Montargis, août 2007
Désir de médiation et délitement du lien social
Devenue une sorte de mode idéal de régulation des conflits du quotidien, la médiation se développe aujourd’hui dans tous les secteurs de vie sociale : médiation familiale, médiation dans le cadre des conflits sociaux, médiation en milieu scolaire, groupes de parole, etc. Ses buts sont donc variables et les moyens qui en découlent aussi. Elle est souvent présentée comme favorisant un retour à la communication, voire à la résolution des conflits.
Les conflits font partie de la vie, qu’il s’agisse des conflits interpersonnels, familiaux ou entre groupes sociaux. Cette variété de types de conflits entraîne celle des types de médiation, mais au-delà de leurs différences, et pour éviter les dérives idéologiques, il est nécessaire d’interroger les principes communs et les fondements éthiques des pratiques qui se mettent en place sous cette dénomination (1) : Le désir de médiation n’est-il pas le symptôme du malaise de la civilisation contemporaine et des effets de ce malaise dans le lien social ? A vouloir « gérer » les conflits et viser le bien entendu, certaines pratiques de médiation ne risquent-elles pas de participer subtilement au contrôle social ? Les conflits au quotidien sont très nombreux et sont habituellement auto-régulés par les personnes concernées, alors pourquoi recourir à la médiation ou la proposer ?
Une éthique de la relation d’aide
Comme dans toute relation d’aide, le praticien de la médiation construit son cadre d’intervention dans le respect des principes éthiques de base :
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Consentement libre et suffisamment informé pour les personnes participant à la médiation, secret professionnel.
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Discrétion et clarté de la part des praticiens,
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Libre adhésion,
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Confidentialité,
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Respect de chacun et de ses opinions,
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Limitation des échanges à l’objet de la médiation.
L’ensemble de ces principes, non réductibles à ses aspects juridiques, moraux ou déontologiques (2), autorise l’accueil de chacun, l’écoute, la création d’un espace de discussion, l’acceptation et le recueil du conflit. Ainsi, la libre adhésion signifie que chacun a le choix d’« entrer ou sortir » de la médiation. La confidentialité, elle, se pose comme condition de la confiance nécessaire pour déposer le témoignage d’une expérience vécue en lien avec le conflit.
L’invocation du respect de l’autre et de ses opinions oblige chacun à se mettre en lien psychiquement avec lui en sollicitant ses capacités d’identification. La limitation du cadre de la médiation à l’objet qui est à son origine interroge et précise le lien entre le problème concret rencontré par les parties et l’espace de médiation. Ces principes, instaurant un cadre et un espace nouveau, fonctionnent à la fois comme ouverture et réceptacle : des personnes et de la parole entre eux, mais aussi contenant des affects et des enjeux du conflit.
La médiation correspond à un double pari :
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Celui de restituer chez le sujet, sa capacité à parler de ses positions et à se faire entendre.
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Celui d’échanger sur ses éventuels parcours d’impasse.
Les pratiques par exemple de médiation familiale ou de gestion des conflits assument une fonction de liaison là où il y avait dé-liaison, mais aussi une fonction de synthèse, de mise en dialectique, de conciliation des contraires, de dépassement des conflictualités et de la crise.
Les caractéristiques de l’objet ou du dispositif sont nécessaires mais pas suffisantes pour assurer la fonction de médiation qui dépend aussi et surtout de l’investissement personnel et de la manière de s’en servir du praticien. En effet, pour que la médiation ait quelque chance de fonctionner, il faut qu’il y ait à la fois investissement du désir inconscient et détachement narcissique de l’objet. C’est une condition nécessaire mais aussi une limite à l’intervention du médiateur
Les limites et les risques de l’intervention du médiateur
Le médiateur opérationnalise une rencontre sur le plan technique mais il risque ce faisant de devenir lui-même un obstacle à la rencontre en prenant le devant de la scène par une attitude charismatique, en focalisant l’attention autour de lui ou de ce qu’il veut réaliser au lieu de se mettre au second plan dès que possible. Ayant rendu possible la rencontre, le médiateur doit estimer le moment opportun pour arrêter ou suspendre son accompagnement.
D’autres difficultés viennent du fait que le médiateur ne peut pas ne pas être traversé et porté par un environnement juridique, politique et social plus large, travaillé par la résonance personnelle des scénarios proposés.
