Tristan Routier, Paris, février 2009
Guerre et économie : une relation fusionnelle ?
Longtemps conçue comme un moyen de s’approprier des richesses, la guerre ne peut être totalement dissociée de l’économie.
La guerre, et plus généralement la violence, a toujours joué un rôle majeur dans les rapports sociaux. Phénomène historique et social, la guerre est un processus par lequel une entité sociale va contraindre physiquement ou symboliquement une autre entité, afin de faire en sorte qu’elle serve ou ne contrevienne pas à ses intérêts. Ce processus protéiforme peut être mobilisé dans le cadre de la défense ou de l’accroissement d’intérêts multiples : politiques, économiques, territoriaux, religieux etc…
Longtemps conçue comme un moyen de s’approprier des richesses, la guerre ne peut être totalement dissociée de l’économie. Selon Jean-François Daguzan et Pascal Lorot, auteurs de l’ouvrage intitulé « Guerre et économie », l’économie joue un rôle indéniable dans le déclenchement des guerres. Cependant, malgré l’évidence de cette interaction, il semble important de s’intéresser aux nouvelles relations entre l’économie et la guerre qui se sont nouées au cours des deux dernières décennies. Nous savons que faire la guerre n’a pas uniquement des implications militaires. Les économies sont de plus en plus sollicitées comme des outils au service de la guerre. Ce constat vaut particulièrement pour notre siècle, durant lequel la guerre a acquis un caractère « total ». Faire la guerre ou s’y préparer signifie investir, produire efficacement et trouver les moyens pour financer cet effort économique. Il en va de même pour la politique de défense en période de paix. En dépit de son impact considérable sur les sociétés européennes, les recherches sur les rapports entre économie et défense sont encore balbutiantes. L’attention s’est jusqu’à présent surtout portée sur l’industrie militaire et l’armement.
Afin de cerner toute la complexité des rapports qui se sont tissés entre les mondes de l’économie et de la guerre à l’époque de la globalisation, il semble nécessaire de procéder à une définition des termes employés. Une fois cette première étape réalisée, nous nous interrogerons sur les enjeux que représentent les « guerres économiques ». Les outils employés et les stratégies élaborées seront confrontés afin de mettre en lumière l’évolution du concept. Enfin, nous nous pencherons sur les impacts que peuvent avoir la guerre sur l’économie ainsi que les économies de guerre.
I. Définitions des termes
L’expression du terme de guerre économique est apparue il y a une quinzaine d’années. Il n’a pas été le fait d’économistes mais des gestionnaires qui ont transposé un concept militaire dans leur domaine. On connaît les objections que soulève cette terminologie :
-
La guerre se caractérise par la mort d’hommes administrée collectivement (le plus souvent par des organisations d’État spécialisées du nom d’armées), avec des outils spécifiques (des armes) et dans un cadre juridique et moral particulier. La guerre est une catégorie anthropologique fondamentale : la période où les autorités politiques ou religieuses proclament que ce n’est plus un crime que de tuer l’ennemi commun. La guerre est un phénomène ostensible : elle mobilise toutes les énergies d’une Nation et fonde l’existence même de l’État. Aucune de ces dimensions ne se retrouve dans la guerre économique.
-
La guerre économique se fait à des concurrents, qu’il s’agit de surpasser, non à des adversaires qu’il faut contraindre ou faire disparaître. La guerre économique vise à produire ou vendre plus que l’autre, la guerre tout court à dominer des gens ou des territoires pour y établir une autorité durable (au moins celle d’un traité entre belligérants, au plus celle du vainqueur qui remplace l’autorité politique du vaincu).
-
La guerre politique se termine par la paix, mais comment peut-on déclarer la « paix économique », puisqu’il y aura toujours à se développer, à gagner des marchés, à faire des profits ?
