Nathalie Cooren, Paris, février 2009
Une brève histoire de l’avenir, par Jacques Attali
Il existe une structure de l’Histoire qui permet d’en prédire le cours et « aucun empire, même s’il paraît éternel, ne peut durer à l’infini ». Par ailleurs, « l’homme n’a jamais rien bâti sur de bonnes nouvelles et les désastres sont le plus souvent les meilleurs avocats du changement ».
Réf. : Jacques Attali, Une brève histoire de l’avenir, Fayard, Paris, 2006.
Langues : français
Type de document :
Résumé de l’ouvrage
Depuis que la démocratie et le marché sont apparus, l’Ordre marchand évolue de siècle en siècle autour d’un lieu, d’une culture et de ressources financières : un centre unique, appelé « cœur », où se rassemble une classe créative particulièrement dynamique et innovatrice capable de transformer une révolution technique en services marchands puis en produits industriels de masse.
Au total, l’Ordre marchand aura connu neuf formes successives autour de neuf villes « cœurs ». Los Angeles, neuvième cœur depuis 1980, aura assis une domination sans précédent des Etats Unis sur le monde. Or, depuis des siècles, et dans la logique cyclique du cours du l’Histoire, les « cœurs » des différentes formes de l’Ordre marchand, tour à tour s’épuisent et disparaissent pour se réorganiser ensuite autour d’une autre ville, d’une autre ressource, d’une nouvelle « classe créative ».
C’est ainsi que vers 2035, la domination de l’empire américain, neuvième cœur de l’Ordre marchand, prendra fin, vaincu par la mondialisation des marchés et la puissance des entreprises. L’Ordre marchand deviendra alors pendant un temps, polycentrique avec une ou deux puissances majeures sur chaque continent. Mais cet équilibre ne pourra perdurer, le marché étant par nature conquérant, les démocraties de marché et le marché se livreront une incroyable bataille géopolitique pour la suprématie planétaire.
Se succéderont alors, 3 vagues possibles d’avenir :
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1/ L’hyperempire : vers 2050, la loi du marché l’emportera sur celle de la démocratie et l’ordre du monde s’unifiera autour d’un marché devenu planétaire, sans Etat, sans frontière et au destin déconnecté de celui des nations.
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2/ L’hyperconflit : puis pour mettre fin à la globalisation marchande, par nature inégalitaire, des guerres d’une extrême violence verront le jour ; ces guerres seront des guerres de raretés, de frontières, d’influence, des guerres opposant pirates et sédentaires ; sans Etat, la possibilité de canaliser la violence et de la maîtriser disparaîtra et si toutes ces sources de conflits se conjoignent, elles donneront lieu à un hyperconflit susceptible d’embraser la planète.
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3/L’hyperdémocratie : mais avant que le monde ne prenne l’allure d’un immense champ de bataille, avant que l’humanité ne mette ainsi fin à son histoire, de nouvelles valeurs conduiront à un rééquilibrage entre démocratie et marché à l’échelle du monde, à une hyperdémocratie planétaire.
Quelques éléments d’analyse
J Attali donne une vision du monde actuel et à venir d’autant plus pessimiste et alarmante qu’elle semble reposer sur une logique aussi terrifiante qu’implacable. En effet, lorsqu’il part du postulat que « l’Histoire obéit à des lois, qui permettent de la prévoir et de l’orienter » il semble annoncer un récit quasi fataliste de l’avenir de l’humanité.
Dans ces conditions, le pronostic est assez « limpide » : conformément aux lois de l’Histoire, lorsque d’ici 2035 prendra fin la domination des Etats Unis sur le monde, les forces du marché auront pris en main la planète, à partir de quoi déferleront trois vagues d’avenir, toutes aussi effrayantes qu’apparemment inéluctables : l’hyperempire, l’hyperconflit et l’hyperdémocratie.
Pour comprendre cette évolution de la domination marchande, cette victoire du marché sur la démocratie, conduisant à l’hyperempire, J Attali nous parle de la libération progressive de l’homme vis-à-vis de toutes les contraintes, de la primauté de la liberté individuelle sur toute autre valeur, de la confrontation entre nomades et sédentaires, de l’idéal judéo-grec qui s’installe et deviendra celui de l’Occident puis de tout l’Ordre marchand ; il nous parle de compétition, de rentabilité, d’innovation technologique, de réseaux, de dispersion, de dématérialisation, d’ubiquité nomade, de globalisation et de marchandisation du temps. Il introduit peu à peu des notions telles que l’hypersurveillance et l’autosurveillance…
Ainsi, de siècle en siècle l’ensemble des démocraties de marché rassemblées en un marché de plus en plus vaste et intégré, s’inscrira dans « un monde de déséquilibres extrêmes et de grandes contradictions ». Les citoyens de cet hyperempire ne seront plus liés par aucun contrat social et leur principale préoccupation sera de « se protéger et se distraire des peurs du monde ». Tel est le visage de la première vague d’avenir, une « société planétaire volatile, insouciante, égoïste et précaire », qui menacera de donner lieu à la deuxième vague d’avenir : l’hyperconflit.
