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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Paris, juillet 2007

Le plus grand projet d’irrigation du monde

Le complexe de barrages que construit la Turquie dans les bassins versants du Tigre et de l’Euphrate est destiné - outre les retombées agricoles et énergétiques - à lui donner un énorme avantage stratégique dans la région.

Mots clefs : Fleuves et paix | Exploitation durable et responsable de l'eau | Aménagements hydrauliques pour la paix | Turquie | Syrie | Irak

Réf. : Dieter Telemans, « Troubled waters », BAI, Schoten, Belgique, 2007.

Langues : anglais

Type de document :  Ouvrage

La Turquie est, par les standards moyen-orientaux, un pays riche au point de vue hydraulique. Pourtant, ses habitants n’ont, à leur disposition, que le sixième de la quantité d’eau disponible, par tête, en Europe Occidentale. Les réserves d’eau turques vont encore moins suffire si l’on tient compte, pour l’avenir, de la croissance démographique, de l’élévation des conditions de vie et de l’industrialisation.

La Turquie vise à promouvoir la croissance économique et la stabilité sociale en optimisant ses ressources en eau et en sol. En 1977, elle a lancé un des plus grands projets de construction du monde en Anatolie du sud-est, la région la moins avancée du pays. Ce projet – appelé GAP pour Great Anatolia Project - consiste à construire 22 barrages, 19 centrales électriques et deux tunnels d’irrigation. Il coûtera 32 milliards de dollars américains et se propose de redonner vie à une région aussi vaste que l’Autriche et à fournir le quart de l’énergie électrique du pays. Il englobe en fait 10 % du territoire turc et intéresse 9,5 % de la population totale. La Turquie, ce faisant, veut créer 3,3 millions d’emplois et se suffire sur le plan alimentaire. On calcule que le revenu national augmentera de 12 % et que le PNB de l’Anatolie du SE sera multiplié par quatre.

Mais ce projet n’enchante pas tout le monde car il intéresse les bassins du Tigre et de l’Euphrate or, ces fleuves traversent la Syrie et l’Irak avant d’achever leur course dans le Chott El Arab et se jeter dans le Golfe Persique. La Syrie et l’Irak craignent que le GAP - maintenant que le barrage Ataturk et le système des tunnels d’irrigation de Sanliurfa (qui a déjà une centrale de 2400 MW) sont opérationnels - ne limite encore plus leur accès à l’eau de ces deux fleuves. La Turquie a donné son accord pour fournir 500 m3/seconde à la Syrie. Mais, ce pays en voudrait bien plus car il souffre déjà de pénuries et ne saurait maintenir son économie, à son niveau actuel, sans accroissement des fournitures d’eau. Dans le passé, Ankara a menacé Damas de réduire la quantité d’eau fournie comme mesure de rétorsion pour son soutien au parti kurde PKK. De son côté, l’Irak a menacé de porter plainte contre la Turquie devant les instances internationales pour refus de reconnaître les droits des pays d’aval enn vertu d’accords internationaux.

Le GAP devrait donner à Ankara un énorme avantage stratégique dans une région du monde qui souffre, de manière chronique, de manques d’eau. Pour les experts, au XXIème siècle, quiconque contrôlera l’eau au Moyen–Orient, dominera, dans une grande mesure, sur les plans économique et politique.

Traduction : Larbi Bouguerra

Commentaire

Il s’agit d’un projet pharaonique. A lui seul, le canal entre Sanliurfa et Mardin transporte l’eau de l’Euphrate accumulée derrière le lac artificiel du barrage Ataturk (achevé en 1990) vers le désert et en direction de la grande plaine de Haute Mésopotamie. D’ores et déjà, la plaine de Harran, en Anatolie méridionale, qui était auparavant un désert, est maintenant un énorme champ de coton par la grâce de l’eau d’irrigation provenant de l’Euphrate. Mais, de nombreux villages (exemple : le village de Halfeti englouti par les flots de l’Euphrate suite à l’érection du barrage de Birecik) ont été inondés bien qu’ils recèlent des monuments des périodes assyrienne, chrétienne, abbasside et ottomane de la Turquie comme, à titre d’exemple, le village de Hasankeyf. Pour ne rien dire des drames humains du déracinement et de l’adaptation à une nouvelle vie. Et pour ne rien dire des retombées environnementales du GAP. Quid du paludisme et de la propagation de l’anophèle ?

La Syrie et l’Irak ont essayé, depuis les années 1980, par divers moyens, de s’opposer à ces barrages et on a frôlé la guerre sous le régime de Saddam Hussein.

Seuls le respect des accords internationaux et les relations de bon voisinage devraient régler ce type de problème entre Etats que l’Histoire a liés par le passé. Mais, l’Etat peut-il être autre chose qu’un « monstre froid » doué d’un énorme et mortel égoïsme.