Fiche de document Dossier : Des savoirs pour la paix issus de pratiques de paix. Présentation d’un ensemble de publications.

Stéphane Gainot, Paris, avril 2005

Mission possible. Penser l’avenir de la planète. Auteur : Pierre Calame.

Pierre Calame définit une « poésie de l’action » comme une forme d’humanisme du XXIe siècle ; notre rôle est d’« ouvrir » une série de futurs possibles, et non de les déterminer arbitrairement pour les générations à venir.

Mots clefs : | | | | | |

Réf. : Pierre Calame, Mission possible, penser l'avenir de la planète, Edition Charles Léopold Mayer, Paris 2003

Langues : Français

Type de document : 

Cet ouvrage est un recueil des réflexions personnelles et des expériences professionnelles de Pierre Calame. Ingénieur de formation, ayant occupé différents postes dans l’administration française et à l’étranger, il s’est rapidement orienté vers les métiers sociaux et les actions de développement avant de devenir, en 1986, le président de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme (FPH) qu’il entreprend de redresser financièrement et intellectuellement.

Pour lui, la pensée et l’action sont complémentaires et indissociables, il n’y a pas d’oppositions binaires entre elles : il s’efforce d’orienter la FPH dans ce sens. L’auteur considère son propre livre comme une éphéméride à effeuiller en une semaine : il propose sept grands défis à relever pour la planète.

  • Lundi. Peut-on penser l’avenir de la planète ?

Pierre Calame envisage de repenser entièrement le modèle de développement dominant. La cohésion du "système monde" repose sur d’autres notions comme la culture, envisagée ici comme un ensemble de codes, de symboles et de représentations partagées par tous. Les changements culturels sont décisifs et ce sont eux qui engendrent les vrais processus de développement ; ces changements sont brutaux, non linéaires, portés par des « réseaux » diffuseurs à toutes les échelles sociales.

Trois voies s’offrent à nous :

la voie géographique, ou « géotique » est l’art de gérer la planète. La gestion du monde dans sa configuration actuelle est trop favorable au Nord. L’État a vécu en terme d’organisation politique ; demain, ce sera la région ou le sous-continent dans sa diversité culturelle. L’intégration régionale sera le futur organe de réglementation planétaire au niveau de l’environnement et des ressources.

La voie sectorielle (dispositifs de gestion de tous ordres : juridique, politique, culturel…) ensuite, doit privilégier une logique d’harmonie et de culture plutôt qu’une logique de croissance et favoriser l’innovation de nouvelles politiques.

La voie collégiale doit multiplier les réseaux mondiaux vers la création d’une société civile monde.

  • Mardi. L’État est-il capable d’évoluer ?

L’objectif est de reconstruire une action publique de valeur en laquelle l’auteur croit, par une réflexion sur trois sujets principaux : la place de l’État dans l’économie mondiale, la nécessaire émergence d’une conscience d’État de service public dans les pays émergents, et les relations entre État et société.

L’État doit construire un objectif politique ; ce n’est pas une simple ligne de conduite à suivre ou à choisir : c’est une démarche planificatrice, plus que procédurière, un « devoir de pertinence » qui oblige l’État à créer.

L’auteur rejette en bloc la décentralisation au profit des communes, mal adaptées, la non permanence des administrations et la dichotomie entre « décideurs » et « exécutants ». Il cultive l’éthique de l’action publique à l’écoute de ses concitoyens et une éthique du pouvoir qui sait assumer ses responsabilités face à une démocratie pluridisciplinaire

  • Mercredi. La science est-elle encore dans le camp de la liberté ?

Pierre Calame dénonce le côté fondamental de la recherche et se focalise sur l’application pratique, qui ne favorise plus forcément le progrès (l’auteur se base ici beaucoup sur des exemples issus du domaine médical). La science, comme hier l’Église, a un côté dogmatique et véhicule des valeurs de progrès que le profane ne peut remettre en cause.

