Cluj, Roumanie, 2007
Vers un meilleur apprentissage des adultes dans les formations à la paix
Quels sont les facteurs à prendre en compte pour que les formations à la paix s’adaptent le plus possible aux besoins des personnes et des individus ?
Mots clefs : Théorie de la non-violence | Education à la non-violence | Résolution non violente des conflits | Intervention civile de paix
I. Conditions requises pour un apprentissage efficace
La plupart des participants débutent la formation à la paix avec certaines craintes et avec leurs limites personnelles. Certaines des craintes les plus fréquentes sont celles de voir ses faiblesses (perçues) exposées et d’être jugé par d’autres personnes. Gal Harmat fait remarquer qu’une des raisons pour lesquelles de nombreuses personnes se placent dans des modèles comportementaux professionnels classiques en formation est que cela leur procure un masque commun derrière lequel ils peuvent se cacher. Par conséquent, il est important que les formateurs contribuent à mettre en place un espace sûr où les participants puissent prendre des risques et s’aventurer en dehors de leur « zone de confort ». Encourager les participants à dominer leurs mécanismes de défense et à davantage se dévoiler est un aspect délicat mais important de la formation à la paix. Cependant, ceci ne devrait pas être confondu avec un travail psychologique profond comme une psychothérapie. L’objectif de la formation n’est pas de modifier des structures profondes de la personnalité mais de donner aux participants l’occasion de réfléchir à leur perception et leur interaction dans le monde et de les soutenir dans leur cheminement vers de meilleures pratiques en les aidant à prendre conscience de leurs comportements qui peuvent être bénéfiques ou nuisibles à leur environnement.
II. Priorité à l’individu
« Lorsque je dirige une formation, j’essaie de construire un groupe très solide et un espace sûr dans lequel les personnes peuvent partager leur expérience. Généralement, je suis le premier à me mettre en position de vulnérabilité, ce qui permet aux participants de progressivement s’exposer à leur tour. Le premier jour de la formation, les participants doivent s’habituer à de nouveaux environnements et de nouvelles personnes. Il est important pour les participants d’être à l’écoute de leur moi et de créer un lien avec autrui. Pour cela, j’utilise beaucoup de jeux et de questions telles que : qu’emmèneriez-vous sur une île déserte si vous ne pouviez prendre que trois choses ? Quel est votre livre préféré et pourquoi ? Quelle relation entretenez-vous avec vos frères et sœurs ? En partageant ce genre de choses en petits groupes et en réunions plénières, et en réservant du temps à des activités telles que le chant ou d’autres activités permettant de briser la glace, j’encourage les participants à ne pas se réfugier dans l’intellectualisme au début. Par exemple, les groupes composés de Palestiniens et d’Israéliens ou de Bosniaques et de Serbes veulent vraiment parler du conflit tout le temps et de la manière dont il les a touchés, et dire à quel point ils haïssent l’autre camp. Je n’autorise pas ce type de discussions avant qu’ils n’aient créé de liens entre eux et qu’ils n’aient appris à se connaître en tant qu’êtres humains, que ce soit par la danse, par un verre, un repas partagé ou par d’autres activités effectuées ensemble. En fournissant un espace sûr, il peut être toujours très difficile de parler du conflit, mais au moins, ce n’est pas explosif. » Gal Harmat, Université de Tel Aviv.
III. Les expériences des participants pendant la formation
Beaucoup de formateurs considèrent le partage, par les participants, de leurs expériences comme un élément déterminant de la formation à la paix. Il existe trois types fondamentaux d’expérience, qui peuvent être utilisés lorsque l’on travaille avec des méthodes de pédagogie expérimentielle et de facilitation :
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Tout d’abord, l’expérience personnelle des participants – par exemple, l’expérience des relations, des conflits, de la communication et de la prise de décisions ;
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Ensuite, l’expérience professionnelle des participants ;
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Enfin, leur « expérience de formation », ou celle acquise au cours de la formation elle-même.
