Grenoble, July 2009
« Je vous parle de liberté », Mikheil Saakashvili, avec Raphaël Glucksmann
La Géorgie de Saakshvili : une démocratie encore fragile.
Ref.: Mikheil Saakashvili, avec Raphaël Glucksmann, « Je vous parle de liberté », Ed. Hachette Littérature, 2008, 207p.
Languages: French
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Suite à la guerre entre la Russie et la Géorgie en août 2008, le jeune président géorgien de quarante et un ans, Mikheil Saakachvili, explique dans « Je vous parle de liberté » ses rêves et projets de démocratie, ses positions pro-occidentales, la Révolution des roses, sa relation de confrontation avec la Russie ainsi que la crise indépendantiste frappant son pays en août dernier. Dans cet entretien avec Raphaël Glucksmann, Mikheil Saakachvili dévoile sa conception de la politique et justifie ses actions et réactions dans un contexte national au lendemain de la transition post-soviétique. Il place également son pays dans un contexte international où la Russie et les Etats-Unis ne sont plus les maîtres du jeu comme au temps de la Guerre Froide mais restent encore des acteurs alliés ou ennemis importants et décisifs pour la Géorgie.
Depuis son accession à l’indépendance en 1991, le pays est sans cesse en pleine mutation. Ce pays caucasien a été le premier à devenir indépendant de l’empire soviétique et cela est sûrement dû au désir très marqué de son peuple de constituer enfin sa propre nation, de parler sa propre langue et de vivre selon sa propre culture. La question de la souveraineté de la Géorgie et du contrôle de ses territoires est une problématique sur laquelle il faudrait se pencher de nombreuses heures pour expliquer l’ampleur du conflit qu’il soit international ou ethnique.
À l’aide de cet ouvrage, Je vous parle de liberté, nous analyserons la politique de Mikheil Saakachvili qui peine à se situer entre révolution, démocratie et fracture diplomatique et à s’affirmer. Dans un premier temps, nous nous pencherons sur les rêves de démocratie et de liberté du président géorgien portés par son éducation, son rapport charnel avec l’Occident et sa philosophie politique. Dans un deuxième temps, nous expliquerons en détail le « projet géorgien » mené par Saakachvili durant sa présidence traduisant sa volonté féroce de changer la société géorgienne par la réforme des institutions, la privatisation et la lutte anti-corruption. Enfin, nous analyserons les limites de cette démocratie encore sensible de ce jeune président.
I. Un rêve de démocratie et de liberté
A. L’empreinte de sa famille et de son éducation
Mikheil Saakachvili, président de la Géorgie depuis 2004 et porteur de la Révolution des roses, vient d’une famille assez aisée faisant partie de l’intelligentsia classique de Tbilissi. Son arrière grand-père avait connu la Géorgie indépendante avant l’annexion du pays à l’URSS en 1922 et, d’un caractère fier et rebelle, il a beaucoup critiqué le système soviétique. En outre, un de ses oncles, diplomate, entretient des liens forts avec les Etats-Unis. Mikheil Saakachvili porte donc un intérêt particulier à la politique depuis l’enfance dans le sens où il parlait beaucoup avec ces deux hommes qui lui ont donné la volonté de changer les choses. Une autre personne qui a marqué son enfance est son professeur de français. Venue d’Asie centrale, d’une grande famille noble émigrée en France en 1917, elle fréquenta les intellectuels français. Rattrapée par les Soviétiques, elle fut déportée au Kazakhstan. Ses discussions critiques vis-à-vis de l’URSS et son partage de lecture d’écrivains français avec Saakachvili n’ont fait que conforter d’autant plus le jeune homme dans son goût pour l’Occident.
Par ailleurs, c’est lors de ses lectures d’adolescent qu’il a fait connaissance avec des grands dissidents politiques de l’URSS : Sakharov, Soljenitsyne, Boukovski qui sont pour lui de « grands héros ». Quand le Kremlin l’accuse d’être un « antirusse primaire », il se défend en disant que ces héros de jeunesse sont Russes. Pour Saakachvili, Soljenitsyne utilisa les mots parfaits dans la description de la réalité du système soviétique pour ouvrir les yeux des lecteurs sur une réalité que ces mêmes lecteurs subissaient plutôt qu’ils ne la comprenaient. Ces écrits seraient « une initiation à la liberté et à la vérité ».
