Paris, avril 2009
Culture de la mémoire. Allemagne, Italie et Japon 1945
Comment les institutions nationales, les élites politiques et les populations se sont confrontées avec leur passé récent en Allemagne, Italie et Japon après la deuxième guerre mondiale? Cet ouvrage qui se compose d’essais de spécialistes de trois nationalités différentes cherche à répondre à cette question dans une perspective internationale comparée, à travers le concept de la mémoire.
Réf. : Cornelißen, Christoph, Klinkhammer, Lutz et Schwentker, Wolfgang (a cura di), Fischer Taschenbuch Verlag, Frankfurt am Main, 2003
Langues : allemand
Type de document :
Le but du livre est l’analyse systématique et comparée des cultures de la mémoire, de leur contexte social à partir du 1945 en Allemagne, en Italie et au Japon et des différents facteurs qui ont favorisé ou non son développement. À cette fin, quelques champs d’analyse ont été sélectionnés:
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Le règlement des comptes de la part des vainqueurs ;
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La démystification des puissants ;
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Les historiens et l’interprétation du passé ;
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Le souvenir de la dictature et de la guerre politique au sein de l’opinion publique;
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Les médias et la mémoire collective ;
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Le rapport entre les nouvelles générations et la mémoire historique.
Ces champs d’analyse constituent également les différentes parties qui composent le livre.
Dans une perspective comparative, les auteurs se demandent quelles sont dans les trois pays, au-delà des similitudes de leurs événements historiques, les différences dans l’élaboration du passé récent (notamment du régime et de la guerre). En particulier, l’objectif est d’observer la différence dans leur façon d’élaborer la mémoire « collective » dans l’après-guerre. Les auteurs cherchent à comprendre les circonstances qui font que dans ces trois pays la façon de débattre autour de la responsabilité de la guerre et des crimes de guerre, est totalement différente.
Pour citer un exemple, si en Allemagne à partir des années ’80 un vif débat a eu lieu autour des fautes du national-socialisme, au Japon nous assistons à une façon ambivalente de regarder vers le passé.
Afin de fournir quelques points de référence théoriques, les éditeurs font appel à certains instruments conceptuels empruntés à d’autres disciplines, cette approche se retrouve également dans d’autres textes analysés et elle est révélatrice de la tendance interdisciplinaire de la recherche historiographique actuelle.
Sous le concept de {“cultures de la mémoire” (mais probablement la traduction plus appropriée serait « traditions de mémoire ») sont réunis trois groupes de phénomènes}} :
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1) L’analyse des tentatives concurrentielles de la part des groupes d’intérêt opposés, d’établir un monopole de l’interprétation historique et de la mémoire ;
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2) Les intérêts de différents groupes sociaux et politiques ;
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3) Une série de canaux et d’instruments d’expression des cultures de la mémoire, parmi lesquels la recherche historique et le témoignage autobiographique, les médias et les livres scolaires, les discours politiques et les rituels religieux.
Ce concept, en langue allemande “Erinnerungskulturen”, a remplacé petit à petit en Allemagne la formulation moins neutre du « franchissement du passé » (Vergangenheitsbewältigung) et s’est tellement répandu que certains critiques parlent désormais de « culte de la mémoire » (Erinnerungskult) ou encore d’« industrie de la mémoire » (Erinnerungsindustrie).
Partant d’un champ d’études plus sociologique qu’historique dans la tentative de définir les bases épistémologiques et conceptuelles du débat autour de la mémoire, l’œuvre ne se base pas seulement sur le concept de mémoire collective, mais aussi sur les concepts de « mémoire communicative » et « mémoire culturelle ».
Introduction
L’introduction est constituée d’un chapitre sur la comparaison entre les trois régimes de guerre allemand, japonais et italien. Pour quelles raisons dans le deuxième après guerre se sont développées une mémoire officielle et une historiographie qui ont mis en exergue les différences entre les régimes alors qu’une perspective comparée a mis en lumière les similitudes ?
Au cours du processus de démocratisation de leurs systèmes politiques, les Allemands, les Italiens et les Japonais ont du faire face à la catastrophe de leur propre passé de guerre. Le fait que cette confrontation dure jusqu’à aujourd’hui témoigne que ces peuples ont des difficultés à « faire les comptes » avec cette partie de leur histoire. Celle-ci est traitée de manière différente dans les trois pays, en fonction de la manière dont les trois pays sont sortis de la guerre.
Il est intéressant de remarquer que l’auteur fait un lien entre les processus de formation de la mémoire officielle et le processus de démocratisation dans les trois pays dans l’après guerre :
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D’après l’auteur de l’essai qui reprend une opinion du controversé historien du fascisme Renzo De Felice, pour les Italiens il était important de prendre de la distance vis-à-vis de l’holocauste et en même temps de leurs alliés allemands. De là naissent une identité et un consensus de l’après guerre basés sur la mémoire de la période entre 1943 et 1945 et sur la Résistance. Les crimes de guerre en Abyssinie, l’usage de gaz par l’armée Italienne, la politique de répression dans les Balkans passent en deuxième plan.
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Au Japon aussi la tendance a été de négliger l’alliance de guerre avec l’Allemagne et l’Italie. Dans la mémoire nationale a été souligné le rôle des victimes plutôt que les guerres en Manciurie.
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En Allemagne on a cherché à se cacher derrière l’instrument conceptuel du « totalitarisme » pour faire le bilan des crimes de guerre du nazisme. Selon l’auteur il est plus facile de s’imaginer des analogies avec l’Union Soviétique comme victimes d’un dictateur totalitaire plutôt que de reconnaître les similitudes structurelles avec l’Italie et les responsabilités historiques de l’Axe Roma-Berlino et du pacte pacte anti- komintern (Le Premier congrès de la Troisième Internationale communiste).
