Fiche de défi Dossier : Construire la paix aujourd’hui : la responsabilité des acteurs

, Paris, 2002

Le défi d’actions communes en faveur de la paix, menées par des acteurs à vocation distinctes

Le regard du CICR sur les liens entre actions humanitaires et économiques pour la reconstruction de la paix.

Mots clefs : Collaboration entre monde des affaires et secteur humanitaire | Lutte contre les inégalités et pour la paix | Droit international et paix | Droit humanitaire et paix | Respect des droits humains | Multinationale | Entreprise | Comité International de la Croix Rouge | Reconstruire une société | Permettre l'intervention humanitaire pour aider des victimes de guerre | Les Balkans

La préoccupation économique peut sembler éloignée des impératifs de l’action humanitaire et de la construction de la paix. Il existe pourtant des passerelles entre ces domaines d’apparence distincts. Un dialogue s’établit parfois entre les firmes privées et les ONG dans des régions où sévissent des conflits armés. Cette idée d’une responsabilité partagée non-seulement existe, mais elle s’affirme aussi de plus en plus nécessaire. A la condition que les principes fondamentaux qui guident les actions respectives de ces acteurs soient respectés.

La mondialisation renvoie les Etats, les Organisations non-gouvernementales (ONG) et le secteur privé à leurs responsabilités sociales. Un certain nombre de thème d’action investissent ainsi le champ des préoccupations internationales et affirment leur importance lors des rencontres et des discussions entre les nations : environnement, désarmement, droits de l’homme… Les passerelles qui s’établissent parfois entre ces acteurs sont l’occasion de dépasser les seules logiques de maximisation du profit ou de défense de ses intérêts nationaux. On constate ainsi, malgré les difficultés, l’engagement d’un dialogue.

C’est sur ce point que certains responsables de ces organismes, tel Paul Grossrieder, souhaitent mener la réflexion. Les multinationales ne sont pas des interlocuteurs habituels pour les organisations humanitaires qui s’engagent sur des terrains conflictuels. Ou plutôt, les relations qu’ils entretiennent relèvent davantage de la logique unissant un bailleur de fonds à un bénéficiaire que d’un partenariat. Certaines compagnies privées, notamment celles dont l’activité est l’exploitation des ressources naturelles et qui ne peuvent de ce fait pas délocaliser leurs structures, font pourtant bel et bien partie du paysage conflictuel. Dès lors, elles sont conduites par la force des choses à établir des relations avec les acteurs locaux, politiques, administratifs, militaires, forces de sécurité, et investissent de manière directe ou indirecte dans les conflits.

Il est important de prendre en compte cette situation, d’autant qu’elle s’accompagne souvent d’un affaiblissement de l’Etat, notamment pour ce qui est des services publics essentiels à la survie des populations. Le Comité International de la Croix Rouge (CICR), dont la priorité est la promotion des principes humanitaires, la défense de la dignité et de la vie des victimes de la guerre, se pose la question de l’intérêt du dialogue avec le secteur privé.

L’organisation humanitaire internationale s’est employée, dès la seconde partie du 20ème siècle, à établir des relations avec d’autres acteurs que les seuls Etats : groupes de libération nationale, guérillas, paramilitaires… Elle entend donc, dans un contexte où l’enjeu économique des conflits est un fait avéré, faire de même avec les entreprises susceptibles de jouer un rôle sur le théâtre d’opérations. Traditionnellement, dans les contacts qu’il établit avec les parties au conflit, le CICR effectue un important travail de diffusion du droit international humanitaire, fait part de ses critiques et de ses préoccupations lorsqu’il en constate des violations et privilégie le travail en profondeur plutôt que la dénonciation publique ou la mobilisation médiatique, qui n’interviendront qu’en dernier recours. Sa ligne de conduite est celle d’un dialogue franc et ouvert, fondé sur l’idée d’un engagement constructif avec certaines multinationales, dans le but de mieux assister et protéger les populations victimes d’un conflit. La question n’est donc plus de savoir si les relations avec le secteur privé est une bonne chose, mais bien plus d’en définir la forme, le contenu, les modalités et les mécanismes. L’idée, pour le CICR, est de formuler et de diffuser une sorte de charte de bonne conduite des “principes humanitaires pour les compagnies privées”, conduisant les entreprises à réfléchir sur leur rôle et sur l’impact de leur présence et de leurs décisions sur la situation humanitaire et le sort des victimes. Le CICR entend sur ces sujets avancer avec une grande prudence et de manière progressive, convaincu néanmoins que la construction de nouvelles relations avec les acteurs du secteur privé est susceptible d’avoir une influence sur le déroulement des hostilités et sur la reconstruction.

Le statut de Paul Grossrieder, directeur général du Comité International de la Croix Rouge (CICR) et donc spécialiste des questions humanitaires, donne une indéniable légitimité à la réflexion qu’il propose autour de la question du dialogue entre les acteurs humanitaires et les représentants du secteur privé. Avec la mondialisation et les nouvelles lignes de force qu’elle dessine pour les relations internationales, c’est finalement l’équilibre même entre ces acteurs qui est en jeu. Et au-delà de la phase critique du conflit et de l’immédiat après-guerre, c’est une réflexion globale sur le lien unissant des acteurs aux vocations distinctes qui est suscitée, cela d’autant plus que les acteurs économiques s’affirment de plus en plus sur la scène mondiale comme des partenaires de première importance. L’on peut finalement s’interroger pour savoir si la logique humanitaire, indépendante et désintéressée, est compatible avec celle, mercantile et circonstancielle, des multinationales. L’exemple du CICR montre que des initiatives vont dans ce sens, et l’on peut supposer que l’on n’en est qu’aux prémices d’un dialogue plus régulier, plus approfondi, et donc plus durable et plus efficace. A deux conditions :

  • Il semble en effet difficile d’imaginer que des partenariats constructifs et efficaces voient le jour dans l’urgence des situations conflictuelles, s’il n’y a pas eu au préalable un travail visant à renforcer la connaissance mutuelle des acteurs humanitaires et économiques ;

  • Par ailleurs, l’établissement de relations plus abouties des ONG avec le secteur privé ne doit en aucune façon affaiblir l’engagement fondamental des Etats. C’est au contraire une relation tripartite qui doit se mettre en place.

Notes

  • À lire : Humanitaires et monde des affaires: quel dialogue pour quels objectifs ? ,in Revue française de géoéconomie (11 août 2001).

  • Voir également le site du cicr : www.cicr.org