Silvia Gurrieri, Paris, avril 2005
Désir de paix, relents de guerre. Auteurs : Sonia Dayan-Herzbrun, Maurice Goldring, Antoine Bouillon.
Analyse des processus de paix en Afrique du Sud, au Proche-Orient et en Irlande du Nord, de leurs traits communs et de leurs spécificités. Au nombre de trois, les auteurs sont chacun spécialistes d’une zone particulière, de par leur origine, ou pour des raisons académiques et personnelles.
Mots clefs : Conflit israélo-palestinien | Conflit nord-irlandais | Autorités et Gouvernements locaux | Institutions internationales | Reconstruire la paix. Après la guerre, le défi de la paix. | Etablir des concertations multilatérales pour préserver la paix | Appliquer la justice, facteur essentiel de réconciliation sociale | Afrique du Sud | Palestine | Irlande
Réf. : Déscle de Brower, 1996
Langues : français
Type de document : Ouvrage
Le livre est composé de trois chapitres, "La paix impossible", "Facteurs de paix" et "Paix ou guerre ?", dont chacun contient une analyse des trois « zones théâtres » de conflits.
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Dans le premier chapitre, les auteurs déterminent les points communs entre les trois conflits avant d’analyser plus précisément le cas de chaque pays.
Tous présentent un certain degré d’internationalisation : si le conflit nord-irlandais est le moins internationalisé, en Afrique du Sud les facteurs internationaux ont joué un rôle important. La délégitimation internationale du régime sud-africain a de ce fait renforcé la lutte anti-apartheid.
Un autre trait commun souligné est l’enracinement de chaque conflit dans une histoire coloniale liée à l’impérialisme britannique. En outre, dans chaque cas, des phénomènes de domination politique, culturelle et économique se sont développés. Par exemple, il n’y a pas de droits universels, mais uniquement des privilèges dont jouit la seule communauté dominante (blancs, protestants ou juifs).
Antoine Bouillon présente les traits distinctifs du conflit qui a ravagé l’Afrique du Sud : ses racines relèvent de la colonisation de peuplement dès le XVIIe siècle. Le nationalisme afrikaner trouve ses origines dans la résistance à l’impérialisme britannique et dans la nécessité de sauvegarder l’intégrité raciale. Une fois parvenus au pouvoir, les Afrikaners promulguent dans les années 1920 et 1930, une législation discriminatoire à l’égard des noirs et instaurent progressivement la politique de l’apartheid (séparation des races) dans tous les domaines : comme la géographie, l’économie, l’emploi, les institutions politiques, l’éducation, la vie privée et sociale. Les Africains devenus ainsi des étrangers sur leurs propres terres, privés de tous droits sociaux et politiques, développent progressivement leur résistance nationaliste. À partir de 1960, ils passent de la lutte non-violente à la lutte armée, et la paix semble devenir impossible jusqu’en décembre 1990, quand les négociations entre l’ANC (Alliance National Congress) et le gouvernement sont ouvertes.
Le paragraphe consacré au conflit israélo-palestinien analyse les raisons pour lesquelles la paix semble impossible, en soulignant qu’elles ne se réduisent pas au fait que deux peuples revendiquent une même terre comme la leur. Il parcourt les étapes de l’implantation sioniste, la formation et l’expansion d’une colonie de peuplement des juifs sur la terre palestinienne et la politique de transfert de la population arabe hors des régions destinées à l’État juif. Enfin les caractéristiques du nationalisme et de la militarisation israélienne et palestinienne sont présentées.
Ensuite, les origines de la soumission de l’Irlande catholique par l’Angleterre protestante sont retracées : les lois fondamentales écartaient les catholiques du droit de vote de représentation parlementaire et de la fonction publique. À la suite de la formation en 1920 de l’État libre d’Irlande et de l’Irlande de Nord, la vie politique se structure autour des lignes de divisions religieuses : les nationalistes catholiques aspirant à la réunification politique de l’Irlande et les unionistes protestants souhaitant le maintien de l’Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni.
