Fiche d’analyse Dossier : La politique américaine et ses évolutions depuis le projet du Grand Moyen Orient

, Paris, octobre 2006

Les relations américano-turques

Un partenariat stratégique.

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Les Etats-Unis et la Turquie

La Turquie est un pays à part au Moyen-Orient étant donné son absence d’identité arabe et sa positions proche des Etats-Unis et d’Israël.

Dès la fin de la seconde guerre mondiale ce pays menacé dans son intégrité par Staline, avait choisi fermement le camp occidental et adhéré à la doctrine Truman de 1947, tout en reconnaissant Israël et en intégrant l’OTAN. Après le 11 Septembre 2001, la Turquie est apparue comme confortée par les américains dans un partenariat stratégique plus étroit. Considérée comme une alliée, elle n’était donc pas directement visée par le Projet américain du Grand Moyen- Orient.

Cependant la relation turco américaine a rencontré depuis 2002 des limites nées de la nouvelle politique américaine au Moyen-Orient.

Dans une première partie nous verrons en quoi la Turquie est un pivot géopolitique (I), puis dans une deuxième partie nous aborderons les tensions américano-turques nées durant la Guerre en Irak de 2003 (II) ; pour finir nous analyserons les évolutions de la politique turque actuelle (III).

I. La Turquie, un pivot régional depuis la Seconde Guerre mondiale

La situation géographique de la Turquie est un atout déterminant dans la région. Divisée en deux parts inégales, elle est une liaison entre l’Asie et l’Europe. Grâce à ce positionnement la Turquie a eu une histoire riche en démêlés stratégiques.

Après la Seconde Guerre mondiale, l’Empire Ottoman fut démantelé et la Nation turque vit le jour. Elle adopta une position neutre pendant la Seconde Guerre mondiale et pu ainsi profiter du plan Marshall dès 1947. C’est un élément qui marqua une ligne de force de la présence américaine dans la région.

Durant la Guerre Froide, la Turquie accueillit des missiles censés encercler et dissuader l’URSS. Pour les Etats-Unis, la Turquie représenta dès lors, un partenaire stratégique dans la région malgré diverses tensions sur la question chypriote.

A la fin de la Guerre Froide, l’écroulement de l’URSS fit craindre à la Turquie de passer du statut de partenaire stratégique de premier choix à celui de partenaire secondaire. Mais la Guerre du Golfe de 1990, permit la réhabilitation de ce rôle primordial pour les Etats-Unis. En effet, malgré l’opposition de la population turque, le gouvernement décida d’autoriser les américains à se servir des bases militaires et appliqua les sanctions contre l’Irak, malgré son manque à gagner. Cet acte scella le renforcement de la coopération turco-américaine. La Chute de l’URSS permit aussi à la Turquie de renforcer son rôle de puissance régionale. En effet, les régions de la Caspienne et d’Asie centrale sont peuplées partiellement de musulmans turcophones (1). La Turquie entendit donc d’abord profiter du pétrole de l’Asie centrale et du Caucase pour sortir de sa dépendance à l’égard du Moyen-Orient. Pour Ankara, le but était de faire de la Turquie un pont entre l’Asie centrale et l’Europe et revaloriser aux yeux des Etats-Unis une situation stratégique.

L’appui de Washington lors de la signature de l’accord de Bakou du 9 octobre 1995 lui permit d’obtenir une décision de double tracé favorable à ses intérêts dans les Détroits du Bosphore et des Dardanelles.

A la fin des années 90, la Turquie occupa alors un rôle de puissance régional, renforcé par la signature en 1991 du « partenariat renforcé » turco-américain. Cet accord énonçait déjà les intérêts communs entre les deux pays qui souhaitaient l’émergence de régimes démocratiques et pro-occidentaux, la lutte contre le terrorisme et l’adhésion de la Turquie à l’Europe. Dès 1996, la Turquie, qui fut le premier pays musulman à reconnaître Israël, entama un rapprochement militaire avec les troupes israéliennes.

Le partenariat turco-américain se vit renforcé après les évènements du 11 Septembre 2001, la Turquie devint alors plus que jamais un allié proche des Etats-Unis dans la région et en Janvier 2002 fut signé un accord de partenariat stratégique entre les deux pays. La Turquie qui traversa alors une crise économique importante fut soutenue par des investissements américains. Les Etats-Unis la soutinrent également lors de sa candidature à l’entrée dans l’Union Européenne (2), ils semblaient ainsi y trouver un avantage stratégique (3).

II. La question irakienne

Le 1er Mars 2003, le Parlement turc pris la décision totalement inattendue de rejeter l’utilisation du territoire turc pour les troupes américaines en route vers l’Irak. Cette décision entraîna une crise diplomatique entre la Turquie et les Etats-Unis. Le pays qui avait servi de base arrière pour le nord de l’Irak et dont les liens étaient si étroits avec les Etats-Unis secoua tous les plans américains.

L’Irak est, et a toujours été, au centre des préoccupations turques, car elle représente de nombreux intérêts :

  • la Turquie souhaite préserver l’intégrité du territoire irakien à tout prix, en particulier dans la région kurde ;

  • la Turquie craint que des débordements en Irak ou une situation incontrôlée ait des répercussions sur la sécurité du pays ;

  • le nord de l’Irak est habité de turkmènes disséminés et leur protection est un enjeu ;

  • la Turquie ne possède pas suffisamment de pétrole et s’approvisionne en Irak.

