Katia Bruneau, Paris, mai 2005
L’honneur des pauvres : valeurs et stratégies des populations dominées à l’heure de la mondialisation. Auteur : Noël Cannat.
Dans cet ouvrage publié en 1997, Noël Cannat, sociologue, nous livre ses notes de voyage, démontrant par des exemples et par des études de cas précises que nous avons un défi majeur à relever pour retrouver l’harmonie entre les hommes sur la planète : celui de construire la paix en réinventant l’avenir à partir des cultures et du regard enrichissant des plus délaissés par la mondialisation.
Réf. : Noël Cannat. Editions Charles Leopold Mayer, Paris, 1997
Langues : français
Type de document :
L’originalité de cet ouvrage réside dans le fait qu’il aborde la planète mondialisée comme une "ville monde" à plusieurs vitesses.
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Dans un premier temps, l’auteur part des relations conflictuelles entre les villes et leurs habitants, en ce qui concerne notamment les plus démunis.
Tout d’abord, les métropoles sont présentées comme un espace où le modèle social dominant, individualiste, compétitif, véritable rouleau compresseur de la modernité, a perdu sa capacité à rassembler et à intégrer. Puis, les mégapoles comme Shanghai, New York ou Tokyo, issues de la volonté des puissants et véritables fiefs de la vitesse, du profit. Ensuite, viennent les villes anciennes, fruits spontanés d’une succession d’initiatives populaires. Elles sont de plus en plus étouffées, remplacées par les villes nouvelles de type mégapole. Enfin, arrivent les bidonvilles, par milliers. Ce milieu urbain, mû par la volonté de survie de ses habitants ainsi que par la culture de l’urgence, se trouve en perpétuelle transformation.
Plusieurs mises en garde sont émises dans le document en ce qui concerne les initiatives de réhabilitations urbaines des quartiers précaires, mais il offre surtout des espoirs et des idées pour élaborer des stratégies d’aide à leurs habitants démunis. Il prône avant tout la revivification culturelle pour freiner l’aliénation identitaire. Convaincu de la nécessité de reconstituer les terreaux culturels, l’auteur nous invite à redécouvrir la mémoire des exclus, riche en savoir-faire, oubliée par une modernité qui représente la rupture à tous les niveaux avec le corps, les autres, la nature, le sacré, l’identité. Il propose d’amener les exclus à digérer la modernité à leur propre rythme, à parler d’eux-mêmes et de mettre l’accent sur l’alphabétisation pour transformer la violence en mots, améliorer la tolérance et faire reculer le racisme. Ceci n’est pas sans compter sur une véritable volonté politique de la part des autorités locales.
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Dans un second temps, l’auteur met en lumière la nécessité de trouver une pédagogie de la diversité culturelle.
En effet, l’auteur apporte son analyse personnelle au sujet des valeurs et stratégies de résistance culturelle en fonction des régions de la planète.
Il aborde plus particulièrement les rôles possibles de la culture dans la construction de la paix et dans le développement. La culture, souvent dotée d’un double rôle fondateur, puisqu’elle construit l’identité des personnes et qu’elle représente le moteur symbolique des sociétés, est soumise à un paradoxe : elle favorise certes le développement, donc la paix, mais sa diversité poussée à son comble peut générer des conflits dus au manque de compréhension mutuelle. De là, survient la nécessité de trouver une pédagogie de la diversité culturelle. Le document propose des pistes utiles à ce sujet. Il faudrait par exemple commencer par établir des rapports concrets entre les personnes de différentes cultures, faire tomber les idées préconçues, amorcer des mouvements collectifs d’échanges, accompagner les mouvements existants et engager des médiateurs interculturels.
L’auteur nous invite également à réfléchir sur la relation existant entre la culture, présentée comme une danse, une conversation continue, dont le rôle est de rassembler, et la civilisation, vue comme une organisation rationnelle de l’existence sédentaire urbaine. M. Cannat nous met en garde contre notre civilisation moderne qui détruit peu à peu la culture dont elle a été nourrie, l’objectif étant de remettre la civilisation à sa place subordonnée au savoir de la vie, au moyen de la revivification culturelle. Il présente ainsi de nombreux exemples où la culture fut capable de recréer la civilisation et cite, entre autres, l’action du PRATEC qui revalorise le savoir des indigènes péruviens, ou bien la fondation de la CUAVES, une communauté de sans-logis qui s’est imposée sur des terres vacantes, malgré la répression exercée par la dictature militaire. D’autres exemples édifiants montrent la force des opprimés, qui unis, peuvent réussir à déjouer certains pièges de la mondialisation. Ici, des pêcheurs indiens s’unissent pour lutter contre les grands pêcheurs industriels et trouver de nouvelles stratégies de survie. Là, des adversaires s’unissent pour créer des Comités de Paix en Inde et régler des conflits concrets posés par la cohabitation au quotidien.
Commentaire
Nous pouvons tirer de très bons enseignements de ce livre. Il est clairement le produit de la réflexion d’un homme qui connaît particulièrement bien la réalité du terrain. Grâce à ses voyages et à son métier de sociologue l’auteur a su élaborer une analyse très pertinente, parfois même extrêmement critique, sur les mécanismes mondiaux urbains qui produisent l’exclusion. Il nous apprend par ailleurs que pour lutter efficacement pour la Paix avec l’adversaire il faut d’une part s’attacher à "reconnaître le bien-fondé de son propos dans son optique", et "reconnaître le danger qu’il y aurait à enfermer le problème dans cette optique". Avec sa profusion d’exemples concrets, ce document est une véritable source d’idées, de stratégies et de solutions, dont nous pouvons nous inspirer pour la construction d’un monde plus solidaire et plus juste. Il offre un espoir à tous ceux qui œuvrent pour aider les exclus à retrouver leur place dans la société et pour recréer l’harmonie, dénaturée par la mondialisation et le libéralisme sauvage.