Patrice Mompeyssin, Paris, mars 2010
Sécurité et gouvernance : contribution des forces armées à l’établissement d’un monde plus juste, solidaire et responsable
Tous les êtres humains aspirent et ont droit à la satisfaction de nombreux besoins qu’il est difficile de prioriser :
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vivre en sécurité et en paix,
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disposer d’eau, de nourriture et s’abriter des rigueurs éventuelles du climat (besoin en énergie),
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avoir la liberté, de se déplacer, du choix de leur mode de vie, etc.,
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avoir accès à la connaissance et à l’éducation, pour eux-mêmes et pour leurs enfants,
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se raccrocher à une (ou plusieurs) identité(s), que ce soit par leurs ancêtres, et/ou par une terre, et/ou par des idées (religion, culture, civilisation, doctrine philosophique, économique ou sociale).
L’Homme a en fait besoin de survivre, de dignité, de respect enfin de son identité et des valeurs auxquelles il croit. Il peut se révolter et prendre les armes dès lors qu’on veut le priver d’un seul de ces besoins fondamentaux. Ses difficultés sont souvent liées entre elles. Ainsi, c’est l’appartenance à une ethnie ou à une religion qui se traduit parfois dans les faits par un asservissement ou par des conditions de vie précaires. Le problème est alors à la fois identitaire et économique. Le courant de pensée auquel il adhère peut impliquer une organisation économique et/ou sociale. La lutte est alors à la fois idéologique et pour l’accès aux richesses.
Qu’on l’appelle guerre, crise ou conflit, la confrontation entre les Hommes par la violence armée demeure une triste réalité et le restera pour de nombreuses années, voire pour l’éternité. Seul le Conseil de sécurité de l’ONU, qui doit être réformé profondément, a la légitimité du recours à la force. Agissant dans un environnement de plus en plus complexe, les « soldats de la paix » doivent avoir les moyens (équipements et règles d’engagement) pour remplir leur mission, dans le cadre d’une stratégie globale (civile et militaire) de rétablissement d’institutions légitimes et de réconciliation des belligérants. En d’autres termes, c’est un véritable art de reconstruction de la volonté de vivre ensemble des parties qui s’opposent, malgré leurs différences.
I. Le cadre général
1.1. Les causes des crises et conflits (intérêts, identités et valeurs)
La compétition pour les ressources, ou pour défendre des intérêts, est assez naturelle, voire normale. C’est une réalité qu’on ne peut occulter, que ce soit bien ou mal. Il en a été ainsi depuis la nuit des temps. Il est difficile, voire impossible, de faire converger tous les intérêts particuliers vers un bien commun, ou de faire comprendre qu’ils convergent à terme vers celui-ci. L’intérêt général de la majorité heurte dans presque tous les cas les intérêts de minorités. Personne ne veut d’autoroute, d’éolienne ou de centrale nucléaire à proximité de sa résidence. La réduction heureuse de la consommation de pétrole entraîne la fermeture de raffineries, qui met au chômage leurs employés.
L’essentiel est d’organiser la compétition entre les intérêts, pour le partage des richesses, ou des nuisances, de manière à ce qu’il se fasse sans violence, avec des compensations justes pour ceux qui sont désavantagés ou lésés, d’autant plus qu’aujourd’hui, le risque d’épuisement des ressources et les capacités de destruction des armements sont à même de conduire à la disparition de l’humanité et de notre planète. La compétition économique peut même être souhaitable lorsqu’elle favorise l’innovation ou la baisse des coûts, à condition encore de respecter la dignité de chaque être humain, et ne pas priver certains des ressources minimales dont ils ont besoin.
La compétition pour l’identité et les valeurs est beaucoup plus contestable. La coexistence des cultures, des religions, des races, des civilisations, avec leurs valeurs, est aussi enrichissante (1), mais elle conduit hélas beaucoup trop souvent à la méfiance, au rejet et à la haine de l’Autre. L’affrontement devient totalement inacceptable dès lors qu’un parti tente d’imposer ses choix par la violence, voire d’éliminer ceux qui sont différents ou qui pensent autrement. Si cela va jusqu’au risque de génocide ou de crime contre l’humanité, la protection des populations menacées devient un impératif absolu et l’usage de la force légitime, sous mandat de l’ONU. Par l’éducation, le dialogue, la connaissance réciproque, on devrait pouvoir éviter aujourd’hui ce type de confrontation.
La question des valeurs mérite un développement particulier. Le mot est souvent employé, un peu trop sans doute, car il prête à de nombreuses ambiguïtés. Les lignes qui suivent visent à en démonter quelques-unes, sans prétendre en rien à un exposé général.
On dit : « nous nous battons pour défendre nos valeurs ».
Il n’est pas sûr que ce soit une bonne façon de réfléchir sur des « buts de guerre »…
D’abord, cela évoque une attitude admirable (mourir pour sa Foi), semble devoir rester une option individuelle, et évoque une motivation religieuse, de témoignage. Or, ce que nous cherchons, c’est une motivation collective, de l’ordre du civisme et du dévouement à l’intérêt général.
D’autre part, bien malin serait celui qui parviendrait, dans la société d’aujourd’hui, à mettre tout le monde d’accord sur la définition et le contenu des « valeurs » à défendre.
Aussi faut-il mieux accepter de dire que nous nous battons pour la défense de « nos intérêts ». Sur ce terrain, il est plus facile de mettre les citoyens d’accord, et d’emporter leur adhésion.
Pour ceux qui croient qu’il y a dans la vie et dans le monde plus que l’argent ou les intérêts matériels, il faut préciser que les intérêts en question ne sont pas réduits au commerce, à la finance ou au pouvoir, mais comprennent tout ce qui concerne la vie individuelle et collective dans notre société ; cela comporte donc la vie physique et morale, le choix de l’organisation politique et sociale, les libertés, la culture, la mémoire, etc.
Ainsi entendus, les « intérêts » ne sont pas si éloignés des « valeurs ».
Toutefois, ils sont une façon de dire que ces « valeurs » ne sont pas considérées comme des concepts plus ou moins abstraits, mais comme des éléments concrets de la vie des personnes et des communautés.
On nous dit : pourquoi chercher à imposer aux autres nos valeurs ?
Le problème n’est pas d’imposer aux autres nos valeurs, mais d’y être nous-mêmes fidèles. Ce qui est inadmissible par les autres, c’est de voir une société qui prétend leur imposer des valeurs qu’elle-même récuse dans ses comportements ou son fonctionnement.
Prenons un exemple. Les pays musulmans auxquels nous reprochons de ne pas respecter l’égalité de l’homme et de la femme, ni la dignité de celle-ci, ne peuvent admettre cette attitude de pays qui, dans leur façon de vivre (publicité, pornographie, etc.), traitent la femme comme un objet. C’est aussi pour cela que certains moyens de lutte sont intrinsèquement contradictoires avec les objectifs poursuivis (Abou Graïb,…).
On nous dit : nous prétendons que nos valeurs sont universelles…mais ce n’est pas l’avis des autres, qui ont les leurs.
Cette remarque est juste dans la mesure où elle peut nous conduire à respecter les valeurs de l’autre, et à accepter qu’il conteste les nôtres. Mais si elle aboutit à relativiser ce sur quoi est basée notre vie individuelle et collective, fruit des siècles de notre histoire, si cela va même jusqu’à ce que nous les abandonnions plus ou moins, c’est une catastrophe. Et une catastrophe non seulement pour nous, mais pour l’ensemble du monde.
Car si les valeurs ont un intérêt universel, ce n’est pas d’abord parce qu’elles seraient les seules possibles, mais bien parce qu’elles apportent quelque chose de positif au monde entier. Si nous les abandonnons, c’est l’humanité que nous pénalisons, ce sont tous les hommes qui en pâtiront, qu’ils l’admettent ou non.
C’est Albert CAMUS qui exprime bien la seule façon efficace de vivre le « choc des valeurs » : Je n’essaierai pas de modifier en rien ce que je pense ni rien de ce que vous pensez afin d’obtenir une conciliation qui nous serait agréable à tous. Le monde a besoin de vrai dialogue ; le contraire du dialogue est aussi bien le mensonge que le silence; il n’y a donc de dialogue possible qu’entre gens qui restent ce qu’ils sont et qui parlent vrai.
Mais comment alors éviter la confrontation et s’entendre réellement, concrètement, sur des valeurs communes, même si elles ne sont pas exprimées et comprises de la même manière. Il y a bien une déclaration universelle des droits de l’Homme, signée par tous les États, mais elle est souvent bafouée. Là encore, patience, éducation, dialogue et réalisme sont à privilégier pour se comprendre, faire évoluer les mentalités et faire appliquer à la lettre cette déclaration. Et il y a une valeur sur laquelle on ne peut transiger, qui doit être acceptée par toute l’Humanité, voire imposée, c’est le respect de la dignité de chaque personne, enfant, femme ou homme, dans le cadre de sa culture ou civilisation.
Ainsi, la démocratie représentative occidentale est-elle le modèle de référence unique à proposer au monde entier ? N’y a-t-il pas d’autres formes de gouvernement acceptables pour éviter les chocs culturels trop importants ou de rejet du modèle des anciennes puissances coloniales et de leurs héritiers (USA, Australie, Canada, Japon). Pourtant, malgré l’injuste système des castes et malgré ses problèmes, L’Inde, vieille civilisation spécifique, semble montrer que la démocratie est possible hors de ce qu’on appelle l’ Occident. Il y a bien sûr d’autres exemples (Sénégal en Afrique). Pourtant, on voit la puissante réaction de nombreux Iraniens face à des élections qu’ils estiment truquées. Pourtant enfin, on voit des Afghans et Irakiens risquer leur vie ou la mutilation pour simplement aller voter. Il y a là une profonde aspiration à un des principes de base de la démocratie: pouvoir choisir sans manipulation, sans tricherie, sans corruption, ses représentants à l’exercice du pouvoir.