La conception largement répandue aujourd’hui apparente la guerre économique à une concurrence économique exacerbée. La difficulté de cette définition est qu’elle ne permet pas de distinguer la guerre économique de la compétition et de la concurrence économique. L’enjeu pour les États est d’améliorer leur situation relative dans la hiérarchie économique mondiale. Il ne s’agit pas d’une guerre avec la volonté de détruire les autres, mais simplement d’un conflit économique dans lequel les États cherchent à favoriser leurs propres économies. Pour cela, ils emploient leur pouvoir d’influence ou mettent en place des politiques commerciales ou industrielles adaptées. C’est le cas des pays émergents à fort potentiel économique. Le cas de la Chine illustre bien cette course aux marchés. Dans l’ouvrage « La Chinafrique : Pékin à la conquête du continent noir », Serges Michel et Michel Beuret retracent les différentes étapes qui ont permis à la Chine d’occuper une place de choix sur les marchés africains qu’ils soient publics ou privés.
Une conception plus stricte de la guerre économique vise à limiter l’emploi de ce terme à la description d’actions de violence à l’encontre d’un autre pays (type embargo). Il ne s’agit plus de modifier les conditions de la concurrence ou de transformer les conditions économiques à son profit, mais vraiment de porter des « coups » violents au pays ennemi.
Il semble donc nécessaire de différencier les termes de « guerre » et de « conflits » économiques, qui résultent de la compétition économique entre deux nations. Parler de « guerre » économique à propos de l’affrontement entre deux entreprises concurrentes constitue aussi un abus de langage. Toute les compétitions ne s’apparentent pas forcement à la guerre. Il semble plus approprié de parler de « conflits économiques » pour désigner toutes les stratégies qui conduisent un pays ou une firme à s’assurer d’avantages économiques particuliers. Nous pouvons ainsi réserver le concept de « guerre économique » aux opérations qui n’ont pas un simple objectif économique et qui ont pour vocation d’agresser ou d’affaiblir un pays ennemi. Les auteurs des quatre ouvrages précédemment cités soulignent tous la difficulté de l’emploi du terme guerre économique qui est intimement lié au monde de l’entreprise et depuis peu aux stratégies armées.
II. Enjeux de la guerre économique
Si l’emploi du terme de « guerre économique » pour décrire des situations de compétition économique est discutable, il est en revanche justifié pour caractériser les mesures prises par les États en vue de nuire à une économie adverse, dans un but économique, politique ou militaire. L’existence d’une guerre économique mondiale serait fondée sur le fait que la mondialisation induirait une concurrence entre les Etats. Cette concurrence provoquerait des conflits d’intérêts qui dégénéreraient en « guerre » en raison de l’implication des Etats et des pratiques déloyales utilisées. Ainsi, les États-Unis parviennent aujourd’hui à maîtriser la mondialisation, notamment à travers leur influence juridique dans les organisations multilatérales, en imposant leur doctrine commerciale (« L’autre guerre des Etats Unis », Eric Denécé et Claude Revel). La main de l’Etat s’est substituée à la main invisible du marché, ce qui remet en cause le discours libéral puisque le jeu de la concurrence est ainsi faussé. Par conséquent, la guerre économique pourrait se définir comme la mobilisation de l’ensemble des moyens économiques d’un Etat à l’encontre d’autres Etats pour accroître sa puissance ou le niveau de vie de ses habitants en conquérant notamment des marchés afin de créer des emplois et des richesses à l’intérieur de l’Etat au détriment des autres Etats.
Cette définition des affrontements économiques en termes de guerre semble confondre l’usage de la force pour faire fléchir un adversaire politique, avec la dimension conflictuelle des rapports de forces économiques. Il est vrai que la période contemporaine est marquée par une diminution considérable des guerres entre grands pays développés, mais aussi des guerres interétatiques « classiques ». En revanche, on constate l’importance des « nouvelles guerres », qualifiées également de « conflits civils » et de « guerres pour les ressources ». Ces guerres ont exterminé des dizaines de millions de personnes, augmenté la misère et déplacé des centaines de millions de personnes. Bien que ce type de guerres soit plutôt en déclin dans les dernières années, il y avait encore, en 2008, plus de vingt pays dans lesquels ces guerres persistaient.
