Paris, 2008
Approche géographique et stratégique du Narcotrafic en Amérique du Sud et de ses acteurs comme facteur de violence dans le continent
« Le trafic de drogue est un mécanisme d’autodéfense pour les Colombiens….chacun est décidé à ne pas mourir de faim. Certains écrivent, certains trafiquent, certains font des films, d’autres sont présidents de la république, mais personne ne se laisse mourir de faim. Qui sait où en serait la Colombie sans le trafic de drogues? Il faudra bien un jour voir tout ça avec objectivité ; on peut l’approuver ou la désapprouver, mais c’est notre réalité. » Gabriel Garcia Marquez
Introduction
Le narcotrafic constitue en Amérique Latine un vecteur économique véritablement conséquent et sans précédent. En ce sens, le trafic de drogues s’opérant dans cette parcelle du monde ne saurait être réduit à une simple manne lucrative. En effet, le commerce de « l’or blanc » est une véritable institution aux articulations politiques, culturelles, idéologiques et économiques. C’est donc à l’échelle d’une multinationale et à celle des relations entre les Etats et de la finance mondiale qu’il faut en parler.
La géographie de la cocaïne s’est modifiée, ce marché qui s’étendait auparavant sur la Bolivie, le Pérou et la Colombie s’est désormais répandu sur l’ensemble du sous-continent latino-américain (Mexique, Argentine, Venezuela, Brésil, Guyane…)
La cocaïne profite aujourd’hui aux trafiquants, aux policiers, aux fonctionnaires de petits et hauts rangs et aux banquiers. L’ampleur du phénomène a permit l’introduction dans le jargon économique du terme de « coca dollars ».
Nous verrons que la guerre de la drogue n’est pas limitée à l’enrayement d’un phénomène qui ne sera semble-t-il jamais maîtrisé. Cette guerre représente par exemple pour les USA, un puissant moyen de pression et d’intervention dans leurs zones d’influences.
La problématique offrant cohérence à notre réflexion est la suivante :
La lutte contre le trafic de stupéfiants coûte fort chère aux pays producteurs de coca, les rentes de devises provenant du trafic leur rapporte gros alors que les matières « légales » qu’ils produisent et exportent se vendent de plus en plus mal. Comment alors contrer le fléau de la drogue sans que les communautés culturelles qui la cultivent perdent leur source de revenu ?
I. Typologie de la cocaïne
A. La cocaïne, une drogue dure et plébiscitée
La cocaïne est un alcaloïde extrait d’un arbuste d’Amérique du Sud : le cocaïer. Le cocaïer est un arbrisseau qui pousse à l’état sauvage dans la Cordillère des Andes, principalement sur le versant oriental et ce à des altitudes variant entre 300 et 2000 mètres.
Ce puissant stimulant agit sur le système nerveux central. La cocaïne se présente sous la forme d’une poudre blanche et floconneuse ou sous forme de cristaux. La cocaïne qui alimente le trafic est la plupart du temps coupée avec des substances telles que le bicarbonate de soude, le sucre, le lactose ou divers autres produits pharmaceutiques. La poudre vendue sur le marché clandestin comme étant de la cocaïne n’en contiendrait en fait que 3 à 3,5 %. La cocaïne est considérée comme le premier psychotrope illicite ayant donné lieu à un trafic organisé. On estime qu’entre 900 à 1 000 tonnes de cocaïne sont produites chaque année. La Colombie est le premier pays producteur de cocaïne en produisant environ 776 tonnes par an, la Bolivie en produit 80 000. Au Pérou, en Colombie, en Bolivie environ 1 personne sur 6 vit de l’exploitation de substances illicites. La marché américain réceptionne environ 600 tonnes par an de cette production. Selon le bureau de contrôle des drogues et de la prévention du crime de l’ONU, le trafic de drogues illicites est une industrie générant 400 milliards de dollars par an.
En mars 2000, l’Association nationale des institutions financières colombiennes a publié un rapport révélant que la narco-économie (toutes drogues confondues) colombienne atteignait en 1999 un chiffre d’affaires de 300 milliards de FF, soit l’équivalent de 56 % de son PIB. Principaux bénéficiaires de cette manne colossale : les cartels colombiens. Deux cents kilos de feuilles de coca sont nécessaires à la fabrication d’un kilo de chlorhydrate de cocaïne, ils sont payés 400 dollars au paysan qui les a produits ; le kilo de base de cocaïne qui en est tiré vaut environ 800 dollars ; ce kilo transformé en chlorhydrate est payé à la sortie du laboratoire 1 700 dollars.
B. Acheminement et transit de la cocaïne et de son économie
La filière coca-cocaïne s’est développée dans le contexte d’une crise généralisée des économies latino-américaines, sur fond de baisse continue du prix des matières premières et de mise en place des politiques d’ajustement structurel des années 80. Ainsi, en Bolivie, c’est parce qu’ils avaient été mis à pied lors de la privatisation des mines d’étain que des milliers d’Indiens ont déferlés dans la région amazonienne du Chapare où ils ont planté de la coca.
Produite dans la région des Andes (Bolivie, Pérou, Colombie), la coca devient cocaïne en Colombie, puis transite par les Caraïbes, l’Amérique centrale et le Mexique avant de pénétrer sur le territoire du premier consommateur mondial, les Etats-Unis.
La Bolivie, la Colombie et le Pérou détiennent le monopole de la production de la feuille de coca et le trafic s’étend à toute la région (Mexique, Venezuela, Equateur). L’Argentine commence à s’inquiéter de la prolifération des laboratoires au nord du pays. Le Brésil n’est pas non plus épargné par le trafic de drogues, même si en termes de saisie, le pays ne se classe qu’au 4ème rang des trafiquants de la région. Il est également depuis quelques années, le pays de sortie pour les nouvelles routes du trafic vers l’Europe via l’Afrique de l’Ouest. La coopération policière entre les Etats-Unis et l’Europe ayant été renforcée dans les Caraïbes, les routes privilégiées sont désormais le Mexique et l’Atlantique.