Par ailleurs, tout le monde veut la paix, mais à ses conditions. Il est plus difficile de la vouloir, sans ressentiment et par une véritable réconciliation, en tenant compte des besoins ou conceptions des autres. Comment également, lorsqu’on est persuadé d’être dans la vérité, accepter qu’une règle, à la majorité ou de droit national ou international, vous impose de faire ce qui est contraire à une profonde conviction? Il y a dans ce refus une des principales causes de violence, physique ou morale. De même, il est souvent, voire toujours, possible de démontrer, avec des arguments recevables, la validité d’une solution comme de celle de son contraire. Enfin, rien n’est jamais tout blanc ou tout noir. Il est impossible de ne trouver que des avantages dans un projet et aucun dans son concurrent. Il faut toujours mettre en balance aspects positifs et négatifs, et choisir. Si ce choix s’est fait au terme d’un processus accepté et honnête (par le vote, la palabre, la shura, etc..) , il reste à ses opposants à l’accepter, et à ne pas recourir à la violence pour le contester, qu’elle soit armée ou pas. Il y a certes en démocratie une tyrannie de la majorité, mais comment faire mieux ? Se soumettre à la volonté du plus grand nombre est difficile pour ceux qui sont en minorité, mais obtenir le consensus dès lors que le nombre de votants augmente l’est encore plus. Le processus de ratification du Traité de Lisbonne le démontre parfaitement. Lorsqu’il n’y a pas urgence, il faut sans doute savoir prendre le temps. Finalement, que représentent les 60 ans de construction européenne face aux 2500 ans d’histoire de ce bout de continent. Les choix doivent se faire après des débats honnêtes et approfondis, avec l’expression ouverte préalable de contrepouvoirs, au travers d’un système de vote à la majorité qualifiée élaboré, tenant compte à la fois des populations et des régions ou pays représentés, quelle que soit leur taille. Et, ensuite, ceux qui sont au pouvoir ne doivent pas maltraiter les minoritaires.
1.2. La problématique de la Nation et de l’État
L’État Nation est au coeur de la réflexion sur la gouvernance mondiale, laquelle, il faut le rappeler n’est pas la recherche d’un gouvernement mondial mais une meilleure coopération et synergie des actions entre tous les acteurs institutionnels ou pas, soit la gestion collective de la planète. Certains attendent tout de l’État, d’autres l’estiment dépassé par la mondialisation. Beaucoup enfin veulent plus d’État lorsqu’ils en ont besoin et moins lorsque ce dernier ne répond pas à leurs voeux. D’une certaine manière et en simplifiant, on pourrait considérer que l’État défend les intérêts d’une communauté dans la compétition pour les ressources, pour la survie, tandis que la Nation répond au besoin d’identité. On ne fera pas ici d’exégèse sur ce qu’est une Nation, mais on considérera sous ce terme, pour simplifier encore, toute communauté humaine qui se sent unie par des facteurs d’identité (sol, sang, langue, religion, culture, symboles).
La vision de l’État Nation est simple lorsqu’il y a cohérence et superposition :
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entre un État dirigé par une administration acceptée par la grande majorité, gouvernant de manière légitime,
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et une communauté humaine établie sur un territoire donné, qui se sent fortement unie par des facteurs communs (langue, religion, traditions, cultures, valeurs) et qui a la volonté globale de vivre ensemble, malgré les différences culturelles, sociales ou idéologiques.
Mais cette cohérence est rare. Même les nations les plus soudées ont en leur sein des groupes autonomistes ou des difficultés d’intégration de communautés. L’unité nationale n’exclut pas d’ailleurs le communautarisme, dès lors que tous, quelle que soit leur communauté, acceptent non seulement de vivre ensemble, sur des intérêts et avec des règles identiques, mais acceptent aussi de respecter des symboles (drapeau, hymne par exemple) et des valeurs communes. Il peut donc y avoir un sentiment national dans une fédération d’États, ou dans une confédération (Suisse). Celui-ci ne se fait pas en un jour, et cela peut prendre des siècles. L’identité nationale ne doit pas par ailleurs être réservée à ceux dont les ascendants sont nés depuis plusieurs générations sur une terre donnée, ou appartiennent à une ethnie particulière. Il resterait bien peu d’élus dans la majorité des pays. Et il y a par dessus tout un postulat d’évidence, pour éviter les excès du XXème siècle ; aucune « nation » n’est supérieure aux autres.
L’intégration des immigrants légaux, et de leurs descendants, est ainsi un enjeu majeur dans de nombreuses États Nations. On peut en devenir membre dès lors qu’on a la volonté de s’y intégrer, de respecter ses membres et d’adopter ses valeurs, sans renier forcément totalement celles du pays d’origine. L’identité nationale, c’est aussi un attachement à un territoire, à une histoire, à une langue et à une culture. « Ubi bene ibi patria » dit le dicton latin d’un auteur inconnu (ma patrie est là où je suis bien). L’intégration des personnes issues de l’immigration est un devoir moral mais aussi une nécessité. Les descendants des premiers immigrants ne sont pas responsables à la naissance de leur situation. Ils ne sont d’ailleurs pas obligatoirement les plus mal lotis, au regard de la pauvreté dans une grande partie de la planète. Et c’est aussi un peu à ces descendants dits de « énième » génération d’aimer leur terre d’adoption et de faire l’effort de s’y intégrer. Cet effort doit être réciproque. C’est la seule solution pour éviter des troubles majeurs.
L’identité nationale ne doit pas être enfin figée dans la mémoire d’un passé idéalisé, passé qui comporte toujours le meilleur et le pire. Les traditions ne sont que des innovations qui ont réussi.
Mais il y a aussi des États multinationaux et des Nations sans État ou partagées entre plusieurs États (Kurdes par exemple) (2). Comment expliquer par ailleurs la naissance d’un sentiment national dans la plupart des pays issus des décolonisations, dont les frontières ont été tracées arbitrairement, si ce n’est par ce besoin de repères et d’identité, qui dépasse largement le folklore culturel ou l’attachement aux victoires sportives de l’équipe nationale. On voit même hélas que le sport mal compris conduit aujourd’hui à des violences graves entre spectateurs.
C’est une réalité du genre humain de se raccrocher à des racines ou à des repères. C’est un sentiment du même ordre qui pousse irrésistiblement ceux qui ne connaissent pas l’identité d’un de leurs parents à la retrouver, même quand ils savent qu’ils ont été délibérément abandonnés.
La mondialisation, d’un côté, améliore la connaissance mutuelle et favorise l’émergence du sentiment d’appartenir à une même communauté mondiale, en particulier grâce aux échanges universitaires et scientifiques. La station spatiale internationale en est un merveilleux exemple. Mais d’un autre côté, la compétition économique pousse au repli national. Le besoin d’identité nationale est légitime. Mais il peut apporter le meilleur comme le pire. C’est vers le meilleur qu’il faut l’orienter. Il ne doit pas y avoir opposition mais complémentarité entre sentiment national et sentiment d’appartenance à une communauté mondiale responsable et solidaire.
Comment par ailleurs considérer « à égalité en tant que États Nations » des géants globaux comme les USA, la Russie ou la Chine, des géants par la population (Inde), par la surface (Brésil), des petits États puissants par leurs acquis (France, Royaume Uni et Allemagne), et des États petits par la taille et pauvres. Les regroupements à l’échelle continentale, comme en Europe ou en Afrique, ont de toute évidence beaucoup de sens, permettant d’affronter plus efficacement les difficultés. Mais là encore le problème de l’identité nationale se repose avec acuité. Si l’Union est relativement facile au plan économique, les esprits sont rarement prêts pour l’intégration culturelle et politique. Les peuples restent attachés à leur identité nationale, même récente et imposée arbitrairement par le colonisateur. Ils considèrent que c’est aussi le niveau de protection de leurs intérêts. Il faut en tenir compte, que cela plaise ou non.
Ce n’est hélas trop souvent que face à une crise ou menace majeure que le besoin d’union apparaît. Les Irlandais viennent encore le montrer lors du référendum sur la ratification du Traité de Lisbonne. Beaucoup de nations se sont d’ailleurs construites contre une autre puissance ou face à une menace extérieure (Allemagne contre la France, USA contre l’Angleterre, pays colonisés d’Afrique et d’Asie contre leurs colonisateurs, etc. ). Sans une menace ou un besoin majeur immédiat, les peuples ne voient que les aspects négatifs d’une Union, oubliant le positif souvent largement supérieur. L’exemple le plus caractéristique étant les bénéfices retirés en Europe du premier pilier économique.
C’est aussi au profit de l’union que doit s’effacer l’orgueil national, qui reste un moteur hélas majeur des relations internationales. Ce dernier est très facile à exciter et fausse le jugement. Il a expliqué par exemple la réaction du peuple chinois face aux menaces de boycott des jeux olympiques.
Et qu’on l’appelle État ou par un autre nom, il faut bien un échelon d’administration des populations. Et il faut bien fixer à celui-ci des limites géographiques, même si elles sont imparfaites.
Mais rien empêche de déconnecter l’État de la Nation. A l’État de gouverner, à la Nation de protéger l’identité. Les deux peuvent exactement se superposer ou se placer à des niveaux différents. Pour ce qui concerne l’Union européenne, qu’est ce qui empêche que l’État soit supranational, chaque nation gardant son identité. N’y aura-t-il pas cependant naissance progressivement d’un « sentiment national européen » ? Cela pose la question de l’appartenance possible à plusieurs identités. L’auteur de ces lignes pense que c’est possible, puisque c’est ce qu’il ressent profondément.
