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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Philippe Mazzoni, Grenoble, France, avril 1997

Quelle reconversion pour le plateau d’Albion ?

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Le site du plateau d’Albion est devenu célèbre à la suite de l’implantation, dans les années 60, de la Base Aérienne 200 et des 18 silos de missiles nucléaires, composantes de la force stratégique française. Mais depuis la décision du Président de la République d’abandonner cette composante de la dissuasion française en 1995, le site est voué au démantèlement. Depuis lors, sa reconversion est à l’ordre du jour.

La demande faite aux pouvoirs publics, essentiellement par la ville d’Apt (ville la plus proche, à 25 km), de bénéficier de l’implantation d’un autre régiment et/ou d’une autre activité militaire est loin de faire l’unanimité sur le plateau. Au contraire, la Coordination des Associations de Lure Lubéron Ventoux, qui a réussi le pari de fédérer plus de 150 associations locales, milite activement en faveur d’une reconversion civile. En particulier, l’Association pour la Défense et le Développement des Pays du Plateau d’Albion (ADDPPA) dénonce toute tentative d’implantation d’une autre activité militaire génératrice de nuisances, telle qu’une école pour pilotes d’hélicoptères par exemple. De plus, elle se bat déjà avec le Parc Naturel Régional du Lubéron contre les nuisances occasionnées par les survols, parfois à basse altitude, des avions d’entraînement de l’Ecole de l’Air de Salon de Provence.

Les études ont chiffré à 216 millions de francs la part de la base d’Albion injectée chaque année dans l’économie locale. Face à ce montant important, les associations font valoir les 960 millions provenant du tourisme et les 783 millions des résidences secondaires - total 1,743 milliards de francs, soit huit fois plus - qui pourraient être remis en cause par l’implantation d’une activité militaire génératrice de nuisances.

Des projets de reconversion civile existent et attendent que l’avenir militaire de la base soit définitivement tranché (école de pilotage ou chaîne d’assemblage d’hélicoptères, régiment de légionnaires, section d’écoute et de renseignement, ? …). Citons par exemple l’avant-projet présenté par M. Antoine Labeyrie, professeur au Collège de France, Membre de l’Institut et directeur de l’Observatoire de Haute-Provence : l’Université Thélème du 21e Siècle (UT21S). Ce projet est antérieur à la décision de désactiver la base d’Albion, mais pourrait trouver là l’occasion de s’implanter en utilisant l’infrastructure disponible, bien que son architecture ne corresponde pas exactement à l’esprit innovateur du projet initial.

En effet, le projet fait référence à la communauté laïque imaginée par Rabelais (Gargantua, LV), en opposition au système monacal, et se rapprocherait des grandes universités anglaises ou américaines implantées loin des villes. L’UT21S aurait l’apparence d’un village privilégiant l’utilisation de matériaux locaux, sans poteaux ni lampadaires sources de pollution lumineuse, avec des toits couverts de tuiles solaires. La nature sera aussi très présente : espèces locales, écosystèmes reconstitués, zone piétonne, pistes cyclables, petites maisons entourées de jardins…

Plusieurs activités de recherche et d’enseignement sont déjà envisageables sur le site d’Albion. Dans le site unique en France des postes de commandement souterrains situés sous 600 m de calcaire, l’Institut d’Astrophysique Spatiale de l’Université d’Orsay propose l’implantation d’un laboratoire de détection de particules cosmiques pénétrantes. Un laboratoire de robotique horticole s’intégrerait naturellement dans le projet. La piste d’aviation serait intéressante pour accueillir un laboratoire d’aviation solaire en collaboration avec des groupes de recherche allemands. Un laboratoire d’entomologie et botanique profiterait agréablement de la remarquable richesse biologique de la région, avec une orientation principale vers l’écologie moderne. Enfin, le site se prête particulièrement bien aux observations interférométriques des nouveaux télescopes. D’autre part, une partie des enseignements d’Astrophysique observationnelle du Collège de France pourraient y être dispensés.

Les crédits prévus pour la reconversion du site, de l’ordre de 20 millions de francs par an pendant plusieurs années, peuvent permettre de payer une quarantaine de chercheurs, professeurs et thésards. Il pourrait s’y ajouter la délocalisation d’autres chercheurs. Ces différents personnels seraient à même d’encadrer plus d’un millier d’étudiants ; ce qui correspondrait à la capacité d’hébergement et de restauration actuelle du site.

Lorsqu’on quitte la vallée du Rhône en direction du Mont Ventoux, on traverse d’abord les vignobles. Puis la végétation se transforme en garrigue, le vent souffle continuellement, le coin semble désertique. Et tout d’un coup, on bascule sur le Pays de Sault, le paysage change complètement, entièrement structuré par l’agriculture et l’élevage ; c’est une alternance de champs bien cultivés, séparés par des bocages, et dont les couleurs changent avec les saisons : prairies, céréales, lavandes. Un troupeau de moutons et de chèvres nettoient le sous-bois, un couple de perdrix traverse tranquillement la route, le soleil est généreux tout comme les habitants avec leur accent provençal. Oui, ce pays est l’endroit rêvé pour le tourisme, le vélo, le logement en gîte ou chez l’habitant…

Du haut du Ventoux, la B.A. 200 est minuscule, la surface qu’elle occupe sur le plateau est minime, même la piste est à peine décelable. Plusieurs villages et hameaux sont visibles, pas d’industrie. Le réseau routier est dense et très entretenu du fait de la présence militaire. Certaines routes de campagne ont la largeur d’une autoroute et semblent mener nulle part, si ce n’est à proximité d’un grillage militaire qui délimite probablement un silo. Assurément, la reconversion du site ne doit pas être polluante pour ne pas nuire à l’économie rurale et touristique de la région. Les nombreux silos répartis sur le plateau, dont l’emprise au sol ne doit pas dépasser un hectare et sans construction importante apparente, peuvent aisément être rendus à la nature. Quant à la base elle-même, les bâtiments de sa « zone vie » n’ont rien de spécifiquement militaire et pourraient servir à d’autres usages civils. Un exemple d’une telle reconversion existe en France, et pour des bâtiments beaucoup plus typés, avec l’ancienne base aérienne du Bourget-du-Lac reconvertie en Université de Savoie et Parc technologique Technolac pour entreprises. Dans ce contexte, l’UT21S est un beau projet susceptible de réunir toutes les bonnes volontés et qui a toutes les chances d’aboutir.

On peut remarquer aussi que la reconversion du Plateau d’Albion se présente de manière originale dans le contexte français de fermeture de bases militaires et de dissolution de régiments. Alors que beaucoup de villes ou de régions se retrouvent sinistrées après le départ d’un régiment et demandent à cors et à cris la délocalisation d’autres unités à leur place, rien de tel en Pays de Sault où les habitants ne veulent pas d’une reconversion militaire et sont très méfiants par rapport à tout projet d’implantation d’une nouvelle unité, surtout si elle s’avérait bruyante (hélicoptères par exemple). D’autre part, on l’a vu, l’impact économique de la fermeture de la base n’est pas essentiel, et surtout les habitants sont motivés pour protéger leur environnement, structurés en associations, et font des propositions raisonnables. Gageons qu’en cette période de pénurie financière, le gouvernement français saura tirer parti de celles-ci et envisager le long terme.