Près de 80 % de la cocaïne exportée aux USA provient de Colombie. Plus les États luttent contre les narcotrafiquants, plus ceux-ci rivalisent d’ingéniosité pour acheminer leurs produits des lieux de production aux zones de consommation.
A titre d’exemple, le 30 décembre 2005, la police espagnole a saisi 2,2 tonnes de cocaïne. Cette cargaison produite en Colombie, avait été acheminée par route jusqu’au Venezuela puis embarquée sur un vol pour Amsterdam qui avait fait escale à Miami. Celle-ci est ensuite parvenue par la route à Madrid. Les territoires sur lesquels se développent les cultures illicites du coca, du pavot ou du cannabis constituent des enjeux économiques ou géopolitiques de première importance. La cocaïne peut être transportée par trois moyens jusqu’à la frontière qui sépare le Mexique des Etats-Unis:
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Par la route panaméricaine ;
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Sur des navires qui longent la côte atlantique ou la côte pacifique des pays d’Amérique centrale ;
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Dans des avionnettes qui larguent leurs cargaisons au large des côtes américaines où elles sont récupérées par des vedettes rapides.
Les politiques répressives ont permis une réduction importante des cultures de coca au Pérou (de 140 000 hectares à 40 000 hectares) et en Bolivie (de 35 000 hectares à 5 500 hectares). Mais dans le même temps la production s’est déplacée vers la Colombie.
II. Contexte stratégique et culturel de la culture de coca
A. Enjeux symboliques liés à la culture de Coca
Il y a à l’évidence entre les pays d’Amérique du Sud et les zones occidentales un conflit de représentations de la cocaïne et autres substances psychotropes. Ceux-ci appréhendent ainsi différemment et selon des critères tout autres ce phénomène.
Le narcotrafic n’est donc pas à séparer d’un certain symbolisme, la marchandise stupéfiante est porteuse d’une dimension mystico-magique renvoyant au mythe de l’évasion de l’esprit comme élément de transcendance dans les sociétés Andines. Le recours à la divination était quotidien dans les civilisations Incas, rien d’important ne pouvait être entreprit sans celui-ci. Parmi les méthodes de divination couramment usitées, l’observation de la disposition prise par une feuille de coca sur une assiette place où la prise d’ayahuasca (hallucinogène) furent des pratiques coutumières. Les autochtones utilisaient la coca à des fins mystiques, religieuses, sociales, nutritionnelles et médicinales (anesthésiant). Ces aspects mystiques, religieux et sociaux de la consommation ou de l’utilisation de la feuille de coca dans les civilisations Incas constituent un héritage conséquent enrichis de légendes, formateurs de pratiques et disposant le jugement des esprits. Car l’ampleur des disciplines ayant eu recourt aux vertus de la coca rend incompréhensible et inaudible toute affirmation réductrice sur ce fait. La coca est de ces coutumes qui fédèrent, construisent et définissent l’identité d’un peuple et qui portent en elles une part de ses aspirations et de ses croyances.
Les paysans des Andes cultivent la coca depuis 5 000 ans, et ils en mâchent la feuille depuis encore plus longtemps peut-être. Dans la civilisation Andine, la coca a revêtue de tout temps une véritable importance. Prestigieuse, elle est toujours associée au pouvoir et à la religion. Elle sert d’étalon d’échange dans les transactions économiques. Tout en contribuant à frayer à l’homme le chemin des dieux, la coca facilite la relation des hommes entre eux.
Le deuxième aspect culturel lié à la production de coca et la lutte contre l’impérialisme des Etats Unis. Les USA jugés parfois trop intrusifs sont de ces voisins encombrants font naître chez les puissances plus modestes un véritables sentiment d’infériorité. Dans l’imaginaire des populations Latino-américaines, la puissance et l’ingérence des USA sont de ces facteurs qui nuisent à l’accomplissement de leurs destinées. La cocaïne revêt alors la parure d’une substance détournant et aliénant « l’ennemi impérialiste », elle offre aux Latino-américains le sentiment d’une certaine emprise et d’un pouvoir d’influence sur la première puissance mondiale.
B. Drogue et politique : le cas de du Mexique
La corruption qui gangrène les Etats concernés par la production et l’exportation de stupéfiants est préoccupante et reflète un climat de violence difficilement contenu. La corruption des élites et systèmes politiques met en péril les Etats de droit. Le positionnement des Etats concernés est alors toujours ambigu et leurs politiques partiellement inefficaces. L’infiltration massive de fonds illicites dans les caisses des Etats peut compromettre les perspectives d’avenir de prospérité.
Après la Colombie et avant la Bolivie, le Pérou a été façonné par l’alliance entre le narcotrafic et le terrorisme.
A la fin du 20ème siècle, nous assistons au Mexique à un véritable blanchiment du système politique. En plein contexte électoral, le gouvernement mexicain a annoncé des saisies historiques et des arrestations de hauts niveaux mais ce pays reste pourtant l’une des grandes places du « narco business ». Selon certains experts, il est pourtant probable que dans les années à venir la production, le trafic, le blanchiment soient indispensables à l’économie du pays et au financement des activités politiques et notamment celles du PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel) qui est au pouvoir depuis 71 ans. Les liens organiques entre politique et narcotrafic se confirment au Mexique. L’Etat de droit, censé fournir un cadre et une structure à la lutte contre le narcotrafic est ignoré dés qu’il touche à des personnes susceptibles de remettre en cause le système Priiste. Ainsi, l’impunité de certains hommes du PRI, cautionnée par Washington et par les cadres du parti reste avec la pauvreté un des principaux obstacles à une lutte effective contre le « narco business ». De plus, la consommation de crack, coke et héroïne à l’intérieur même du pays évolue incessamment, le Mexique ne se contente plus alors de son rôle de producteur et d’exportateur, il est aussi distributeur sur le marché intérieur. Ce développement en dit long sur les discours électoralistes des soi-disant « progrès » de la lutte antidrogue.