1.3. La question de la souveraineté
On accuse parfois l’État de prendre trop de place au plan international ou de défendre jalousement ses prérogatives et sa souveraineté, mais on se plaint de la même manière du manque d’État dans les zones de crise ou lors de catastrophes naturelles, manque qui autorise tous les débordements et qui abrite les principales menaces actuelles pour l’ensemble de la communauté internationale (criminalité, pillages, terrorisme, piraterie, prolifération des armes de destruction massive). Il faudrait donc que les États s’occupent des affaires internes et abandonnent leur souveraineté pour les affaires extérieures. C’est un peu difficile à admettre par eux, injuste, ou paradoxal. On reproche également aux États leur égoïsme. Ce dernier est pourtant naturel, sinon légitime. Les peuples aussi sont égoïstes et demandent à leurs gouvernants de protéger leurs intérêts, sans obligatoirement se soucier de l’intérêt général. Prenons l’exemple de la Pêche. Qu’importe dans de nombreux pays la disparition des richesses halieutiques, pourvu que l’avenir immédiat des marins nationaux soit préservé. Et il faut bien prendre en compte le sort de ces derniers à court terme ! C’est une forme d’aveuglement et d’impuissance face à des exigences contradictoires, surtout en démocratie. Les gouvernants sont des élus, qui doivent des comptes à ceux qu’ils représentent. Il faut donc savoir parfois contraindre les États, comme les individus en leur sein, pour satisfaire l’intérêt général, par des règles de gouvernance internationales, avec des compensations pour ceux qui sont perdants. Mais ces États, même les plus petits, doivent aussi rester des contrepouvoirs face à un abus toujours possible des organismes supranationaux.
Enfin, la souveraineté peut être partagée entre différents niveaux d’administration, selon les besoins ou selon le principe de subsidiarité. La souveraineté doit être là où elle est le plus utile aux peuples. Les peuples sont souverains, mais rien ne les empêche d’en transférer tout ou partie à des institutions supranationales (l’euro, malgré ses défauts, en est un exemple réussi). Il est vrai que ce sont souvent eux les plus sceptiques. Les peuples peuvent avoir tort, par exemple lorsqu’ils élisent un tyran, amènent au pouvoir des partis extrémistes religieux, ne veulent pas de l’intégration européenne ou lorsqu’ils ne veulent pas faire des concessions nécessaires à leurs voisins pour obtenir la paix (Israéliens et Palestiniens par exemple).
1.4. L’État en tant que seul dépositaire de l’usage de la force militaire?
Une prérogative de l’État est la décision d’user de la violence militaire, qui implique la responsabilité de risquer la vie de ses propres soldats dans les opérations multinationales. En conséquence, les obsèques restent essentiellement nationales. On meurt pour une patrie, une nation, un drapeau, pas (encore) pour l’UE ou l’OTAN ou l’ONU. Derrière la décision du chef de l’État, dans un régime démocratique, c’est en fait le peuple, la nation entière, qui en porte la responsabilité.
Il est rassurant d’ailleurs de voir que les opinions publiques ne restent pas indifférentes à la mort de leurs soldats professionnels ou volontaires sur des théâtres lointains, à condition que ces morts ne soient pas considérées comme des accidents médiatisés à outrance, avec la recherche systématique de responsables et de coupables. Ces morts sont d’une autre nature, un sacrifice librement consenti pour une cause jugée juste. Reste à assurer cette reconnaissance dans la durée, au delà du choc médiatique initial, par le soutien aux familles et le devoir de mémoire. Cet argument de la responsabilité nationale vis-à-vis des soldats en opération est souvent cependant brandi pour justifier la souveraineté des États dans ce domaine. Mais ne confond on pas là la cause et l’effet ? Ce n’est pas parce qu’aujourd’hui, dans le cadre géopolitique actuel, cela reste une attribution nationale, qu’il faut absolument qu’il en soit ainsi à l’avenir, ou que c’est une vérité dans l’absolu. De fait, dans les opérations multinationales sous mandat ONU, les soldats se battent bien au nom d’un principe qui dépasse le cadre des intérêts vitaux nationaux immédiats, et ceux qui ont donné leur vie dans les différentes opérations ont bien sacrifié leur vie pour un principe supérieur à la nation, pour le bien commun, au profit de valeurs universelles et pour la communauté internationale. L’engagement en Afghanistan serait peut-être mieux compris par les opinions publiques occidentales s’il était expliqué ainsi. Certes, les membres de la coalition y assurent indirectement leur sécurité, mais ils sont quand même aussi là-bas plus pour défendre des principes que pour des intérêts immédiats.
La création d’ailleurs d’une force permanente de l’ONU pourrait créer ce sentiment, chez ceux qui en sont membres, de ne plus se battre pour un pays mais pour l’Humanité. Cela dépendrait un peu de leur statut (détachement provisoire ou statut de fonctionnaire international permanent). Que cela plaise ou pas, que ce soit bien ou mal, le patriotisme est une réalité incontournable. Il répond au besoin d’identité. Il faut donc, pour ne pas retomber dans les erreurs tragiques du XXème siècle, l’orienter vers des voies positives et pacifiques, au delà des manifestions sportives et culturelles.
1.5. Quelques principes
On voit donc qu’il faut affronter une réalité extrêmement complexe. Et la réponse nous apparaît dans le respect des principes suivants: équilibre entre les extrêmes, réalisme, prudence, esprit critique ou d’ouverture (tolérance), patience enfin.
L’équilibre c’est d’abord celui des pouvoirs, avec l’expression démocratique de contrepouvoirs. C’est aussi, par exemple et sur des thèmes très différents, celui à trouver entre liberté d’entreprendre, source d’innovation, et le contrôle par l’État, entre la protection sociale nécessaire et l’assistanat systématique démobilisateur, entre regroupements d’États et la protection des identités, entre droit aux soins et les abus de ce droit qui mettent en péril l’équilibre financier du système de sécurité sociale, entre l’ouverture vers les jeunes des banlieues défavorisées et la fermeté vis à vis des auteurs d’actes de violence urbaine, etc…
Le réalisme, c’est admettre qu’à côté du bien, il y aura toujours le mal et la violence, qu’à côté des hommes justes et honnêtes , il y aura des malfaiteurs qui détourneront les lois (ou leur esprit) à leur profit; qu’à côté de la majorité de ceux qui veulent la paix, il y aura des minorités qui entretiendront la haine, parce qu’elles y trouvent leur intérêt; qu’en dépit de la fin des grandes guerres inter étatiques, du moins à court terme, des menaces majeures pèsent encore sur l’Humanité. Il y aura toujours enfin des personnes persuadées de détenir la vérité absolue et prêtes à tout pour la faire aboutir.
La prudence et l’esprit critique, c’est de ne pas prendre pour argent comptant le conformisme intellectuel, le politiquement correct, les modes, le matraquage médiatique. C’est aussi de se mettre à la place de ceux qui pensent de manière différente, de l’adversaire du moment, pour essayer de comprendre ses motivations. C’est de se remettre en question en permanence. C’est d’être tolérant et de ne pas être pétri de certitudes.
La patience enfin, c’est d’admettre que les difficultés ne s’aplanissent pas d’un coup de baguette magique, que des haines ancestrales attisées par des affrontements violents ne s’effacent pas du jour au lendemain, qu’il faut du temps pour que les mentalités changent. La seule urgence absolue, justifiant même l’ingérence dans les affaires internes d’un État, mais obligatoirement sous mandat ONU, c’est quand des génocides ou des crimes contre l’humanité vont être perpétrés et qu’il n’y a pas d’autre solution que l’intervention armée. C’est là d’ailleurs que se trouve une des limites de la non violence. Ceux qui la pratiquent ne sont pas en mesure de les empêcher.
Il pourrait apparaître à certains que les lignes qui précèdent sont lénifiantes, cyniques, cherchent à faire plaisir à tous les courants de pensée, prouvent que son auteur manquent d’ambition, de caractère, de vision et de capacité de choix, d’esprit de décision. Finalement il n’y aurait rien à changer en ce bas monde, sinon à corriger par-ci par-là ce qui va le plus mal. Il n’en est rien. Il faut garder à l’esprit les principes, dont celui du respect absolu de chaque personne humaine, avoir l’ambition de changer en profondeur la gouvernance, mais sans illusions ou utopisme, en sachant écouter les autres à tous les niveaux.
Le mal est souvent lié à l’ignorance et à l’absence de repères sociaux. L’éducation par la famille et par l’enseignement, scolaire et universitaire est donc primordial. L’éducation, c’est certes l’acquisition de connaissances (au minimum l’écriture, la lecture, le calcul et des bases en histoire pour forger le jugement) mais c’est aussi l’apprentissage des règles de la vie en société. Le développement des comportements civiques individuels, du respect des autres est donc absolument préalable à toute formalisation d’un meilleur fonctionnement de la société.
On ne peut envisager enfin une bonne gouvernance sans la diffusion de masse d’une information objective et honnête, qui ne soit pas placée sous la dictature du sensationnel et du morbide, pour obtenir plus d’audience et de diffusion, en fait pour en tirer plus de profit. Les médias devraient être le moyen pour que les citoyens aient la possibilité d’exercer leurs choix démocratiques en toute connaissance de cause. C’est sans doute très ambitieux, voire un voeu pieux, mais sans aboutir à un système parfait, trois approches doivent pouvoir se compléter :
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une meilleure éthique des médias dans le choix des sujets et leur présentation,
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une meilleure communication des décideurs, institutionnels ou privés,
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un meilleur jugement et esprit critique des citoyens dans l’exercice de la lecture des médias, par leur éducation (on y revient toujours).
II. Les responsabilités
2.1 - La légitimité du recours à la force militaire et de son usage
Dans un monde qui reste particulièrement dangereux, on l’a vu, surtout à cause des grands déséquilibres économiques, sociaux et démographiques, mais aussi du fait des tensions identitaires, la non violence ne peut pas répondre de manière satisfaisante au problème posé. Elle suppose un engagement de masse difficile à obtenir, n’est pas dissuasive, cause de terribles souffrances et n’est pas efficace face à un adversaire qui ne respecte aucune règle. Le soldat garde donc toute sa place. Encore faut-il qu’on l’engage à bon escient et qu’il se comporte en respectant une éthique conforme aux valeurs universelles. La responsabilité de décider de l’emploi de la force armée est celle du pouvoir exécutif contrôlé par le législatif. Le militaire doit rester subordonné au politique, au sens le plus noble de ce terme. C’est un principe absolu, mais ce dernier doit être étroitement associé aux décisions, en particulier pour juger des chances de succès, et des moyens à employer, qui sont deux des principaux critères de légitimité du recours à la force et de son usage. S’il sont soumis naturellement au devoir de réserve, les responsables militaires doivent aussi participer pleinement, mais sans esprit polémique et sans médiatisation, aux débats politiques et stratégiques concernant l’organisation de la défense. D’un autre côté, une fois la décision prise d’utiliser la force, on peut se poser la question de la marge d’initiative ou liberté d’action laissée au militaire dans l’accomplissement de la mission donnée. Faut-il lui donner carte blanche? Sans doute non au niveau stratégique mais certainement oui au niveau tactique, la difficulté étant qu’aujourd’hui une action d’un petit élément peut avoir un impact stratégique. D’où l’intérêt des conseillers politiques juridiques et diplomatiques au sein des états-majors. C’est Clemenceau qui a dit que la guerre était une affaire trop sérieuse pour la laisser aux seuls militaires. On pourrait répondre que la paix est une affaire trop sérieuse pour la confier aux seuls civils.