Il est donc rentré dans un institut de relations internationales et a énormément voyagé dans les « pays mythiques », synonymes de liberté, que sont les Etats-Unis, le Canada, la France ou la Grande-Bretagne, tant pour ses études que pour son travail. C’est en 1989 qu’il se rend pour la première fois en Occident, à La Haye plus exactement, et il y découvre la liberté, que ce soit la liberté individuelle, la liberté de la presse ou la liberté d’opinion. Toutefois, Saakachvili n’a qu’une idée en tête, celle de revenir en Géorgie pour montrer qu’un autre monde existe et est possible. Les Etats-Unis et le cosmopolitisme de New York sont, pour lui, la preuve réelle que « rien n’est donné mais tout est possible », ce qui l’a conforté dans l’idée que changer de société et de mentalité en Géorgie est quelque chose d’envisageable et de réalisable.
B. La Révolution des roses
C’est de cette envie de faire changer les choses dans « un pays qui va mal » que Saakachvili est rentré chez lui. À son retour, il est désillusionné par une Géorgie plus pauvre après cinq ans d’indépendance qu’il qualifie de pays gris et violent, contrôlé par une bande de mafieux. Ancien ministre des Affaires Etrangères de l’Union soviétique, Edouard Chevardnadze est alors président (de 1992 à 2003). Chevardnadze incarne une sorte de continuité douce entre le passé soviétique de la Géorgie et une société européenne et libérale, mais il reste très marqué par une approche soviétique du pouvoir. Selon Saakachvili, la société géorgienne était alors sans repères et souffrait du « paradoxe post-soviétique » qui est un mélange de répression et de déficience de normes, ce qui signifie que la force produit la loi et que les normes sont mouvantes : inexistantes pour le fort et omniprésentes pour le faible, d’où le règne de la police, de l’ex-KGB et de la mafia. Par conséquent, la première cible de Saakachvili dans son combat pour la liberté est celle contre la corruption – véritable structuration criminelle de la société. Ses objectifs sont donc l’indépendance de la justice, la limitation des pouvoirs de la police et la lutte contre l’impunité des agents de l’Etat ou des puissances sociales afin de créer un Etat de droit préalable à la démocratie.
Alors, fort de son « esprit révolutionnaire », Saakachvili crée en octobre 2001 le parti Mouvement National Uni pour conquérir l’opinion publique et pour préparer les élections parlementaires de 2003. La campagne pré-révolutionnaire de Saakachvili parcourant le pays remporte le succès et l’implication de la population en masse (90% de la population suit Saakachvili) pour qui il reconnaît une grande humilité et un large respect. Son idée est de faire marcher le pays sur Tbilissi, la capitale, en partant de la Mingrélie, région à l’ouest de la Géorgie où le niveau de corruption est très élevé et où les gens sont véritablement prêts à changer les choses. En appelant les masses, Saakachvili a alors vu « un peuple qui se réveille et se redresse » sans haine mais seulement porté par des rêves et des projets. Le 2 novembre 2003, jour des élections, une fois la marche arrivée à Tbilissi, Saakachvili et les activistes, roses à la main, envahissent le Parlement, expulsant ainsi Chevardnadze de sa réunion et lui demandant de démissionner. Ce dernier est d’accord en échange de sa sécurité. Saakachvili dit avoir connu « une sensation quasi divine de toute puissance et d’infini potentiellement dangereuse si elle n’est pas réprimée une fois le moment de l’action passé, c’est cette excitation qui transforme les leaders révolutionnaires en tyrans. »} Saakachvili s’affirme donc comme porteur d’une révolution, la Révolution des roses, déclenchant une dynamique de démocratisation de la société géorgienne et de transformation des institutions et des mentalités.
II. Le « Projet Géorgien »
Le « projet géorgien » est le projet de société concrétisé par la politique de Saakachvili depuis son investiture au poste de président de la république de Géorgie en 2004. Il met donc en place un « gouvernement révolutionnaire » dans le sens où il renvoie des fonctionnaires, il change les institutions et il réoriente la politique et la diplomatie. Il justifie son empressement, souvent critiqué par l’Europe de l’Ouest, par son envie de ne pas décevoir le peuple géorgien très demandeur de changement, d’autant plus que, pour lui, rapidité n’est pas synonyme d’instabilité.