De nombreux travaux et recherches montrent que les narcotrafiquants mexicains furent historiquement subordonnés aux hommes de pouvoir du PRI, voir au PRI dans son ensemble qui les contrôle à travers les institutions policières et militaires. Depuis les années 20, les agences diplomatiques et militaires américaines rendent compte de cet état de fait. Notons qu’aux USA, aucune information judiciaire ne fut ouverte contre la Citibank dont il a pourtant été établi qu’elle avait déguisé l’origine et la destination de 100 millions de dollars en 1992.
Lors de la 1ère élection primaire de l’Histoire, les militants du PRI se sont donnés un candidat à la présidentielle : Francesco Labastida. Labastida, ancien gouverneur du Sinaloa, aurait, selon la CIA, passé des accords avec les narcotrafiquants locaux. Labastida a fait de la répression du narcotrafic son thème de campagne premier mais derrière cette campagne de « moralisation » se cachent des faits moins vertueux largement dénoncés par les médias (transactions douteuses, dépenses inconsidérées…). Plusieurs membres de son entourage politique et familier ont été suspectés de corruption, abus d’autorité et trafic d’influences. Aujourd’hui, cinq candidats de différents partis politiques sont en lice pour les prochaines présidentielles. Le gagnant, quel qu’il soit, aura beaucoup à faire car la violence, la délinquance organisée, le narcotrafic, la corruption, la pauvreté, l’impunité, le fatalisme et le cynisme restent de véritables fléaux au Mexique.
Après avoir étudié la typologie de la cocaïne, ses moyens d’acheminement et toute la symbolique qu’il y a autour de cette drogue, nous allons nous intéresser dans un premier temps à la lutte américaine contre le narcotrafic pour, dans un second temps, étudier plus précisément l’évolution des organisations de trafic de drogues en Colombie ainsi que le rôle de la drogue dans le développement des FARC.
C. La lutte des USA contre le narcotrafic
Pour les Américains, il est bien évident que les actions de groupes criminels organisés, ici les narcotrafiquants, ainsi que la présence dans son voisinage de pays ayant des lacunes au niveau de son droit et de sa capacité à le faire respecter sont autant de menaces pour les USA. Précisons tout de suite que les attentats de septembre 2001 ont changé la donne puisque les USA sont entrés dans une guerre globale contre le terrorisme, ce qui inclut aussi le narco-terrorisme.
1. Acteurs de la lutte contre le trafic de drogue
A travers l’étude des acteurs, on abordera aussi rapidement les moyens utilisés.
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Le Bureau du département d’Etat chargé des questions liées à la lutte internationale contre les stupéfiants et à l’application de la loi (INL) : il met en œuvre des programmes dans plus de 100 pays pour un budget d’environ 2 milliards de dollars et participe aux programmes régionaux et mondiaux. En plus d’aider certains pays dans la lutte contre les cultures illicites, contre le trafic et contre la consommation, l’INL cherche à renforcer les institutions comme les forces de police ou la justice de ces pays en luttant notamment contre la corruption. La majeure partie des fonds va dans l’Initiative de lutte contre la drogue dans les Andes (ACI) qui cible la Colombie, le Pérou, la Bolivie, l’Equateur, le Brésil, le Panama et le Venezuela. Les moyens utilisés dans cette entreprise sont un mélange d’élimination des cultures illicites via la fumigation, de saisies, de mesures d’extradition mais aussi d’aides aux paysans qui cultivent la coca pour leur apporter des moyens alternatifs pour survivre. Si la majorité des efforts porte sur la réduction de l’offre, ce programme œuvre aussi dans la réduction de la demande grâce à des programmes de sensibilisation en partenariat avec des ONG ou avec des organisations islamistes dans le cas de l’Afghanistan. Enfin, l’INL coordonne les entraînements internationaux dans le but d’améliorer les techniques de renforcement de la loi où participent la DEA, les Douanes et les Gardes-côtes américains.
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La Drug Enforcement Administration (DEA) : fondé en 1973 par Richard Nixon, ce service de police fédéral dépendant du Département de la Justice est présent sur l’ensemble du continent américain. Doté d’un budget de plus de 2 milliards de dollars, la DEA a pour objectif de réduire la menace et l’impact dus aux drogues illicites. Au niveau international, la DEA a pour missions de mener des enquêtes en coopération avec les pays concernés, de participer aux programmes d’entraînements internationaux et d’aider les pays volontaires dans leur développement institutionnel dans la lutte contre la drogue.
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Les US Coast Guard : la mission des gardes-côtes américains dans ce secteur est de combattre les narcotrafiquants sur les routes maritimes - qu’elles soient dans les eaux américaines, internationales, voire étrangères s’ils existent des accords bilatéraux - qu’ils utilisent pour approvisionner la demande intérieure des USA. Comme les autres acteurs, cela passe par des collaborations bilatérales avec les pays d’où part la drogue mais aussi par des innovations technologiques permettant d’améliorer la détection et l’arrestation des trafiquants.
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L’US Customs and Border Protection (CBS): cette agence a notamment pour but d’intercepter toutes les drogues illicites quand elles tentent de traverser les frontières américaines grâce à diverses techniques d’identification et à un renforcement des fouilles.