Les critères de la légitimité du recours à la force militaire sont bien connus : légitimité de l’autorité qui en décide, épuisement de toutes les autres solutions (dernier recours), chances raisonnables de succès, intention droite. Il convient à ce sujet de faire deux remarques. Remplir objectivement toutes les conditions est particulièrement difficile et une étude historique démontrerait aisément que peu de protagonistes les ont remplies par le passé. D’autre part, il est difficile de les vérifier de manière objective et les deux adversaires pourraient facilement démontrer, dans beaucoup de cas, que ce sont eux qui défendent une cause juste. Il est donc impératif qu’un contrôle extérieur aux protagonistes s’exerce sous la forme d’une décision collégiale de la communauté internationale.
2.2. La place de l’ONU
De nos jours, hors le cas de la légitime défense reconnu dans la charte des Nations Unies (3), un engagement militaire d’un État, d’une coalition, ou de l’ONU directement, ne peut être autorisé que par une résolution du conseil de sécurité, lequel est cependant fortement critiqué pour son impuissance et son inefficacité. Cette paralysie relative de l’ONU dans le domaine de la sécurité (4) est généralement attribuée à l’égoïsme des États et au principe de non ingérence dans leurs affaires internes. Mais, d’une part, il est naturel, on l’a vu, que les États défendent les intérêts de leurs peuples ; c’est ce que ces derniers leur demandent. Par ailleurs, le principe de non ingérence dans les affaires internes permet d’éviter de nombreux abus, dont celui de l’intervention au prétexte de la protection d’une minorité dite opprimée (Sudètes en 1938, Ossètes aujourd’hui). Or, la majorité des conflits se situe aujourd’hui à l’intérieur des États. La charte des Nations Unies autorise bien, sur décision du conseil de sécurité, l’intervention de la communauté internationale à l’intérieur d’un État, mais sous réserve que ce soit pour faire face à une menace contre cette même communauté internationale (5). Voilà qui n’est pas facile à prouver mais qui ouvre des opportunités. Enfin, il est sain d’une manière générale que le recours à la force ne soit pas trop aisé.
Le droit de veto permet lui qu’une intervention militaire ne puisse s’accomplir qu’avec l’assentiment des cinq membres permanents, les plus puissants, donc les plus capables de mettre en oeuvre les moyens suffisants. Il permet de limiter les interventions. Mais comment arriver à éviter le contraire, c’est-à-dire la paralysie, et à trouver l’équilibre entre interventionnisme débridé et impuissance. Enfin, la communauté internationale n’ayant pas, du moins pour l’instant, la capacité de faire face à toutes les crises, toute intervention devrait se faire sur des critères objectifs, de gravité et d’urgence, et pas comme parfois sous la pression médiatique.
La solution passe de manière évidente par une réforme du Conseil de sécurité qui devrait être plus représentatif des différents continents (surtout l’Afrique), pour ce qui concerne les membres permanents. Qu’est ce qui justifie d’ailleurs encore la distinction entre membres permanents et membres non permanents ? La réforme, engagée mais loin encore d’aboutir, n’est pas simple compte tenu des rivalités et enjeux bien compréhensibles. L’idéal serait de donner une voix à chaque regroupement régional (UE, UA, etc.) pour éviter toute contestation, mais on est très loin d’une telle éventualité. Il faudra déjà beaucoup de temps, de bonne volonté, de persuasion, de compromis pour arriver à un consensus sur un simple élargissement du Conseil. Il faudra procéder par étapes, avec des réformes intérimaires.
Le droit de veto devrait également être sinon interdit, du moins limité ou mieux justifié. Ainsi, on pourrait obtenir un système de décision, prudent dans l’emploi de la force, dont on ne sait jamais à quelles extrémités il peut conduire (ne pas avoir à ouvrir la « boîte de Pandore »), mais pas impuissant, paralysé par des intérêts particuliers. Le recours à la force légitimé par l’ONU, pour régler des crises entre États ou à l’intérieur des États ne serait autorisé que lorsque c’est manifestement la seule solution à court terme, après en avoir pesé tous les risques, et avec l’assentiment, sinon de l’ensemble de la communauté, au moins d’une large majorité. Faut-il que cette décision relève uniquement de l’ONU au niveau mondial ou pourrait on admettre une délégation à des instances régionales, telle l’Union africaine par exemple? On pourrait imaginer une réponse affirmative à cette question, mais avec une validation au niveau de l’ONU (pas de condamnation explicite valant approbation ou tolérance).
Il serait nécessaire également donner les moyens à l’ONU d’être plus réactif et de travailler plus efficacement, en disposant d’une structure militaire opérationnelle permanente de commandement de niveau stratégique. Cela pourrait se faire au travers du renforcement et de la généralisation à tous les théâtres de la cellule militaire stratégique pour le Liban. Il conviendrait aussi d’envisager la création d’une force de réaction rapide permanente propre (6). Il restera cependant à déterminer le statut du personnel de cette force (recruté directement ou détaché par les États ?)
Mais il faudra toujours des forces nationales ou régionales en complément et, dès lors qu’un État entretient un outil militaire pour assurer de manière légitime sa défense face à une menace majeure pouvant surgir à long terme, il semble aussi judicieux que cet outil serve à court terme à maintenir, rétablir, voire imposer la paix chez ceux qui en ont besoin. Plus égoïstement, dans un monde globalisé, chaque État est de plus en plus concerné par des crises lointaines dont les effets peuvent se faire rapidement sentir sur sa propre sécurité intérieure. Ces zones de crise sont en effet génératrices, dans le reste du Monde, de terrorisme, d’immigration clandestine, de trafic de drogue ou d’être humains, de réseaux de prostitution, etc.. Les militaires acquièrent d’ailleurs lors de ces opérations une expérience irremplaçable. Les soldats ne sont pas faits pour rester dans les casernes lorsque le canon tonne et qu’une juste cause se présente. Il ne faut bien sûr pas en faire un objectif en soi. Ce n’est qu’une retombée d’un service rendu à court terme à la communauté internationale. Ainsi, il y a bien convergence entre les intérêts des pays en crise, des États envoyant des forces et de l’intérêt général représenté par la recherche d’un monde pacifié. Il y a convergence entre les intérêts et les valeurs.
Reste à donner aux forces mandatées (sous commandement national, multinational ou directement de l’ONU), agissant légitimement, les moyens techniques de remplir leur mission, avec des règles d’engagement qui ne soient pas trop restrictives. Ces forces ne doivent pas faire que de la gesticulation, ne doivent pas pouvoir être prises en otages par un des belligérants et surtout ne doivent pas rester impuissantes devant un génocide ou un crime contre l’humanité. On ne peut pas risquer la vie de soldats sur des missions délibérément imprécises, où ils ne sont déployés que pour faire de la figuration, pour montrer que la communauté internationale ne reste pas les bras croisés, alors qu’elle est en fait totalement impuissante à forcer une vraie solution. Enfin, les forces mises à disposition de l’ONU doivent avoir les capacités opérationnelles nécessaires et avoir un comportement éthique exempt de tout reproche dans l’accomplissement de leur mission. Des standards devraient être ainsi fixés, avec un contrôle des aptitudes avant déploiement par une équipe de l’ONU.
2.3. Les moyens financiers et techniques
Tous les États ne font pas face aux mêmes menaces immédiates, n’ont donc pas les mêmes besoins et ceux qui se trouvent dans un environnement plus favorable font naturellement un effort moins important. Mais, dans un monde globalisé, l’ensemble des États est, on l’a vu, concerné indirectement par tous les conflits, même si ces derniers sont loin de leurs frontières. Il ne serait donc pas incohérent et injuste de préconiser que tous consacrent une part équivalente de leur richesse nationale (ou dans une fourchette pour tenir compte de situations particulières) à l’effort d’élimination des risques et menaces pesant sur la communauté mondiale. C’est sans doute très/trop ambitieux et en contrepartie, il est légitime que ceux qui donnent plus et engagent davantage la vie de leurs soldats à cette fin, aient plus de responsabilité dans les prises de décision. On voit bien toutefois la limite de ce raisonnement. Une hyper puissance comme les USA, parce qu’elle consacre à sa défense une part majeure des dépenses militaires mondiales, ne devrait pas pouvoir devenir le gendarme du monde, même (surtout) si elle est une grande démocratie, et si ses intentions sont justes. Mais il faut reconnaître que ceux-ci ont moins peur que les Européens, marqués par les hécatombes des deux Guerre mondiales, d’affronter la réalité de « la Guerre » et de risquer la vie de leurs soldats. Il ne faut jamais oublier aussi que c’est grâce à eux que le nazisme a été vaincu, que l’Union soviétique s’est effondrée (donc que les goulags ont disparu et que les pays de l’Europe de l’Est ont retrouvé leur liberté), que le Koweït a retrouvé son intégrité territoriale, qu’une solution a été trouvée en Bosnie, alors que les Européens s’y sont montrés particulièrement impuissants. Et on aimerait qu’ils puissent imposer la paix entre Israéliens et Palestiniens. Ils occupent en fait le vide laissé par les autres États et institutions internationales. Et c’est là qu’une Europe disposant d’une puissance nécessaire et suffisante (surtout pas hyper puissance), disposant des capacités correspondant à son poids économique et à sa population, pourrait beaucoup apporter au Monde.
