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Fiche de document Dossier : L’Art de la Paix

, San José Costa Rica, 2006

L’art de la paix. Ouvrage de Michel Rocard. Présentation générale de l’ouvrage.

La Paix, selon Michel Rocard, n’entre pas dans le domaine des sciences, moins encore de la stratégie: pour lui, la paix est un « art »

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Réf. : J. Garrisson et M. Rocard, « L’art de la paix », ed. Atlantica, Paris, 1997.

Langues : français

Type de document : 

Michel Rocard, ancien Premier ministre de la République française et actuellement membre au sein du Parlement européen d’une cellule de prévention des crises, est intellectuel dans la lignée des grands intellectuels français du siècle des lumières : il est un peu philosophe, un peu sociologue, un peu historien, et peut-être surtout homme politique. Il connaît bien le domaine de la paix et de la négociation pour la paix car il a longtemps œuvré pour celle-ci et participé notamment, dans le cadre de ses fonctions, à la négociation de traités pacificateurs (Nouvelle-Calédonie) ainsi qu’au processus de décolonisation en vue de l’indépendance de l’Algérie.

C’est en 1997, que Michel Rocard a écrit L’art de la paix, édité la même année comme préface d’une réédition de « l’Édit de Nantes », un traité de paix mis en place en France par Henri IV en 1598 et qui, en établissant la liberté de culte, de « conscience », mit fin aux incessantes guerres de religion qui divisaient la France depuis presque quarante ans.

Plus qu’une préface ou qu’une introduction, Michel Rocard se sert de l’Édit de Nantes comme point de départ d’une réflexion plus profonde sur la paix et les moyens qu’il est possible de mettre en œuvre pour l’imaginer, la construire, l’établir.

Tout d’abord, il semble judicieux de s’arrêter un instant sur le titre : la « paix », selon Michel Rocard, n’entre pas dans le domaine des sciences, moins encore de la stratégie.

Pour lui, la paix est un « art ».

  • Il s’agit donc, en premier lieu, d’une construction, d’une activité humaine. Ce n’est pas un phénomène naturel mais bien artificiel qui fait appel à l’intelligence et à l’engagement d’un artisan de paix. Prenant comme exemple l’élaboration de l’Édit de Nantes mais étayant également son propos avec des conflits plus récents, notamment ceux en Israël et au Rwanda, l’art de la paix montre de quelle manière la construction de la paix exige volonté, détermination ainsi qu’une série de conditions. En ce sens, l’auteur propose également une réflexion, une analyse plus profonde sur le conflit en général et les clés de compréhension indispensables à sa résolution, notamment la conscience d’être face à un défi, jamais face à une évidence. Si les hommes ne construisent pas la paix, celle-ci ne tombera jamais du ciel. Rocard est bien conscient qu’une bonne paix sera l’apanage d’hommes d’exception. Ceci dit, l’intelligence de ces chefs est avant tout une intelligence de caractère, un talent du négociateur dans l’articulation et dans la mise en œuvre de « règles étonnamment constantes ». Ce globe-trotter, provocateur de la paix, croit en l’existence d’une humanité « une » et entière. Les cultures différencient les hommes mais ces différences, constitutives d’une richesse pour l’humanité toute entière, viennent confirmer l’importance des éléments communs à tous les hommes. L’art de la paix renvoie à un apparent paradoxe sous jacent : l’étrangeté de l’homme pour l’homme en raison de son unique identité. « L’homme est un étranger pour l’homme certes, mais toujours aussi un semblable », selon Paul Ricœur (in Histoire et Vérité.).

  • En second lieu, il s’agit également d’un « savoir-faire » régi par des codes et des règles précises : la paix, si elle est une construction, ne peut être le produit de l’improvisation. Une première remarque s’avère nécessaire quant à la volonté de Michel Rocard de proposer au lecteur l’approche d’un art de la paix comme une constante historique. L’auteur fait référence à de multiples conflits étalés dans le temps (guerre civile française sous le règne d’Henri IV) et dans l’espace (israélo-palestinien et rwandais). De ce fait, l’auteur semble résoudre une aporie, il la transcende même, et traduit indéniablement une espérance, un espoir positiviste. D’après Michel Rocard, l’art de la paix s’apparente à une suite de principes immuables et compréhensibles par tous, autrement dit, à des impératifs catégoriques.