2. Un exemple de collaboration bilatérale : les Plans Colombie
En 1998, le président colombien Andrés Pastrana Arango (1998-2002) propose la création d’un Plan Colombie ayant pour objectifs le développement social et économique du pays, la fin du conflit armé et la mise en place d’une stratégie anti-drogue. Pour réussir ce plan, la Colombie a demandé l’aide des Etats-Unis. L’administration Clinton souvent critiquée dans sa politique de lutte contre la drogue a rapidement pris le dossier en main. Au final, après des négociations, la version finale du plan d’une durée de six ans et d’un budget d’une dizaine de milliards de dollars US ne ressemble guère au plan d’origine colombien. Effectivement, Washington a décidé de mettre l’accent sur la lutte contre le narcotrafic alors que le plan Pastrana le mettait sur la recherche de la paix et la fin des violences. Toutefois, avec cet appui américain, la Colombie est devenue entre 2000 et 2005 le troisième receveur d’aides militaires américaines derrière Israël et l’Egypte. Au niveau de la lutte anti-drogue, le plan a permis la création de plusieurs unités anti-narcotiques représentant environ 2000 hommes entraînés et équipés par les USA et menant des opérations antidrogues contre les plants de coca.
Plusieurs événements survenus après sa mise en place ont contribué à modifier le plan. On peut citer ici l’élection des républicains à la tête des USA, les attentats de 2001 et, par conséquent, le déclenchement de la guerre globale contre le terrorisme mais aussi l’échec des tentatives de paix entre le gouvernement colombien et les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) en 2002. Les aides américaines ne devaient pas servir à combattre certaines organisations armées telles que les FARC, les Autodéfenses unies de la Colombie (AUC) ou encore l’Armée de Libération Nationale (ELN) mais, à la suite de ces événements, le président colombien a malicieusement argumenté auprès des USA et de la communauté internationale que ces organisations avaient un caractère terroriste et narcotrafiquant. Ce discours a été très bien accepté par l’administration Bush qui a progressivement inclus la Colombie dans sa lutte mondiale. Ainsi, le Plan Colombie a petit à petit évolué de la lutte contre le narcotrafic à celle contre le terrorisme et a privé les groupes armés d’une certaine légitimité politique. A la suite de l’échec des négociations de paix avec les FARC, l’administration d’Alvaro Uribe, le nouveau président colombien qui était farouchement opposé à ces négociations, a réussi à nationaliser la stratégie anti-narcotique et antiterroriste des USA mais aussi les ressources militaires américaines en l’intégrant, en l’adaptant à sa Politique de Sécurité Démocratique. Cela a permis de faire baisser le taux d’homicides et le taux d’enlèvements entre 2002 et 2005 (respectivement de 29000 à 18000 par an et 3000 à moins de 1000 par an).
Le Plan Colombie, alors qu’il est le fruit d’une initiative du gouvernement Clinton, est présenté comme l’une des rares réussites en matière de politique étrangère de l’administration Bush. Cela a contribué à mettre en œuvre depuis février 2007 une nouvelle version de cette stratégie intitulé Plan Colombie II doté d’un budget d’environ 45 milliards de dollars US et valable jusqu’en 2013. La signature de ce nouveau plan est très importante stratégiquement pour les USA car il permet de maintenir une zone d’influence politique et militaire notable dans une région qui se fait pauvre en matière de partenaires pro-américains. Cependant, le Plan Colombie I n’a pas su construire une paix durable en Colombie notamment parce que le narcotrafic continue de donner aux trafiquants et aux groupes armés d’importants revenus, ce qui leur permet d’infiltrer et corrompre les institutions. Pourtant, Washington a l’air de considérer ce modèle de lutte comme une véritable réussite et semble vouloir le reproduire à d’autres zones de conflit comme l’Afghanistan alors qu’il apparaît comme trop centré sur le militaire et ne permet a priori pas de construire une paix durable.
III. Etude de cas : la Colombie
La Colombie est le plus grand cultivateur de coca illégale (1) et le plus grand producteur de cocaïne au mondeElle est aussi un des gros fournisseurs d’héroïne du marché américain. 90 % des drogues entrant aux USA viennent de la Colombie. Elle est l’un des principaux pays en nombre d’enlèvements et d’assassinats commandités au monde et en matière d’exportation de prostituées au niveau latino-américain. De plus, ce pays fait partie des producteurs majeurs de faux dollars américains mais aussi de faux euros et de faux passeports de la Communauté Européenne. Avant d’aborder plus précisément l’évolution historique des organisations du trafic de drogues, intéressons-nous aux raisons qui ont favorisé le développement de cette industrie illégale dans de telles proportions alors que d’autres pays réunissent les conditions climatiques pour produire en masse de la cocaïne. Ce qui suit sont des arguments que l’on peut apporter au débat sur la qualification de la Colombie comme un narco-Etat.