Par ailleurs, à partir du moment où l’on considère que le recours à la force militaire est légitime, l’usage et donc la production ou l’acquisition d’armements devient aussi légitime. Les soldats de l’ONU ou mandatés par elle doivent détenir les équipements qui leur sont nécessaires pour assurer leur protection et leur donner l’ascendant sur leurs adversaires. Pour assurer son autodéfense ou participer aux efforts internationaux de maintien de la paix, tout État a donc le droit de produire ou d’acquérir auprès d’autres les armes dont il a besoin. Deux questions se posent ensuite :
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comment réguler l’activité économique qui y est liée,
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comment réguler le commerce international de ces armes.
On ne peut pas considérer que c’est une activité commerciale qui répond aux lois générales de l’offre et de la demande. Certes, il ne s’agit pas de dépenser sans limite, de rechercher la performance pour la performance, mais de produire avec des considérations de coût efficacité dans un esprit de stricte suffisance.
Il est plus que normal que l’exportation d’armement soit interdite et que l’autorisation ne soit qu’une dérogation accordée par l’État. Il est tout aussi normal que l’industriel, dont c’est la mission, cherche à trouver des clients (pour allonger les séries et réduire ainsi les coûts unitaires), mais il faut que l’État le contrôle, car l’exercice est particulièrement dangereux. Si le court terme est plus ou moins bien connu, le long terme est impossible à prévoir. Tel État pour lequel les armes acquises ne sont que le moyen de se défendre peut devenir agressif quelques années plus tard. L’exportation d’équipements militaires est ainsi une des données de base de la politique étrangère des États.
En retour, il est normal que l’industriel soit aidé ou son activité protégée, sans en arriver à l’inverse, c’est-à-dire à un puissant complexe militaro-industriel qui, plus ou moins consciemment, tend à exagérer les menaces pour soutenir la demande en équipements. Là encore, tout est dans l’équilibre. Il n’est pas là question de morale, ni d’éthique mais de réalisme ou de bon sens. Il faut donc dire oui à la production d’équipements militaires mais non à la course aux armements. Cette production a un coût, qui doit être calculé au plus juste pour répondre à sa fonction (d’où l’intérêt d’une mesure par rapport à la richesse nationale), mais qu’il est impossible de comparer directement aux coûts de santé, de développement ou d’enseignement (pour le prix de « x » chars, on pourrait construire « y » écoles ou hôpitaux). La guerre, se traduit par l’emploi des armes. C’est une réalité à laquelle on ne peut échapper. Cela reste un mal nécessaire, à contrôler de très près.
Une régulation au niveau régional puis mondial est enfin souhaitable. Le code de conduite européen montre la voie à suivre et il convient de soutenir le projet de traité sur le commerce des armes en discussion à l’ONU.
III. Dissuasion - Action
De tout temps, il y a eu deux conceptions bien différenciées de l’action de guerre : c’est-à-dire soit l’affrontement direct pour rechercher la destruction des forces opposées, voire de leurs cités et populations (destruction de Carthage par Rome) (7), soit l’approche indirecte visant à pousser l’adversaire à accepter ses conditions avec le minimum de violence, par la ruse, voire sans combattre (Sun Tzu, Liddle Hart). En Italie à la Renaissance, les princes et leurs condottiere, savaient s’opposer par des sièges ou des mouvements tactiques sans aller jusqu’à l’affrontement, ou en le limitant. Leurs motivations n’étaient d’ailleurs pas éthiques. Il s’agissait de préserver un potentiel cher et de faire durer les conflits pour justifier des commandements et des salaires. Vauban, par la construction de ses forteresses et le siège de celles de ses adversaires, cherchait à éviter les effusions de sang. Il est clair que l’approche indirecte est plus conforme à l’éthique. Si elles n’étaient pas vraiment en « dentelles », comme cela a été écrit, les guerres du XVIIIe siècle étaient réellement limitées et les batailles rares. Il faut reconnaître que c’est avec la naissance de l’idée de nation, avec la Révolution française, que les États sont devenus beaucoup moins sensibles aux pertes humaines, conduisant aux hécatombes du XXème siècle et à la condamnation du nationalisme.
Il reste que toutes les guerres passées ont été majoritairement très coûteuses en vies humaines, civiles et militaires. En conséquence, la limitation de la violence et la recherche du zéro mort, chez l’adversaire mais surtout chez soi, très évoquée dans les années 1990, moins maintenant, est un vieux rêve de beaucoup de responsables religieux, politiques et militaires. C’est cette disposition de pensée qu’il faut certes privilégier, mais sans en arriver à la paralysie de l’action militaire ou à l’abandon de la mission. On en était arrivé là en Bosnie en 1997. La protection de la force semblait parfois plus importante que la mission à remplir.
Le moment vient hélas toujours où il faut utiliser la violence légitime, en risquant la vie des adversaires et de ses soldats. Mais seuls les chefs politiques et militaires sur lesquels pèsent cette décision, ceux qui ont affronté réellement des combats par le passé, et les parents de ceux qui risquent leur vie aujourd’hui ont la légitimité pour exprimer cette tragique réalité. Sinon, on prend le risque, de son fauteuil, de tomber dans la célèbre formule « armons-nous et partez vous faire tuer ».
En tout état de cause, par leur existence et leur posture, les forces militaires doivent permettre tout d’abord d’éviter l’affrontement réel. Cela peut être réalisé par la prévention, c’est-à-dire leur simple pré-positionnement, ou par leur capacité à former les forces des nations qui en ont besoin, ou encore à déceler, par le renseignement technique et humain, les intentions hostiles, avec suffisamment de préavis, pour donner le temps aux diplomates et aux politiques de désamorcer les tensions. La principale voie à privilégier ensuite est celle de la dissuasion.
3.1. La dissuasion
Cette dissuasion est d’une certaine manière la traduction moderne du vieil adage romain : si vis pacem, para bellum. L’arme nucléaire a révolutionné cette fonction, car celui qui s’attaque à un de ses détenteurs risque en fait sa propre survie, en d’autres termes de se « suicider ». Elle rend ainsi la dissuasion particulièrement forte, mais elle pose en retour, en cas d’échec, le problème de l’ampleur des destructions, voire même la question de la survie de notre planète, dès lors que l’emploi deviendrait relativement généralisé (8). Au-delà des destructions considérables, c’est en effet la pollution de longue durée qui pourrait poser une énorme difficulté. Les bombardements classiques sur l’Allemagne pendant la Deuxième Guerre Mondiale, par exemple celui de Dresde, ont causé plus de pertes et dégâts que les armes d’Hiroshima ou Nagasaki, certes de faible puissance. L’arme nucléaire est une arme de paradoxes. C’est une arme en principe de non emploi, et pourtant sa crédibilité repose sur la volonté en cas extrême de l’utiliser. La dissuasion est un affrontement de volontés. Est vaincu celui qui cède le premier. La crise de Cuba en 1962 en est l’illustration. Les Russes ont renoncé et ont retiré leurs sites de missiles de l’île. Les détracteurs du nucléaire militaire disent bien qu’il y a toujours moyen d’atteindre ses objectifs politiques en contournant la dissuasion, de manière asymétrique, par des engagements de basse intensité, le terrorisme ou la propagande, en restant au dessous du seuil de crédibilité de l’utilisation des armes nucléaires. Pendant la Guerre Froide, la dissuasion n’a pas empêché les conflits de basse intensité. Certains prédisaient d’ailleurs que les opinions publiques occidentales feraient suffisamment pression sur leurs chefs d’États pour qu’ils n’aient pas le courage ou la folie de déclencher l’apocalypse (« plutôt rouge que mort »). La dissuasion nucléaire est un pari, qui doit réussir lorsque les gouvernants sont raisonnables. Mais, ne serait-ce qu’en termes probabilistes, on a nulle assurance qu’un quelconque dirigeant extrémiste, fou ou tyran ne franchira pas le pas un jour (d’où la crainte d’une prise du pouvoir par des extrémistes au Pakistan). La probabilité d’emploi de l’arme nucléaire reste très faible mais pas nulle par nature, avec des conséquences apocalyptiques. D’autres disent que l’arme nucléaire est avant tout un outil de prestige et d’affirmation de la puissance. Ce serait ainsi l’objectif recherché par l’Iran, marqué par ailleurs par la Guerre avec l’Irak et animé par un sentiment d’encerclement. Il est probable que tout autre régime succédant à la République islamique chercherait aussi à se doter de l’arme nucléaire, mais avec une stratégie plus raisonnable. Le véritable risque du nucléaire militaire iranien, au delà des menaces plus ou moins crédibles contre Israël, mais à ne pas prendre pour autant à la légère, n’est-il pas que plusieurs pays voisins chercheraient alors à l’acquérir, relançant la prolifération?
On ne peut qu’admirer les États qui ont décidé d’arrêter le développement d’une capacité nucléaire militaire, alors qu’ils en avaient les moyens, aboutissant à la déclunéarisation de continents entiers (Afrique, Amérique du sud). Mais on peut comprendre aussi le raisonnement de ceux qui disent : pourquoi seuls les cinq détenteurs autorisés par le TNP continueraient à avoir le droit d’en disposer, alors que des Etats qui n’ont pas signé le TNP se sont dotés d’armes nucléaires en toute légalité ? Les cinq détenteurs signataires du TNP ont certes réduit leurs arsenaux mais ils gardent des capacités largement suffisantes pour dominer la scène internationale. Ce n’est pas la quantité qui fait la force en matière nucléaire, mais la simple possession.
On peut difficilement admettre une multiplication des détenteurs qui augmenterait les risques de dérapage ou d’accident. L’exemple de l’Inde et du Pakistan, non signataires du TNP, qui ont imposé de fait leur accession au club nucléaire militaire, n’est pas positif pour les efforts de non prolifération, même s’il est clair que la double possession a eu un effet stabilisateur sur les deux partenaires. On pourrait considérer l’arme nucléaire, limitée aux seuls détenteurs actuels, comme une mauvaise pratique provisoirement nécessaire. On pourrait même imaginer sa mise à disposition implicite de l’ONU pour une dissuasion mondiale.
