Mina de Beaumont, Paris, avril 2009
La résistance civile pour la paix
La gestion des conflits connaît une transformation progressive qui n’exclue plus les acteurs civils des processus de pacification. Depuis longtemps, les populations des régions secouées par des combats armés ou par des actes violents s’engagent dans l’optique d’instaurer un climat social plus sûr, ou plus juste.
Aujourd’hui, leur rôle est de plus en plus valorisé, tant dans la prévention des violences, dans les cessez-le-feu que dans la reconstruction de la paix, lorsque les rivalités sont enfin apaisées. Les populations civiles ont donc une influence avant, pendant et après les conflits. Il n’y a en effet pas de pouvoir coercitif sans la sujétion consentante des sujets. La mobilisation massive des populations reste donc un moyen efficace de changement ou de protestation.
Cet article a pour but de donner aux acteurs de la paix et aux populations victimes de conflits armés ou répressifs des pistes de réflexion sur les formes de participations civiles et non-violentes dans les processus de règlement des conflits.
Nous expliquerons premièrement qu’est-ce qu’une résistance civile non-violente et qu’elles sont ses origines. Nous verrons ensuite que les formes de cette résistance civile s’adaptent au contexte dans lequel elles se développent, puis nous considérerons les conditions de sa réussite. Enfin, nous verrons que la mobilisation des populations peut aussi avoir comme objectif la construction d’une société plus égalitaire, ne favorisant pas l’émergence de conflits.
I. La résistance civile : la réaction des populations aux situations d’injustice
A. L’implication de la population civile dans le règlement des conflits
La résistance des populations à une situation de conflit répond souvent à un sentiment d’injustice partagé par toute une partie de la société. Celle-ci se mobilise alors pour faire valoir ses droits ou pour mettre fin à une domination coercitive, que cette dernière soit exercée par le régime en place ou par une puissance étrangère invasive.
Cette résistance peut être armée. Elle se traduit alors par des actes de violence et se solde souvent par des morts. Cette stratégie permet de faire connaître son action par une médiatisation accrue, la violence étant toujours remarquée, et constitue parfois le seul moyen de se faire entendre. Cependant, cette méthode présente une limite importante : elle enlève, aux yeux de la communauté internationale, toute légitimité aux populations qui se battent pour leurs idéaux, et n’apportent pas, au final, les résultats escomptés.
Ainsi, les bombes humaines palestiniennes qui entraînent la mort de civils sur le territoire israélien sont qualifiées d’actes terroristes, alors qu’elles ont pour but final d’alerter l’opinion sur la spoliation des terres dont les Palestiniens sont victimes. Ces démonstrations de résistance violentes entraînent des réponses militaires meurtrières, qui, elles, sont légitimées par le droit d’un Etat à se défendre dès lors qu’une attaque est menée sur son territoire. Dans le cas du conflit israélo-palestinien, ces résistances sanglantes ont amené Israël a exercer un droit d’ingérence dans les territoires palestiniens. La résistance armée aboutit souvent à une répression néfaste pour la population opprimée qui tente de faire valoir ses droits. Elle engendre un cycle vicieux de la violence, attise les haines, les peurs et les rejets entre deux communautés, et peut faire de l’oppresseur une victime aux yeux de l’opinion publique.
La résistance civile est donc bien plus efficace lorsqu’elle agit selon des principes de non-violence. L’article va précisément se pencher sur cette forme de règlement des conflits et sur ses résultats. La résistance non-violente des populations s’exprime sous de nombreuses formes, et donne lieu à diverses actions. Mais qu’est-ce que la résistance non-violente ?
B. La résistance non-violente, l’arme des faibles
Nous accepterons la définition suivante tout au long de l’article : la notion de résistance civile pour la paix désigne principalement les formes de lutte sans armes contestant une situation de violence ou d’injustice.