Cependant le premier intérêt cité ici est bien le principal. La question de l’intégrité du territoire irakien a toujours préoccupé la Turquie. Le gouvernement ne veut pas d’un Kurdistan irakien indépendant qui pourrait être étendu au Kurdistan turc. Le mouvement d’insurrection kurde n’a jamais pu être étouffé. Le parti kurde de Turquie, le PKK, a été pourchassé par la Turquie jusque sur le territoire irakien car il y avait installé sa base arrière. Ils sont considérés par les autorités turques comme des terroristes, étant à l’origine d’une lutte de 15 ans avec l’armée turque, de 1984 à 1999, qui a coûté la vie à 30 000 personnes. Les différentes incursions que menèrent les turcs dans les années 80 et 90 ne furent contestées ni par le régime irakien, ni par les américains.

Concernant les incursions kurdes en Irak dans les années 90, elles ne furent à aucun moment condamnées par les Etats-Unis car la Turquie faisait partie de la stratégie d’endiguement de l’Irak et de l’Iran. De plus, les Américains ne pouvaient nier qu’une entité indépendante se formait au Kurdistan irakien ; or cela allait à l’encontre des plans américains.

La décision du Parlement turque d’empêcher les américains de se servir de leur territoire comme base arrière à l’attaque en Irak fut motivée essentiellement par cette crainte de voir se développer un Kurdistan irakien (3). Malgré les garanties américaines, la ville de Kirkouk fut assaillie par les kurdes en Avril 2003. Les turcs pensèrent envoyer des troupes dans le pays, et les Américains furent prêts à accepter jusqu’à ce que les kurdes irakiens appartenant au Conseil de gouvernement provisoire irakien profèrent des menaces.

Les Américains finirent par assurer à la Turquie qu’un Kurdistan irakien ne verrait pas le jour. Ce qui dans le contexte paraît réaliste car cette création entraînerait trop de réactions arabes, turques et iraniennes, vu la richesse de la région.

III. Les évolutions politiques en Turquie face à la relation avec les Etats-Unis

L’arrivée au pouvoir en 2002 de l’APK (parti de la Justice et du Développement), qui se revendique être un parti de « musulmans modérés », a fait craindre un changement radical des relations turco- américaines. Ce fut apparemment le cas lorsque la Turquie refusa l’utilisation de son territoire en 2003. La crise engendrée par cette décision fut grave et les relations en furent très largement altérées. Cependant ce différend fut atténué par la proposition du gouvernement turc d’envoyer des soldats en Irak, acceptée par le parlement, mais elle ne fut jamais mise en pratique. Aujourd’hui les relations entre ces deux pays semblent s’être remises de cet épisode bien que la question de l’Irak reste un point d’achoppement. A ce propos la Turquie semble plus que jamais entrevue comme un recours possible à la situation en Irak.

Contre toute attente et malgré la confirmation de l’APK au pouvoir, le 8 Juin 2005, le président américain G.W Bush accueillit le président turc Erdogan et fit la déclaration de la mise au point d’un partenariat stratégique entre les deux pays. Cette déclaration faisait suite au projet américain d’élever la Turquie en exemple démocratique dans la région. Le gouvernement turc, lui, misait sur l’appui des Etats-Unis dans leur lutte contre le PKK, dans les négociations sur Chypre et sur leur candidature à l’Union Européenne (4).

La fin 2005 et le début de l’année 2006 prouvèrent que le partenariat stratégique américain n’était pas à la hauteur des espérances. En effet, un pacte de ce genre impose d’adopter une même position sur tous les sujets, or la réalité fut autre, en particulier dans la région du Moyen-Orient. A sujet de l’Irak, la Turquie en n’engageant finalement pas de troupes dans le pays, ne s’est pas positionné en occupant et peut ainsi servir d’interlocuteur. De même en Syrie et en Iran, la Turquie a préféré adopter une position de dialogue et d’engagement, totalement opposée à la politique d’isolement menée par les américains.

Malgré les annonces de ce partenariat stratégique, la Turquie ne semble pas avoir repris de relations aussi sereines qu’avant 2003 avec les Etats-Unis. La politique menée par l’APK déplaît de plus en plus à certains milieux américains qui souhaiteraient voir une Turquie davantage soumise aux volontés américaines. Cependant, malgré les divergences d’opinion, la relation ne peut que durer par convergence d’intérêt. Aussi bien les Turcs que les Américains ont des intérêts énergétiques en commun dans le Caucase, en Asie centrale et au Moyen-Orient, et donc sont favorables à la démocratisation de ces pays. La Turquie dans un contexte aussi tendu qu’actuellement dans la région paraît plus que jamais être un allié nécessaire pour faire le pont entre l’Orient et l’Occident.

Notes

  • (1) Didier Billion, « La politique extérieure de la Turquie : une longue quête d’identité », Paris, l’Harmattan, 1997, p408-409.

  • (2) Hassan Basri Elmas, « Turquie Europe : une relation ambiguë », collection Pt Cardinal, édition Syllepse.

  • (3) Semih Vaner, « Turquie », édition Fayard, 2005.

  • (4) « Les Etats-Unis et la Turquie », Les Cahiers de l’Orient, 2004