L’économie, même si elle véhicule des appétits de pouvoir, a toujours pour objet de produire et d’échanger, alors que la guerre vise à soumettre ou à dépouiller l’autre. De même, si la guerre a un but politique, qui est la conquête du pouvoir, au contraire les affrontements économiques n’ont pour but que la conquête de richesses, et n’ont de sens que s’ils sont rapportés à un tiers, l’acheteur, qui est l’arbitre de ce conflit. De fait, la guerre emporte une notion de victoire, d’écrasement de l’adversaire, or ceci n’est pas possible dans les affaires économiques du fait de l’existence de l’acheteur car le conflit entre entreprises doit lui profiter et non lui nuire en réduisant, par exemple, le rapport qualité prix en raison de la disparition d’un concurrent.
Ensuite, la notion de guerre économique ne semble pas pouvoir être employée dans le cadre des affrontements économiques, car s’il est vrai que les Etats interviennent parfois, cette intervention n’est pas générale pour trois raisons. D’abord, du fait de la difficulté aujourd’hui pour définir la nationalité d’une entreprise. Ensuite, car l’intérêt des entreprises ne coïncide que fortuitement avec l’intérêt de l’Etat. Enfin, car l’Etat doit penser avant tout au bien être de la collectivité dans son ensemble.
La notion de guerre économique est donc difficilement utilisable pour définir les affrontements économiques car si en cas de guerre les Etats ou les alliances d’Etats se font la guerre jusqu’à la victoire totale, les entreprises, quant à elles, peuvent être tout à la fois concurrentes et partenaires. Toutefois, ce débat sur l’existence d’une guerre économique ne doit pas faire oublier que la mondialisation de l’économie engendre des défis aux entreprises mais également aux nations. Les rapports entre les Etats ont été modifiés du fait de l’amélioration des communications et des transports. Dans un monde ou la concurrence à prise une dimension mondiale, chaque Etat cherche à préserver sont intérêt, parfois au détriment des autres.
C’est donc davantage cet aspect de la guerre économique que l’on rencontre aujourd’hui. L’analyse de la stratégie des États-Unis en est un exemple. Ils ont fait de la sécurité économique et de la conquête des marchés extérieurs les premiers objectifs de leur politique étrangère, au détriment d’autres nations. Dans « L’autre guerre des Etats Unis » cité précédemment, Eric Denécé et Claude Revel analysent la stratégie économique employée par les Etats Unis qui tente de protéger à tous les prix ses intérêts économiques. Cette politique prédatrice qui a été pratiquée depuis de nombreuses années génère encore aujourd’hui des tensions sur différents continents (intérêts pétroliers au Proche Orient, matières vivrières en Amérique du Sud et matières premières en Afrique). La Chine est également consciente de l’enjeu que représentent les marchés émergents. En employant les mêmes cadres stratégique que la politique française en Afrique, la Chine étend son influence. L’objectif est la conquête des cœurs et des esprits en amont des débouchés commerciaux. Dans leur ouvrage « La Chinafrique : Pékin à la conquête du continent noir », Serges Michel et Michel Beuret montrent de quelle manière l’économie chinoise s’implante en Afrique. Elle séduit les gouvernements et les populations en proposant des prix bradés ce qui permet d’éliminer toute concurrence. Cela se fait bien évidemment au détriment des populations locales et participe à générer un climat d’insécurité sociale.