La résistance civile se bat donc contre les différentes formes de violence qu’un groupe ou que des individus peuvent exercer. Ces violences peuvent être physiques – c’est l’acceptation la plus courante du terme- et se traduire par des actes d’emprisonnement, de tortures ou d’exécutions. Mais elles peuvent aussi être larvées, et donc plus difficiles à démontrer et à dénoncer. La répression économique peut consister à affamer une population en imposant un embargo, ou bien à priver de leur emploi les individus engagés dans une lutte. Enfin, les procédés d’exclusion de minorités, sur le principe de leur couleur de peau, de leur appartenance confessionnelle ou de leur culture, exercent une violence psychologique féroce, qui porte atteinte aux droits de l’homme et à sa dignité.
Pour combattre ces situations de conflits, la résistance civile pour la paix repose sur le concept de la non-violence, une philosophie qui délégitime la violence, promeut une attitude de respect de l’autre dans le conflit et constitue une stratégie d’action politique pour combattre les injustices.
Ce concept diffère du pacifisme. Ce dernier terme fait trop souvent référence à l’idée de non force, de passivité ou de résignation. L’action non-violente exprime une revendication active, appuyée par de nombreuses formes de protestations. Elle fait prendre de nombreux risques à ses partisans car elle suppose l’exposition bien réelle des militants aux armes de ceux qui choisissent des méthodes violentes pour résoudre les conflits. On peut, pour appuyer l’idée d’une dynamique de résistance et d’implication physique, parler de combat non-violent.
Les partisans de la résistance non-violente peuvent être classés selon deux tendances :
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Ceux qui prônent la non-violence comme méthode politique et sociale, et qui y voient un moyen efficace de faire aboutir leurs revendications ;
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Ceux qui vivent la non-violence comme un but spirituel en soi, intimement à une pratique morale et/ou religieuse. L’article se concentrera donc sur la résistance non-violente comme stratégie politique, afin d’enrichir la réflexion sur la gestion non-violente des conflits.
C. Origines et histoire
Depuis le XIXe siècle, on assiste à la généralisation des formes de luttes non armées, qui peuvent naître dans des contextes politiques et culturels très différents. Aujourd’hui, l’efficacité de la résistance des populations pour la paix est avérée. Elle a néanmoins nécessité plusieurs expériences innovantes pour arriver à s’imposer comme un des moyens d’accélération du règlement des conflits.
Ainsi, entre 1849 et 1867, c’est toute la société hongroise qui se mobilise pour marquer son refus de se soumettre à l’annexion de leur pays par l’Autriche. Sous l’autorité d’un homme qui prône la non-violence, Ferencz Déak, les Hongrois vont entraver la bonne marche de l’occupation autrichienne en gênant les processus de production et de perception des impôts. De larges pans de la société sont impliqués dans cette résistance : le clergé avec la résistance active des pasteurs, les étudiants qui manifestent tout de noir vêtus, le gouvernement démis qui continue à se réunir clandestinement, et de façon plus générale, toute la population qui, par de petits actes de résistance, met en difficulté le pouvoir autrichien. Le coût de l’occupation devient alors trop élevé, le territoire hongrois trop difficile à gérer : l’Autriche se retire après 18 ans d’occupation. C’est l’une des premières grandes victoires contemporaines de la résistance des populations à la violence (Résistance des Hongrois, 1849-1867).
Il faut cependant attendre le début des années 20 pour voir apparaître le concept de non-violence dans les journaux, en référence au combat de que Gandhi mène contre le colonialisme britannique. Le leader indien définit les règles de l’action non-violente en ces termes : ne pas avoir de colère, supporter la violence de l’assaillant sans répondre, se soumettre volontairement à l’arrestation. Son combat pose les bases de la résistance civile non-violente et popularise cette stratégie tout en soulignant son efficacité.
Par la suite, de nombreux combats non-violents ont vu le jour sur d’autres continents. La figure marquante de Martin Luther King dans son combat pour la reconnaissance de la minorité noire aux Etats-Unis a fini d’asseoir la pertinence de la protestation non-violente dans la revendication des droits humains. À partir des années 50, le prix Nobel de la paix récompense ceux qui se sont engagés dans cette voie, comme par exemple le Dalaï Lama en 1989 pour sa lutte contre l’occupation chinoise au Tibet ou encore en 1991 Aung San Suu Kyi, la dirigeante de l’opposition démocratique en Birmanie. La popularité de l’action résistante non-violente va alors aller croissant durant la deuxième moitié du XXe siècle, et sera principalement dirigée contre des régimes autoritaires ou totalitaires, montrant ainsi son caractère universel.