L’auteur explique cette probabilité de l’éclatement d’un hyperconflit par la conjonction de plusieurs éléments parmi lesquels :
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L’avènement progressif d’un ordre polycentrique avec l’apparition de nouvelles puissances régionales qui voudront toutes avoir accès aux mêmes richesses. Ces nouvelles puissances, pour satisfaire leurs ambitions se doteront des moyens militaires proportionnels. Or « ces chocs d’ambitions pourront aller jusqu’à des affrontements militaires entre Etats ».
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La multiplication des acteurs de la violence du monde. Les mafias, les gangs, les cartels, les mouvements terroristes, que l’auteur nomme « pirates », plus nombreux et plus puissants que jamais seront devenus des agents essentiels de l’économie et de la géopolitique : ils infiltreront tous les secteurs de la vie publique sans qu’aucune police d’Etat ne dispose des moyens de les combattre. Ces bandes mafieuses et criminelles, mettront tout en œuvre pour détruire l’Ordre marchand. Certains de la « classe créative » de l’hyperempire, les hypernomades, se mettront à leur service en vue de contribuer à la déconstruction générale du monde.
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La colère des citoyens du monde :
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Laïcs. Les peuples à la fois mécontents d’un Ordre marchand source d’inégalités, de précarité, d’insécurité et d’injustices, et déçus par le marché et la démocratie qu’ils considéreront comme une illusion, un leurre, au service des plus riches, formeront une « coalition critique ». Les villes deviendront les principaux lieux de la révolte ; si quelques uns des contestataires proposeront un retour à la théocratie comme système de substitution, la plupart ne proposeront rien, se contentant d’exprimer violemment leur colère.
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Croyants. Selon l’idéal judéo-grec, l’Ordre marchand est perçu comme l’aboutissement bienvenu du progrès et de l’industrie. Mais pour d’autres croyants, cette logique du marché constitue un ennemi à combattre à tout prix. Ceux-ci reprendront à leur compte, certaines des critiques laïques émises contre le marché et la démocratie pour les mettre au service des revendications nationalistes et tenter de combler le vide spirituel et moral creusé par l’hyperempire. Par le recours à la force et à la violence s’il le faut. Deux grandes religions seront au cœur de cette bataille : le christianisme et l’islam.
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La sophistication des armes. Les nouvelles technologies permettront de développer de nouvelles armes, essentiellement fondées d’ailleurs, sur le concept de surveillance. Par ailleurs, des armes chimiques, biologiques, électroniques et nanotechnologiques, verront également le jour. Elles seront pour la plupart accessibles non seulement aux grands pays et grandes firmes qui y verront l’occasion de développer de nouveaux marchés, mais aussi, aux nations les plus petites, aux non-Etats, aux corsaires, aux pirates, aux mercenaires…. Quant à l’arme nucléaire, plus de 15 pays en seront dotés et disposeront des moyens de la lancer d’ici trente ans. « Le monde vivra donc de plus en plus hanté par la peur de l’anéantissement nucléaire, de la guerre miniaturisée, de la guerre en réseau, de la guerre suicide. »
Si tous ces facteurs de conflits venaient à converger, le monde deviendrait un immense champ de bataille où « s’entrechoqueraient nations, peuples mercenaires, terroristes, pirates, démocraties, dictatures, tribus, mafias, nomades, groupes religieux, se battant les uns pour l’argent, les autres pour la foi, le sol ou la liberté ».
Et c’est là que l’auteur nous donne un soupçon d’espoir considérant qu’avant que l’humanité ne s’autodétruise de la sorte, une prise de conscience de la gravité de la situation entraînera un regain de force pour apaiser les mœurs, ramener la paix et créer les conditions favorables à l’émergence d’une démocratie planétaire pacifiée, une hyperdémocratie animée par des acteurs d’avant-garde nommés transhumains et qui auront pour finalité première d’améliorer le sort du monde.