Nous allons voir que si le débat sur le concept de guerre économique semble davantage une guerre des mots, il ne faut par pour autant oublier l’essentiel. Les Etats et leurs entreprises sont engagés dans une concurrence mondiale féroce et rapide d’où seuls les plus adaptés sortiront vainqueurs. Or aujourd’hui, cette lutte stratégique en vue du contrôle des ressources et des technologies apparait comme la motivation principale des conflits. Pour Jean-François Jean François Daguzan et Pascal Lorot, « Guerre et économie » l’influence de la guerre sur l’économie et de la préparation de la guerre sur l’économie n’est pas un fait nouveau. Selon eux, cela a été la règle pendant environ 130 ans, c’est-à-dire de la guerre de Sécession à la fin de l’Union Soviétique. Les deux auteurs défendent une thèse qui soutien que « la guerre constitue un vaste vol à main armée de richesses de tout ordre et en tant que telle, elle fait pratiquement partie de l’économie jusqu’à l’ère industrielle du XIXème siècle ».
III. Outils et stratégies
Si le terme guerre économique semble inexact, nous ne pouvons pas pour autant nier que les Etats et les entreprises se livrent une compétition acharnée. L’appui des États à la conquête des marchés n’est cependant pas un fait nouveau. C’est un élément fondateur du monde judéo-chrétien, et constitue une toile de fonds souvent oubliée des grands équilibres géo-économiques actuels. Le fait nouveau réside dans la nature organisée et systématique de cet appui, empruntant au monde de l’entreprise ses méthodes, ses outils, et sans doute une partie de sa culture. A l’heure actuelle, nous sommes plutôt à l’air de la géo-économie et de l’intelligence économique qu’à l’heure de la guerre économique.
En ce qui concerne l’économie du conflit, elle mobilise des collectivités, parfois avec des moyens régaliens, notamment dans le domaine du renseignement. Elle le fait selon des méthodes qui ne visent pas seulement à la performance (avoir de meilleurs produits et services, mieux les faire connaître, mieux les vendre, mieux anticiper le marché…) mais aussi à la puissance et au rapport de forces. On retrouve ici les principes de la stratégie, en particulier celui qui veut qu’il faille réduire la liberté d’action de l’autre en accroissant la sienne. L’art de freiner le concurrent, que ce soit en le décrédibilisant auprès de l’opinion ou en dressant devant lui des obstacles juridiques n’en est pas la partie la plus négligeable
Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que l’on enseigne l’intelligence économique à des soldats : la seule référence à la notion de sécurité de l’économie nationale et des entreprises justifie cette approche martiale. Même s’il faut apprendre pour cela l’usage d’armes comme l’information, l’influence, les normes, qui ne figurent pas toujours dans la formation traditionnelle militaire.
Pas de guerre sans stratégie générale. Dans un cadre de mondialisation et de concurrence sans frontières, cela consiste d’abord à gagner des territoires économiques (des marchés) avec une préparation qui ressort à la fois au renseignement, la connaissance de l’environnement nouveau, et à l’influence.
La stratégie globale consiste à contrôler les cadres qui régissent la lutte économique. Cette logique consiste à se placer en amont des marchés et d’imposer son influence (Cf. L’autre guerre des Etats Unis, Eric Denécé et Claude Revel). Dans la mesure où l’activité économique dépend de normes internationales formelles (celles des traités internationaux, des OIG…) ou informelles (notamment celles qu’imposent les ONG par autorité morale et pression médiatique), le bon stratège cherchera à peser sur l’élaboration des normes et critères afin de les rendre le plus favorables possible à ses projets. Cette stratégie a permis d’élaborer les OMI (Organisations Matérialisées d’Influence). La notion de guerre économique semble avoir été re-conceptualisé. Elle s’apparente désormais à une concurrence économique exacerbée (Cf. Guerre et économie, sous la direction de Jean Francois Daguzan et Pascal Lorot). Une multitude d’outils ont été élaborés à cette fin dont le benchmarking, la contrefaçon, le lobbying, le social learning, le stretch marketing, l’action par la normalisation, l’action humanitaire, les actions civilo-militaires et la guerre de l’information.