II. Les différents contextes des résistances civiles non-violentes
Les moyens de protestations employés par les populations civiles diffèrent selon l’objectif visé, même si toute résistance poursuit le même but : faire évoluer une situation jugée insupportable par la population et protéger les droits fondamentaux de l’être humain.
A. La résistance pour lutter contre une puissance occupante
Pour faire face à une agression étrangère, la société civile peut adopter une stratégie de non-coopération pour gêner l’occupation. Celle-ci entrave ainsi la bonne marche de la stratégie militaire du pays envahisseur et lui cause des difficultés qui peuvent le pousser à partir.
L’exemple de la résistance civile dans la Ruhr contre l’occupation franco-belge en 1923 démontre que les formes de résistances sans armes peuvent tenir tête à des pouvoirs armés. Cette partie frontalière de l’Allemagne, envahie par les anciens vainqueurs qui exigent de cette région riche en charbon le paiement des dommages de la Première Guerre mondiale, va faire preuve d’une mobilisation totale dans la résistance non-violence.
Décidée quelques jours avant l’invasion par les syndicats et le gouvernement, une politique de non-coopération va saper méthodiquement et avec détermination les projets des deux puissances invasives. Les moyens employés sont nombreux : refus d’obéir aux ordres, ralentissement de l’exploitation de charbon, manifestations devant les tribunaux, parution de journaux clandestins, refus de vendre aux Allemands, boycott des soupes populaires mises en place par les forces d’occupation, etc.
La répression qui suit ce refus de collaborer est sévère : expulsions, confiscations de biens, assassinats politiques. Elle entraîne alors protestation des citoyens belges et français qui, en prenant la défense des Allemands, pèse sur la vision du conflit qu’en a leur gouvernement. Au bout d’une année, Poincaré admet devant l’Assemblée nationale française que ses méthodes ont échoué. (Résistance sans armes des Allemands, 1923.
Cet exemple montre que la population représente une force décisive, supérieure à celle de l’armée, dès l’instant où des dizaines de milliers de petites interventions individuelles et anodines enrayent le fonctionnement d’une organisation puissante au point de la faire plier. Cette victoire de la lutte non-armée ne doit pas faire oublier les préjudices et les violences supportées par les habitants de la Ruhr pour arriver leur fin. La résistance civile pour la paix est souvent douloureuse, et demande une certaine abnégation de soi au profit d’une cause servant un intérêt général.
B. Le refus d’un coup d’Etat
Parfois, la mobilisation populaire a aussi pour but de sauvegarder le régime en place, dans le cas d’un coup d’Etat par exemple.
En 1961, le gouvernement français est menacé par un putsch mené par des militaires à Alger, visant à récupérer l’Algérie que le Général De Gaulle renonce à garder dans le giron de la République française. Préférant l’action non-violente à la force, le dirigeant français appelle par radio la population à refuser « le putsch des généraux » et l’incite à s’opposer au coup de force.
Il sera entendu puisqu’une grande partie de la population va s’engager dans une stratégie de protestation non-violente : grève en métropole qui vont mobiliser jusqu’à 10 millions de travailleurs, participation des élus et fonctionnaires à Alger qui cachent ou retardent les dossiers, obstruction du tarmac par des voitures, inertie des militaires dans leurs casernes, etc. La tentative des Généraux s’effondre en quelques jours, dès lors que la population montre son désaccord. La manifestation hostile des populations civiles au coup d’Etat semble d’autant plus frappante qu’elle a lieu des deux rives de la Méditerranée, aussi bien sur le territoire métropolitain qu’au sein de la colonie (Echec d’un coup d’État à Alger, France, 1961).