  • Enfin, une troisième idée semble être en corrélation avec la notion d’« art », celle d’une tâche durable, qui se travaille et se développe dans la durée. La pertinence de l’analyse de Michel Rocard est évidente lorsque son discours théorique rejoint sa pratique. Il a effectivement isolé son objet d’étude : le concept de paix. Michel Rocard se soucie bien de rédiger un traité quasi scientifique, tout en affirmant qu’il est un homme d’action. Car selon lui, c’est l’action intelligente et responsable, qui permet de construire dans la durée. Or, cette croyance s’applique également à la paix qui n’a de sens que si elle construite pour durer. En ce sens, il propose cinq principes constants, formulés comme des verbes d’action, ayant comme fonction d’inscrire l’action de construction de la paix dans le temps, dans la durée :

    • Vouloir la paix ;

    • Briser le tabou ;

    • Négocier ;

    • Equilibrer ;

    • Fonder.

  • Vouloir la paix

    • Vouloir : « Vouloir la paix n’a rien d’évident »

Vouloir la paix n’est pas vouloir la victoire, mais vouloir la paix de compromis.

C’est une démarche de la raison, une évaluation rationnelle guidant un choix.

  •  

    • Savoir : « La volonté sans savoir-faire n’est pas efficiente »

Penser le compromis par rapport à l’autre

Penser le compromis par rapport aux siens

  • Briser le tabou majeur

2 types d’enjeux : les intérêts et les symboles : « Au-delà de tout ce sur quoi on peut transiger, il y a souvent un fait dominant, un élément symbolique a priori non partageable autour duquel le conflit s’organise ».

Identifier et réduire le tabou majeur.

  • Négocier

Des aptitudes : « Un art véritable : le cœur en est l’aptitude à maîtriser intellectuellement chaque détail, quelque infime qu’il puisse être, sans jamais perdre de vue l’essentiel, c’est-à-dire tout à la fois les éléments majeurs du dossier et l’équilibre d’ensemble »

Des conditions :

Temps, information, discrétion

Confiance mutuelle : « Il n’est de négociations que de personnes »

Droit : question de la latitude juridique

« Le souci d’inclure dans la négociation les changements des règles de droit nécessaires pour que l’équilibre prévu par l’accord ne puisse être mis en cause dans l’avenir ».

  • Equilibrer

« Il faut que l’architecture d’ensemble apparaisse à chacune des parties comme respectueuse de son identité, des références majeures sur lesquelles elle ne saurait transiger, et respectueuse enfin, aussi strictement que possible, du rapport des forces sur la base duquel on a négocié »

  • Fonder

« L’édit de Nantes dans sa procédure d’élaboration, comme dans son contenu, me paraît profondément novateur, fondateur d’avenir au sens strict, ce qui est la marque d’une vraie paix »

  • « Construire la paix dans les âmes »

« Faire la paix n’est pas tout, il faut l’enraciner » : construire une culture de paix

Commentaire

Si l’on s’en tient à l’approche proposée ici par M Rocard, la paix semble donc être une construction humaine, répondant à des règles étonnamment constantes et qui se construit dans le temps.

En ce sens, la philosophie de l’ancien Premier ministre s’inscrit en porte à faux par rapport aux tenants de la Realpolitik. Il démontre son attachement à une approche rationnelle placée dans le sens de l’action. Pourtant, la modestie et la finesse du discours séduit à merveille le lecteur, car l’auteur est … un pragmatique ! Il a su étonnamment fondre son expérience de médiateur dans le conflit néo-calédonien et dans le succès de sa méthode « procédurale ».

Un ouvrage à lire par tous ceux qui s’intéressent à la construction de la paix.