Le projet s’incarne d’abord par le retour des jeunes partis étudiés à l’étranger en vue de favoriser l’éclosion et l’européanisation de la société grâce à leurs influences cosmopolites et de rendre positif le solde migratoire. Ensuite, il a fallu rependre en main les institutions en raison de leur état de délabrement important et des rémunérations des fonctionnaires très faibles, expliquées par la non-séparation – ou assimilation - de l’argent de l’Etat et de la fortune personnelle des anciens dirigeants. En troisième lieu, Saakachvili a entamé une phase de privatisation. Il ne souhaitait pas entreprendre un processus de nationalisation-privatisation des entreprises oligarques géorgiennes car cela aurait posé des problèmes de corruption et de batailles d’intérêts. Il a donc simplement exigé la régularisation des affaires, le paiement d’impôt et le respect des nouvelles règles du jeu.
Face à la corruption généralisée et les abus de pouvoir de la police, il fait également une refonte quasi totale de la police, remplaçant 90% des effectifs entre juin et décembre 2004. Le taux de confiance dans la police est alors passé de 5% à 60%. Pour Saakachvili, c’est une véritable « révolution mentale » pour son pays car cela signifie non seulement la fin du règne du KGB et de la police communiste mais aussi celui de la police mafieuse.
Enfin, il sera nécessaire de réformer les douanes, principaux bastions de la corruption, ainsi que de supprimer le ministère de la Sécurité, héritage de l’époque soviétique, en faveur d’un ministère de l’Intérieur comme il en existe dans la plupart des démocraties.
Toutefois, le projet de société de Saakachvili a été contesté à cause d’un sentiment de frustration dans le pays dû à une certaine déception de la population. Cette dernière aurait en effet voulu que la transformation soit plus rapide, contrecoup logique et « produit de la mentalité géorgienne ». Saakachvili répond que construire une démocratie prend plus de temps que de construire un Etat policier.
Par ailleurs, il lui a été aussi critiqué que, lors des dernières élections présidentielles en janvier 2008, la non-adhésion des classes bourgeoises à sa politique, contrairement aux gens des banlieues et des régions pauvres, alors que le libéralisme tend à favoriser les riches comme en Europe occidentale. Saakachvili fait-il preuve de populisme ? Pour lui, les classes riches de Géorgie sont les produits des régimes passés qui n’étaient en rien libéraux. Contrairement à l’Europe, le libéralisme est un outil subversif mais égalitaire remettant en cause les positions acquises, l’économie de rente et les traditions.
On lui a aussi incriminé d’avoir réprimé les mouvements contestataires et de rejeter l’opposition. À cela, il répond que la Géorgie a fortement besoin d’une opposition puissante, élément capital pour une démocratie, mais que le pays a également besoin de supprimer les leaders d’opposition corrompus et antidémocratiques, héritiers oligarques de l’époque soviétique.
Il a été rajouté que la démocratie à l’occidentale est perçue par les Géorgiens plus comme un idéal identitaire et culturel que comme un idéal politique (Jean Radvanyi, Les Etats postsoviétiques. Identités en construction, transformations politiques, trajectoires économiques. Armand Colin. 2003). Face à la pluri-ethnicité de la Géorgie, devenir un pays démocratique serait la preuve irréfutable de leur enracinement européen. Mais ce modèle aurait été importé trop rapidement pour qu’il soit bien intégré, comme le confirment les années d’indépendance et la grande fragilité de la construction identitaire. Pendant la période soviétique, la Géorgie jouissait du statut d’exception culturelle et économique ; toutefois, l’explosion des conflits, les affrontements fratricides et l’effondrement de l’Etat ont affaibli les fondements symboliques d’identité de l’Etat. L’indépendance contraint les Géorgiens à un réexamen de ce qu’avait été leur position dans l’URSS, tant en termes de poids politique international qu’en termes de redistribution des ressources.