A. Pourquoi la Colombie ?
L’Etat colombien ainsi que certaines institutions socialisatrices telles que l’école, la famille ou d’autres types de groupes sociaux n’ont pas su imposer certaines limites au comportement individuel et ont toléré la violation des normes sociales et de la loi. Tout cela a bien évidemment contribué au développement des activités illicites. Par rapport à d’autres pays d’Amérique latine, on constate une moindre présence de confiance, de solidarité civile mais aussi une identité nationale moins forte. Beaucoup d’auteurs ont tenté de comprendre les raisons du non-développement de cette identité nationale et de la croissance de la production de cocaïne. Une première explication se retrouve dans les barrières géographiques, forêts et montagnes, de la Colombie qui ont empêché la communication et le commerce inter-régional, ce qui a favorisé le développement de fortes identités régionales mais aussi le maintien d’un Etat central faible qui n’arrivait pas à collecter les impôts et avait donc des rentrées fiscales insuffisantes. Cette situation qui est antérieure à la conquête espagnole a été aggravée notamment par la campagne de libération de Bolivar financée par des prêts étrangers qui ont contraint la Colombie à accumuler une dette extérieure considérable. Ainsi, l’Etat n’avait pas la capacité de faire respecter la loi car l’armée et les forces de police ont toujours été faibles en termes de ressources mais aussi de reconnaissance sociale et n’ont pas pu contrôler l’ensemble du territoire. De plus, comme plusieurs pays, la Colombie a connu un exode rural important mais qui, à la différence de ses voisins, fut favorisé par la violence, ce qui a engendré chez beaucoup d’individus un déracinement. On constate aussi qu’il y eu des mouvements de paysans allant dans certaines régions isolées où l’Etat n’est pas prêt à investir dans une véritable souveraineté qui est très coûteuse. Pourtant, cette partie du pays est composée d’une forêt tropicale qui est apparemment facile à détruire. Comme ce sont des régions où le développement urbain n’est pas possible et qu’il est onéreux de les contrôler, les organisations de trafic de drogues, les FARC et autres organisations paramilitaires ont pris possession de ces zones qui cultivent la coca et fabriquent la cocaïne.
La Colombie s’est suffisamment développée pour que la majeure partie de la population sache lire et écrire, que les femmes travaillent et que les infrastructures urbaines et dans une moindre mesure rurales s’accroissent. Par contre, elle est aujourd’hui une société très individualiste dont la plupart des individus ont connu le choc traumatique d’avoir un proche tué ou enlevé, ce qui contribue aux problèmes dans la résolution pacifique du conflit. Effectivement, beaucoup d’individus vivent avec un sentiment de revanche, de haine envers les narcotrafiquants ou les groupes armés qui les empêchent psychologiquement de pardonner. La faiblesse des institutions et de l’Etat ne permet pas d’instaurer un contrôle social des comportements. Ainsi, du fait des facteurs que l’on vient d’évoquer, on peut dire que la Colombie, par rapport à d’autres pays qui disposent d’un climat et de ressources propices au développement du commerce de drogues illicites, dispose d’un avantage comparatif dans ces domaines. D’ailleurs, elle n’est pas la seule à avoir cet avantage. En effet, on remarque que ces activités se concentrent dans des régions ayant des ethnies à la marge de la société (Pakistan, Laos, Pérou), ayant des groupes isolés (Thaïlande, Indiens d’Amérique), étant doté d’un Etat central faible ou étant en conflit interne ou externe (Afghanistan).
B. Evolution des organisations du trafic de drogues
Nous examinerons ici trois configurations d’organisations de narcotrafiquants. Tout d’abord, nous verrons la première génération d’organisation marquée par le développement des gros cartels : ceux de Medellin et de Cali. Ensuite, nous présenterons le « cartel » du Norte del Valle qui est une situation intermédiaire entre les cartels précédemment cités et les entreprises que l’on connaît actuellement. Enfin, nous regarderons la réalité actuelle de ces organisations qui fonctionnent désormais comme des « entreprises en réseau ».
Le terme de cartel provient de la justice américaine du début des années 1980 pour expliquer des alliances entre narcotrafiquants et ainsi réunir tous les procès et enquêtes. Le concept apparaît plus comme un idéaltype que comme une description de l’histoire et de la réalité actuelle. Excepté durant la période des cartels de Medellin et de Cali, le trafic de drogues a toujours fonctionné sur une autonomie plus ou moins grande entre les acteurs et les organisations. De même, il est difficile d’employer le terme de mafia pour qualifier ces entreprises illégales. Effectivement, en Colombie, le trafic de drogues est entièrement consacré à la production et à la commercialisation. Alors que la mafia accapare systématiquement les ressources qui circulent dans sa zone de pouvoir grâce à des activités très diverses, les cartels colombiens ne recherchent généralement pas un contrôle monopolistique du territoire, ce contrôle servant surtout à sécuriser le commerce. De plus, la mafia se caractérise par la famille et par une grande herméticité alors qu’en Colombie, même si la famille est privilégiée, le trafic exige une plus grande flexibilité et donc une plus grande ouverture aux étrangers. On retrouve comme grand trait commun une utilisation de la violence importante. Ainsi, il semble difficile d’employer ce terme de mafia pour qualifier la situation colombienne. Certains auteurs utiliseront le terme de crime organisé puisque le concept renvoie à « des groupes et à des activités de caractère illégal à des fins d’enrichissement et d’accumulation de pouvoir », d’autres parleront d’organisations de type mafieux, dénomination qui regroupe aussi bien la Cosa Nostra américaine que les Yakusas japonaises ou les Triades chinoises.
1. Les cartels, première génération d’organisations
Ce type d’organisation structurée, centralisée est profondément lié à leurs chefs, à leurs capos (2). Ce sont eux qui vont établir les stratégies commerciales, les modes de relations avec le monde politique et les modes d’utilisation de la violence. Il nous apparaît donc nécessaire de retracer la personnalité de ces chefs.