Sans appuis solides au sein de la machine étatique, et sans le soutien massif de la population, un coup d’Etat ne peut réussir. La résistance civile prend alors tout son sens, quand elle protège le régime en place contre les tentatives d’usurpation du pouvoir.
C. Le refus de la guerre
Les populations peuvent aussi se mobiliser en faveur de la paix quand des conflits violents ravagent les territoires sur lesquels elles vivent. C’est le cas en Colombie où des communautés de paix se sont organisées sous l’impulsion des habitants et de l’Eglise afin de trouver une alternative pacifique aux guérillas qui déstabilisent régulièrement leur région.
Dans le Nord-Ouest de la Colombie, le département du Choco est à la fois une zone de retranchement et un couloir d’accès aux autres régions du pays. Depuis les années 80, les combats entre armée, milices paramilitaires et narcotrafiquants ont affecté la vie quotidienne de ses habitants. En 1997, un conflit particulièrement violent entraîne le déplacement d’environ 15 000 paysans vers le sud de la Colombie. (La démarche des communautés de paix : de l’opération Génésis au retour et à la création des premières communautés de paix)
En réaction, des communautés s’organisent autour d’objectifs communs : le retour des paysans déplacés sur leurs terres, menacées par l’exploitation massive des richesses naturelles par les grandes multinationales industrielles, la garantie de la sécurité pour les populations vivant au milieu de la zone de combat, la recherche d’une alternative pacifique au confit. (Les enjeux de la défense du territoire par les communautés de base dans le Bas Atrato.
Le 19 octobre 1997, 49 villages représentant 5 000 habitants sont déclarés « communautés de paix de San Francisco d’Assis ». Ces communautés se fondent sur l’engagement des populations à refuser la guerre en n’y participant pas, que ce soit de manière directe ou indirecte. Les habitants s’engagent donc à ne pas apporter d’informations ou de nourritures aux groupes armés. Le port d’armes à feu est de même prohibé tandis que les jeunes sont sensibilisés aux vertus de la non-violence et aux dangers du narcotrafic. En contrepartie, les acteurs du conflit promettent de ne pas impliquer la population civile dans les affrontements. (Les communautés de paix en Colombie, quête d’alternatives pacifiques à la guerre interne.
Ces communautés de paix, soutenues par l’Eglise et des ONG occidentales, ont réussies à éloigner la violence loin des lieux de vie. L’implication active et engagée de nombreux civils dans cette forme pacifique de protestation a fini par donner lieu à l’ASCOBA, l’association des conseils communautaires et organisations du Bas Atrato, qui regroupe les communautés de paix de la région. Cette organisation interrégionale et inter-ethnique porte la parole de ces initiatives civiles au niveau national et international. Malheureusement, ce mouvement connait de nombreuses limites. L’assassinat de plusieurs haut membres des communautés de paix par les FARC souligne le pouvoir de terreur qu’exercent encore les groupes armés. (Colombie : processus d’intégration régionale et interethnique, organisation et structuration des mouvements de paix)
Les formes de résistance aux conflits s’expriment donc de façons différentes selon le contexte dans lequel elles s’inscrivent. Que ce soit pour faire face à une occupation, à un coup d’état ou à des conflits, les populations s’engagent au péril de leur vie pour faire valoir la paix. Elles utilisent entre autres comme moyens de lutte non-violente la guerre de l’information (tracts et pamphlets), l’art protestataire (musique, poésie), la création de communautés engagées contre la violence, le lobbying pour impliquer la communauté internationale, le boycott économique, la lutte via la diplomatie, le sabotage matériel qui ne met en jeu la vie d’individus ou encore la grève générale. Cependant, la réussite d’une résistance civile ne repose pas forcément sur les moyens employés, mais plutôt sur la grande participation des civils au mouvement et sur la médiatisation de l’évènement.
III. Les conditions d’une résistance civile réussie
Si la résistance non-violente table avant tout sur un effet psychologique - la souffrance acceptée par le résistant non-violent peut faire naître chez l’adversaire un sentiment de compassion à son égard - seuls son caractère massif et sa visibilité peuvent assurer l’aboutissement de ses objectifs. Les mouvements de lutte non-violente pour la paix se basent sur deux principaux critères de réussite :
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L’implication plus ou moins généralisée de la société ;
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Le rôle que peut jouer l’opinion publique.
