Julie Noss, Paris, septembre 2006
Le défi d’aborder le double rôle de la culture dans la construction de paix : celle-ci peut être un facteur de conflit, ou un facteur de paix, ou les deux à la fois
Faire appel à un patrimoine culturel sous-jacent, à une dimension imaginaire, à un ensemble de symboles peut avoir autant de force au niveau politique, économique, idéologique que les événements politiques eux-mêmes. C’est dans l’intégration, l’utilisation, voire la manipulation de ces symboles que peut parfois se jouer le déclenchement d’un conflit, ou au contraire son issue.
L’interprétation des faits n’est jamais neutre. De même que diverses époques ont vu divers enjeux de conflits se succéder, diverses grilles de lecture de la réalité ont été élaborées, selon le contexte dans lequel elles s’inséraient. Les conflits qui ont suivi la guerre froide et les guerres d’indépendance ont été abordées selon un point de vue que l’on pourrait qualifier de pragmatique. Ne voulant plus revivre de grandes idéologies qui avaient dévasté l’Europe au cours du XXe siècle, il était temps d’analyser les conflits contingents comme des luttes pour l’appropriation de ressources, des guerres « rationnelles » en somme, même si toute la dimension culturelle, religieuse, et idéologique en était écartée.
Aujourd’hui, la tendance semble avoir été inversée. Le culturel, le religieux et les valeurs que ces facteurs comportent n’ont jamais été aussi présents dans l’analyse des faits. Certains faits culturels sont instrumentalisés, réinterprétés afin de satisfaire des intérêts stratégiques, pragmatiques, économiques, politiques etc. La mondialisation, l’instantanéité de la transmission des informations, la notion de « village planétaire » opère une sorte de promiscuité qui fait que certaines valeurs culturelles peuvent être partagées par des individus ou des communautés à des millions de kilomètres les uns des autres. Mais certains de ces processus d’identification, quelque peu illusoires, ont pour effet de s’approprier ces valeurs au nom d’intérêts qui n’ont alors plus rien de culturel.
Néanmoins, d’une manière générale, l’interprétation des conflits qui est faite par certains médias est souvent relativement simpliste : la complexité n’a que rarement sa place dans ces analyses, qui sacrifient trop souvent des interprétations exhaustives à des raisonnements partiels et unilatéraux. Or, ne pas accepter d’appréhender la complexité d’un conflit, c’est se conforter dans une vision simpliste du monde, faisant appel à des principes figés permettant ainsi de ne pas se remettre en question.
Un conflit intra-national ou international n’est jamais univoque, les causes ne sont jamais singulières et isolées. L’individu se forme, de par l’interface entre ses origines, son vécu, ses influences, son milieu, son héritage, ses relations, sa place dans une société, son regard sur celle-ci, une identité multiple et complexe. De la même manière, il peut sembler présomptueux aujourd’hui de vouloir réduire un conflit à un facteur unique, rangé dans une catégorie figée et bien délimitée : le culturel, le politique, l’économique, le religieux etc. Faire appel à un patrimoine culturel sous-jacent, à une dimension imaginaire, à un ensemble de symboles peut avoir autant de force au niveau politique, économique, idéologique que les événements politiques eux-mêmes. C’est dans l’intégration, l’utilisation, voire la manipulation de ces symboles que peut parfois se jouer le déclenchement d’un conflit, ou au contraire son issue.