Le capo du cartel de Medellin est Pablo Escobar Gaviria (1951-1993) qui a commencé sa carrière en volant et en braquant des banques avant de se mettre dans le commerce de cocaïne qu’il faisait venir d’Equateur à Medellin pour la réacheminer vers les Etats-Unis. Son cartel réunit des noms comme celui de Gonzalo Rodriguez Gacha (1947-1989), opérant dans le département de la Magdalena, ou celui des frères Ochoa. Le cartel de Cali est, quant à lui, mené par les Gilberto et Miguel Rodriguez Orejuela avec comme numéro trois José Santacruz Londono (1943-1996). Notons que tous ces individus ont eu des parcours très différents avant de se lancer dans le trafic de drogues. Gacha était presque analphabète, Escobar n’avait pas l’équivalent du baccalauréat alors que les frères Ochoa étaient issus d’une famille aristocratique de propriétaires terriens. L’un des frères Orejuela se vantait d’avoir un diplôme d’avocat et l’autre avait son baccalauréat et avait assisté à des cours de gestion et stratégie d’entreprise. Cependant, tous ont constaté la différence de prix pratiquée entre l’Amérique du Sud et la Colombie et tous ont compris leur futur rôle : faire circuler la drogue de la Colombie vers les USA, rôle qui se développera ensuite pour englober toute la chaîne de production.
Les différences au niveau de l’éducation et de l’origine sociale se retrouvent dans la manière de gérer et de développer le commerce. Très rapidement, Pablo Escobar a fait de son trafic une entreprise ouverte et participative. N’importe qui pouvait se rendre à Medellin appelé aussi le bureau (la oficina) pour revendre sa marchandise, le bureau se chargeant ensuite de la faire parvenir dans les villes étatsuniennes. Escobar a toujours travaillé son image de père voire de Robin des Bois auprès de la population. Ainsi, il a investi dans le zoo de l’Hacienda Nàpoles qu’il a rendu gratuit et a fait don de plusieurs centaines de logements à des familles ayant de très bas revenus. Ces gestes, que l’Etat n’était pas capable de faire, a certainement aidé dans sa recherche de légitimité politique. Les frères Orejuela et le cartel de Cali ont plutôt favorisé les entreprises de façades et le camouflage de la cocaïne dans des marchandises légales. Ils ont rapidement atterri dans le monde de l’économie légale en tant qu’investisseurs. A ce titre, le Département du Trésor américain a recensé plus d’une centaine d’entreprises appartenant aux deux frères dont plusieurs magasins de pièces détachées Chrysler qui furent approuvés par l’ambassade des USA. Gacha était dans une autre logique en investissant dans la terre, l’or, les pierres précieuses et thésaurisant énormément.
De la même façon, on note des différences dans les relations entre ces narcotrafiquants et le monde politique. D’origine modeste, Escobar a cherché de la reconnaissance sociale grâce à une participation directe dans la vie politique. Avec son mouvement « Medellin sans bidonvilles », il a participé à la création de nombreux logements, d’écoles sportives, etc. Il est d’ailleurs élu parlementaire en 1982. De même, l’associé et transporteur d’Escobar, Carlos Lehder, a crée son propre parti, le « Movimiento Latino », qui luttait activement contre l’extradition. Le cartel de Cali a opté pour une approche plus discrète en achetant le soutien de parlementaires et de membres du gouvernement via le financement des campagnes électorales ou l’achat de certains services. Les frères Orejuela ont aussi privilégié des alliances avec les élites locales par leurs investissements dans l’économie et leurs participations aux soirées mondaines. Par conséquent, les membres du cartel de Cali sont plutôt vus comme des hommes d’affaires avec lesquels on peut traiter malgré la nature de leurs activités alors que ceux du cartel de Medellin sont traités comme des délinquants nouveaux riches. Un tel degré de corruption, d’infiltration dans les domaines politiques, économiques et étatiques ajouté à la violence qu’ils ont entretenu fait que ces cartels ont eu plus qu’une simple influence sur la société, ils ont participé à sa transformation.
En ce qui concerne l’usage de la violence, Pablo Escobar a tranché pour une armée de tueurs à gages, les sicarios, venant des populations défavorisées, dont lui-même est issu, et entraînée par ses hommes. Son associé, Rodriguez Gacha, a, quant à lui, choisi une armée de paysans pauvres. Les frères Orejuela ont préféré recruter des retraités venant des forces de sécurité de l’Etat mais aussi des mercenaires. La première utilisation publique de violences par les cartels a été en réponse à l’enlèvement d’une des sœurs Ochoa par la guérilla M-19 en 1981. Craignant pour la sécurité de leurs intérêts, de nombreux capos se sont réunis pour créer une organisation nommée la MAS, Muerte A Secuestradore (Mort aux kidnappeurs). La MAS est vite apparue comme une défense non pas contre l’Etat mais contre les ennemis de l’Etat. A travers des ennemis communs, les narcotrafiquants et les forces de sécurité de l’Etat ont crée des liens forts. La MAS attaquait la guérilla d’une manière plus efficace à la place des institutions étatiques qui faisaient profil bas sur ces exactions tout en étant contentes de ne pas avoir à faire ce travail. Cependant, les cartels ont aussi usé du terrorisme. La première action de ce type remonte à 1984 avec l’assassinat du Ministre de la Justice Rodrigo Lara Bonilla, c’est le début de la guerre entre les capos et l’Etat et la société de la Colombie. Le gouvernement du président Belisario Betancur (82-86) annonce alors l’application des accords d’extradition. A partir de là, on assiste à une multiplication des actions terroristes de la part des cartels touchant des hommes politiques, des juges, des journalistes, des magistrats etc. La seule réponse du gouvernement est l’extradition, ce qui a fait l’objet de nombreuses batailles juridiques. Devant tant de violences, beaucoup de Colombiens souhaitent un accord entre le gouvernement et les capos. Des négociations ont effectivement eu lieu depuis 1984 qui ont vu les narcotrafiquants proposer de racheter la dette extérieure colombienne. L’Assemblée Constituante de 1991 a aussi été le théâtre de négociations qui ont finalement abouti au retrait de l’extradition de la Constitution et donc à la perte de l’instrument le plus efficace. En plus de cette lutte contre l’extradition, les cartels de Cali et de Medellin s’opposent et entrent dans une guerre de massacres. De son côté, Gacha affronte ouvertement les FARC et leur vitrine politique, l’Union Patriotique, à l’aide d’une armée paramilitaire constituée de mercenaires israéliens, britanniques et aidée par une coalition réunissant de nombreux groupes dont le cartel de Medellin.