Mais il est quand même absurde de faire reposer la paix du monde sur le risque de sa destruction, même si la probabilité est très faible. La seule voie de sortie acceptable à terme est donc celle du démantèlement total (9).
Cependant, comment être certain, au plan probabiliste toujours, qu’il n’y aura jamais de résurgence de menaces majeures. L’abandon de l’arme nucléaire par un État détenteur est lourde de conséquences sur son avenir. Il est plus que probable aussi que, si les États détenteurs renonçaient unilatéralement à leurs armements nucléaires, des « proliférateurs » chercheraient toujours à s’en doter. Il faudrait donc s’assurer (est-ce possible?) que l’abandon est général, vérifiable et imposable aux récalcitrants (on en mesure aujourd’hui la difficulté avec l’Iran). La réalisation de boucliers antimissiles balistiques, même s’ils ne sont pas totalement étanches, serait de nature à faciliter le processus de démantèlement, en rendant inefficaces les attaques.
Malgré tout, il faut bien prendre conscience que si on arrivait à bannir le nucléaire militaire, la guerre conventionnelle de haute intensité redeviendrait alors plus probable ou une option plus raisonnable. Il n’y a pas hélas de solution miracle. Un monde sans armes nucléaires n’est pas obligatoirement plus sûr. Un monde avec armes ne l’est peut-être pas plus. On peut donc au moins essayer de les éliminer en trouvant des mécanismes de sécurité collective adaptés. Il faut se poser enfin la question de savoir si on pourrait remplacer la dissuasion nucléaire par une dissuasion dite conventionnelle reposant sur une forte suprématie technologique, par exemple de la force juste de l’ONU, rendant vaine toute possibilité de la vaincre. Outre qu’il est difficile d’acquérir cette suprématie, la tentation de risquer l’agression restera toujours plus forte, parce que les risques encourus ne seront pas suicidaires.
3.2. L’engagement réel
En tout état de cause, la dissuasion est pertinente pour les conflits majeurs inter étatiques, mais il reste à conduire tous les conflits actuels dits de basse intensité et/ou asymétriques. En premier lieu, soyons bien conscients que l’action militaire ne peut à elle seule résoudre durablement une crise. Elle doit s’inscrire dans une construction de la paix, dans l’établissement d’une solution durable post-conflit, en accompagnement d’actions civiles de réforme du secteur de sécurité, ainsi que de sous terre pour aller déloger par exemple des terroristes enfouis dans des cavernes. La réponse sage est manifestement qu’il vaudrait mieux ne pas faire d’exception à l’interdiction complète reconstruction économique et de rétablissement de l’État de droit. L’Union européenne a acquis dans ce domaine des capacités « civilo-militaires » remarquables.
Sans que ce soit leur rôle principal, les forces armées déployées doivent mener leurs propres actions en faveur de la reconstruction, avec leurs moyens propres adaptés, dans les domaines de la santé, du déminage et du rétablissement des besoins de base (circulation, besoins en énergie et en eau potable), étant bien équipées pour ce faire. Elles peuvent ainsi être amenées, sur un même théâtre, mais dans des zones proches, à conduire des actions de guerre, de stabilisation et de reconstruction. Elles ont enfin un rôle essentiel dans le désarmement, la démobilisation et la réinsertion des combattants après la fin des combats.
Ainsi, l’équation de l’action militaire en conflit asymétrique, celle de la majorité des conflits aujourd’hui, semble simple sur le papier. L’action militaire doit être brève et maîtrisée, s’inscrivant dans une stratégie globale, avec un objectif final clair et précis, accompagnant l’action civile de reconstruction et d’acquisition du soutien des populations. Or, jusqu’à maintenant cela n’a jamais été réussi ainsi, en raison de la complexité des situations. L’Afghanistan en est l’exemple caractéristique, cumulant toutes les difficultés, avec :
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des rivalités ethniques,
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des extrémistes religieux particulièrement actifs, capable de détruire des écoles pour filles ou d’assassiner ceux qui souhaitent voter,
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la présence de pouvoirs locaux indépendants (« seigneurs de la guerre »),
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le manque de présence et d’efficacité de l’État dans l’ensemble du pays,
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la corruption,
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la production de drogue à grande échelle,
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la pauvreté et l’analphabétisme,
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des frontières poreuses qui ne représentent rien pour des tribus circulant depuis des millénaires des deux côtés de celles-ci.
Dans ces conditions, l’ONU, l’OTAN et les institutions internationales ont certes fait des erreurs stratégiques et tactiques, mais il ne suffit pas de proclamer quelles sont les solutions et les bonnes pratiques pour qu’elles s’appliquent sans difficulté sur le terrain. Tout cela est plus facile à dire qu’à faire concrètement. D’une part, l’adversaire réagit et fait tout pour faire échouer la stratégie vertueuse, en provoquant les situations conduisant aux dégâts collatéraux, en faisant pression sur la population, en l’utilisant comme bouclier humain. C’est aussi la présence même de forces étrangères à la culture profondément différente qui est une source de problème, forces étrangères qui apparaissent très vite comme des forces d’occupation. L’idéal est d’accomplir rapidement l’action militaire puis de transférer le pouvoir à des autorités civiles légitimes et non corrompues (« first in, first out »). Mais comment calmer des haines ancestrales attisées par la violence en quelques semaines ou mois ?
Comment s’appuyer sur des élites locales honnêtes lorsqu’elles sont trop peu nombreuses et faibles? Malgré tout, il ne faut pas conclure, même en Afghanistan, que ces situations sont désespérées et impossible à résoudre. En évitant absolument d’employer des méthodes répréhensibles vis-à-vis du droit international, au nom de l’ idée que la fin justifie les moyens, ou que tout est permis puisque l’adversaire sort lui même des règles du droit de la Guerre, il convient d’essayer de retourner contre lui son asymétrie :
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par une politique habile de communication soulignant ses crimes,
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par une combinaison intelligente de la technologie et des moyens humains,
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par une prise en compte de la situation dans les pays voisins (supprimer les sanctuaires ou les affaiblir, ce que tente de faire enfin maintenant le Pakistan dans les zones tribales voisines de l’Afghanistan).
Cela suppose aussi un engagement total et pérenne de l’ensemble de la communauté internationale, difficile à expliquer aux opinions publiques, qui ont du mal à comprendre pourquoi il faut combattre à l’autre bout de la planète pour défendre des gens qui vous rejettent. Il y a une impuissance et une faiblesse à court terme des démocraties et de la communauté internationale. Comment par exemple mener une action efficace et coordonnée en Afghanistan, avec la plus large coalition réunie sans doute dans l’histoire militaire, lorsque chaque pays, ONG ou institution internationale a ses propres règles, contraintes, voire objectifs. L’action légitime de l’ONU et des démocraties semble inefficace, prend du temps, peut connaître de graves revers, mais sur le long terme, c’est quand même elle qui sera gagnante. L’histoire l’a montré jusqu’à maintenant.
3.3. Éthique et technique
Avec le droit des conflits armés, regroupant les différentes conventions de Genève et de la Haye, il faut reconnaître que beaucoup a été fait pour réduire les souffrances liées à la Guerre. Les récentes conventions d’interdiction des armes chimiques, des mines anti-personnel et bientôt des sousmunitions sont des progrès incontestables. Il en est de même de la création de la cour pénale internationale. Tout auteur potentiel de crime de guerre sait qu’il pourra un jour être traduit devant cette juridiction. Mais il ne faut pas non plus aller à l’excès inverse, c’est-à-dire traîner devant les tribunaux les chefs militaires dès que des hommes sont tombés (toujours l’équilibre entre les extrêmes). En tout état de cause, il reste encore à faire aboutir la lutte contre le commerce illégal des armes légères et l’interdiction d’employer des enfants comme soldats.
3.3.1. Les dégâts collatéraux
Il y a un autre domaine où la marge de progression est considérable. C’est celui de la protection des populations civiles sur les différents théâtres, encore qu’une prise de conscience se dessine à la suite du dernier conflit à Gaza (rapport de l’ONU et manifestations en Europe) et des erreurs de frappe en Afghanistan (nouvelle stratégie du général Mc Chrystal). Victimes des terroristes, des dégâts collatéraux causés par les munitions d’artillerie ou larguées par avion, utilisées comme boucliers humains, manipulées et poussées à affronter les forces militaires, celles-ci paient un très lourd tribu dans tous les conflits. Certes, il en a été ainsi depuis les débuts de l’humanité. Certes, lors des opérations en France en 1944, les bombardements alliés ont causé des pertes sensibles aux populations civiles, ce qui n’a pas empêché ces dernières d’accueillir avec enthousiasme leurs libérateurs. Ce n’est pas une raison pour ne rien faire. Au-delà d’une indignation médiatique qui ne dépasse pas quelques jours, les pertes civiles semblent une fatalité impossible à empêcher. Il faut lutter vigoureusement contre cet état de fait.
On empêchera jamais, malgré toutes les précautions prises, l’erreur de bonne foi, surtout dans les conflits asymétriques où l’adversaire se mêle volontairement à la population. Cette erreur peut se produire soit par mauvais renseignement, soit par évolution de la situation entre la décision de tir et l’arrivée de la munition. Faire la guerre suppose une prise de risque. Mais toutes les armées du monde ne prennent pas un luxe de précautions, soit délibérément, soit par incapacité, soit par indifférence, soit parce qu’elles estiment que la fin justifie les moyens. En effet, à partir du moment où l’adversaire sortirait de la légalité et commettrait lui même un crime de guerre en utilisant des innocents comme boucliers humains, il serait possible de toucher ces civils pour atteindre cet adversaire. Qu’un terroriste se cache délibérément au sein de la population civile ou dans des lieux publics tels que hôpitaux ou écoles, ne justifie jamais de risquer la vie de ces civils pour le neutraliser.
Causer des pertes civiles, délibérément ou pas, est une faute au plan éthique, mais de plus c’est une faute stratégique, car celui qui agit sans se préoccuper des dégâts collatéraux perd le soutien des populations qu’il est venu protéger, et/ou il crée de futurs adversaires.