Il lutte contre le coté « absolu » de la science, et surtout de la science occidentale : la technique, pour être acceptée aujourd’hui par la communauté scientifique, doit être avalisée par des revues occidentales pour être jugée comme « vérités ».

  • Jeudi. Les riches ont-ils besoin des pauvres ?

Il est nécessaire de développer une politique urbaine cohérente pour rejeter l’exclusion : il faut valoriser les acquis des classes les plus défavorisées, renforcer leur situation foncière… (Déclaration de Caracas, 1991).

L’auteur préconise de développer le concept de « banque solidaire » (première expérience au Bangladesh, la Grameen Bank) pour libérer l’initiative privée dans les pays du Sud, avec des garanties de remboursement spécifiques et non matérielles, des structures décentralisées et des banquiers ambulants…

  • Vendredi. Faut-il inventer un art de la paix ?

Contrairement à une idée reçue, la démocratie n’est pas un gage de paix systématique (par exemple en Colombie), de même que la croissance n’est pas synonyme de démocratie (par exemple l’Espagne sous Franco)… L’état de paix n’est d’ailleurs pas plus naturel que celui de guerre : la simplicité de la lutte empêche souvent de voir plus loin et de planifier un réel projet de société. Les futures sociétés pacifiques se retrouvent alors confrontées à la reconversion des hommes et des industries (techniques différentes, savoir-faire souvent moins valorisant), tâche ardue s’il en est sans une certaine cohésion nationale.

Construire une paix durable est souvent plus difficile que construire une « non-guerre » : c’est un projet complexe, opposé à la simplicité souvent binaire d’un conflit. L’auteur propose donc la création d’une science de la paix, l’« irénologie », qui privilégierait les processus de réconciliation des peuples, ferait appel à la philosophie, à l’histoire, à la psychanalyse, la religion ; c’est un champ immense à défricher et un décalage énorme entre « l’importance de l’enjeu et la faiblesse des énergies ».

  • Samedi. Peut-on gouverner les machines institutionnelles ?

L’auteur propose comme principale action politique une opposition à ces institutions qui échappent totalement au contrôle des hommes et il veut impulser une nouvelle logique. Il est pour la formation des cadres en tant que médiateurs et non plus sujets de leur savoir…

  • Dimanche. Penser et agir pour demain.

On assiste aujourd’hui à une crise de l’action collective, du sens de l’État, il faut revaloriser les valeurs collectives communes et la culture, redonner un sens collectif à l’aventure humaine par l’élaboration d’une charte éthique qui prônerait le respect de la dignité, l’écoute mutuelle…

Pierre Calame définit une « poésie de l’action » comme une forme d’humanisme du XXIe siècle ; notre rôle est d’« ouvrir » une série de futurs possibles, et non de les déterminer arbitrairement pour les générations à venir. Il faut redevenir des êtres par rapport aux institutions, des êtres doués de liberté d’action et de volonté de construire. Il faut repenser l’action et se débarrasser de l’« inessentiel » et de logiques erronées.

Commentaire

Cet ouvrage développe de vastes considérations existentielles et sociétales à grand renfort de démonstrations. Pierre Calame nous livre là sa profession de foi, il est incisif, traitant des problèmes majeurs qui perturbent la planète : c’est un sujet très ambitieux, et néanmoins très agréable car l’auteur n’est jamais moralisateur.

Très didactique, on assiste au contraire à une exposition méthodique d’un point de vue global. Avec des exemples très concrets à l’appui : l’auteur rejette toute abstraction, il agrémente son propos par de nombreux parallèles avec la nature ou l’histoire qui parlent à chacun d’entre nous.

C’est une véritable apologie de l’action et de la construction politique émaillée de rêves, une fois encore tous amplement réalisables à force de volonté, de partage de l’action, d’espoir, et surtout basée sur une expérience incontestablement hors du commun.

Un ouvrage à lire en ce début de XXIe siècle.