Patrice Mompeyssin, Paris, mars 2010
Contribution des forces armées à l’établissement d’un monde plus juste, solidaire et responsable
Qu’on l’appelle guerre, crise ou conflit, la confrontation entre les Hommes par la violence armée demeure une triste réalité et le restera pour de nombreuses années, voire pour l’éternité.
Hors légitime défense avérée, seul le Conseil de sécurité de l’ONU, qui doit être réformé profondément, doit garder la légitimité du recours à la force.
Agissant dans un environnement de plus en plus complexe, les « soldats de la paix » doivent avoir les moyens (équipements et règles d’engagement) pour remplir leur mission, dans le cadre d’une stratégie globale (civile et militaire) de rétablissement d’institutions légitimes et d’une vie normale. En d’autres termes, il est nécessaire d’appliquer un véritable art de reconstruction de la volonté de vivre ensemble des parties qui s’opposent, malgré leurs différences.
Si on considère le passé, on ne peut pas dire que le monde va plus mal, en particulier avec la fin des grands conflits inter-étatiques. Mais il reste de graves menaces et l’avenir est loin d’être assuré.
Que faire pour apporter prospérité, liberté et sécurité à tous ?
Les mesures sont d’ordre individuel et collectif.
Au niveau individuel
Développer le civisme (autre expression de la responsabilité ?), défini comme le dévouement individuel aux différents niveaux de collectivité (du local à l’international), selon les talents de chacun, les circonstances et la période de vie considérée. Le civisme, c’est aussi le sens des devoirs individuels vis-à-vis des autres. C’est enfin la capacité des êtres humains, par leurs actes quotidiens, leurs votes, leurs choix et leurs engagements, à contribuer personnellement au bien commun, c’est-à-dire à l’établissement d’un monde plus solidaire et plus juste. Certes, beaucoup savent montrer au moment des grandes catastrophes naturelles qu’ils peuvent être très généreux, mais cela reste bien éphémère et insuffisant. La logique des intérêts catégoriels et les égoïsmes individuels reprennent vite le dessus.
La jeunesse est bien sûr la cible privilégiée de l’enseignement du civisme. L’instruction spécifique dans les établissements scolaires doit avoir certes une place importante dans les programmes, et l’UNESCO a certainement d’ailleurs un rôle à jouer dans ce domaine. Mais ce n’est pas suffisant. La transmission de cette valeur de base est le rôle d’abord des parents, mais aussi de tous ceux qui sont en mesure de l’inculquer à leur niveau : associations, entreprises, élus, services publics (pompiers, police, etc.)
C’est enfin surtout par la valeur de l’exemple que ce civisme pourra s’imprégner dans les comportements des jeunes et des adultes. C’est une valeur naturelle, évidente, qui doit revenir « à la mode ».
Au niveau collectif
Redonner ses lettres de noblesse à la Nation, éventuellement déconnectée de l’État, considérée comme dépositaire d’une identité et d’une volonté de vivre ensemble sur un territoire donné, sous réserve d’exclure toute notion de supériorité et en l’inscrivant comme élément de la Communauté mondiale. L’article 15 de la déclaration universelle des droits de l’Homme reconnaît d’ailleurs que tout individu a droit à une nationalité.
Mais c’est un sujet très sensible et particulièrement complexe, surtout dès que l’on aborde la question des minorités, ou des zones géographiques à l’intérieur desquelles il y a imbrication de populations qui refusent de « vivre ensemble malgré leurs différences ». Le droit des peuples à disposer d’eux mêmes et la non ingérence dans les affaires internes d’un Etat sont deux principes du droit international qui peuvent s’opposer. L’exemple de l’auto proclamation de l’indépendance du KOSOVO le démontre. Celle-ci dérange tous les Etats qui font face à des mouvements régionaux indépendantistes ou autonomistes. On ne peut donner satisfaction à tous les particularismes et à toutes les revendications identitaires.
Alors que peut-on proposer ? L’idéal est de laisser choisir les populations concernées par referendum (cas de la Sarre en 1955). Mais ce n’est pas toujours possible ni souhaitable, car il faut que toutes les parties concernées soient assez sages pour accepter l’issue du referendum. Il faut donc un consensus préalable. L’autre solution est que les peuples en litige acceptent un arbitrage de la communauté internationale, même imparfait (ou qu’on le leur impose). Avec des personnes de bonne volonté, conscientes de leurs responsabilités, il y a beaucoup de formules possibles d’autonomie et/ou d’acceptation de particularismes plus ou moins importants.
L’essentiel est que les petites communautés soient respectées dans leurs droits et leur identité, par les Etats dont elles dépendent. En appliquant le principe de subsidiarité, Il faut donc promouvoir des combinaisons, souples et adaptées à chaque cas, des niveaux d’identité et d’autorité administrative, depuis la commune jusqu’à l’humanité, en passant par les collectivités territoriales, les « Etats » et les regroupements de ces derniers à l’échelle continentale, avec une vision renouvelée de la souveraineté nationale.
On a besoin des États, même s’ils sont mus principalement par les intérêts de leurs nations respectives. Sachant aussi souvent se montrer solidaires, ils ne peuvent faire preuve d’angélisme ou d’utopisme. Ils ont leurs contraintes et leur logique, mais ils doivent garder cependant, et chaque individu encore plus, un seul principe pour les guider dans leurs actions (comme boussole ou repère) ; celui de respecter toute personne humaine dans sa dignité, sa liberté et ses conditions de vie. C’est au système de gouvernance de les y aider ou de les y contraindre.