Le benchmarking est une méthode d’évaluation comparative des services ou processus d’une entreprise avec ceux d’entreprises très performantes dans leur domaine, qui constituent des modèles de référence. Son objectif est d’étudier les points forts et les points faibles de ces produits, services ou processus afin d’identifier les sources de productivité en vue de l’amélioration des performances.
A l’origine de toute démarche de contrefaçon, on retrouve le reverse engineering, technique dont le principe de base est de partir d’un produit existant et de le démonter afin d’en comprendre le mécanisme, puis de le recopier en l’améliorant. La contrefaçon peut être appliquée à de nombreux champs de recherche dont celle sur l’armement.
Le lobbying correspond à l’ensemble des actions visant à faire valoir les intérêts privés d’acteurs politiques, économiques ou sociaux. Le lobbying agit sur les centres de pouvoir en vue d’obtenir, d’infléchir des décisions ou de s’y opposer.
Méthode de conquête des marchés fondée sur l’imposition de modes de pensée, le social learning répond à un objectif : dicter une norme culturelle et définir un référentiel de société. Il procède à un véritable formatage intellectuel des cadres et décideurs d’un pays visé, prenant ainsi, par des voies indirectes, le contrôle de leur référentiel de raisonnement et les orientant imperceptiblement vers des comportements socioculturels précis. Cela conduit à les transformer en clients quasi assurés du pays à l’origine de cette opération d’influence très élaborée. Le social learning intervient notamment à travers la formation de futurs cadres décideurs et donne, en apparence, l’impression d’associer à son action les populations cibles elles-mêmes. Ce qu’il vise, c’est les centres de décision ou de référence des nations jadis colonisées, ayant un pouvoir de décision, d’influence ou d’entraînement sur le reste de la communauté.
Le stretch marketing a été élaboré par la communauté des chinois d’outre mer avant d’être rationnalisé par les américains qui en ont fait un outil de management. A l’origine, il s’agissait de la concertation et de la coordination des réseaux familiaux afin de développer les affaires. Cette démarche est fondée sur l’observation d’un marché socio-économique donné et sur l’échange d’informations entre partenaires. L’ouvrage « La Chinafrique : Pékin à la conquête du continent noir » se penche sur ces réseaux et sur la place qu’ils occupent dans la stratégie développée par la Chine. Les réseaux familiaux ont ainsi servi de base dans de nombreux pays africains avant de s’implanter en masse.
L’action via la normalisation apparait comme une méthode de conquête indirecte grâce à l’imposition de standards exogènes. Les pays qui imposent à travers un politique de lobbying ou de social learning, leurs normes et leurs standards de comportements techniques et sociaux, assoient en fait leur influence. La prise de contrôle par la normalisation a également une approche militaire : l’imposition de l’interopérabilité. Selon Jean Francois Daguzan et Pascal Lorot (« Guerre et économie »), l’action par la normalisation est également observable en occident. La recherche de la standardisation maximale des matériels et des procédures entre armées (dans le cadre de l’OTAN) entraine toujours le succès d’une conception sur une autre.
L’action humanitaire, partie intégrante de l’action politique d’un grand nombre de pays occidentaux est traditionnellement un outil de développement et d’assistance. Depuis quelques années, elle est utilisée comme instrument d’influence économique et culturelle. Les Etats qui bénéficient de cette action humanitaire disposent souvent de fortes ressources naturelles qui peuvent apparaitre comme des contreparties aux investissements fournis. Depuis plusieurs années, certains Etats s’impliquent dans des opérations humanitaires en vue d’en tirer des bénéfices économiques. Ils se positionnent stratégiquement et commercialement au cœur des économies émergentes ou des pays en sortie de crise. L’aide au développement et les interventions d’urgence sont des vecteurs de pénétration d’une importance considérable.