Ces facteurs conditionnent fortement les chances d’aboutissement ou de défaite de la lutte non-violente.
A. L’implication massive de la société
Une donnée est importante pour garantir l’efficacité d’une action non-violente dans le règlement d’un conflit : le degré d’implication de la société dans la résistance sans armes.
Elle peut venir d’une mobilisation par « le bas », comprenant la société strictement civile et les masses populaires. Cette résistance peut s’illustrer dans les manifestations dénonçant l’incompétence d’un gouvernement ou bien dans la résistance civile à l’envahisseur lorsque le gouvernement a abandonné la lutte et collabore avec la puissance dominante.
L’Histoire nous donne quelques illustrations marquantes de ces luttes et résistances d’origines populaires. On peut citer les mouvements collectifs de grèves de la faim pour protester contre la dictature militaire en Bolivie (1978), les désormais célèbres manifestations étudiantes de la place Tien An Men en Chine (1989), ou encore la mobilisation de la population pour le départ de Milosevic en Serbie (2000). Ces formes de pressions populaires sans violence résultent toujours d’un rapport de force entre une population excédée et un pouvoir sourd aux revendications, et tirent leurs forces du caractère massif de la mobilisation. (La banalisation des résistances civiles au XXe siècle)
L’opposition non-violente peut aussi être initiée « par le haut », lorsqu’un gouvernement appelle la population à résister à une puissance étrangère. C’est par exemple le cas de la population de Tchéquoslovaquie, qui a choisi en 1968 de s’opposer de manière non-violente aux 500 000 soldats du Pacte de Varsovie dépêchés pour réprimer leur volonté de se libérer du joug communiste.
La résistance est venue du gouvernement, qui en premier refuse la résistance armée face au déséquilibre des forces militaires. Elle va donc s’exercer en plusieurs points politiquement stratégiques : condamnation de l’invasion soviétique par le gouvernement, appel à la grève générale par radio, blocages des institutions, ralentissement de l’activité économique. L’invasion soviétique accumule huit mois de retard et se trouve dans l’impossibilité de réunir assez de collaborateurs pour contrôler le pays. La prise de position immédiate du gouvernement contre l’invasion soviétique donne beaucoup de détermination à la population, d’autant qu’elle n’a de cesse d’insister sur l’orientation non-violente de la résistance et ses effets bénéfiques. Cette résistance civile n’aura pas les résultats escomptés, mais elle sera suivie au jour le jour par le monde entier, construisant un capital sympathie envers ces populations qui résistent sans violences à l’occupation d’une armée puissante. (Résistance non violente contre une armée puissante – Tchéquoslovaquie, 1968.
L’opposition massive de la société montre encore une fois le poids du soutien populaire dans la réussite de changements radicaux de régime. Dans cet exemple, la mobilisation du gouvernement et son appel à la population leur demandant de résister ont permis la sensibilisation des Tchéquoslovaques, puis leur forte implication dans la contestation de l’invasion. L’échec de cette invasion s’appuie en grande partie sur la vaste campagne de dévalorisation de la collaboration menée par les résistants non-violents. La force occupante se retrouve alors dans l’impossibilité de réunir assez de collaborateurs au sein de l’appareil étatique pour continuer son œuvre.
La lutte non-violente peut aussi être menée par toutes les couches de la société, dans un même élan solidaire de protestation. C’est en général la forme la plus efficace de résistance, car en fédérant toute une population, elle présente un poids démographique conséquent, gagne en légitimité et dispose de facilités dans la diffusion de ses revendications.
