Ficha de análisis Dossier : L’insécurité transfrontalière au Cameroun et dans le bassin du lac Tchad

, Bassin du lac Tchad et Paris, julio 2012

La réponse des populations et des États aux différents phénomènes d’insécurité transfrontalière

Des actions répressives pour faire face aux conséquences dramatiques de l’insécurité transfrontalière

Keywords: Seguridad y paz | Centroáfrica | Camerún | Nigeria | Chad | República Democrática del Congo | Benin

Ces différents phénomènes d’insécurité transfrontalière ont eu pour conséquence l’exode de près de 50 000 éleveurs mbororo de la RCA vers le Cameroun et leur réinstallation dans des campements avec l’appui des États et des organisations internationales (HCR). Ils ont également désorganisé l’économie pastorale en délocalisant le bétail du Nord-Cameroun et de la RCA vers le Nigeria, renchérissant de ce fait le prix de la viande dans des zones qui en sont très consommatrices tout en provoquant le durcissement du contrôle des mouvements frontaliers du bétail entre le Tchad et ses voisins. Les marchés de bétail ont également dépéri. Les répercussions de ces bouleversements ont été ressenties jusqu’au Nord-Est de la République Démocratique du Congo, où des éleveurs mbororo réfugiés, ou en quête de tranquillité, sont assimilés à un facteur d’insécurité, d’instabilité et d’attraction du crime organisé. Désertées par les touristes, les zones touristiques frontalières (par exemple, le Parc de Waza, à mi-chemin entre les villes de Maroua et Kousséri) ont vu leur économie péricliter alors que le foncier rural et urbain, subissant de fortes tensions, continue d’être source de conflits armés.

Les politiques mises en place pour tenter de faire face se sont résumées à des actions répressives. Les populations se sont organisées en structures d’autodéfense populaire et de « justice populaire » consistant en comités de vigilance dans les villages, comités anti-zarguina (contre les razzias) composés d’archers mbororo en RCA alors que, dans les villes, les voleurs étaient systématiquement lynchés.

Quant aux États, leurs actions du tout-répressif se sont caractérisées par une législation d’exception, dans le cadre d’une sorte d’état d’urgence sécuritaire marqué par le durcissement de la législation contre le vol aggravé, des exécutions sommaires « pour l’exemple » et la création d’unités spéciales de lutte contre la grande criminalité transfrontalière. Ainsi la RCA mit en place l’Office central de répression du banditisme (OCRB) alors que le Cameroun lançait le Groupement polyvalent d’intervention de la Gendarmerie (GPIG), les Commandements opérationnels, le Bataillon léger d’intervention (BLI) qui devint le Bataillon d’intervention rapide (BIR), pour circonscrire l’insécurité et escorter les voyageurs et/ou les marchandises. Ces politiques répressives sont décriées au niveau international (1) alors que des abus, des bavures et des écarts de comportements sont dénoncés au niveau national par des ONG. Quant à la police, avec l’appui d’Interpol Cameroun, elle a mis en place l’opération « Mbanda » pour le traçage des voitures et motocyclettes volées et le démantèlement des réseaux de ces trafics. Si des voitures ont été retrouvées et des réseaux démantelés entre le Bénin, le Nigeria, le Cameroun et le Tchad ou la RCA, il reste cependant que l’opération a manqué d’une stratégie globale réfléchie pour les suites à lui donner : que faire des voitures retrouvées ? Quelles formes de justice appliquer? Comment insérer cette opération dans la politique globale de lutte contre l’insécurité et la criminalité transrégionale au niveau des pays de la CEMAC-CEEAC- CEDEAO, etc. ?

En dépit de ces atteintes à l’État de droit, la machine répressive camerounaise a réussi à repousser les bandits vers la Centrafrique et le Tchad, où se reconstituent des bandes encore plus redoutables, établissant des liens entre acteurs de crimes et différents groupes armés qui menacent la survie des régimes tchadien et centrafricain.