Le tiers de la population mondiale se trouve aujourd’hui en situation de sortie de crise. Depuis 1990, ces crises ont fait plus de 5 millions de morts et ont entrainé des destructions considérables La remise en ordre d’un pays ravagé par une guerre nécessite des compétences et des moyens dans tous les domaines d’activité. Les opérations dites « civilo-militaires » consistent à accompagner la sortie de crise d’un Etat et son redémarrage économique, en prenant garde à veiller aux besoins des populations sinistrées. Toutefois, on observe que les affaires civilo-militaires servent désormais de façon quasi systématique de tremplin pour l’obtention de marchés d’infrastructures ou d’équipements liés à la reconstruction du pays. Dans ce contexte, l’envoi de cadres de réserve est un moyen de fournir des renseignements économiques. Dans son ouvrage « Les secrets de la guerre économique », Ali Laïdi montre que les cadres employés dans des opérations de reconstruction ou de pacification dans des zones en conflit ou post conflit sont en étroite relation avec les Etats major.
La guerre de l’information ou info guerre englobe indistinctement toutes les actions humaines, techniques, technologiques (opérations d’information) permettant de détruire, de modifier, de corrompre, de dénaturer ou de pirater (la liste n’est pas exhaustive) l’information, les flux d’informations ou les données d’un tiers (pays, Etat, entité administrative, économique ou militaire). L’objectif est de brouiller, d’altérer chez l’adversaire sa capacité de perception, de réception, de traitement, d’analyse et de stockage de la connaissance. Dans cette perspective, ces opérations ciblent aussi bien les moyens technologiques de commandement et de communication que les individus, avec la propagande, la manipulation et la désinformation. A terme, le pays qui maîtrisera tous ces constituants parviendra à une véritable domination de la sphère informationnelle : la domination informationnelle. Cette domination vient du fait que la guerre de l’information a de multiples applications civiles. L’économie, la science, la culture et évidemment la politique au sens étroit et large sont des champs d’application latents ou patents de la guerre de l’information. De plus, la guerre de l’information est devenue inévitable dans la mesure où elle exerce trois fonctions capitales : appropriation (renseignement), interdiction (limitation de l’accès à l’information) et manipulation (intoxication).
IV. Impacts de la guerre économique
Certains travaux récents ont porté sur l’impact des efforts militaires sur l’économie (« Guerre et économie », Jean Francois Daguzan et Pascal Lorot). La question centrale en cette matière est de savoir de quelle manière l’économie a été préparée ou impliquée dans l’effort de guerre ou de défense d’un pays.
Outre l’industrie de la défense, nous pouvons distinguer trois aspects :
-
Les aspects financiers : on désigne sous le terme économie de guerre les pratiques économiques exceptionnelles mises en œuvre lors de certains périodes historiques de fortes agitations ou d’autarcie extrême, qui ne sont d’ailleurs pas nécessairement liées à l’existence de conflits armés. Elle a pour conséquence le maintien des activités économiques indispensables à un pays, l’autosuffisance, la dissuasion de la consommation privée, la garantie de la production des aliments et le contrôle de l’économie par l’État. Dans d’autres situations, la dépendance économique à l’égard de l’extraction et de l’exportation de produits est source de conflits. Elle s’accompagne le plus souvent de corruption et de tensions politiques. Les sociétés à fort taux de chômage où les jeunes se sentent aliénés et exclus deviennent des terrains fertiles pour l’apparition de groupes politiques et criminels violents. La pauvreté est un des principaux facteurs de troubles. Ainsi, en investissant sans se préoccuper des retombées politiques ou sociales, politique chinoise en Afrique participe à la mise en gestation de nombreux conflits de formes variées (Cf. La Chinafrique : Pékin à la conquête du continent noir, Serges Michel et Michel Beuret).