III. Une démocratie encore sensible qui peine à s’affirmer
Malgré ses efforts de démocratisation et de libéralisation de la société géorgienne, Saakachvili reconnaît qu’il n’est pas si simple d’instaurer une démocratie dans une société encore très sensible où les mouvements indépendantistes sont violents et les relations extérieures sont plus ou moins bien maîtrisées.
A. Une certaine fracture générationnelle
En Géorgie, trois générations se disputeraient le pouvoir : celle qui a été formée sous Brejnev (dans les années 80), celle qui a été élevée à l’époque post-soviétique et celle qui n’a jamais connu l’URSS. Saakachvili s’appuie principalement sur les deux dernières générations, les 18-30 ans. La génération antérieure est celle qui est moins porteuse de changement et la plus corrompue. Saakachvili reconnaît cette fracture, mais contre argumente en se réjouissant que, lors de la révolution, toutes les générations ont pris part à l’insurrection civique, que les fractures générationnelles, sociales, religieuses ou ethniques avaient disparu dans un refus commun de la fraude et de la corruption.
B. Analyse du conflit relatif aux territoires de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie opposant la Géorgie à la Russie durant l’été 2008
Dans un récit dense et complet, Saakachvili met en évidence sa position par rapport aux deux territoires autoproclamés indépendants et justifie sa réaction armée face aux conflits opposant la Géorgie à la Russie concernant ces deux mêmes territoires. Pour Saakachvili, la Géorgie a connu une « invasion d’un pays souverain par l’armée de Moscou, suivie d’une contre-attaque géorgienne », en août 2008.
Certains pensent qu’il s’agit d’abord d’un conflit ethnique commandité par des séparatistes. Il faut rappeler que les premières émeutes violentes en Abkhazie (« Abkhazie » = la région autonome géorgienne abkhaze) ont été causées par des révoltes ethniques face à la demande géorgienne de constituer un seul et unique pays, tout en intégrant la région abkhaze. À cette époque, les géorgiens abkhazes (La population géorgienne de langue abkhaze vivant dans la région autonome d’Abkhazie) avaient peur de se voir appartenir à une Géorgie unifiée, ce qui aurait mis fin au statut d’autonomie de la région.
Mais aujourd’hui les raisons du conflit doivent être analysées en prenant compte d’autres facteurs extérieurs que celui de la simple pluri-ethnicité de la Géorgie. La Géorgie est un pays divisé en plusieurs provinces administratives, comme l’Abkhazie, l’Ossétie du Sud ou la Mingrélie. Chacune de ces provinces possède son propre dialecte et des traits de cultures différents. Cependant, la grande majorité de la population géorgienne ressent le même sentiment patriotique quant à son pays. Il serait alors une erreur d’affirmer que ces conflits en Géorgie sont des conflits purement ethniques, même si les informations que nous recevons reflètent bien souvent ce point de vue. Par exemple, l’Abkhazie est aujourd’hui composée de trois « populations » qui sont difficiles à quantifier : russes, arméniennes et abkhazes. Il est intéressant de savoir que les Abkhazes ont toujours représentés une faible minorité dans la région.
Cependant, Saakachvili considère que l’entrée des troupes militaires russes aurait été préparée par Moscou comme en témoigne un enregistrement de garde-frontières ossètes stipulant que les troupes fédérales russes normalement positionnées en Tchétchénie avaient été regroupées en Ossétie du Nord (Partie russe de l’Ossétie ) la veille de l’attaque de l’Ossétie du Sud. Saakachvili justifie sa contre-attaque par deux éléments importants : d’une part, il ne voulait pas laisser détruire tout ce qui avait été construit depuis la Révolution des roses, et, d’autre part, il souhaitait conserver l’intégrité territoriale de la Géorgie et il aurait été très incommodé par l’annexion de l’Ossétie du Sud à la Russie et par la purification ethnique encourue. Dans le cas où la Géorgie n’aurait pas attaqué, le pays serait alors devenu un « vassal » de la Russie et l’oléoduc BTC (Oléoduc reliant Bakou (Azerbaïdjan) à Ceyhan (Turquie) passant par Tbilissi) serait alors tombé dans la sphère d’influence russe. Malgré un coût humain, politique et diplomatique élevé, Saakachvili se réjouit d’avoir démontrer à Moscou que la Géorgie est un Etat souverain.