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Le deuxième chapitre s’ouvre avec une intéressante analyse du concept de la paix, en particulier sur le sens qu’il revêt chez les dominants.
Pour ces derniers, la paix c’est l’acceptation de la domination par les dominés, et toute revendication de la part des dominés représente alors un attentat à la paix et est donc à réprimer. Selon la conception des auteurs, la paix est inséparable de la réparation des injustices.
D’un autre côté, la solution pacifique du conflit sud-africain dérive d’une conjugaison de pressions provenant de l’intérieur et de l’extérieur du pays. La mobilisation internationale contre la dictature raciste a été soit symbolique (dénonciations) soit pratique (sanctions militaires, énergétiques, économiques). En outre les principaux facteurs de solution pacifique entre les Sud-Africains eux-mêmes sont évoqués. Ce qui a permis une avancée décisive des négociations fut le choix de la part de l’ANC d’un partage du pouvoir sous la forme d’un gouvernement d’unité nationale formé à partir du suffrage universel.
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À propos des auteurs :
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Sonia Dayan-Herzbrun distingue trois figures de la paix : la paix comme conséquence de l’écrasement de l’ennemi, la paix comme fruit d’un compromis et enfin la paix comme création d’un espace commun de discussions et de négociations. Elle signale ensuite plusieurs types de positions (politiques, morales et religieuses, culturelles et existentielles) à partir desquelles les protagonistes du processus de paix au Moyen-Orient ont œuvré.
Maurice Goldring formule des hypothèses sur les raisons ayant conduit l’IRA (Irish Republican Army) à décider d’un cessez-le-feu en Irlande du Nord le 31 août 1994, bien que les républicains n’aient pas atteint leurs objectifs, c’est à dire la réunification de l’Irlande et le retrait des troupes britanniques. Le cessez-le-feu s’explique par une évolution en profondeur de la société, que les républicains ne pouvaient pas ignorer. La résistance à la violence militaire, la création des organisations pour la paix et contre la terreur tout comme la création des écoles intégrées en font partie.
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Le dernier chapitre traite des évolutions plus récentes des trois conflits.
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Dans la conclusion, les auteurs en soulignent les différences en termes de singularité historique, de groupes en présence, de la question territoriale et de formes de gestion des conflits.
A la fin du livre un schéma organisé par ordre chronologique permet de comparer les phases alternées de guerre et de paix ayant marqué l’histoire des trois pays de 1652 à 1996.
Commentaire
Il s’agit d’un livre offrant des analyses précises sur l’origine et le développement des conflits, du commencement et de l’évolution des processus de paix dispersés sur trois régions de la planète qui ont été longtemps le théâtre de violences et d’affrontements. Les auteurs ne cherchent pas à réduire la comparaison des trois conflits à l’énonciation de généralisations simplistes, mais plutôt à mettre en évidence les traits distinctifs propres à chaque région.
Ce livre invite aussi le lecteur à s’interroger sur la vraie signification de la paix, celle qui ne correspond pas nécessairement à la fin de la violence et des hostilités. En effet, on peut avoir une situation caractérisée par le silence des armes, mais qui en même temps présente une domination totale d’un groupe, d’une communauté sur une autre. Il ne s’agit alors pas de paix, car il ne peut jamais exister de paix sans justice.
La paix ne naît pas de l’écrasement d’une partie sur l’autre, de la négation de l’existence de l’adversaire, mais des négociations, du compromis politique entre les parties en conflits, qui s’engagent à construire un espace politique commun où soit reconnue la diversité et l’égale dignité des individus et des groupes.
Comme les conflits analysés le démontrent, les processus de paix sont difficiles à construire et à gérer, ils connaissent des avancées et des régressions. Il faut une évolution profonde des sociétés, une véritable volonté des deux parties pour la négociation, pour renoncer aux privilèges et à quelques revendications individuelles, en vue de la construction d’un monde en commun.