Larbi Bouguerra, Paris, mars 2007
L’eau entre pénurie, conflit et coopération
L’eau constitue sans aucun doute un problème majeur pour l’Humanité. Elle commande la pérennité de la vie sur terre. Mais, selon la Banque Mondiale, 1,3 milliard d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau potable et plus de deux milliards n’ont pas un assainissement adéquat. Un tel monde est générateur d’inquiétudes pour l’avenir et pour la paix.
Réf. : Synthèse de plusieurs documents UNESCO, FAO, Institut Québécois des Hautes Etudes Internationales et notre propre livre « Les batailles de l’eau. Pour un bien commun de l’Humanité », Editions de l’Atelier, Paris, 2003
L’eau, un élément géopolitique de premier ordre
Pour tous les observateurs – hydrogéologues, pédologues, biologistes, chimistes, politologues et diplomates - depuis le début de la décennie 1990, l’eau ne quitte pratiquement plus l’actualité. Les problèmes liés à la qualité et au partage de la ressource autant au sein des Etats – comme le montre le cas de l’Espagne en 2000 où la politique de répartition de l’eau entre les régions excédentaires du nord et les régions déficitaires comme l’Andalousie a suscité d’imposantes manifestations - qu’entre les Etats, sont maintenant récurrents. C’est ainsi qu’en 1991, dans un article de Foreign Policy, le Dr Joyce Starr, qui a travaillé à la Maison Blanche à Washington avec le Président Jimmy Carter, affirmait que les services de renseignement américains croyaient probable que l’eau devienne l’une des raisons principales des conflits dans au moins dix régions dans le monde et tout spécialement en Asie, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. L’eau, en fait, est devenue un élément géopolitique de première grandeur : comme ressource économique, comme source potentielle de tension voire de conflit et peut être aussi comme facteur de coopération et de collaboration entre les Etats pour le futur proche.
Quelques chiffres permettent de se faire une opinion.
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D’abord le primat physique : l’eau est en quantité finie sur terre mais c’est une ressource renouvelable via le cycle hydrologique qui puise son énergie dans le Soleil. Il s’agit cependant d’une ressource quasiment impossible à créer en quantité étant donné le coût énergétique exorbitant de sa synthèse(réalisée pour la première fois par le chimiste français Antoine-Laurent Lavoisier au XVIIIème siècle).
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L’eau recouvre néanmoins 72 % de notre planète. Les astronautes parlent de la planète bleue. Mais derrière cette apparente abondance, se cache une rude réalité : 98 % de cette eau est salée et donc ne convient guère aux besoins humains et à l’agriculture. De plus, les 2 % restants ne sont pas immédiatement mobilisables car il faut tenir compte des glaces polaires et éternelles, des glaciers (bien sûr, il y a, à présent, le réchauffement climatique), de l’humidité du sol et des aquifères et des nappes phréatiques inaccessibles. En fin de compte, seul un maigre 1 % de toute l’eau de la planète est à la disposition de l’homme.
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L’eau est essentielle à l’activité économique et pour la santé de l’homme et sa pérennité. On peut dire que l’économie utilise 92 % de cette eau et 8 % servent au secteur sanitaire. Lors de son passage à Paris, en 2002, le Premier Ministre chinois a affirmé que le développement économique de l’Empire du Milieu dépendait de la disponibilité de l’eau. Et, de fait, l’agriculture consomme 69 % de l’eau utilisée voire 90 % dans les pays en voie de développement (PVD).
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D’autre part, la FAO a mis au point une échelle pour juger de la situation hydrique des divers pays. Celle-ci fixe à 1 700 m3 d’eau par personne et par an la quantité suffisante. Entre 1 700 m3 et 1 000 m3, on parle de pénurie. En dessous de 1 000 m3 par personne et par an, on parle plutôt de stress hydrique. Dans ce dernier cas, le développement est gêné, l’exploitation des sols incorrecte et mène à leur dégradation d’où risque de famine ou de disette et donc de troubles sociaux voire de guerres.