Pour Saakachvili, le conflit organisé par Poutine est non seulement une manière pour ce dernier d’affirmer sa place dans la communauté internationale mais également une volonté d’obtenir la victoire sur le régime rebelle de Géorgie. Les séparatistes ossètes et abkhazes sont donc de simples « employés de Moscou.»
Par ailleurs, Saakachvili soulève la difficulté au moment même du conflit de joindre les responsables russes ainsi que le refus de la part de la Russie d’entamer des négociations pour un processus de paix. Il émet également l’hypothèse que l’intervention des Occidentaux a été surtout motivée par un intérêt géopolitique stratégique : la sauvegarde de la route d’approvisionnement énergétique non-russe.
Quant à la résolution du conflit, une solution aurait pu être l’indépendance de ces deux régions. Mais, Saakachvili affirme que l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie appartiennent historiquement à la Géorgie et que le statut de république autonome est une invention de Staline à laquelle il s’oppose. Il est pour l’autonomie - non pour l’indépendance « sous contrôle russe » - justifiée par sa volonté de construire une Géorgie fédérale, cosmopolite et souveraine, « transcendant les ghettos culturels hérités du soviétisme. »
Enfin, Saakachvili se félicite que ce conflit armé montre clairement que la Révolution des roses est une réussite puisque les institutions ont été maintenues et que la population est restée calme. Face à l’ennemi, « mieux vaut mourir libre que de vivre esclave », déclare-t-il.
C. Les relations Géorgie - Russie
Par rapport à la Révolution des roses et, dans un contexte plus général, aux révolutions de couleur, la Russie aurait compris qu’un phénomène nouveau « menaçait » son emprise sur les ex-républiques soviétiques, ce qui, selon Saakachvili, aurait déclenché au Kremlin un scénario contre-révolutionnaire appliqué aujourd’hui et concrétisé par la guerre en août 2008.
Un autre auteur, le professeur géographe Jean Radvanyi (Les Etats postsoviétiques. Identités en construction, transformations politiques, trajectoires économiques. Armand Colin, 2003) explique que la Géorgie perçoit la Russie comme une « menace directe et indirecte » en matière de sécurité. En effet, les élites politiques géorgiennes sont convaincues que Moscou - pour maintenir sa présence dans le Caucase - cherche à entraver l’indépendance de la Géorgie puisque celle-ci occupe une place stratégique dans la région : elle a un accès à la mer Noire et à l’Arménie, elle partage une frontière avec la Turquie, et elle représente l’unique accès au monde extérieur pour la Tchétchénie. En outre, l’autre menace que représenterait la Russie serait sa capacité d’ingérence comme en témoignent son soutien militaire en Abkhazie et l’introduction par Moscou de visas entre les deux pays.
D. Les relations avec l’Occident
Pour se soustraire de l’influence exclusive de la Russie, la Géorgie tente de développer des liens étroits avec les Etats-Unis et l’Europe, voire de se rapprocher de la Turquie.
L’Union Européenne est non seulement le modèle démocratique de Saakachvili, mais est un allié fort dans les relations géopolitiques internationales, surtout en ce qui concerne l’énergie du gaz. La Géorgie a contribué et investi de manière colossale dans la construction de l’oléoduc BTC, ce qui est très bien vu par les Occidentaux pour leur approvisionnement énergétique et contre le monopole russe. On peut rajouter que l’intérêt occidental est d’autant plus important que la Géorgie est sur la route de la mer Caspienne – riche en ressources pétrolières – et des hydrocarbures, comme le note Jean Radvanyi.
Par ailleurs, Saakachvili voit l’avenir politique et économique de la Géorgie en UE, malgré quelques erreurs diplomatiques engendrées avec elle. En effet, Saakachvili a du mal à comprendre les positions européennes qui seraient en porte-à-faux, surtout sur le thème de l’énergie et, parallèlement, sur les relations avec la Russie car pour l’UE, il est important de « ne pas humilier la Russie ». En effet, l’UE souhaiterait à la fois tisser des relations durables avec la Russie et avec la Géorgie.