Poursuivant la lecture des essais, on découvre d’autres mécanismes « politiques » de la mémoire et de l’oubli. Voyons donc leur contenu avec le soutien de l’introduction faite par les éditeurs.
Première partie : la reddition des comptes du vainqueur
La première partie traite des mécanismes de la mémoire. Les essais de cette section analysent la façon dont ont été traités les vaincus et les « bourreaux » après la fin de la guerre
Selon Cohen, la construction de la mémoire officielle dépend des stratégies politiques et du contexte politique actuel.
Woller montre comment en Italie l’usage politique du passé et de la mémoire et la façon dont la période de la guerre a été élaborée étaient strictement liés au processus de développement des institutions de la jeune République. Il décrit également comment certains choix politiques ont amené à une image limitée du fascisme dans la mémoire collective.
Seraphim explique comment au Japon les blessures du procès des criminels de guerre sont encore ouvertes après tant d’années.
Deuxième partie: La démythification de la figure des puissants
Dans la deuxième partie Mommsen, Campi et Schwentker analysent respectivement les figure d’Hitler, de Mussolini et de l’empereur japonais, avant et après 1945.
En Allemagne les derniers jours avant la chute, Hitler avait déjà perdu sa popularité.
En Italie il y a une différence entre l’image que les intellectuels de gauche avaient de Mussolini et celle des masses qui avaient plutôt la tendance à l’humaniser.
L’empereur japonais est resté avant et après la fin de la guerre le garant de la continuité de l’Etat. La faute de la défaite a été attribuée à ses conseillers et ministres.
Troisième partie : le rôle de l’historien et l’interprétation du passé
En Allemagne de l’Ouest l’historiographie était divisée pas uniquement conformément à une ligne générationnelle, mais également entre une mémoire du National-socialisme plus personnelle et une plus objective ((Cornelißen).
En Allemagne de l’Est des traditions historiques divergentes sur le national socialisme se sont développées sous l’influence d’un fort contrôle politique et dogmatique (Sabrow).
Au Japon les historiens (soit les historiens marxistes, soit ceux qui influencés par Max Weber, cherchaient de nouvelles impulsions interdisciplinaires) commencent à analyser l’ancien régime (Conrad) immédiatement après la fin de la guerre.
Quatrième partie : la mémoire de la dictature et de la guerre dans la politique et l’opinion publique
Dans la République Fédérale allemande l’élaboration de la mémoire de la période nazie peut être résumée par deux formules : « vainqueurs et vaincus » et « victimes et bourreaux » (Wolfrum).
En Italie le souvenir de la dictature a produit ses héros, les antifascistes et les partisans. Le souvenir de cette expérience représentait la légitimation morale du système politique sorti de la guerre et du référendum du 1946. Ce consensus prend fin dans les années ’90 à cause de la crise des partis politiques qui avaient historiquement fondé leur légitimité sur les valeurs de la résistance, dont la corruption a été publiquement prouvée au cours de nombreux procès. En Italie l’interprétation de la guerre est liée à la politique actuelle (Focardi e Mantelli).
Au Japon, à la différence de l’Italie et de l’Allemagne, l’antinomie entre vaincus et vainqueurs et entre victimes et bourreaux a joué un rôle mineur, mais comme en Italie, la fin des années ’90 a vu la naissance des courants révisionniste (Yuji et Kunichika).
Cinquième partie : media et mémoire collective
Dans la cinquième partie sont analysés :
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Le rôle de la télévision dans la BRD et notamment l’impact émotionnel du film « Holocaust » en 1978/79 sur le public et l’opinion publique de l’Allemagne de l’Ouest (Brandt) ;
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La façon dont, en Italie, l’histoire contemporaine est thématisée dans les livres scolaires de l’après-guerre (Cajanni) ;
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La façon dont les manuels scolaires japonais reflètent encore les divisions de la société japonaise et les problèmes de l’enseignement de l’histoire qui font fortement douter de la neutralité de la commission ministérielle qui examine les textes scolaires (Petersen).
Sixième partie : le rapport entre cultures de la mémoire et renouvellement générationnel
Dans cette partie l’auteur examine l’influence du renouvellement inter-générationnel sur les cultures de la mémoire dans les trois pays : en Allemagne un changement de sensibilité envers le passé récent commence déjà dans les années ’60 avec la protestation des jeunes (Schildt). En Italie l’élaboration du passé se vérifie notamment dans les années ’60 dans le cadre du monopole interprétatif du paradigme antifasciste. C’est seulement vers la fin du siècle qu’on assiste à un changement générationnel des mémoires de guerre, quand le paradigme antifasciste est mis en crise par les cultures révisionnistes de la mémoire (Klinkhammer).
Au Japon aussi les tendances conservatrices et révisionnistes sont en train de s’affirmer dans le contexte d’un débat publique partagé entre une interprétation de l’histoire du Japon comme « cas spécial » (comme un pays esclave de ses traces féodales) et comme « pays normal » qui comme les autres avant la guerre participe au système coloniale et impérialiste. (Ken’ichi)
Commentaire
En lisant certains titres des différentes parties qui composent l’ouvrage, on découvre qu’on est face pas seulement à des champs d’analyse historique, mais également à des processus actuels de politique internationale et des débats de l’opinion publique mondiale.
Le fait de comprendre le fonctionnement des mécanismes de la mémoire dans le processus de démocratisation d’un pays et l’usage de certaines analogies historiques et d’un langage évocateur dans le but de propagande, nous aident à mieux comprendre les mécanismes actuels de recherche du consensus et les motivations réelles des élites au pouvoir et des acteur collectifs.
Notes
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Fiche traduite de l’italien par Simone GIOVETTI.