En général, si la formation est fondée sur des expériences personnelles, les résultats de l’apprentissage sont meilleurs et la motivation des participants plus grande. Demetrio propose quatre principaux domaines d’expérience humaine desquels les adultes tirent le plus d’enseignements (Demetrio, 1995) :
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Amor – le domaine de l’affection, des relations humaines, de l’amitié et de l’amour ;
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Mors – le domaine de la souffrance, du conflit (négatif), de la perte et de la mort ;
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Ludus – le domaine des arts, des sports et du jeu ;
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Opus – le domaine de l’expérience et des compétences professionnelles.
Dans de nombreux programmes de formation à la construction de la paix, à la transformation des conflits et à la non-violence, l’importance de tous ces domaines est connue, mais ils ne sont pas toujours inclus dans le programme. L’un des objectifs de base de la formation à la paix est d’aider les individus à transformer leurs expériences négatives de conflit (mors) en des expériences plus saines (amor). Les formations contribuent à cela en donnant une place considérable à la dimension de ludus, en proposant des activités telles que des jeux de rôle, des simulations, des exercices de créativité et en utilisant l’art.
Il est bon de chercher des moyens pour les participants de réfléchir à leur propre expérience dans ces quatre domaines humains au cours des programmes de formation à la paix. L’une des façons de faire cela consiste à aider les intervenants à utiliser leurs expériences personnelles et à les relier à celles des personnes en conflit, comme le détaille Ouyporn Khuankaew :
IV. Relier son expérience personnelle à celle des personnes internes au conflit
« Souvent, en tant que personne extérieure, il est très facile de juger ceux qui sont internes au conflit. Mais, si nous parvenons à créer un lien avec leurs propres colères et leurs propres craintes, alors nous nous rendons compte que nous avons vécu des expériences similaires. Ce qu’il est important de se rappeler, c’est que tout conflit est plus grand que nos conflits personnels. Mais, si nous formons les intervenants à partir de leurs propres expériences, nous les aidons à comprendre la complexité et les contextes du conflit et à travailler avec sagesse. Alors, ils ont la possibilité d’avoir une influence sur le conflit grâce à la compassion. Cela aide les intervenants à prendre en compte les différentes parties au conflit. Plus une personne voit sa propre expérience de la vie et ses propres conflits avec sagesse et compassion, plus il y a de chances qu’elle comprenne ce qu’il se passe sur le terrain et qu’elle soit capable d’influencer le conflit d’une perspective véritablement humaine. »
V. Approches interactives de la formation à la paix
La prise en compte des expériences des participants apporte une nouvelle dimension à la formation qui serait un échec si le programme n’était constitué que de cours magistraux et du transfert à sens unique de connaissances du formateur vers les participants. L’implication de l’expérience personnelle présuppose que le noyau du contenu de la formation ne vienne pas de l’extérieur, mais plutôt qu’il soit révélé par le dialogue. Ce contenu peut alors être adapté aux connaissances, aux cultures, aux usages et aux aptitudes spécifiques des participants. Il devient quelque chose qu’ils peuvent considérer comme leur création. Si l’on utilise la terminologie proposée par J. P. Lederach, il semble qu’une tendance se dessine en faveur des approches interactives plutôt que prescriptives (cf. Lederach, 1995). Les formations de ce type sont considérées comme plus efficaces pour encourager les capacités locales à la transformation des conflits ; cependant, les experts Hagen Bernt et Ruth Mischnick restent sceptiques quant à l’intention de nombreux programmes de formation actuels de les appliquer réellement.