2. Le « cartel du Norte del Valle », une expérience intermédiaire.
Ce « cartel » est une expérience intermédiaire entre les cartels de Medellin, de Cali et les entreprises en réseau. Il garde une certaine hiérarchie et un certain degré de contrôle, sans pour autant atteindre la maîtrise des grands cartels, et est beaucoup plus flexible et dispersé, ce qui, d’ailleurs, fait que l’emploi du terme cartel n’est pas vraiment approprié. Cette organisation composée d’une vingtaine de groupes se définit aussi par ses limites géographiques (le Nord du département du Valle del Cauca) et sa neutralité dans la guerre qui a opposé les deux grands cartels. Ces narcotrafiquants n’ont pas été une grosse concurrence pour Escobar et les frère Orejuela car ils sont arrivés au moment du boom et avaient un marché et des routes à eux qu’ils pouvaient partager selon les alliances. Contrairement aux deux cartels, celui du Norte del Valle n’a pas de liens concrets, ni de réelles relations de dépendance. Les différents groupes qui le composent sont rattachés à des alliances militaires ou commerciales conjoncturelles. La taille et l’autonomie de ces différentes organisations font que les enquêteurs et les experts ont très peu de données. D’ailleurs, alors que les autorités s’occupaient de la répression des cartels de Medellin et de Cali, les narcotrafiquants du Norte del Valle se sont accaparés discrètement les routes et les marchés sans que les autorités américaines ou colombiennes puissent agir car il est difficile d’identifier à la fois les individus et des structures aussi petites. La taille, l’indépendance, l’éparpillement des responsabilités mais aussi l’externalisation de certains services comme le transport ont été des facteurs de la sécurité du commerce (3) à tel point que le modèle du Norte del Valle est pris comme exemple par de nombreuses organisations criminelles.
3. La deuxième génération d’organisations : les entreprises en réseau.
La montée de cette génération d’organisations correspond tout d’abord au démantèlement des grands cartels. Accusé d’avoir financé sa campagne avec des fonds des frères Orejuela, le président Ernesto Samper Pizano (94-98) est mis sous pression par les Etats-Unis. Par conséquent, le gouvernement colombien a ordonné une des plus grandes destructions de cultures illicites de l’histoire colombienne et a mené des actions policières qui ont permis l’arrestation des capos de Cali. Des accords bilatéraux avec les USA comme le Plan Colombie sont signés et des mesures judiciaires comme le rétablissement de l’extradition dans la Constitution ou comme l’alourdissement des peines sont prises.
Malgré le démantèlement des deux grands cartels et la destruction de cultures, on a constaté le maintien du trafic. En effet, la production s’est améliorée et diversifiée grâce à des variétés de coca plus résistantes (4) et plus productives mais aussi par le développement de la culture du pavot et de la production d’héroïne. Dès lors, on assiste à la « démocratisation », à l’atomisation du commerce et à une plus grosse intégration aux réseaux mondiaux. Prenant pour exemple le cartel du Norte del Valle, ces nouveaux trafiquants se sont constitués en petites entreprises spécialisées dans une partie du processus productif et commercial. Encore plus que le cartel du Norte del Valle, la taille et la dispersion de ces organisations rendent le travail d’identification très difficile pour les autorités. Contrairement à la génération précédente, les nouveaux trafiquants sont issus des classes moyennes et jouent la modestie au niveau de leurs styles de vie, ce qui les rend presque invisibles. De plus, ils participent beaucoup moins à la vie politique et à la vie des élites sociales.
Le commerce de la cocaïne comprend principalement six grandes étapes : la culture, le travail de la feuille, la cristallisation pour obtenir la cocaïne, le transport, la distribution dans les rues et la collecte des bénéfices pour les réinvestir. Durant l’époque des cartels de Cali et de Medellin, comme toutes grosses entreprises, la totalité des phases de la production était comprise dans l’organisation. La fragmentation de la chaîne de production entre plusieurs entreprises très spécialisées permet plus de discrétion, plus de mobilité et surtout plus de sécurité pour le commerce. Si un problème survient à l’un des maillons de la chaîne, l’adaptation dont ces entreprises font preuve leur permet de modifier leurs stratégies et de continuer l’approvisionnement des consommateurs. Ainsi, ces nouveaux trafiquants s’occupent moins de la partie transport qui est déléguée à des intermédiaires mexicains, dominicains ou portoricains. Par conséquent, le trafic de drogues s’est extrêmement atomisé et, d’ailleurs, il n’est pas rare de voir de simples individus investir leurs épargnes dans ce commerce. Cependant, il faut noter que les bénéfices ont diminué par rapport à l’époque dorée des célèbres capos par contre, grâce à des investissements dans les routes, dans les moyens de transport, les risques ont énormément diminué car les organisations sont moins repérables et donc moins attaquables. De moindres bénéfices conduisent, de plus, à la rationalisation et à la prudence dans les investissements. Enfin, les nouvelles organisations de type mafieux se caractérisent par des alliances internationales avec d’autres organisations criminelles. Par exemple, les autorités ont découvert un sous-marin avec de la technologie russe et le développement de la culture du pavot a nécessité l’aide asiatique. Cela permet donc de découvrir de nouvelles techniques de production ou de commerce, de s’ouvrir à de nouveaux marchés mais aussi de diversifier les trafics.