-
Les aspects sociaux : l’effort de guerre est la mobilisation sociale et industrielle visant à subvenir aux besoins militaires d’un État. Il affecte toute l’économie, surtout par une réorientation du système industriel vers la production d’armes ou de matériel nécessaire à la poursuite du conflit. Il peut également comporter les actions de défense ou de reconstruction des villes et infrastructures, ainsi que les soins médicaux aux victimes civiles ou militaires. En cas de mobilisation de contingents importants de militaires non-professionnels, l’effort de guerre comprend le remplacement des hommes mobilisés, souvent par leurs épouses dans le domaine agricole ou par des personnes qui ne sont plus actives.
-
Les aspects politiques et institutionnels : l’adaptation de l’économie à une situation de guerre comporte de gros risques. Selon la nature de la menace, une partie de la consommation est transférée du secteur civil au secteur militaire. De plus, les ménages privés subissent des pertes de revenus à cause des coûts du conflit. La production d’armes au lieu de biens durables débouche sur des désinvestissements. Enfin, s’il faut maintenir les revenus des mobilisés à un certain niveau, des tensions inflationnistes apparaissent. Les pays qui ne sont pas directement impliqués dans une guerre cherchent à intervenir le moins possible dans leur économie, ne serait-ce que pour recouvrer rapidement une bonne position après le conflit. Pour un petit pays sans grandes ressources en matières premières, il s’agit de prendre en compte les facteurs internes (agriculture, arts et métiers, industrie, distribution) et externes (importations, exportations). Par ailleurs, le service militaire obligatoire mobilise les hommes en grand nombre ; le recours à la main-d’œuvre féminine pour les remplacer a suscité bien des réticences en Suisse durant les deux guerres mondiales et il a disparu rapidement à la fin des conflits. Enfin, la période de reconstruction qui suivent les guerres montrent qu’il est à la fois nécessaire et possible de maîtriser l’économie, et de mettre en place des régimes d’économie « mixte », caractérisées par une certaine coexistence du « plan » et du « marché ». L’apparition et le développement d’économies planifiées contribuent également à l’accroissement de l’intervention de l’État dans le domaine économique.
Conclusion
En conclusion, nous pouvons dire qu’il existe aujourd’hui deux visions principales de la guerre économique. D’abord, l’expression est utilisée pour distinguer une situation de concurrence exacerbée, impliquant des pratiques « déloyales ». Cette définition s’applique à la fois aux États et aux entreprises. Il peut cependant paraître abusif de parler de « guerre économique », au regard de l’analyse économique et de la réalité des faits économiques contemporains.
L’autre vision du concept de guerre économique semble la seule valable. Elle implique l’utilisation de stratégies visant à nuire ou à affaiblir une économie adverse, dans un but politique ou militaire, et parfois au détriment de l’économie mondiale.
Malgré ces difficultés liées à la terminologie, le terme de guerre économique reste peu étudié au sens « strict », et ce en dépit de la fréquence d’utilisation de l’arme économique. De nombreux points restent encore à explorer, notamment la question de la vulnérabilité et de la dépendance des économies à des stratégies extérieures. Les quatre ouvrages cités ont néanmoins tenté de remettre l’analyse des phénomènes économiques au centre des préoccupations de pouvoir et de puissance des relations internationales. Maintenant que le lien entre guerre et économie n’est plus à démontrer, il nous reste à mettre en lumière les rapports existant entre le monde de l’économie et celui de la résolution des conflits ou des guerres. Les nombreux outils développés au service des intérêts militaires peuvent-ils être mis à profit de la paix ? Cette question fera l’objet d’un prochain article intitulé « économie et paix ».
Notes
-
Ouvrages de référence :
-
« L’autre guerre des Etats Unis », Eric Denécé et Claude Revel.
-
« La Chinafrique : Pékin à la conquête du continent noir », Serges Michel et Michel Beuret.
-
« Les secrets de la guerre économique », Ali Laïdi.
-
« Guerre et économie », Jean-François Jean François Daguzan et Pascal Lorot.
-