En Finlande, lors de l’invasion allemande de l’été 1940, toute la société se mobilise pour faire face à l’agression nazie. La résistance non-violente concerne aussi bien la classe politique, avec la démission des magistrats de la Cour Suprême, les fonctionnaires qui refusent de prêter serment de fidélité au Parti, les élèves qui se parent de rubans en signe de protestation que leurs professeurs, qui ne veulent pas adhérer au syndicat pro-nazi. Une lettre signée par 43 organisations et associations, représentant en tout 750 000 membres, est envoyé aux dirigeants pour exprimer le désaccord des populations civiles avec l’orientation politique du nouveau régime collaborateur. Cette mobilisation spectaculaire, car massive et visible, débouche sur une victoire de la résistance : celui de l’échec de la mise en place d’un Etat corporatiste copié sur le modèle italien mussolinien. (Résistance contre les Nazis en Europe, 1940-1944)
D’autres acteurs influents de la société peuvent jouer un rôle clé dans les revendications. Les prises de positions du clergé peuvent à ce titre être déterminantes dans la résistance des populations. Le pouvoir spirituel étant difficilement contestable, l’appui de l’Église aux acteurs de la résistance non-violente leur assure une légitimité et un soutien moral, qui les motive et affermit leur prise de position. Dans les contextes où toutes les opinions critiques sont muselées, l’Eglise reste une institution que le pouvoir répressif peut difficilement faire taire, grâce à son influence sur l’opinion publique et son caractère sacré.
De fait, pendant la période nazie en Allemagne, les sermons de l’évêque de Munster Mgr Von Galen dénonçant la politique d’euthanasie des malades mentaux circulent dans tout le pays. Le régime nazi interrompt alors le programme d’élimination par peur de perdre le soutien de la population. (Résistance non violente contre les Nazis en Europe, 1940-1944)
B. Le rôle de l’opinion publique
L’influence de l’opinion publique est devenue l’un des ingrédients clés de la réussite des actions de résistance non-violente. En effet, celle-ci table en priorité sur la sympathie suscitée par les populations qui luttent pacifiquement contre une oppression armée.
Les acteurs non-violents s’efforcent alors d’exploiter le choc émotionnel provoqué par la répression armée en leur faveur. Ils se font héros ou martyrs, et deviennent pour certains de véritables icônes. La dramatisation du conflit, en suscitant une émotion dans l’opinion, crée un rapport de forces politiques de nature à faire pression sur l’adversaire.
Cette médiatisation doit passer par des actions symboliques pour être largement diffusée. Le symbole constitue à la fois un moyen d’expression et de regroupement, mais il est aussi difficile à détruire par la répression.
La résistance non-violente doit donc s’ouvrir à l’extérieur pour prendre la communauté internationale comme témoin de la relation dominants/dominés et faire de l’opinion publique une force de contre-pouvoir. Le pouvoir contesté peut alors être pris en tenaille entre la montée d’une opposition interne et la pression qu’exerce l’opinion publique internationale. L’influence de personnes extérieures au conflit qui prennent parti pour les résistants suffit parfois pour endiguer la répression, notamment quand les autorités qui l’exercent sont en quête d’une reconnaissance sur le plan international.
IV. L’engagement de la société civile pour un monde plus juste
La mobilisation des populations civiles peut aussi avoir pour but d’instaurer une société plus juste pour éviter de futurs conflits se basant sur des inégalités générant des frustrations et donc de la violence. Elle se traduit alors par la demande de plus de démocratie, la réclamation de droits ou l’engagement personnel pour reconstruire la paix dans régions sinistrées.
A. La contestation du régime en place : la réactivité sociale
Dans le cas d’une contestation interne, pour dénoncer une dictature ou la politique d’un gouvernement, la population peut faire acte de désobéissance civile, c’est-à-dire refuser de se soumettre à une loi, un règlement ou un pouvoir jugé inique par ceux qui le contestent.
Le Guatemala nous a donné l’exemple concret d’une protestation non-violente contre le pouvoir en place, initiée par une démarche commune de la société locale. Un mouvement indien regroupant une diversité importante de groupes sociaux a organisé plusieurs soulèvements socio-politiques de désobéissance civile non-violente. La CONAIE (Confederacion de Naciones Indigenas de Ecuator) fédère les paysans, les écologistes, les femmes, l’Eglise catholique, les militaires ou encore les organisations de défense des Droits de l’homme autour d’une revendication commune de construction d’une société politique plus démocratique et plus participative.