Malgré les capacités d’adaptation et de mobilité de ces narcotrafiquants, on peut dire que les temps deviennent plus durs à cause :
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D’une part, des actions conjointes avec les autorités étatsuniennes qui se sont concentrées sur la Colombie ;
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D’autre part, à cause de la lutte interne pour les ressources entre les narcotrafiquants, la guérilla et les groupes paramilitaires.
C. Les FARC et la drogue
Dès les années 1980 lors du boom du commerce de la cocaïne, la guérilla marxiste des FARC se rend compte de l’important développement de la culture de la coca sur les territoires qu’ils contrôlent. Au début, ce n’est, pour eux, que le produit de la « dégénérescence capitaliste ». Par conséquent, ils s’opposent très vite à la culture d’un tel produit. Cependant, ils constatent encore plus rapidement que cette production permet la survie de nombreux paysans. Plutôt que de supprimer cette source de revenus pour les paysans, les FARC décident donc de prélever un impôt tout en faisant pression pour que les agricultures cultivent d’autres matières premières en parallèle. Toutefois, les FARC vont prestemment se présenter comme une alternative à l’Etat en prenant en main l’économie de la drogue dans les territoires contrôlés via les impôts et la régulation du marché contre une compensation qui prend ici la forme de fournitures de services comme l’éducation ou encore la santé. Voyant les ressources financières que le trafic peut engendrer, la direction des FARC a fait savoir aux fronts situés dans les régions productrices de coca qu’ils devaient apporter plus financièrement. C’est le début du trafic de drogues chez les FARC. Notons que les relations ont été plutôt bonnes avec les cartels de Medellin et de Cali tant que la guérilla ne prenait pas pour cible des membres de ces organisations. Cela n’est cependant pas le cas avec Gonzalo Rodriguez Gacha qui, à cause d’une alliance rompue par les FARC, a entamé une véritable chasse aux guérilleros avec l’aide de milices de grands propriétaires terriens. En tout, on dénombre plusieurs milliers de victimes, dont un candidat à l’élection présidentielle, au sein de la guérilla et de l’Union Patriotique.
Le démantèlement des grands cartels, l’extension des cultures de coca et de pavot et la crise agricole qui date du milieu des années 1990 vont se faire surtout au profit des FARC qui voient leurs revenus augmenter de manière importante. On parle entre, 1995 et 2000, de bénéfices d’environ 300 millions de dollars US, ce qui a permis de doubler les effectifs sur la même période. Précisons que le recrutement est aussi favorisé par les crises cycliques du prix de la coca qui obligent les paysans à s’enrôler au sein de la guérilla. On note aussi une tendance générale de la part des FARC à abandonner le système des impôts déjà évoqué pour s’impliquer plus directement dans les activités liées au narcotrafic même si cet engagement varie selon les fronts du fait du processus de décentralisation que connaît les FARC. De plus, on remarque aussi une croissance des investissements dans la culture du pavot. Toutefois, les gains financiers sont compensés par la perte de légitimité au niveau national et international puisque la guérilla est de plus en plus associée à une organisation de trafic de drogues. La marche des cocaleros en 1996 marque le début des affrontements entre les FARC et les paramilitaires (AUC et ELN) pour le contrôle des zones de production de la drogue. A partir de là, dès les années 1998-1999, les FARC décident d’augmenter leur niveau d’implication dans le trafic en supprimant les intermédiaires afin de dégager une plus-value plus importante. Ainsi, on assiste au développement d’un véritable conflit territorial autour de la drogue entre les FARC et les groupes paramilitaires.
L’histoire et l’évolution des FARC sont donc liées à la drogue. Celle-ci leur a permis d’étendre leurs territoires (5), d’augmenter leurs ressources (6) et d’élargir leur base sociale grâce à la régulation du marché et à la protection des paysans que la guérilla a effectuées. Cependant, le trafic de drogues a aussi amené son lot de relations conflictuelles notamment avec Gonzalo Rodriguez Gacha qui a réussi à chasser la guérilla d’un de ses fronts historiques, la Magdalena. En effet, les FARC sont ici davantage combattus pour la concurrence qu’ils apportent que pour leur idéologie. Enfin, le lien qu’ont les FARC avec le trafic de drogues a fortement discrédité l’image de leur cause auprès de la population colombienne mais aussi auprès de la communauté internationale et notamment auprès de l’Union Européenne qui a classé ce mouvement dans la catégorie des organisations terroristes en partie à cause de ces liens avec le narcotrafic.
Notes
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Auteurs de la fiche : Benoît GALLICE et Christophe LEGOUTEIL.
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(1) : Apparemment 144 000 hectares.
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(2) : Précisons que ce terme renvoie directement aux chefs de la mafia mais il peut, selon nous, être appliqué aux chefs des cartels.
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(3) : Sans oublier la protection fournie par des groupes paramilitaires.
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(4) : Elles résistent plus aux produits utilisés dans les stratégies d’éradication des cultures illicites.
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(5) : Toutefois moins que pour les groupes paramilitaires.
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(6) : Le trafic représente 40% des ressources totales des FARC.
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Sources utilisées :
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BATAILLON, Gilles, Drogue et politique : le cas panaméen, Cultures et conflits, numéro 3, 1991
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LABROUSSE, Alain, Géopolitique des drogues, coll. Que sais-je ?, PUF, 2004
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SAUNOY, LE BONNIEC, A qui profite la cocaïne ?, Pluriel, 1995
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THOUMI, Francisco, La Colombie ou l’avantage comparatif de la coca, disponible sur le site du RISAL : www.risal.collectifs.net/article.php3?id_article=2296
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