Les politiques de sécurisation ont progressivement reçu des appuis et renforts techniques, en particulier le renforcement des capacités de la gendarmerie camerounaise en moyens aéroportés par la France et par le lancement du 1er BIR (Bataillon d’intervention rapide) dans le Nord-Cameroun et la formation puis le déploiement du 2e BIR le long de la frontière orientale du Cameroun. Par la suite, le Cameroun et la RCA organisaient une coordination des renseignements et des actions conjointes de leurs forces armées dont le résultat fut la libération de certains otages. Mais cette coopération resta très réduite et fut handicapée par la mainmise des rebelles dans le Nord-Ouest de la Centrafrique. Entre octobre et décembre 2005, des commissions mixtes Cameroun-Tchad et Cameroun-RCA débouchèrent sur une initiative tripartite Cameroun-RCA-Tchad dans la logique d’une mutualisation de leurs efforts dans la gestion commune des problèmes de sécurité à leurs frontières. Une fois de plus c’est la prégnance des rebelles dans le Nord-Ouest de la RCA qui inhiba les perspectives de coopération. De leur côté et de façon solitaire, les forces de sécurité tchadiennes effectuèrent des manœuvres et des actions sporadiques qu’elles eurent du mal à poursuivre sur le territoire centrafricain.

Néanmoins, avec la participation aux missions de paix de l’ONU et de l’UA ainsi que des manœuvres conjointes de la CEMAC et la formation universitaire des officiers (Cours supérieur de Yaoundé et École Awaé (2), etc.), une expertise technique et intellectuelle en matière de maintien de la paix a émergé au sein de l’armée camerounaise. Dans un autre registre de recherche de la sécurité transfrontalière, la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT) a mené à bien la démarcation des frontières dans le lac Tchad : les dissensions entre le Nigeria et le Cameroun ont été surmontées grâce à l’arbitrage du Niger et du Tchad tandis que des patrouilles mixtes ont été mises en place. Dans le cadre du programme de l’Union Africaine sur les frontières lors d’un atelier régional à la CEEAC à Libreville, ladite commission avait plus ou moins annoncé qu’elle allait s’intéresser aux questions de sécurité, elle a besoin d’outils techniques et institutionnels. Les tensions supplémentaires liées à l’assèchement du Chari, du Logone et du lac qu’elle projette de renflouer grâce aux eaux de l’Ubangui compliquent de mener à bien les deux les deux perspectives.

Alors que les réseaux de la criminalité et de l’insécurité ont usé des réseaux transfrontaliers pour prendre de l’ampleur, on remarque qu’à l’opposé, la coopération transfrontalière des États a été timide voire insuffisante pour conjuguer des efforts et réduire les menaces. Pire, avec le calme relatif observé, aucune stratégie de prévention ni d’anticipation n’est réellement visible, alors que les réseaux criminels transfrontaliers sont dormants, que les alertes sur la présence des armes parmi les civils sont nombreuses et que les différents trafics ainsi que la violence de l’extrémisme islamique de la secte Boko Haram est présente à quelques dizaines de kilomètres des frontières ou très loin de là, au nord du Mali (3).

Notas

  • (1) : International Crisis Group, « Cameroun : Les dangers d’un régime en pleine fracture », Rapport d’Afrique, n° 161, 24 juin 2010. Le Rapporteur National des Nations-Unies et Amnesty International se sont émus des méthodes de ces bataillons.

  • (2) : Située à Yaoundé, cette école est destinée à former, recycler ou perfectionner des forces de police du continent africain – de statut civil (police) ou militaire (gendarmerie) – dans les différents domaines qui intéressent les opérations de maintien et de retour à la paix civile.

  • (3) : International Crisis Group, « Mali : Éviter l’escalade », Rapport Afrique, n° 168, 18 juillet 2012, p. 17, note 125. Disponible à l’adresse suivante : www.crisisgroup.org/~/media/Files/africa/west-africa/189-mali-eviter-l- escalade.ashx