Larbi Bouguerra, Paris, juin 2007
Dans les camps de réfugiés au Soudan, les tensions montent autour de l’eau.
Au Darfour, la guerre et les sécheresses les plus sévères depuis 50 ans mettent au supplice les populations et les réfugiés des camps, déplacés par les hostilités. L’eau est au cœur du problème du Darfour… ainsi que le pétrole.
Réf. : 1- Katharine Houreld, « In Sudan’s refugee camps, tensions rise over water », The Christian Science Monitor, 15 mars 2005., 2- Fred Pearce, « When the rivers run dry. Water- The defining crisis of the twenty- first century », Beacon Press, Boston, 2006.
A Kalma – le plus grand camp de réfugiés des déplacés du Darfour, au Soudan occidental - des batailles font rage autour de quelques maigres provisions d’eau. Les blessés sont nombreux et la région vit sa plus terrible sécheresse depuis un demi–siècle.
Les humanitaires disent que les gens, en dépit de louables efforts - les camions–citernes font des rondes vingt quatre heures sur vingt quatre - n’obtiennent que six litres et demi par jour alors qu’il en faudrait dix.
Les hostilités au Darfour ont commencé en février 2003 et ont jeté dans les camps des milliers de personnes. 1,85 million d’autres ont du fuir leurs villages, abandonnant tout bien et tout bétail. Les gens des tribus africaines se sont en fait soulevés contre le pouvoir central à Khartoum à cause du manque de développement de la région ; le gouvernement a armé des milices qui ont attaqué les tribus. L’Union Africaine a envoyé deux mille soldats pour protéger la population mais l’ONU voudrait porter ce chiffre à dix mille.
A l’intérieur du camp, six cheïkhs (seniors) respectés, armés de gros bâtons, veillent sur la pompe qu’entoure une nuée de femmes. Ils sont là pour éviter les querelles qui dégénèrent en batailles car disent-ils avec sagesse : « Des petits problèmes naissent les gros ». Leur frayeur est que ces querelles allument des conflits ethniques. Les Fur et les Zaghawa sont les plus grosses ethnies mais il y a de nombreuses autres minorités au camp.
Dans les bourgs et les villes comme Kass, où il y a de nombreux petits camps de réfugiés, de fortes tensions existent entre les nouveaux arrivants et ceux installés là depuis quelques mois et qui considèrent que les ressources en eau leur appartiennent.
A Kalma, les femmes sont recouvertes de poussière et attendent impatiemment sous un soleil brûlant. Point d’ombre pour se protéger, les arbres ayant été utilisés depuis belle lurette, comme combustible et pour confectionner des abris de fortune.
Sous une tente, le Programme Alimentaire Mondial de l’ONU (PAM) est en train de distribuer du savon, du maïs, de l’huile et les femmes ont envie d’aller chercher ces biens mais elles ne veulent pas céder leur tour de collecte d’eau. L’ingénieur de l’assainissement essaie de modérer les craintes en promettant plus d’eau pour demain. De novembre à mars, la population du camp est passée de 80 000 réfugiés à 150 000 et l’approvisionnement en eau n’a pas augmenté : il y a un puits, cinq trous de sonde et dix huit pompes manuelles qui sont généralement taries dès le lever du soleil.
Début mars, un groupe d’œuvres de bienfaisance a installé des citernes et a commencé à pomper le puits 24 h par jour pour améliorer un peu la situation.
La sécheresse a aggravé la pénurie alimentaire puisque des centaines de milliers de paysans ont été contraints de quitter leurs terres. 1,5 million de personnes dépendent maintenant de l’aide alimentaire et le PAM prédit que ce chiffre atteindra 2,7 millions l’an prochain.
Commentaire
Ce texte vérifie une fois de plus, que le premier besoin des réfugiés, dans toutes les situations et partout sur terre, est le besoin d’eau et que, généralement, les réfugiés souffrent du choléra, une maladie hydrique non mortelle si on dispose d’antibiotiques.
Le plus poignant ici est que le Soudan ne manque pas, globalement, d’eau avec le Nil Blanc le Chott el Ghazal, le Sudd, ces vastes marais nilotiques, les barrages… Il y a un problème de gouvernance de cette eau. Il y a aussi les sécheresses récurrentes.
A l’heure actuelle, on parle beaucoup du pétrole du Darfour mais il ne faut pas perdre de vue que, John Garang, le chef de la dissidence chrétienne, de la tribu des Dinka – tué récemment dans un accident d’avion - a soutenu une thèse, dans les années 70, à l’Université de l’Etat l’Iowa, sur le canal de Jonglei et son iniquité car cet ouvrage allait vider de son eau le Soudan Sud au profit des Arabes musulmans protégés par Khartoum. C’est pourquoi les camps des entreprises creusant ce canal ont été attaqués par l’Armée de Libération du Peuple Soudanais en février 1984. Depuis, l’instabilité règne dans cette région du monde et les réfugiés souffrent des affres de la soif et de la faim pendant que les manoeuvres politiciennes de toute sorte continuent et que le Darfour - à son corps défendant - a été élevé à la dignité de problème politico-stratégique majeur par les jeux de la politique mondiale.