En 1950, six Etats souffraient de pénurie d’eau et, à l’exception de la Libye, c’étaient des micro Etats insulaires.
En 1995, la situation s’est aggravée : on comptait alors 19 Etats en pénurie hydrique soit 165 millions de personnes habitant essentiellement l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. En outre, 11 autres Etats – soit 270 millions de personnes - sont victimes du stress hydrique.
Les projections pour 2050 sont encore plus alarmantes : 2,3 milliards de personnes devraient souffrir de stress hydrique et 1,7 milliard se retrouveront dans un contexte de pénurie hydrique. Depuis, il y a eu le Sommet de Johannesburg en 2003 qui promet de diviser par deux ces chiffres à l’horizon 2015 mais les spécialistes sont pessimistes au vu du peu d’empressement de certains à respecter les engagements pris en Afrique du Sud.
Selon les données actuelles, pour 6 milliards d’humains, la demande est estimée à 760 m3 par personne et par année. Or, la ressource présentement disponible est évaluée à 14 000 km3, ce qui représente 2 300 m3 par personne et par an. Si l’on admet que les besoins de la planète se situent à 5 000 km3 par année, il y a inadéquation entre ces deux types de données statistiques. C’est pourquoi, il faut apporter un éclairage qui permette de saisir la situation actuelle voire celle de l’avenir.
Tout d’abord, il faut tenir compte de l’inégale répartition de la ressource dans le monde. Le Canada, le Brésil, la Chine, la Colombie, la Russie et l’Indonésie possèdent la moitié des ressources en eau douce de la planète. Mais, la Chine qui abrite 21 % de l’Humanité n’a que 7 % de l’eau de la planète. Dans certains pays, il ne pleut pratiquement jamais : Arabie, Koweït, Somalie…
Il y a aussi la demande industrielle en augmentation en Inde, en Chine… et la demande explosive des mégapôles : Tokyo, Le Caire, New York, Lagos…
Si dans les pays riches, on assiste à une sorte de stabilisation de la demande (mais certains pays riches gaspillent énormément : Etats Unis, Canada..), il en va différemment pour les PVD où démographie, retard du à la colonisation qui n’a pas réalisé des infrastructures adéquates, développement économique, croissance urbaine, élévation relative du niveau de vie, mauvaise gestion… se conjuguent pour exercer une pression importante sur la ressource d’où pollutions multiformes. Il faut enfin souligner que l’eau en agriculture est mal utilisée puisque 45 % en moyenne de l’eau parvient aux racines de la plante.
Commentaire
Soulignons tout d’abord que il ne faut pas s’attacher à la valeur absolue des chiffres qui varient d’un organisme à un autre et d’une école de pensée à une autre. Mais, en général, la tendance générale et les grandes lignes restent les mêmes.
Pour améliorer la situation, diminuer la souffrance des populations et préserver la paix, la coopération et la technologie doivent être appelées à la rescousse.
Ainsi, dans les PVD, il faudrait populariser le goutte-à-goutte. Cette technique nécessite des investissements importants et les organismes bancaires internationaux devraient prêter main forte.
L’utilisation de l’eau dans les rizières devrait profiter des dernières avancées scientifiques car le riz nourrit plus de la moitié des humains. De même, pour la culture de la canne à sucre, du coton…
La gestion pacifique des bassins versants entre Etats devrait se généraliser pour amener la paix dans le monde comme on le voit en Europe pour le Rhin, le Rhône, le Danube…On a des modèles pour désamorcer – peut être- les crises autour du Nil, du Jourdain, de l’Euphrate, du Tigre, du Mékong…
Enfin, l’eau ne doit pas être soumise aux aléas du marché même si elle a un coût (extraction, traitement, distribution…) et des mécanismes doivent être mis en place pour assurer l’accès des plus démunis.