VI. Honorer les capacités locales
« La principale leçon que nous avons apprise lors des formations, c’est qu’il faut reconnaître les capacités locales. La plupart des formateurs arrivent avec un projet qu’ils ont l’intention de mener à bien mais oublient les connaissances ou les capacités locales de ceux avec lesquels ils travaillent. Quand les événements ne se déroulent pas comme ils l’avaient prévu, ils ne comprennent pas. S’il n’y a pas d’initiative au niveau local, les formateurs ne peuvent pas promouvoir leurs projets uniquement parce qu’ils pensent qu’ils ont quelque chose à offrir. Beaucoup d’institutions disent travailler en collaboration avec les capacités locales des personnes impliquées dans le conflit, mais en réalité, elles ne le font pas. Généralement, les organisateurs de formations usent de formules attractives dans l’intitulé de leurs programmes sans réellement faire ce qu’ils prétendent. On ne sait pas bien qui définit les paradigmes, qui dirige les programmes et qui définit les termes selon lesquels les programmes pour la paix et les formations à la paix sont organisés. Généralement, ce sont ceux qui ont l’argent et le pouvoir. Dans ces cas-là, le travail de paix se rapproche beaucoup de la poursuite de la guerre par d’autres moyens. »
Le processus d’apprentissage interactif constitue un défi pour les formateurs car cela leur demande de grandes aptitudes de facilitation (1). La pédagogie interactive se base sur la supposition que les formateurs ne sont pas nécessairement de meilleurs professionnels ou n’ont pas nécessairement des connaissances plus approfondies dans un certain domaine que les participants eux-mêmes. Dans le cas de la pédagogie interactive, l’aptitude la plus importante pour les formateurs est de savoir poser les bonnes questions au bon moment et de guider adroitement le dialogue de manière à aider les participants à réfléchir à leurs propres expériences et à développer de meilleures pratiques pour demain.
Il convient de noter que parfois, les méthodes de pédagogie interactive peuvent se heurter à la résistance de participants lorsque ces derniers s’engagent dans une formation en attendant de leurs formateurs la « meilleure recette » pour gérer les conflits.
VII. Les méthodes de formation interactives face aux défis culturels
De nombreux participants s’attendent à ce qu’on leur dise ce qu’ils doivent faire, mais dans certains pays et certaines cultures, ceci a une signification particulière. John Paul Lederach trouve que c’est un défi particulièrement intéressant dans l’espace post-soviétique. Dans nombre de ces pays, le modèle éducatif était traditionnellement très hiérarchisé et les enseignants fixaient ce qu’il était important de savoir, tandis que les étudiants devaient apprendre par cœur les informations qu’ils avaient reçues. Les personnes issues de tels milieux éducatifs basés sur la domination ne font parfois pas confiance aux formateurs – et ont même tendance à leur manquer de respect – si ces derniers ne leur disent pas directement ce qu’ils savent. Dans ces cas-là, il se peut très bien que les participants s’opposent à la création d’un espace plus participatif. Alors, pendant la formation, une sorte de « danse » a lieu entre les formateurs et les participants. Le formateur doit à la fois respecter et mettre en question ces attitudes et être assez humble pour accepter que des modèles éducatifs aussi enracinés ne changeront pas du jour au lendemain. Parfois cependant, des personnes ayant grandi dans ce genre d’atmosphère apprécient l’expérience des différentes approches et cette opportunité de partager leurs propres connaissances dans un espace de dialogue.
Notes
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Tiré de l’ouvrage : « Formation à la paix, Formation des adultes au travail de paix et à l’intervention civile de paix lors de conflits » ; Auteurs :Robert Rivers, Giovanni Scotto, Jan Mihalik et Frode Restad. Ouvrage réalisé dans le cadre du projet ARCA. Le projet ARCA (Associations and Resources for Conflict Management Skills) a été mis en place afin de contribuer directement à l’amélioration de la qualité, contenu et méthodologies des formations à la paix et à la transformation de conflits. Le projet, financé par la Commission Européenne, Socrates/Grundtvig1, comptait avec la participation 13 organisations originaires de 11 pays européens, dont le MAN (Mouvement pour une Aternative Non-violente), France.
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(1) : La facilitation est une approche éducative développée en premier par le psychologue américain Carl Rogers (Rogers et Freiberg, 1994).