La formule de Pierre Calame, président de la fondation Charles Léopold Mayer est particulièrement juste : « La souveraineté des Etats n’est jamais qu’une souveraineté fonctionnelle. Sa légitimité résulte non d’un sentiment de propriété, mais du fait de se comporter en bon gérant, pour le compte de la communauté mondiale, de cette portion d’humanité et de territoire qui lui est confiée. »
Donner les moyens à l’ONU de mieux exercer son rôle en matière de sécurité en :
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lui donnant une meilleure réactivité et capacité de commandement militaire de niveau stratégique,
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lui donnant la capacité de contrôle de l’aptitude opérationnelle des forces mises à sa disposition,
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la dotant d’une force permanente légère de réaction rapide,
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réformant en profondeur le conseil de sécurité, pour qu’il soit plus représentatif des différents continents.
Sans garantie que c’est pratiquement réalisable, viser quand même à terme et par réductions successives l’élimination totale des armes nucléaires.
Cela suppose en effet que celle-ci soit générale, vérifiable et imposable à des proliférateurs (en volonté et en capacités). Pour un Etat détenteur, surtout quand il a été victime par le passé de plusieurs invasions, c’est une décision qu’il ne peut prendre à la légère et sans de sérieuses garanties. Un monde sans armes nucléaires ne sera pas obligatoirement plus sûr. Par ailleurs, la dissuasion nucléaire a certainement joué un rôle positif pendant la Guerre Froide. Elle a manifestement calmé le jeu entre l’Inde et le Pakistan. Malgré tout, un emballement de la prolifération n’est pas à exclure, avec des risques qui ne sont plus négligeables d’utilisation réelle, et on peut légitimement se poser la question de savoir si la solution ne passe pas par le désarmement nucléaire.
Cependant, même si les Etats détenteurs actuels acceptaient de détruire leur capacité dans ce domaine, il est probable que certains Etats chercheraient malgré tout à se doter d’armes nucléaires. Il faudrait donc que la communauté internationale soit capable de déceler les activités de prolifération et de les neutraliser. Cela signifie concrètement qu’elle devrait alors montrer la volonté d’aller jusqu’à la destruction préventive des installations de production illicites, après avoir appliqué toutes les mesures diplomatiques et économiques nécessaires, sans léser les populations civiles. On en mesure toute la difficulté. Mais on ne peut pas dire, a priori, que c’est impossible, qu’on ne peut pas « désinventer » le nucléaire militaire, et que le monde reste sûr avec plus d’Etats détenteurs. On a bien réussi à interdire les armes chimiques, avec des enjeux certes moins importants. Il faut donc au moins essayer sincèrement.
Cela suppose également un équilibre des forces conventionnelles au niveau mondial sur le modèle de ce qui a été fait en Europe
Mener une action vigoureuse pour réduire de manière drastique le nombre de victimes civiles dans les conflits.
Certes la Guerre suppose une prise de risque, et on ne pourra jamais empêcher des pertes civiles alors que toutes les précautions ont été prises de bonne foi. Certes, par rapport au passé, beaucoup de progrès ont été accomplis, mais ils restent encore insuffisants, parce que certains Etats ne prennent pas toutes les précautions nécessaires pour éviter les dégâts collatéraux (ou parce qu’ils pensent, à tort, que c’est une stratégie payante) et parce que des mouvements extrémistes utilisent des boucliers humains. Les deux attitudes sont tout autant condamnables. Tout est écrit dans les différents traités et conventions composant le droit des conflits armés. Il reste donc à les faire appliquer rigoureusement, en allant au-delà des résolutions du Conseil de sécurité, et en sanctionnant les manquements manifestes relevés dans les rapports d’enquête de l’ONU.
Les armements de haute technologie tirés à longue distance sont par ailleurs source de dégâts collatéraux s’ils sont mal employés, mais ils peuvent aussi apporter des solutions par leur précision, et par la possibilité de vérifier l’absence de civils sur les objectifs au moment même où la munition arrive. Les conflits asymétriques sont difficiles à gagner, mais il faut renverser l’asymétrie par une habile combinaison d’une politique de communication soulignant les crimes de l’adversaire, de l’habilité tactique et technique des hommes sur le terrain, dans le cadre bien sûr d’un véritable art de construction de la paix combinant actions militaires et civiles.
Promouvoir le développement des armes à létalité réduite, comme moyen complémentaire des armes létales, dans un cadre d’emploi qui ne prête à aucune ambiguïté au plan éthique, pour éviter justement les victimes civiles.
Les difficultés de mise au point technique et les coûts associés, les problèmes d’emploi tactique, et les considérations éthiques, ne doivent pas occulter l’intérêt que peuvent représenter ces armes, principalement dans des situations dans lesquelles des forces de défense et/ou de sécurité légitimes, engagées sous mandat de l’ONU dans une cause juste, risquent d’être débordées par une foule hostile manipulée, ou lorsque des combattants utilisent volontairement des boucliers humains civils.
Cela suppose de mettre en place les crédits nécessaires et de conduire les programmes à leur terme. C’est une responsabilité des Etats, qui devrait être soutenue par les institutions internationales et la société civile.