La mobilisation non-violente de ses membres a déjà entraîné par deux fois le renversement du gouvernement équatorien, en 1997 et en 2000. Les méthodes employées relèvent en partie des actions classiques de désobéissance civile : blocages de routes, manifestations, etc. Mais des initiatives symboliques ont aussi porté leurs fruits. Des représentants de toutes les organisations sociales et politiques de l’opposition ont constitué le « Parlement national des peuples de l’Équateur », un parlement citoyen alternatif, qui se propose d’inventer des modalités innovantes de gouvernance. (Le combat pour la justice et pour la démocratie de la CONAIE)
L’implication de la société locale équatorienne dans la contestation du pouvoir en place illustre le rôle et l’influence que peut avoir la population civile dans les orientations politiques d’un pays lorsque celle-ci manifeste de manière non-violente son désaccord.
B. La lutte pour les droits fondamentaux
Pour lutter contre l’oppression d’une minorité, la résistance civile peut de même prendre la forme d’une transgression des lois, bien qu’elle s’opère surtout par des actes symboliques ayant pour but d’alerter l’opinion publique : sit-in, grandes manifestations, etc.
L’exemple le plus connu de cette forme de lutte emblématique reste le combat mené par la communauté noire aux Etats-Unis dans les années 50 pour accéder aux mêmes droits que les Blancs. Sous l’impulsion d’un leader charismatique, Martin Luther King, de nombreux partisans de l’égalité vont se mobiliser pour dénoncer les processus d’exclusion archaïques de la minorité noire. Ce combat revendicatif mais non-violent, qui mobilise aussi bien les Blancs que les Noirs, va déboucher sur le retrait des lois raciales. Cinquante ans après, l’élection d’un Président métis à la tête du gouvernement américain entérine définitivement la victoire de cette résistance civile au racisme.
C. La construction de la paix
La participation de civils dans la recherche de la paix peut aussi provenir d’un engagement volontaire se traduisant par une mission humanitaire dans un pays sujet aux conflits. Dans les pays occidentaux, des ONG s’engagent de façon pacifique pour la paix en envoyant sur le terrain du personnel formé à la non-violence et à la médiation. Ces organisations s’appellent « Equipes de Paix dans les Balkans », « Association pour la paix » ou encore « Brigades de paix internationales ». Elles œuvrent pour la promotion de la paix dans les zones marquées par les combats, ou pour la reconstruction de la paix lorsqu’un accord a été trouvé entre les deux parties belligérantes en s’appuyant sur les associations et les populations locales. Elles pratiquent ce qu’on appelle l’intervention civile de paix, l’ICP. (L’intervention civile de paix, témoignages de volontaires.
De nombreuses interventions civiles de paix ont eu lieu dans des zones conflictuelles, comme le Mexique, où elles protègent les défenseurs des droits de l’homme, au Guatemala ou encore dans les Balkans, avec des résultats plus ou moins pertinents. L’ICP consiste à envoyer un intervenant occidental dans un territoire troublé pour assurer une mission pour le moins délicate. Fort de son statut diplomatique d’occidental, l’intervenant doit dévaloriser la pratique de la violence au sein de la société, assurer une mission d’écoute et de médiation entre deux communautés concurrentes, et enfin, rapporter ses observations sur le conflit ou sur la situation de post-conflit. La présence d’un intervenant international dissuade de façon efficace les exactions et apporte un vrai soutien moral aux populations. (Exemples de missions d’intervention civile de paix.
