Emilie Bousquier, Paris, 2006
La politique de lutte contre la pauvreté de l’Union européenne en Amérique latine
La pauvreté et les inégalités à travers le monde et surtout dans les pays en développement sont une calamité à laquelle tente de s’attaquer la Communauté internationale. En Amérique latine comme dans le reste du monde, la part de la population pauvre et soumise aux inégalités de toute sorte est trop nombreuse. L’Union européenne a fait de la pauvreté son objectif prioritaire.
I. Amérique latine : la cohésion sociale comme nouveau défi
Pour la première fois, lors du Sommet de Guadalajara, en 2004, l’Union européenne a encouragé les pays d’Amérique latine à s’interroger sur la gravité de leurs inégalités sociales et sur les moyens de les réduire. Par inégalités, on entend concrètement : l’accès à l’emploi, à la santé, à l’éducation et à la formation, aux techniques, aux infrastructures, à la terre, à l’eau, au crédit, aux subventions, à l’aide internationale, à l’information, aux marchés, à la justice, à la sécurité, aux relations sociales… Il est certain qu’aucun pays latino-américain ne peut relever seul les défis de la mondialisation et de la cohésion sociale, il faut donc trouver puis dégager des voies originales de coopération régionale, tout en respectant la diversité des pays et en offrant un soutien collectif aux réformes. Ainsi, dans son document de programmation de la stratégie régionale en Amérique latine pour la période 2002-2006, la Commission européenne prévoit que la réduction des inégalités doit être une priorité. Pour ce faire, il est nécessaire de :
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Mettre en œuvre des Stratégies de réduction de la pauvreté.
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Encourager des réformes économiques et sociales afin notamment d’intégrer les coûts sociaux dans l’économie par une fiscalité suffisante et efficace pour mener une action sociale.
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Promouvoir des politiques d’intégration sociale en s’attachant en priorité aux populations et groupes défavorisés de la société, les populations indigènes, les femmes et les jeunes.
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Favoriser les investissements dans l’infrastructure sociale (éducation, santé).
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Mettre en place ou consolider/moderniser les systèmes de protection sociale.
En effet, La manifestation la plus marquante du manque de cohésion sociale en Amérique latine est la pauvreté et l’inégalité, source d’instabilité. Ainsi, une répartition plus juste et équitable des richesses est le premier fondement de la cohésion sociale. Les principes essentiels sur lesquels se cimente la cohésion sociale sont la sécurité devant l’existence et la garantie de droits pour tous. Or, ce n’est pas le cas en Amérique latine.
L’Union européenne semble donc déterminée à soutenir des stratégies de réduction de la pauvreté, intégrant différentes dimensions tout en s’appuyant sur une analyse des contraintes et des opportunités propres à chaque pays en développement. On peut donc dire que la Communauté européenne promeut une approche intégrée qui considère l’économie, l’emploi et la cohésion sociale comme des éléments interdépendants pour lutter contre les inégalités. Les priorités doivent être fonction des besoins des pays et régions partenaires, avec un accent particulier sur les politiques sociales et fiscales pour promouvoir l’équité. Dans un premier temps, il faut identifier les inégalités structurelles, leurs enjeux et les acteurs sociaux impliqués. Ces inégalités structurelles traversent les anciennes catégories sociales, les familles, les ménages. Il est donc nécessaire, tout en tenant compte des différents contextes nationaux et locaux, de « déterminer, pour chaque enjeu considéré, les typologies d’acteurs les plus proches du jeu politique et social réel » (1).
Mais une véritable réflexion sur la cohésion sociale doit être menée afin de trouver des solutions qui contribuent à réduire la pauvreté, les inégalités et l’exclusion sociale dans la région. De toute manière, il est certain que les pays d’Amérique latine ne pourront prétendre à une croissance durable qu’à condition qu’ils traitent le problème de l’exclusion sociale à la source. « Les indicateurs socio-économiques des pays d’Amérique latine se sont rapprochés de manière significative de ceux définis dans les objectifs de développement du millénaire, notamment dans le domaine de l’accès pour tous à l’éducation primaire et aux soins de santé […] mais les efforts doivent être poursuivis afin de briser les processus autorenforçants d’exclusion économique, sociale et politique » (2).
