Cyril Musila, Bassin du lac Tchad et Paris, juillet 2012
Quelles perspectives de paix dans le Nord Cameroun et le bassin du lac Tchad ?
Une insécurité transfrontalière enracinée dans la topographie, les réseaux ethniques transétatiques, les dysfonctionnements administratifs et l’histoire politique de la région.
Le nord du Cameroun a, tout comme tout le bassin du lac Tchad, la réputation d’être une zone très fragile du point de vue de la sécurité. Cette étude, appuyée par une recherche de terrain en 2011, a démontré les leviers d’une insécurité transfrontalière qui s’inscrit à la fois dans la topographie, dans les réseaux ethniques transétatiques, dans les dysfonctionnements administratifs et dans l’histoire politique ancienne et actuelle.
L’insécurité dans cette zone repose sur un ensemble d’activités criminelles et illégales, de produits et de trafics qui se jouent des frontières nationales comme l’a montré l’analyse cartographique. Phénomène précolonial symbolisé par les razzias, cette insécurité a évolué pour prendre les formes récentes de coupeurs de routes et de vagabondage des groupes armés. Si l’accalmie est aujourd’hui perceptible sur les routes, où les exactions des coupeurs de routes et les razzias sont devenues rares suite à une politique militaire répressive et brutale, d’autres formes d’insécurité sont apparues. L’ampleur du trafic du carburant frelaté, les enlèvements et les rançons, l’escroquerie sur l’internet ou l’insécurité foncière à Kousséri sont les témoins de cette mutation. Des groupes d’acteurs ont articulé la porosité des frontières, les différentes formes de trafics, toute l’économie de la contrebande avec la circulation des armes et les rivalités identitaires.
Comme par le passé, l’insécurité dans cette région évolue selon différentes phases. La phase d’accalmie actuelle tient d’une part à la violence de la répression du grand banditisme et des coupeurs de route au cours des années 2000, et d’autre part aux différents trafics qui semblent occuper économiquement les populations tout en créant une sorte de tranquillité sociale par défaut. Cette accalmie apparente susceptible d’être mise à profit pour une restructuration des réseaux dormants, comme l’histoire de la région l’a montré, n’est pas totale. La violence de la secte islamiste Boko Haram, installée dans l’Etat du Bornou au nord du Nigeria, rappelle les fragilités sécuritaires du bassin du Lac Tchad.
En prenant en considération les dynamiques observées dans la zone, comment l’insécurité pourrait-elle évoluer dans les prochaines années ? Sans faire une fixation sur Boko Haram, il semble que ce groupe islamiste, élément récent dans sa forme actuelle, pourrait aussi être le levier d’évolutions régionales futures. Sa présence dans le nord du Mali pouvant servir de stage pour diversification territoriale. Le trafic de carburant, de stupéfiants et de toutes sortes de produits qui se développe pourrait quant à lui contribuer à constituer de véritables mafias transnationales, associées notamment au trafic de stupéfiants dans cette région. La brutalité de la répression militaire nigériane à son endroit de cette secte a suscité des sympathies qui ne sont pas circonscrites dans l’État nigérian du Bornou, mais concernent aussi d’autres États du même pays ainsi que dans les pays voisins, grâce aux réseaux de solidarités ethniques transétatiques. Une telle perspective demanderait à être étayée par une recherche plus approfondie qui croiserait des données de diverses institutions publiques nationales (Affaires étrangères, Intérieur, Défense, etc.), des administrations locales ou des compagnies de transport et des sociétés pétrolières ainsi que des institutions régionales (CEMAC, CEEAC, CBLT) voire transnationales (Interpol par exemple) qui n’ont été qu’effleurées dans cette note.
S’il est évident que l’insécurité prospère grâce à des dynamiques régionales et que ses acteurs bénéficient des réseaux transfrontaliers, les réponses des Etats ont plutôt été essentiellement centrées au niveau national et ont privilégié la répression militaire. Les politiques régionales tentées par la CEEAC ou la CBLT n’ont pas seulement coopéré pour entreprendre des actions cohérentes ou adéquates, mais ont surtout été rapidement inhibées par les préoccupations nationales. Les quatre États immédiatement concernés par le bassin du Lac Tchad, élargis au Niger, au Mali voire au Soudan auraient intérêt à constituer une synergie pour assurer la sécurité régionale ou une meilleure intégration régionale, notamment en matière de libre circulation des personnes et des biens. La synergie régionale devrait aussi s’appuyer sur la nécessité d’une formalisation progressive de l’économie dans cette zone charnière entre l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest. En effet, il n’est pas soutenable que des régions entières – voire des pays – dépendent de la contrebande pour l’emploi de la jeunesse et l’approvisionnement en carburant, quand on sait les dommages économiques et environnementaux causés au Nigeria par la pratique du « bunkering ».