Toutefois, la Géorgie s’appuie sur les Européens pour la sauvegarde d’une route d’approvisionnement énergétique non-russe et pour éviter un continuum territorial entre la Russie et l’Iran via l’Arménie afin d’empêcher la reconstitution d’un empire hostile et d’un monopole gazier et pétrolier aux frontières de l’Europe.
On reproche souvent à la Géorgie ses liens trop forts avec les Etats-Unis, surtout par rapport à l’aide américaine qui aurait permis à l’économie géorgienne de décoller. Saakachvili reconnaît ce soutien financier, mais répond que la croissance géorgienne était antérieure et que l’assistance économique ne sert qu’une fois que les bases sont saines. L’aide massive peut conduire à l’absence de réforme, à la stagnation et à la dépendance. La Russie, quant à elle, croit qu’il s’agit là d’un plan américain d’encerclement de leur pays, que Saakachvili est un sous fifre des Etats-Unis et que le « projet géorgien » n’est pas seulement que le projet américain. Cette dernière idée tout comme l’engagement de la Géorgie dans la guerre en Irak sont également critiquées par l’Europe. Saakachvili reconnaît que l’ambition américaine est d’être une puissance globale et soutient que les Etats-Unis est le pays le plus à l’écoute de son pays – à la différence de l’UE qui, selon lui, manque d’unité et donc d’influence. Il justifie son engagement en Irak par sa « sensibilité de nation émancipée depuis peu à la libération des peuples livrés à un régime tyrannique. »
On notera également le souhait de Saakachvili de faire rentrer son pays dans l’OTAN, seul gage de sécurité à long terme, face à la menace de son voisin russe.
Comme la plupart de Etats issus de la désagrégation de l’URSS, la Géorgie a dû résoudre la question fondamentale de la définition et de l’affirmation de son identité face à la Russie voisine. Pour cela, dans ces pays, les moteurs du changement ont généralement été les perspectives libérales, l’acceptation ou le rejet de leur passé soviétique ainsi que le regain d’intérêt pour leurs racines antérieures. Les mouvements de libération portés par les révolutions de couleur avaient pour ambition d’entamer un processus conduisant à la démocratie, au marché et à l’insertion banalisée dans la mondialisation. D’où la nécessité de redéfinir pour la plupart de ces Etats leurs rapports à l’ancienne puissance tutélaire, où s’entremêlent étroitement les éléments objectifs et subjectifs, l’attraction exercée par l’Occident et l’Europe, et l’ouverture à la quête identitaire d’autres régions du monde.
En s’appuyant sur des organisations internationales telles que le GUUAM (Le groupe du GUUAM - Géorgie, Ukraine, Ouzbékistan, Azerbaïdjan et Moldavie - est une alliance stratégique économique et politique dont le but est de renforcer leur indépendance et leur souveraineté) et sur des pays comme la Turquie, l’Allemagne ou les Etats-Unis, la Géorgie exacerbe le ressentiment de la Russie. En réponse, la Russie continue à utiliser les questions ethniques non résolues de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud pour convaincre la Géorgie de restreindre son orientation pro-occidentale. Toutefois, malgré les efforts acharnés de la Géorgie pour se faire accepter par l’Europe occidentale comme un pays européen et malgré sa position de base stratégique pour les intérêts occidentaux, la Géorgie reste isolée.
Par ailleurs, il lui est difficile d’unifier son territoire à cause de son hétérogénéité ethnique en proie à l’ultra-nationalisme géorgien – éléments venant entraver l’apaisement politique souhaité par Saakachvili. La politique menée par ce dernier est perçue positivement par la population géorgienne car la suppression presque totale de la corruption policière et le renouveau économique a eu un impact direct sur la qualité de vie. Cependant la population reste désillusionnée à cause d’un projet de gouvernement trop flou et des leaders politiques trop divisés, d’où les contestations contre le président Saakachvili en avril 2009.
Commentary
Mikheil Saakachvili affirme bel et bien qu’il a une vision idyllique voire naïve de l’Occident, « paradis inaccessible » où la liberté est l’antithèse de la vie quotidienne en Géorgie soviétique. Il rêve alors d’un monde « sans restrictions, sans police, sans misère, sans tristesse, sans Brejnev et sans KGB. »
Notes
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Auteur de la fiche : Mathilde Pilon