Jean Marichez, Grenoble, July 2006
L’Intervention par actions civiles
Une Intervention civile internationale généralisée capable de contraindre un adversaire, stratégie interventionniste pour la résolution de conflits hors de nos frontières. A ne pas confondre avec l’Intervention civile (voir fiche d’analyse "Confusions…").
Aujourd’hui, les guerres ou l’oppression intolérable ont lieu en dehors de nos frontières et, bien souvent, nous sommes impuissants devant l’horreur et en sommes réduits à la regarder ou l’écouter par les médias. Spectateurs de l’inacceptable, nous nous en remettons à la communauté internationale qui bien souvent se révèle impuissante. Or dans les grands conflits, tout est tellement bloqué et passionnel que rien n’avance en dehors de puissants rapports de force. Si l’on ne contraint pas les fauteurs de guerre, ils ne s’arrêtent pas. Espérer le contraire c’est ne pas connaître la détermination, la passion ou l’aveuglement qui anime leur résolution. N’y aurait-il que les forces militaires pour faire pression alors que nous avons vu, dans ce dossier, la puissance des masses civiles quand elles parviennent à s’organiser ?
L’enjeu consiste à trouver un moyen d’exercer ce rapport de force sans arme depuis l’extérieur d’un pays en guerre imminente. De quelles sortes de forces dispose-t-on en dehors des moyens militaires ? Il y en a trois :
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La résistance de la population accablée par le conflit ;
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Les pressions de la communauté internationale ;
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Et peut-être une troisième à définir avec des pressions civiles de masse internationales.
Si la première force est disponible, il faut l’aider à s’organiser. Cela fonctionne, c’est la résistance civile de masse. Si la communauté internationale le peut, elle doit tout mettre en oeuvre pour soutenir cette résistance non violente. C’est en soi tout un programme. La seconde force est constituée des formes classiques de pression de la communauté internationale : suspension d’aides, blocages financiers, blocus, boycotts, etc. Mais ces deux familles de force ne sont pas toujours utilisables ou même suffisantes. Il reste la troisième, hypothétique à ce jour mais qui devrait être étudiée, les pressions civiles de masse que pourraient exercer des populations extérieures au conflit, une forme d’intervention civile internationale généralisée. Expliquons cela.
Elle consiste à utiliser la bonne volonté de centaines de millions de civils vivant dans des pays voisins qui ne sont pas concernés directement par le conflit mais qui peuvent, par de petites actions de leur vie courante, suivre les consignes d’un organisme international conçues pour obliger un gouvernement "proscrit" (ou boycotté ou mis à l’index…) à changer d’attitude ou à se retirer : l’employé du service expédition d’une usine bloque une expédition à destination du pays concerné, le technicien des téléphones crée une panne dans un central téléphonique ou un satellite bloquant ce pays ou même son gouvernement, le journaliste étranger ne relaie pas un discours haineux, des pilotes d’avion refusent d’aller dans le pays concerné, des employés de banque bloquent des échanges de fond à destination de l’administration proscrite, des ONG envoient par satellite ou autrement des programmes de télévision ou de radio dans la langue du pays pour dire la vérité, des gens font parvenir des informations par fax ou mail ou poste ou par personnes interposées à des amis ou à des personnes de leur famille dans le pays concerné, les gens s’informent par Internet, radio amateurs, fax, le douanier ferme les yeux ou fait du zèle, des actions de justice sont enclenchées, etc. Autrement dit, puisque la population d’un pays ne peut résister elle-même, la population des pays voisins, vingt fois plus nombreuse, agit à sa place mais d’une autre manière de façon à rendre la vie impossible au gouvernement proscrit. Les résistants sont moins efficaces du fait qu’ils ne sont pas sur place mais ils sont beaucoup plus nombreux et des millions de toutes petites actions ont un grand poids. A l’heure de la mondialisation, l’on n’imagine pas la quantité de choses qu’ils peuvent faire. A titre d’exemple, un pays peut provoquer l’effondrement du réseau électrique d’un pays voisin. Si les populations sont guidées par la société civile qui prend ici une importance majeure dans une fonction d’encadrement, si l’objectif est clair et le cadre des actions bien délimité, leur imagination trouve des myriades de petites actions qui répondent à l’objectif et s’inscrivent dans le cadre. Cela fait-il trop peur ? Sait-on que quelques agents d’EDF peuvent couper le courant d’un secteur, que des employés d’une centrale nucléaire peuvent créer des perturbations ? Ils ne sont contrôlés que par leurs entreprises qui les encadrent et empêche toute dérive ce qui nous permet d’avoir confiance. A juste titre car la société civile connaît son sujet.
S’il paraît difficile de mobiliser tant de monde, regardons ce qui s’est passé lors des conflits de Bosnie, et du Kosovo : à chaque fois, le battage médiatique mondial avait été tel que nos populations européennes et même moyen-orientales étaient sensibilisées. Chaque jour durant des semaines, les télévisions nous étalaient des images qui montraient la guerre et ses horreurs. Nous nous sentions individuellement impuissants mais beaucoup d’entre nous auraient été volontaires pour agir collectivement si des consignes claires et à notre portée avaient été fixées par les gouvernements de plusieurs pays. Par exemple, si l’on nous avait demandé de bloquer toute expédition vers la Serbie, s’il avait été demandé de couper le gouvernement serbe de toute électricité, liaison téléphonique, Internet, ou autre forme de communication par radio, satellite ou radar, certains blocages auraient été problématiques ou impossibles mais pas tous. Et si des dizaines de consignes de cette nature avait été données, nous aurions pu exercer une contrainte puissante sur le gouvernement serbe. Encore fallait il que l’Europe ou l’OTAN guide nos actions selon une stratégie étudiée et crédible. Car ces actions doivent être guidées et coordonnées d’en haut, les États doivent en rester les pilotes. Sur le terrain, les acteurs civils doivent être coordonnés par les organismes de leur société civile, eux même coordonnés par l’État. Et surtout, ces dispositions doivent venir en appui de la résistance du peuple concerné et en complément des pressions de la communauté internationale. Elles complètent un large dispositif et lui donnent une force imparable.
Une telle intervention civile internationale généralisée est une forme de résistance de masse qui n’a jamais été pratiquée mais qui aurait pu l’être pour la Bosnie et le Kosovo. Elle suppose des études importantes et adaptées à chaque situation mais pourquoi limiterait-on les études aux avions de chasse ou aux bombes ? Appelée "Intervention par actions civiles" dans le livre "La guerre par actions civiles" de ACD, elle consiste à aider les forces de paix d’un pays à réduire un pouvoir inacceptable, par des actions civiles dans un combat civil non violent total et général : des États et leur société civile agissent à distance, dans la mesure de leurs moyens, dans une stratégie "conçue pour vaincre". Elle n’est réaliste que dans la mesure où les populations sont médiatiquement sensibilisées et motivées pour agir. C’est une possibilité nouvelle, une retombée positive de l’hyper médiatisation et de la mondialisation de nos sociétés. Elle n’est pas sans poser de problèmes, elle n’est pas facile, mais elle peut parfois permettre d’éviter qu’un certain nombre de fous dirige leur pays, l’entraîne dans un génocide, une famine ou l’oppression.