Effectivement, la Commission déploie des efforts importants pour contribuer à trouver des solutions aux crises sociales qui ravagent le sous-continent. Il s’agit, ici, de donner des exemples concrets de l’application, par l’Union européenne, de sa politique de lutte contre la pauvreté et les inégalités en vue de promouvoir une meilleure cohésion sociale. En Uruguay, l’Union européenne a encouragé le développement social des zones rurales les plus pauvres dans le nord du pays. Dans le secteur de l’éducation, deux initiatives ont été adoptées en 2003. L’une appuie le renforcement progressif des capacités du gouvernement du Nicaragua à élaborer et gérer sa politique en matière d’éducation. L’autre concerne la promotion de l’enseignement secondaire au Honduras, et vise plus particulièrement les groupes sociaux les plus vulnérables et les moins favorisés par le développement. Au total, 770 millions d’euros ont été engagés et 390 millions décaissés (3), en 2003, au titre de l’assistance budgétaire en faveur de 19 pays d’Amérique latine pour les aider à appliquer leur propre stratégie de réduction de la pauvreté, faire progresser les réformes de la gestion des finances publiques et encourager les gouvernements à se concentrer sur les résultats. De plus, en Equateur, la Communauté européenne soutient le projet d’appui au secteur de la santé, la réforme du système de santé actuellement menée en vue de mettre en œuvre un modèle de soin intégral et interculturel fondé sur les soins de santé primaire, la promotion de la santé et la prévention des maladies (budget de 28 millions d’euro (4)). Dans ce secteur, l’Union européenne a également attribué des fonds au Pérou pour appuyer le système d’éducation et de formation professionnelle du pays. Ce programme de 5 millions d’euro (5) encouragera la compétition et la qualité de la main d’œuvre et stimulera le développement économique en recentrant la structure de l’éducation et de la formation professionnelles sur les demandes du marché de l’emploi, les besoins socio-économiques et le développement du pays. L’Union européenne, dans ce dernier projet, s’est d’abord placée en position d’analyse et d’évaluation de la situation et des besoins précis d’un pays en question avant de procéder à la mise en place de ce projet. C’est l’exemple même de cette approche intégrée dont on a déjà parlé antérieurement.
II. EUROsociAL : Une initiative de grande envergure de soutien à la cohésion sociale
La cohésion sociale est une dimension à laquelle l’Union européenne accorde de plus en plus d’importance dans le cadre de son partenariat avec l’Amérique latine. L’Union européenne et ses partenaires latins avaient d’ailleurs choisi de faire de cette question un des principaux thèmes du sommet UE-ALC de Guadalajara en 2004. Les conseils européens de Lisbonne et de Feira ont fait de la promotion de la cohésion sociale un élément essentiel de la stratégie suivie par l’Union européenne pour atteindre son objectif, qui est de bâtir l’économie la plus compétitive et la plus dynamique du monde basée sur la connaissance d’ici à 2010. Cette politique, dite stratégie de Lisbonne, met en lumière la méthode ouverte de coordination qui a pour but de faire connaître et de faire valoir les meilleures pratiques. Il est certain que cette stratégie va influencer la coopération entre l’Union européenne et l’Amérique latine ces prochaines années, même si aujourd’hui encore, elle n’est pas encore tout à fait à l’ordre du jour. Cependant, il est sûr que l’expérience acquise par l’Union européenne dans ce domaine pourrait être très instructive pour les pays d’Amérique latine et pourrait les aider à élaborer leurs propres stratégies de lutte contre les inégalités, l’exclusion et la pauvreté.
