Larbi Bouguerra, Paris, septembre 2007
Istanbul annonce un projet de dessalement
Réf. : « Turkey : Istanbul announces desal project », Water 21 Global Digest, du 04 septembre 2007.
Langues : anglais
Type de document :
La ville d’Istanbul a annoncé qu’elle lançait un projet de construction d’une unité de dessalement pour mettre fin aux pénuries et aux coupures d’eau à répétition de la mégapôle. Le maire Kadir Topbas a affirmé que la ville allait demander aux entreprises du secteur spécialisées de présenter leur offre pour une étude de faisabilité sachant que, dans un premier temps, l’unité devrait produire 350 m3 par jour c’est-à-dire de quoi couvrir 10 à 15 % des besoins de la ville. Ce volume d’eau, provenant de l’unité de dessalement projetée, devrait venir s’ajouter à celui procuré par le projet de transfert d’eau à partir du fleuve Melen, projet dont le démarrage est prévu pour octobre 2007.
Commentaire
La ville d’Istanbul est la plus peuplée de Turquie. Elle compte plus de 8 millions d’habitants. Elle souffre, de manière récurrente, du manque d’eau et a déjà vécu un certain nombre de mouvements d’humeur de la population qui protestait contre les pénuries, les coupures voire le rationnement. Les quartiers pauvres ont particulièrement souffert.
Le dessalement, revêt dans certains pays, un attrait particulier : « moderne », à la pointe du progrès que seuls les émirats riches du Golfe peuvent se payer… Or, le dessalement nécessite une dépense énergétique fort importante et les pays du Golfe ont du gaz et du pétrole à profusion. Ils ne tiennent vraiment pas compte du coût énergétique du dessalement. De plus, pays désertiques, la fourniture d’eau de qualité a joué un rôle majeur pour la « légitimation » des émirs. Le dessalement a une connotation de politique intérieure importante. Le prix réel de l’eau dessalée est un secret d’Etat sous ces latitudes.
En fait, à côté de chaque unité de dessalement, il faut ériger une centrale électrique travaillant généralement à l’énergie thermique donc fossile. Ce qui signifie émission de gaz à effet de serre qui, à leur tour, vont encore perturber le cycle de l’eau (sécheresses, inondations…).
Il y a aussi la question du coût du mètre cube d’eau dessalée. Elle baisse mais n’en reste pas moins encore trop élevée même s’il est vrai que l’on a fait des progrès significatifs sur les performances des membranes semi-perméables nécessaires pour retenir les cations des sels (sodium, potassium, calcium..). Autre problème : les saumures résultant de l’opération de dessalement. On a là de véritables brouets toxiques composés de sels de métaux lourds, des composés contenant du brome, de l’iode, du chlore… Comment s’en débarrasser ? Deux options : l’injection dans les failles du sol mais on suspecte ces injections de provoquer des tremblements de terre ! En Californie, on a fermé les unités de dessalement à cause de ce risque. La seconde option est le rejet en mer qui a provoqué de véritables catastrophes écologiques en maints endroits : la salinité augmentant brusquement balaie toute vie dans le milieu récepteur. Pour ne rien dire des effets des métaux lourds et autres composés halogénés.
La municipalité d’Istanbul recourt ainsi à une coûteuse solution de facilité : le dessalement. On continue ainsi la politique de l’offre plutôt que d’axer sur la demande.
En outre, a-t-on fait les travaux nécessaires pour limiter les fuites et les pertes sur le réseau de distribution ? A-t-on inculqué aux gens les principes d’un usage économe de l’eau ? A-t-on formé les populations à mieux gérer le précieux liquide ? A-t-on pensé à recycler ?
Au pays du Tigre et de l’Euphrate, la gouvernance de l’eau s’impose – avant de recourir à un dessalement coûteux et perturbateur pour l’environnement - pour faire régner la paix et la concorde dans les grandes métropoles comme Ankara, Istanbul, Izmir… où la sécheresse a donné lieu à des manifestations au cours de l’été 2007.