Au Kosovo, dans la ville de Mitrovica partagée entre Serbes et Albanais, une ICP a réussi à créer un dialogue entre les deux communautés qui n’éprouvaient que méfiance et suspicion l’une envers l’autre. Entre 2001 et 2005, l’objectif de l’ICP a été de faire tomber les représentations négatives et de construire des projets communs entre les deux communautés. Pour cela, l’intervenant civil était en charge d’accompagner les personnes se rendant dans l’autre communauté, sa présence servant à dissuader tout acte malveillant, de favoriser le dialogue et la coopération entre les deux parties et de soutenir les initiatives locales allant dans le sens d’une réconciliation. L’ICP a aboutit à la mise en place de jeux coopératifs regroupant les enfants des deux communautés, au rapprochement des deux bibliothèques de la ville qui se situaient chacune dans l’une des communautés et à la création par des femmes d’un Cdrom promouvant la paix. (Equipes de paix dans les Balkans : bilan et réflexion autour d’une intervention civile de paix au Kosovo et L’intervention civile de paix au service de la réconciliation intercommunautaire.
La participation volontaire civils étrangers aux processus de paix facilite le règlement du conflit grâce à la présence d’un acteur tiers, sans parti pris. La fonction de médiation remplie par les volontaires permet la reprise du dialogue dans des contextes très tendus et l’ouverture d’espaces non-violents dans les sociétés marquées par les conflits intercommunautaires.
En se battant pour plus d’égalité et de démocratie, les populations civiles posent les bases d’une société plus égalitaire. Ce faisant, ils permettent d’installer une paix sociale durable, qui évite les futurs conflits en considérant chaque membre et ses besoins.
Conclusion
La résistance civile pour la paix se manifeste aussi bien en réaction à des mesures politiques impopulaires, qu’à l’invasion d’un pouvoir étranger ou pour faire entendre ses droits. Selon ces différents objectifs, l’implication civile peut se baser sur un refus des actes violents et coercitifs, sur la non-coopération collective, sur une médiatisation de la lutte non-violente auprès de l’opinion publique, ou encore prendre la forme d’un engagement personnel dans la reconstruction de la société dans un contexte post-conflictuel.
L’utilisation par des populations civiles d’un pouvoir non-violent pour obtenir un règlement pacifique des conflits a montré plus d’une fois son efficacité, ou a du moins prouvé sa capacité à faire évoluer des situations qui paraissaient bloquées.
En tant que premières victimes des conflits, il est souhaitable que les populations civiles endossent un rôle de premier plan dans les processus de pacification, que ce soit pour contrer une puissance occupante ou pour refuser une violence qui perturbe leur vie quotidienne.
Si une faction assez importante de la société se mobilise, le pouvoir contesté peut être mis en danger, même s’il dispose d’un dispositif armé important. En misant sur une stratégie de lutte non-violente, les civils espèrent faire valoir leurs droits à la paix auprès d’observateurs tiers, qui peuvent alors exercer une pression sur la puissance armée, surtout au niveau international.
Manifestations, non-coopération ou création de communautés de paix, les initiatives civiles sont nombreuses pour faire cesser les actes de violence. Les populations peuvent enfin jouer un rôle dans la mise en place d’une société plus juste en faisant pression sur les gouvernements, et ainsi, devenir les vrais acteurs du changement.
Notes
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Fiches d’expériences utilisées pour cette analyse :
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Colombie : processus d’intégration régionale et interethnique, organisation et structuration des mouvements de paix.
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Le combat pour la justice et pour la paiux de la CONOAIE.
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L’ICP : témoignages de volontaires.
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La banalisation des résistances civiles au XXe siècle.
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Echec d’un coup d’Etat à Alger en 1961.
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Exemples de missions d’intervention civile de paix.
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Les enjeux de la défense d’un territoire dans les communautés de base dans le Bas Atrato.
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Les communautés de paix en Colombie, quête d’alternative pacifique à la guerre interne.
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La démarche des communautés de paix : de l’opération Génésis au retour et à la création des premières communautés.
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Caractéristiques du processus des communautés de paix.
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Résistance sans armes des Allemands, 1923.
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Résistances des Hongrois, 1849-1867.
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Résistances non-violentes contre les Nazis en Europe, 1940-1944.
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Résistance non-violente contre une armée puissante : la Tchéquoslovaquie, 1968.
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Equipes de paix dans les Balkans, bilans et réflexions autour d’une ICP dans les Balkans.
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L’ICP au service de la réconciliation intercommunautaire.
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