l’insensibilité, et même vis-à-vis de soi-même. Par exemple, voir les attentats palestiniens contre les Israéliens (comme on a pu un moment donné en voir tous les jours ou tous les deux jours, et à chaque fois c’est trois morts, dix morts…), il est certain que cela développe chez soi une sorte d’apathie. De la même sorte d’ailleurs que celle qui s’est révélée à la fin de la présence israélienne au Liban, quand tous les jours il y avait des attentats et des morts. Ce qui fait que je ne suis pas d’accord avec ce que Benjamin Stora dit. Je pense que cette offre est la conséquence du caractère démocratique d’une société, du fait que l’on n’admettrait pas en Israël la censure. Mais ça ne débouche sur rien, ça ne débouche pas sur une décision d’action. Il y a un cas, simplement, qu’on pourrait évoquer, et qui est vraiment important dans l’histoire de l’image en Israël. C’est cette image des terroristes du bus 300, quand on a révélé qu’ils avaient été descendus par le Shin Beth. On ne le sait que par une photo prise par un grand journaliste qui a réussi à photographier un prisonnier palestinien en vie. Or, par la suite, les services secrets ont dit : “Oui, mais il est mort dans l’opération.” Cela a créé une crise majeure en Israël. Tout le monde s’est dit : “Heureusement que l’on nous montre toutes les images, car sinon on ne pourrait pas savoir où en est notre société.”
Bruno ETIENNE :
Je me pose une question théorique, et pas simplement en vous écoutant. Avec un étudiant, on a essayé de quantifier combien de fois un spectateur moyen a vu les avions rentrer dans les Twin Towers. On s’est arrêtés, je peux vous le dire, quand on a dépassé les six cents ! J’ai pris les télévisions européennes, en comptant CNN et ses semblables. En France, on sait que le téléspectateur moyen regarde deux heures et dix-huit minutes de télévision par jour, donc on a fait des calculs un peu compliqués, il y a un étudiant qui a passé un mois à zapper, pour faire un échantillon scientifiquement respectable. Alors, ça pose une question grave, par rapport à ce que dit Ilan Greilsammer, quand vous dites que “ça ne débouche sur rien”. La question c’est : dans l’inconscient collectif, si on parle d’imaginaire, d’images, comment s’en imprègne-t-on-? D’autant plus qu’on a constaté que, pour le son sur cette image-là, c’est toujours une voix off qui dit “Oh my God-!” Cinq cent seize fois à peu près, on voit le crash sans l’entendre, et puis on entend une seule phrase “Oh my God !” Je vous pose une question théorique, je ne sais pas ce que c’est que l’influence, je ne sais pas quel effet peut avoir ce type d’image, d’imprégnation, je ne sais pas. Mais peut-on dire que c’est une fausse question, que ça n’a aucune importance, que “ça ne débouche sur rien” ? Ça débouche quand même sur des politiques publiques. Par exemple, après les Twin’s, on a eu ground zero, et toute une stratégie de mise en place d’un imaginaire “patriotico-sublimé” de la douleur. Avec ces histoires de pompiers, dont on sait en fait que ça s’est très mal passé, parce qu’il y avait du désordre là aussi. La question, dans tout ça, c’est : l’image produit quels types d’effets ? Vous dites qu’elle n’est pas tellement manipulée, qu’il n’y a pas une stratégie du pouvoir, je vous suis, je ne crois pas qu’il y ait quelqu’un de méchant en haut de la Chase Manhattan Bank qui ait décidé de faire voir les Twin’s deux mille huit cent soixante-quinze fois ! Mais tout de même, est-ce que quelqu’un a réfléchi à ça : quel effet produit l’image ?
Benjamin STORA :
Le débat est difficile. J’essaie de comprendre cette histoire d’images qui déferlent en permanence, ce robinet qui fuit pratiquement en permanence. A la limite, dans le montage des images, la façon de les mettre en scène ou de les présenter, interviennent des choses qui sont plus intéressantes que le jet continu. CNN, qui existe depuis vingt ans, n’est pas réductible au conflit israélo-palestinien…
Rashid KHALIDI :
Ça commence avec les otages américains en Iran…
Benjamin STORA :
Absolument. Donc on a quand même une logique, disons de mise en images de l’histoire comme un scénario continu qu’on proposerait à des téléspectateurs, comme un spectacle, chaque jour, de manière quotidienne, en boucle.
Thierry FABRE :
Une mise en spectacle de la guerre.
Benjamin STORA :
Oui, une mise en spectacle de la guerre qui n’est pas forcément démocratique ! Ce processus ne donne pas la vision démocratique d’une société de demain. Je n’y crois pas ! La répétition en boucle de la guerre montée comme un spectacle, dans l’après-coup d’ailleurs très souvent, n’est pas un argument de visibilité démocratique.
Ilan GREILSAMMER :
Je n’ai pas dit que c’était un argument de visibilité, je dis juste que nous avons une certaine société dans laquelle il n’est pas possible de censurer les images, étant donné un bagage culturel et éducatif.