Il y a ainsi convergence entre l’éthique et l’efficacité stratégique. La difficulté est au niveau tactique, au niveau de ceux qui sont engagés sur le terrain, sur les mers ou dans les airs souvent avec des moyens limités par rapport à la zone d’engagement, face à un ennemi en position de force. Les soldats, marins et aviateurs engagés ont à prendre, en quelques secondes, des décisions lourdes de conséquences éthiques et stratégiques dans un environnement particulièrement complexe. Il faut savoir accepter sans doute parfois des reports de mission, voire des « revers tactiques », lorsqu’il y a un risque même faible de dégâts collatéraux. Cela suppose en tout état de cause un commandement très ferme au plan du respect du droit des conflits armés, un entraînement rigoureux, et une formation à ce droit approfondie jusqu’aux plus petits échelons hiérarchiques.
3.3.2. Le cas des foules hostiles
Un scénario complexe à résoudre est aussi celui d’une foule manipulée, hostile, avec des femmes et des enfants, infiltrée de combattants armés, qui cherchent à empêcher une force militaire de remplir sa mission, voire de la submerger. Il ne faut pas dans ce contexte négliger l’apport possible des armes à létalité réduite (elles ne peuvent être totalement inoffensives), malgré leurs limites, de faisabilité technologique et d’emploi. Celles-ci ne sont certes pas la panacée et il est illusoire de penser qu’elles pourraient un jour remplacer les armes létales, ne serait-ce que parce qu’elles seraient moins dissuasives. Mais elles pourraient permettre de sauver des vies humaines dans les scénarios décrits ci-dessus. Il est clair que dans des mains tyranniques, les armes à létalité réduite sont particulièrement condamnables, mais c’est le cas pour toutes les armes.
3.3.3. Les armements de haute technologie
Enfin, la tentation est grande d’utiliser les armes de haute technologie tirées à distance de sécurité pour ne pas avoir à risquer la vie des ses propres soldats, donc à risquer de perdre aussi le soutien capital des opinions publiques, qui peut entraîner le retrait des forces concernées. Il est naturel aussi que tout chef militaire cherche à éviter les pertes dans ses rangs en faisant appel aux appuis de l’artillerie ou de l’armée de l’air. Mais, ces armes, souvent source de dégâts collatéraux, ne peuvent à elles seules obtenir la décision. Il faut à un moment ou à un autre, mettre des combattants pour contrôler le terrain, et risquer leur vie.
Pour autant, il ne faut pas condamner ce que peuvent apporter ces armements de haute technologie :
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des renseignements précis et en temps réel, permettant la discrimination des combattants et des non combattants (satellites, drones), combinés à
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des frappes extrêmement précises permettant d’éviter ces mêmes dégâts collatéraux,
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La détection des explosifs et le brouillage des dispositifs de mise à feu des engins terroristes
La solution de cette équation particulièrement difficile passe par l’habileté tactique des combattants utilisant au mieux les performances de leurs équipements, avec le souci constant d’éviter les pertes civiles, imposé fermement par le commandement, à tous les niveaux de la hiérarchie.
En conclusion, cet essai a essayé d’analyser les causes possibles des conflits, essentiellement issus de la compétition pour le partage des richesses mais aussi pour la préservation des identités. On a voulu redonner des lettres de noblesse aux nations, protectrices de ces identités, à la condition que celles-ci restent ouvertes les unes vers les autres au sein d’une communauté mondiale responsable et solidaire.
Cela passe par l’éducation des peuples à un comportement civique responsable, individuel et collectif. Tous les êtres humains doivent pour cela accéder à une instruction de qualité, qui leur permette en particulier de ne pas se laisser manipuler par une information superficielle ou orientée.
Mais il existera toujours des individus, des groupes ou des États prêts à la violence pour faire aboutir leurs intérêts ou leurs idées. La communauté mondiale doit savoir les contraindre, par la dissuasion, par la persuasion, mais aussi par l’emploi de la force juste et se comportant conformément au droit des conflits armés. C’est là la mission des militaires.
Sans négliger le risque d’affrontements identitaires (le fameux choc des civilisations), soluble uniquement par l’éducation, la connaissance mutuelle et le dialogue, la priorité est quand même de chercher à faire disparaître les grands déséquilibres économiques, financiers, écologiques et sociaux.
Enfin, les États, mus principalement par les intérêts de leurs nations respectives mais sachant aussi souvent se montrer solidaires, ne peuvent faire preuve d’angélisme ou d’utopisme. Ils ont leurs contraintes et leur logique, mais ils doivent garder cependant, et chaque individu encore plus, un seul principe pour les guider dans leurs actions (comme boussole ou repère) ; celui de respecter toute personne humaine dans sa dignité, sa liberté et ses conditions de vie. Ils sont un peu comme les courbes vers leurs droites asymptotes. Ils ne peuvent atteindre la perfection, mais ils peuvent s’en rapprocher de très près. C’est au système de gouvernance de les y aider ou de les y contraindre.
IV. Synthèse des propositions
Cadre général
1. Développer le civisme, défini comme le dévouement individuel aux différents niveaux de collectivité (du local à l’international), selon les talents de chacun, les circonstances et la période de vie considérée. Le civisme, c’est aussi le sens des devoirs et responsabilités individuelles vis à vis des autres. C’est enfin la capacité des êtres humains, par leurs actes, leurs votes, leurs choix, à contribuer personnellement au bien commun, à l’établissement d’un monde plus solidaire et plus juste. Certes, beaucoup savent montrer au moment des grandes catastrophes naturelles qu’ils peuvent être très généreux, mais cela reste bien éphémère et insuffisant. La logique des intérêts catégoriels et les égoïsmes individuels reprennent vite le dessus.
La jeunesse est bien sûr la cible privilégiée de l’enseignement du civisme. L’instruction spécifique dans les établissements scolaires doit avoir certes une place importante dans les programmes, et l’UNESCO a certainement d’ailleurs un rôle à jouer dans ce domaine. Mais ce n’est pas suffisant. La transmission de cette valeur de base est le rôle d’abord des parents, mais aussi de tous ceux qui sont en mesure de l’inculquer à leur niveau :
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associations sportives, cultuelles, laïques, scoutisme, etc.
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entreprises,
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élus (maires, parlementaires, conseillers)
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presse
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services publics (pompiers, police,)
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etc.
C’est enfin surtout par la valeur de l’exemple que ce civisme pourra s’imprégner dans les comportements des jeunes et des adultes. C’est une valeur naturelle, évidente, qui doit revenir « à la mode ».
2. Redonner ses lettres de noblesse à la Nation, éventuellement déconnectée de l’État, considérée comme dépositaire d’une identité et d’une volonté de vivre ensemble sur un territoire donné, sous réserve d’exclure toute notion de supériorité et en l’inscrivant comme élément de la Communauté mondiale. L’article 15 de la déclaration universelle des droits de l’Homme reconnaît d’ailleurs que tout individu a droit à une nationalité. Mais c’est un sujet très sensible et particulièrement complexe, surtout dès que l’on aborde la question des minorités, ou des zones géographiques à l’intérieur desquelles il y a imbrication de populations qui refusent de « vivre ensemble malgré leurs différences ».
Le droit des peuples à disposer d’eux mêmes et la non ingérence dans les affaires internes d’un Etat sont deux principes du droit international qui peuvent s’opposer. L’exemple de l’auto proclamation de l’indépendance du KOSOVO le démontre. Celle-ci dérange tous les Etats qui font face à des mouvements régionaux indépendantistes ou autonomistes. On ne peut donner satisfaction à tous les particularismes et à toutes les revendications identitaires.
Alors que peut-on proposer ? L’idéal est de laisser choisir les populations concernées par referendum (cas de la Sarre en 1955). Mais ce n’est pas toujours possible ni souhaitable, car il faut que toutes les parties concernées soient assez sages pour accepter l’issue du referendum. Il faut donc un consensus préalable. L’autre solution est que les peuples en litige acceptent un arbitrage de la communauté internationale, même imparfait (ou qu’on le leur impose).
Avec des personnes de bonne volonté, conscientes de leurs responsabilités, il y a beaucoup de formules possibles d’autonomie et/ou d’acceptation de particularismes plus ou moins importants. L’essentiel est que les petites communautés soient respectées dans leurs droits et leur identité, par les Etats dont elles dépendent.
Grâce à la subsidiarité, il faut donc promouvoir des combinaisons, souples et adaptées à chaque cas, des niveaux d’identité et d’autorité administrative, depuis la commune jusqu’à l’Humanité, en passant par les collectivités territoriales, les « Etats » et les regroupements de ces derniers à l’échelle continentale, avec une vision renouvelée de la souveraineté nationale. On a besoin des États. Mais la formule de Pierre Calame, président de la fondation Charles Léopold Mayer est particulièrement juste : « La souveraineté des Etats n’est jamais qu’une souveraineté fonctionnelle. Sa légitimité résulte non d’un sentiment de propriété, mais du fait de se comporter en bon gérant, pour le compte de la communauté mondiale, de cette portion d’humanité et de territoire qui lui est confiée. »
Place de l’ONU
3. Donner les moyens à l’ONU de mieux exercer son rôle en matière de sécurité en :
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lui donnant une meilleure réactivité et capacité de commandement militaire de niveau stratégique,
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lui donnant la capacité de contrôle de l’aptitude opérationnelle des forces mises à sa disposition,
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la dotant d’une force permanente légère de réaction rapide,
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réformant en profondeur le conseil de sécurité.
Voilà un bien vaste chantier. Par où commencer ? Faut-il une approche globale, du haut vers le bas, ou pas à pas, du plus simple vers le plus complexe. Rien interdit une combinaison des deux. Les deux premières propositions pourraient être les plus faciles à mettre en oeuvre, en étendant à l’ensemble des théâtres d’opérations sous l’égide de l’ONU l’expérience de la cellule militaire stratégique pour le Liban, donc en la renforçant, et en lui adjoignant une équipe de contrôle des contingents mis à disposition par les Etats. Ce ne sera pas simple, car comment refuser une contribution pour non aptitude opérationnelle, si par ailleurs on a du mal à trouver des pays volontaires pour fournir des contingents, en particulier si la mission est difficile et dangereuse. Pour faciliter l’accès à la compétence opérationnelle recherchée, des formations pourraient être proposées par des Etats volontaires ou des institutions internationales (sur le modèle RECAMP10 en Afrique). La participation à des opérations sous l’égide de l’ONU pourra ainsi être un défi que de nombreux Etats chercheront alors à relever, pour leur prestige et pour améliorer le niveau de leurs forces armées.