Commentaire: Les éléments fondamentaux qui doivent constituer la pensée pour la paix aujourd’hui face à la menace d’un hyperconflit planétaire
A la lecture de ce « scénario catastrophe » décrit par Jacques Attali, la paix apparaît comme un enjeu complexe, mettant en présence une multitude de facteurs et d’acteurs. Il s’agit de parvenir à vivre ensemble, en articulant diversité et unité. Mais pas seulement ! Pour vivre en paix l’ouvrage nous montre qu’il faut des repères, un équilibre entre acteurs, une autorité légitime capable d’arbitrer les divergences et de trouver des compromis, il faut des poids et contre poids, une juste répartition des richesses, et des valeurs partagées de tolérance, de respect, de confiance.
La paix n’est pas simplement la « non guerre », elle s’inscrit dans un cadre bien plus large, elle n’est pas que l’affaire des Etats et de la défense de leur territoire, elle est présente dans la sphère quotidienne, elle passe par l’éducation de tous et le respect de la dignité humaine. Elle dépend autant du citoyen le plus pauvre que de l’entrepreneur le plus riche ; elle est de la responsabilité de tout un chacun et dans l’intérêt de tous.
Dans le contexte explosif décrit plus haut, cette paix dépendra de la capacité à gérer et canaliser quatre types de conflits :
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Les guerres de raretés qui auront trait à l’approvisionnement en pétrole, à l’accès à l’eau potable ainsi qu’aux effets du dérèglement climatique.
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Les guerres de frontières qui auront pour objet soit de réunifier des peuples, soit de détruire un voisin, soit d’organiser une partition au sein même d’un Etat.
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Les guerres d’influence, qui auront pour objet, soit de détourner les opinions publiques des problèmes internes, soit de mener un combat idéologique ou religieux.
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Des guerres entre pirates et sédentaires : elles ont toujours existé et continueront de sévir : sur toutes les mers, la piraterie criminelle et politique continuera de faire la loi et d’attaquer les sédentaires sans aucun respect de la vie humaine.
Un certain nombre de thématiques apparaît dès lors fondamental pour penser la paix aujourd’hui, parmi elles :
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L’accès aux ressources:
Dans un monde où les ressources ont tendance à se raréfier, y accéder provoque bien souvent des tensions pouvant déboucher sur des conflits. La juste répartition des richesses et la gestion communautaire des ressources naturelles constituent l’un des enjeux de notre temps pour résoudre les problèmes de pénurie et apaiser les différends qu’elles suscitent.
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La gestion des revendications nationalistes, culturelles ou identitaires:
L’articulation des différences, la perception de l’autre en tant qu’ennemi, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le respect de l’autonomie de chacun….
Tels sont les enjeux d’un monde de plus en plus interconnecté, où la liberté des uns ne saurait exister sans celle des autres, tant l’interdépendance entre les peuples est devenue réalité.
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La gestion des revendications issues de groupements religieux désireux de conquérir le monde:
Le risque de l’instrumentalisation des religions au profit d’une minorité constituera – constitue déjà - une menace importante de notre temps. Ce risque sera d’autant plus grand qu’il y aura un vide spirituel et moral à combler ; or nous l’avons vu, l’un des effets de la victoire du marché est cet affaiblissement des valeurs, au même titre que la disparition de tout contrat social en même temps que la déconstruction des Etats.
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La gouvernance des relations internationales:
Le processus de démocratisation des pays de la planète doublé de la généralisation de la logique de marché auront fait tomber toutes les frontières et multiplié le nombre d’acteurs en présence ; nous vivons dans un monde où l’équilibre entre nations ne tient qu’à une égale répartition des forces entre marché et démocratie. Mais lorsque bientôt, le marché vaincra, des institutions de coopération locale, régionale, nationale, internationale seront plus que jamais nécessaires pour arbitrer les forces en présence, négocier des compromis et limiter le pouvoir du marché.
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La préservation des valeurs morales pour la cohésion et l’harmonie sociale:
L’individualisme, maître mot des temps modernes et fondement même de la logique du marché est une menace pour nos sociétés. Dans un monde où la compétition est la condition du progrès, où chacun devient le rival de l’autre, où l’égoïsme règne en maître, la solitude menace de se faire de plus en plus grande, et si rien n’est fait pour lutter contre cet engrenage, les valeurs de la famille et les valeurs morales telles que la tolérance, le respect, la loyauté ne feront plus partie de notre vocabulaire.