Ainsi, conformément à la stratégie régionale pour l’Amérique latine, une initiative de grande envergure a été mise en place par l’Union européenne afin de réduire les inégalités sociales dans les pays en développement d’Amérique latine ; ce projet a été approuvé en 2004 dans la programmation de l’enveloppe financière communautaire pour la coopération régionale avec l’Amérique latine. EUROsociAL, programme doté de 36 millions d’euro, dont 30 sont financés par la Commission européenne, a débuté en septembre 2005 pour une durée de 4 ans (septembre 2005-août 2009). Fidèle à l’engagement pris de soutenir la cohésion sociale en Amérique latine, la Commission a lancé ce programme afin d’aider les pays de la région à élaborer et à mettre en œuvre des politique sociales qui contribueront à réduire le fossé entre les riches et les pauvres.
Le programme EUROsociAL vise à renforcer la cohésion en créant, auprès des responsables de la définition des politiques publiques, la capacité nécessaire pour prendre en considération la dimension sociale. Il vise à faciliter l’échange et le partage des expériences mais également des bonnes pratiques entre les administrations publiques, les institutions européennes, latino-américaines et les leaders politiques des deux régions dans le domaine de la gestion des politiques publiques en faveur de la cohésion sociale. Pour ce faire, le projet porte plus particulièrement sur les politiques d’éducation, de santé, de justice, de fiscalité et d’emploi en tant que véritables vecteurs de cohésion sociale. Grâce à EUROsociAL, les personnes chargées de concevoir, d’adopter et de mettre en œuvre des politiques publiques influant sur la cohésion sociale en Amérique latine pourront donc, grâce à ce programme, observer, analyser et examiner les difficultés et les réussites rencontrées par les pays membres de l’Union européenne comme ceux d’Amérique latine dans la gestion de ces politiques comme moyen de réaliser la cohésion et l’intégration sociales.
L’objectif de cette initiative est d’accroître la sensibilité au niveau politique et d’améliorer la capacité des collectivités et des administrations publiques latino-américaines à développer des politiques sociales, à formuler et appliquer des projets efficaces de promotion de l’inclusion et de la cohésion sociales. Dans la poursuite de cet objectif, plusieurs activités vont être menées, et notamment le développement de bases d’information sur les populations défavorisées à travers des opérations de recensement et d’enquêtes, l’identification de politiques ciblées sur les populations pauvres mais aussi des actions de formation et de diffusion. Le programme prévoit également d’organiser des visites sur le terrain, de diffuser des méthodes se rapportant aux résultats, aux thèmes et aux volets qui ont un lien avec les problèmes de cohésion sociale. Ainsi, les meilleurs projets de communication d’expériences identifiés comme ayant un potentiel multiplicateur seront exécutés dans certains pays d’Amérique latine. Un comité de pilotage du programme est composé de la Commission européenne, de la Banque interaméricaine pour le développement (BID), du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et de la CEPAL. Son rôle a une importance considérable puisqu’il assurera, entre autres, la cohérence du programme avec les politiques de coopération mises en œuvre par les organisations multilatérales, évitant ainsi la répétition d’actions ou de projets.
Notes :
(1) : Lévy (Marc), Comment réduire pauvreté et inégalités – Pour une méthodologie des politiques publiques, op.cit., p. 20.
(2) : « L’Union européenne, l’Amérique latine et les Caraïbes : un partenariat stratégique », Commission européenne, op.cit., p. 29.
(3) : Commission européenne, Rapport annuel 2004 sur la politique de développement et la mise en œuvre de l’aide extérieure de la Communauté européenne en 2003, Luxembourg, Office des publications officielles des Communautés européennes, 2004.
(4) : Commission européenne, Rapport annuel 2005 sur la politique de développement et la mise en œuvre de l’aide extérieure de la Communauté européenne en 2004, Luxembourg, Office des publications officielles des Communautés européennes, 2005.
(5) : Idem.