La création d’une force permanente de réaction suppose de résoudre de nombreuses questions telles que le volume nécessaire (bataillon, brigade ou …), le statut du personnel, son recrutement, sa formation, son équipement, son financement enfin. Aucune n’est insurmontable si la volonté politique existe. La dernière proposition est de loin la plus complexe, nécessitant de procéder par étapes. Ce ne peut être qu’un système respectant le principe d’égalité, prenant en compte à la fois les populations au plan quantitatif mais aussi les zones géographiques moins peuplées. Le maintien du droit de veto est acceptable voire utile, s’il est encadré par des critères limitatifs ( nombre ou fréquence du recours à ce droit, obligation de motiver avec pertinence son utilisation, etc.). Le principe d’égalité implique en retour qu’il faut alors que la charge financière et humaine ( impôt du sang) soit aussi également répartie entre les Etats (ou groupe d’Etats), en fonction de leur richesse. Sinon, il restera logique et normal que ceux qui font plus d’efforts soient ceux qui ait le plus doit de regard sur les décisions. Les moyens
4. Promouvoir donc l’idée que chaque État devrait consacrer une part égale de son produit intérieur brut à l’effort de défense de la communauté internationale, éventuellement par étapes et dans une fourchette définie, pour tenir compte des situations particulières. Une trentaine de pays dans le monde n’a pas d’armée. On peut constater parmi ceux-ci que beaucoup n’ont pas de menaces directes à leurs frontières, sont soit très petits, soient bénéficient d’accords avec des partenaires qui assurent leur défense. L’exemple le plus célèbre est celui du Costa Rica. Il paraît donc difficile d’obliger un pays, surtout pauvre, à financer un outil de défense. Mais certains pays riches, en Europe par exemple, se déchargent de leurs responsabilités en bénéficiant du soutien de leur puissant allié nord américain. Est-ce normal ? Que se passerait-il si un jour cet allié avait d’autres préoccupations légitimes ?
D’un autre côté, les inconvénients de dépenses trop importantes ne sont pas à démontrer ici, tant par le poids trop élevé sur la richesse nationale, que par le risque d’une course inutile aux armements, enfin que par l’avantage retiré pour dominer les autres nations.
La proposition est donc de fixer une fourchette incitative de dépenses, calculées en pourcentage par rapport avec le PIB, considérées comme raisonnables pour assurer l’autodéfense et pour contribuer aux efforts de paix de la communauté internationale.
Comme certains Etats peuvent légitiment se considérer comme en retard , il devrait être possible d’autoriser des dépassements temporaires pour atteindre un équilibre. Rien interdit enfin d’essayer d’étendre au niveau mondial les mesures de confiance et le Traité sur les forces conventionnelles en Europe, signé à Paris au mois de novembre 1990, qui prévoyait des plafonds dans les quantités des différents équipements militaires (chars, avions, etc.). Il s’agit donc d’atteindre un équilibre au plus bas niveau qui inspire la confiance.
5. Sans garantie que c’est pratiquement réalisable, viser malgré tout à terme et par étapes l’élimination totale des armes nucléaires. Cela suppose en effet que celle-ci soit générale, vérifiable et imposable ( en volonté et en capacités). Pour un Etat détenteur, surtout quand il a été victime par le passé de plusieurs invasions, c’est une décision qu’il ne peut prendre à la légère et sans de sérieuses garanties. Un monde sans armes nucléaires ne sera pas obligatoirement plus sûr. Par ailleurs, la dissuasion nucléaire a certainement joué un rôle positif pendant la Guerre Froide. Elle a manifestement calmé le jeu entre l’Inde et le Pakistan. Malgré tout un emballement de la prolifération n’est pas à exclure, avec des risques qui ne sont plus négligeables d’utilisation réelle, et on peut légitimement se poser la question de savoir si la solution ne passe pas par le désarmement nucléaire.
Dans un premier temps, il s’agirait d’éviter l’emballement de la prolifération et de faire en sorte que la conférence d’examen du TNP de mai 2010 aboutisse à un plan d’actions à mener sur les trois piliers, en particulier celui de désarmement nucléaire. Outre les réductions des arsenaux entre les USA et la Russie, les premières étapes, déjà non évidentes, pour établir la confiance sont connues :
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ratification par tous les Etats du traité d’interdiction de tous les essais nucléaires et l’engagement des Etats nucléaires de démanteler les sites d’essais nucléaires,
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négociation d’un traité d’interdiction de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires, avec un moratoire immédiat sur la production de ces matières,
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négociation d’un traité interdisant les missiles sol-sol de portées courte et intermédiaire,
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adhésion de tous les Etats et engagement à mettre en oeuvre le code de conduite de la Haye (contre la prolifération des missiles balistiques).
La perspective d’un désarmement total n’empêchera pas obligatoirement que des Etats cherchent encore à se doter d’armes nucléaires. Il faudrait donc, en premier lieu, poursuivre le développement de défenses contre les missiles balistiques transportant les têtes nucléaires, même si on sait que celles-ci ne seront jamais totalement étanches. Il s’agira aussi que la communauté internationale soit capable de déceler les activités de prolifération et de les neutraliser. Cela signifie concrètement qu’elle devra montrer la volonté d’aller jusqu’à la destruction préventive des installations de production illicites, après avoir appliqué toutes les mesures diplomatiques et économiques nécessaires, sans léser les populations. On en mesure toute la difficulté et il ne faut pas être trop optimiste et confiant sur le succès de cette entreprise. Mais on ne peut pas dire a priori que c’est impossible, qu’on ne peut pas « désinventer » le nucléaire militaire, et que le monde reste sûr, avec plus d’Etats détenteurs. On a bien réussi à interdire les armes chimiques, avec des enjeux certes moins importants. Il faut donc au moins essayer sincèrement.
6. Mener une action vigoureuse pour réduire de manière drastique le nombre de victimes civiles dans les conflits. Certes la Guerre suppose une prise de risque, et on ne pourra jamais empêcher des pertes civiles alors que toutes les précautions ont été prises de bonne foi. Certes, par rapport au passé, beaucoup de progrès ont été accomplis, mais ils restent encore insuffisants, parce que certains Etats ne prennent pas toutes les précautions nécessaires pour éviter les dégâts collatéraux et parce que des mouvements extrémistes utilisent des boucliers humains. Les deux attitudes sont tout autant condamnables. Tout est écrit dans les différents traités et conventions composant le droit des conflits armés. Il reste donc à les faire appliquer rigoureusement, en allant au delà des résolutions du Conseil de sécurité, et en sanctionnant les manquements manifestes relevés dans les rapports d’enquête de l’ONU.
7. Promouvoir le développement des armes à létalité réduite, comme moyen complémentaire des armes létales, dans un cadre d’emploi qui ne prête à aucune ambiguïté au plan éthique, pour en particulier éviter les victimes civiles. Les difficultés de mise au point technique et les coûts de mise au point, les problèmes d’emploi tactique , et les considérations éthiques, ne doivent pas occulter l’intérêt que peuvent représenter ces armes, principalement dans des situations dans lesquelles des forces de défense et/ou de sécurité légitimes, engagées sous mandat de l’ONU dans une cause juste, risquent d’être débordées par une foule hostile manipulée, ou lorsque des combattants utilisent volontairement face à elles des boucliers humains civils. Cela suppose de mettre en place les crédits nécessaires et de conduire les programmes à leur terme. C’est une responsabilité des Etats, qui devrait être soutenue par les institutions internationales et la société civile.
Notes
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Cette fiche est extraite de la rubrique « Lettre du mois » du site web de l’Alliance internationale des militaires pour la paix et dans la sécurité (www.world-military.net).
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Tous les textes et autres illustrations contenus dans www.world-military.net sont sous licence Creative Commons 2.0 France License : paternité, pas d’utilisation commerciale, pas de modification.
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Ce document essaie d’être le plus général possible, sans viser la politique d’un Etat particulier, et d’éviter une vision occidentale du sujet.
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(1) : Un monde uniformisé serait bien triste.
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(2) : La nation étant comprise au sens large évoqué plus haut.
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(3) : Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée, jusqu’à ce que le Conseil sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité.
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(4) : D’autres institutions, telles l’UNHCR ou UNICEF, sont heureusement beaucoup plus performantes.
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(5) : « Aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État ni n’oblige les Membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte; toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte à l’application des mesures de coercition prévues au chapitre VII ».
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(6) : Cahier du général Bachelet sur la « maîtrise de la violence dans un monde globalisé ».
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(7) : Notions de guerre totale, illimitée, absolue.
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(8) de moins en moins probable aujourd’hui néanmoins volontés.
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(9) : Il resterait à discuter de l’opportunité de garder des armes d’emploi de très faible puissance à forte pénétration.
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(10) : Renforcement des Capacités de Maintien de la Paix
Bibliographie
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« Maîtriser la violence dans un monde globalisé », par le général d’armée (2s) Jean-René Bachelet
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L’ONU et la gouvernance mondiale, par Arnaud Blin et Gustavo Marin
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« Johannes Althusius et l’Europe subsidiaire » par Jean Sylvestre Mongrenier (Institut Thomas More)
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Conversations avec son excellence, Monsieur Saïd Djinnit, représentant spécial du secrétaire général de l’ONU pour l’Afrique de l’Ouest (septembre 2009)
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« Parier pour la paix » du général d’armée(2s) Jean Cot
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« Quelques réflexions sur les valeurs », fiche du général de corps d’armée (2s) François Bresson
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L’auteur remercie également Monsieur le ministre Ousmane Sy et le général (2s) de Courtivron pour leur commentaires qui ont permis d’enrichir le document et d’éviter certains écueils.