Malgré cette résonance, il n’est ni un juge, ni un arbitre ni un conciliateur. Il s’engage à occuper une position tierce. La médiation exige le différé de l’immédiateté et la mise entre parenthèses des jugements moraux comme conditions minimales de la prise de distance par rapport à la situation et de la mise en route d’une élaboration suffisante de la pensée, de la réflexion et de la compréhension.
Le principe de non jugement n’équivaut pas à une pseudo neutralité bienveillante ni à une position d’indifférence dans la mesure où la médiation se soutient d’une position éthique de celui qui la pratique : écoute, fiabilité de sa parole, présence disponible, engagement à ne pas laisser faire ou dire n’importe quoi dans une position de passivité complice confondue avec la neutralité. La médiation ne consiste pas non plus à obtenir un résultat escompté par le moyen de techniques subtiles. Nul ne peut donc préjuger de son issue : le médiateur n’est pas tout-puissant et la médiation ne résout pas tous les problèmes. Elle obéit à des règles et nécessite un cadre adapté et différent selon les champs et les modalités d’intervention, mais traduisant un positionnement éthique clair et précis en rapport avec la fonction du Tiers.
Soutenir la fonction du Tiers dans l’espace intersubjectif de la parole
Loin de l’idéologie de la synthèse réconciliatrice à tout prix et de la transparence généralisée, la pratique de la médiation dont il est question ici nous oblige à penser la différence et le rapport à l’altérité. Elle nous oblige aussi à penser les missions concrètes des médiateurs, les limites de leur action et leur articulation avec les autres modes de régulation sociale pour interroger la manière dont nous percevons et traitons les causes et les effets des conflits entre individus, entre groupes et entre nations, à rendre compte dans l’après-coup de ses effets réels et de ses insuffisances éventuelles.
La médiation, dans son éthique, en appelle à la responsabilité des sujets d’exacerber les conflits dans la jouissance de la loi du plus fort ou d’en prendre acte dans un processus de transformation : elle le fait en rendant possible un dépassement du problème sous forme d’une réponse personnelle et sociale oeuvrant comme fonction de restauration de la personne et du lien social. Elle le fait en proposant un « entre deux », entre les protagonistes. Entre les histoires et les éprouvés personnels, elle rappelle la Loi dans sa dimension symbolique. Le Tiers agit comme créateur d’espace d’intersubjectif dans une dynamique propre permettant un jeu relationnel possible, un espace créatif de la parole (3). La médiation constitue finalement un pari sur nos capacités à penser et à respecter les différences, à trouver des compromis raisonnables en supportant la frustration, à écouter et à parler en son nom sans avoir peur des désaccords et des conflits inhérents à la vie humaine.
Jean-Pierre Durif-Varembont, Psychanalyste. maître de conférences en psychologie et directeur du Master professionnel de psychologie du lien social et de l’intervention psychosociale (Université Lyon 2). Co-auteur du livre avec Clerget J. et M.P et Durif-Varembont C., Vivre l’ennui, à l’école et ailleurs, Erès, 2006, auteur de deux chapitres in « Les violences en milieu scolaire et éducatif. Connaître, prévenir, intervenir », sous la direction de B.Gaillard, P.U. Rennes, 2005, il a publié de nombreux articles sur les violences et le rapport à la Loi. jean-pierre.durif@univ-lyon2.fr}
Notes :
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Jean-Pierre Durif-Varembont est Psychanalyste, maître de conférences en psychologie et directeur du Master professionnel de psychologie du lien social et de l’intervention psychosociale (Université Lyon 2). Co-auteur du livre avec Clerget J. et M.P et Durif-Varembont C., Vivre l’ennui, à l’école et ailleurs, Erès, 2006, auteur de deux chapitres in « Les violences en milieu scolaire et éducatif. Connaître, prévenir, intervenir », sous la direction de B.Gaillard, P.U. Rennes, 2005, il a publié de nombreux articles sur les violences et le rapport à la Loi. jean-pierre.durif@univ-lyon2.fr}
(1) Pour de plus amples développements, voir B. Gaillard et J.P. Durif-Varembont, La médiation à l’épreuve du « nous » social. Théorie et pratiques. Ed. L’Harmattan, 2007.
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(2) : Cf. P. Guyomard, Le désir d’éthique, Paris, Aubier, 1998.
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(3) : Durif-Varembont J.P. (1997) « L’éthique, espace créatif de la parole », Questions d’orientation, Revue de l’ACOP-France, édit. E.A.P, vol. 60, n° 1, p. 37-40.