Benjamin STORA :
Mais c’est pareil dans les sociétés arabes ! Aujourd’hui, au Maghreb, si l’on prend cet exemple, toutes les sociétés regardent les satellites du monde arabe, al-Jazira, MBC TV (2), etc., tout le monde regarde tout. Évidemment il y a des interdictions, ou pas, en fonction de l’état des régimes. Mais qui va s’amuser à pouvoir censurer aujourd’hui ce qui se passe avec les satellites ? Et tout le monde zappe, et les gens regardent ce qu’ils ont envie de regarder ! Est-ce que pour autant, le fait qu’ils soient abreuvés à jets continus d’images venant de tous les côtés, cela donne l’élargissement d’un espace politique et démocratique ? Non !
Thierry FABRE :
Au terme de ce dossier “Regarder la guerre”, la question qui se pose est de savoir comment on y résiste, comment on ne se fait pas prendre par ce flot, ce flux, comment on crée un peu d’éléments d’intelligence des images ?
Alain JOXE :
Je crois profondément à la capacité démocratique de sélection du sens. Autrement dit, plus un pays est démocratique, moins il est imbibé, même par le flux continu. Il a une capacité critique de distance. Ce que dit Ilan Greilsammer, sur le flux continu d’images d’exactions de l’armée israélienne en Palestine et le fait que cela ne suscite aucune révolte, ça me paraît dire tout à fait autre chose. Non pas qu’Israël soit une démocratie, ce qui serait peut-être en amont la raison de cette tolérance à l’origine, mais plutôt qu’il y ait une accoutumance aux opérations répressives à l’extérieur, qui fait que l’on se rapproche plus d’une opinion froide acceptant la répression extrême à l’extérieur.
Thierry FABRE :
Ilan Greilsammer-?
Ilan GREILSAMMER :
Je pense que ce qui se passe c’est que ces images sont contrebalancées par les images d’attentats. Dans l’esprit de beaucoup d’Israéliens, les images d’attentats neutralisent les images d’exaction. Et le résultat c’est que nombreux sont ceux qui pensent que de toute façon “C’est vrai que l’on commet beaucoup de choses chez les Palestiniens, mais eux font de même chez nous. Finalement, tout le monde se retrouve au même point, il faut trouver une solution pour tous.” Mais il est vrai que ce flot d’images n’a pas débouché, jusqu’à présent, sur des conduites ou des décisions politiques.
Thierry FABRE :
Rashid Khalidi, aussi pessimiste sur la situation-?
Rashid KHALIDI :
C’est la même chose en Afghanistan, à cause des deux tours. On a accepté n’importe quoi en Afghanistan : “Ils ont fait ça, ici, chez nous, alors pourquoi on ne pourrait pas le faire là-bas ?” Et je crois que ça va se dérouler de la même manière avec la guerre en Irak. Mais c’est ainsi avec les téléspectateurs arabes généralement : on voit les attentats en Israël, mais on voit avant ça, bien sûr, ce qui se passe dans les territoires occupés arabes.
Thierry FABRE :
Il y a à la fois une sensibilité et une forme d’insensibilité.
Rashid KHALIDI :
Oui, mais il y a aussi quelque chose de positif, c’est le fait que, bien que les gens soient emportés par ces images, il y a des résistances. Chez les Arabes, on ne voit presque pas les télévisions d’Etat, on fait du zapping et on voit les chaînes libres. Et c’est la même chose aux Etats-Unis. On ne peut pas échapper aux télés, mais il y a beaucoup de gens qui ne regardent pas, surtout les jeunes. Quand je parle avec eux de télévision, ils me disent : “Oui, c’est vrai, ce sont des mensonges, ce que l’on voit là n’est pas vrai.” Ils n’acceptent pas, ils savent que c’est “triché”, truqué. Les principaux canaux d’information montrent les mêmes choses, exactement les mêmes images, les mêmes histoires, et pour les jeunes, ce ne sont que des mensonges, et au fond, ils ne les regardent pas, ils n’y croient pas. Mais ce qui est dommage, c’est qu’ils ne votent pas non plus !
Thierry FABRE :
Ce sera la note finale, qui n’est pas tout à fait optimiste.
Notes
-
Images de guerre, guerre des images, La pensée de midi N° 9 (Actes Sud, Arles, 2002).
-
(1) : Le Shin Beth est le service du contre-espionnage et de la sécurité intérieure de l’Etat d’Israël
-
(2) : 2 Chaîne de télévision généraliste appartenant au groupe saoudien MBC. Rappelons qu’al-Jazira est diffusée à partir du Qatar.
-
Ilan Greilsammer, professeur en sciences politiques à l’université Bar-Ilan (Tel-Aviv, Israël), a publié de nombreux articles sur la politique française, les régimes européens et la société israélienne ;
-
Alain Joxe, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, spécialiste des problèmes et de l’évolution de la pensée stratégique et des relations politico-militaires.