José Pablo Batista, San José, Costa Rica, November 2005
Le cyclone « Katrina » : quelles conséquences politiques pour les États-Unis et pour le monde ?
Quelques questions se posent concernant la société états-unienne. Quels sont les enjeux sociaux révélés par Katrina ? Quels peuvent être les effets politiques de la gestion du désastre ? Que peut-on apprendre concernant la construction de la paix sociale ? Concernant le rôle des États-Unis dans les relations internationales : y aura-t-il une mutation de la politique étrangère américaine, le gouvernement se tournant davantage vers ses défis internes avec, comme corollaire, un changement de son rôle international ? Le cyclone Katrina aura-t-il des effets militaires et politiques sur la politique des États-Unis au Moyen-Orient, notamment en Iraq ? Les États-Unis pourront-ils continuer à se proposer comme des modèles pour la construction d’un monde basé sur la démocratie, la liberté, le respect des droits de l’homme, la paix… ?
Le cyclone Katrina a provoqué l’un des pires désastres naturels de l’histoire américaine. Au moment d’écrire cet article, quelques jours seulement après la catastrophe et quatre ans après les attentats de 2001, une véritable crise humanitaire s’est déclenchée : les morts, qui se comptent par centaines, sont décédés dans des situations atroces, le plus souvent faute de secours. Un million de personnes ont été déplacées. Plus de 100 000 maisons ont été détruites. Le territoire touché est vaste comme la moitié de la France. Et, malgré le fait que, d’une part, l’alerte précoce a été donnée à temps, et que des centaines de milliers de personnes ont pu évacuer la zone et se mettre hors de danger, et que d’autre part, les évacuations massives mises en œuvre par le gouvernement après la catastrophe ont permis de sauver des milliers de vies, nous ne connaissons pas encore ni la profondeur de la tragédie ni l’étendue de ses conséquences.
Mais il ne s’agit pas uniquement d’un phénomène « naturel » : des responsabilités politiques sont en jeu. L’ampleur de cette catastrophe est liée aussi à des facteurs humains. Elle aura également des conséquences politiques.
Il est trop tôt pour établir un bilan définitif. Mais d’ores et déjà, plusieurs questions se posent. Certaines concernent la société états-unienne : quels sont les enjeux sociaux révélés par Katrina ? Quels peuvent être les effets politiques de la gestion du désastre ? Que peut-on apprendre concernant la construction de la paix sociale ? D’autres questions concernent le rôle des États-Unis dans les relations internationales : y aura-t-il une mutation de la politique étrangère américaine, le gouvernement se tournant davantage vers ses défis internes avec, comme corollaire, un changement de son rôle international ? Le cyclone Katrina aura-t-il des effets militaires et politiques sur la politique des États-Unis au Moyen-Orient, notamment en Iraq ? Les Etats-Unis pourront-ils continuer à se proposer comme des modèles pour la construction d’un monde basé sur la démocratie, la liberté, le respect des droits de l’homme, la paix… ?
A. DES ENJEUX SOCIAUX ET DE POLITIQUE INTÉRIEURE
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ABSENCE DE LIENS SOCIAUX
Le cyclone Katrina a agi comme un révélateur de quelques fractures profondes des États-Unis : sa fracture raciale entre Blancs et Noirs et sa fracture sociale entre puissants et faibles.
La première fracture, raciale, a servi de fondement pour mettre en place une opération d’évacuation en deux temps. Tout d’abord, avant l’ouragan, l’évacuation réussie des Blancs s’effectue en priorité : l’immense majorité de ceux qui sont restés sur place dans des conditions de vulnérabilité extrême, étaient des Noirs. Cette population a été l’objet d’une évacuation dans un deuxième temps, seulement après le passage de l’ouragan : il s’agissait de sauver des survivants de la tragédie.
Entre les deux, une période de crise difficile à supporter s’est installée : de nombreuses personnes ont pris un statut de survivant réfugié dans leur propre pays, dans une situation de désolation et d’abandon. Dans le Superdome de La Nouvelle-Orléans, 20 000 personnes s’entassaient, sans organisation, sans autorité, sans autre loi que celle du plus fort, sans rien à manger et sans eau, comme dans un camp pour réfugiés de guerre. Lors du tsunami, des vivres et des secours avaient été apportés aux survivants à Banda Atjeh, en Indonésie, deux jours après la catastrophe, alors que des milliers de survivants réfugiés de Louisiane, du Mississippi et d’Alabama manquaient encore du minimum vital cinq jours après le cyclone. Pendant cinq jours, on a vu que ces citoyens américains n’existaient pas pour le reste du pays.
Si après les attentats de 2001, les Noirs s’étaient sentis moins exclus dans les grandes villes, notamment dans celles des deux côtes des États-Unis, les Noirs du Sud étaient encore « un groupe à part ». Pauvres, silencieux, ils étaient tout simplement « invisibles ». Les questions de société, sur la ségrégation raciale, sur la pauvreté, avaient laissé la place à la lutte anti-terroriste : le véritable problème des États-Unis était à l’extérieur et très loin des États-Unis, caché dans les grottes de l’Afghanistan ou au pouvoir en Iraq… À l’intérieur, la société états-unienne allait bien. Très bien même. À tel point que celle-ci constituait pour le monde entier un modèle de démocratie, de liberté, de respect des droits humains, de paix sociale.
Lorsque les images de la catastrophe ont commencé à arriver sur les petits écrans, ce fut un choc : on a découvert que cette société modèle avait en réalité d’autres visages. Celui des ressources, de l’abondance, de la puissance, blanc, découvrait à côté de lui celui de la pauvreté, de l’indigence, de l’abandon, de la souffrance et de la désolation, noir.
L’Amérique redécouvrait ses pauvres, ceux de son Sud, auparavant « invisibles ». En engloutissant La Nouvelle-Orléans, cette « catastrophe naturelle » a brutalement dévoilé quelque chose que la majorité d’Américains se refusaient à regarder en face : la discrimination raciale est ancrée au plus profond de leur société.
Comment est-il possible que le gouvernement du pays le plus puissant du monde ait été aussi peu préparé à une catastrophe pourtant prévisible ? Comment expliquer l’incapacité du pays le plus riche de la planète qui laisse les plus démunis, malades, âgés, livrés à eux-mêmes face à un cataclysme prévisible ? Pourquoi a-t-il été obligé de laisser une grande population, affaiblie et fragile, à la merci de l’ouragan ? Le président Bush et son administration n’avaient-ils pas compris que les seuls qui restaient à La Nouvelle-Orléans étaient pauvres, malades et noirs ?
Cette opération de sauvetage en deux temps avec des populations ciblées bien précises révèle une deuxième grande fracture entre les puissants et les faibles.
Les autorités locales ont donné l’ordre d’évacuation, mais ne se sont pas demandées ce qu’allaient faire ceux qui n’avaient pas de voiture, ou qui étaient trop faibles pour partir, ou n’avaient aucun endroit où aller. Les personnes qui ne pouvaient ou ne voulaient pas quitter La Nouvelle-Orléans étaient en grande majorité des Noirs mais aussi des pauvres. Aux États-Unis la pauvreté implique de ne pas posséder de voiture pour pouvoir quitter la ville, de ne pas avoir d’argent pour acheter un service, de ne pas compter sur des liens sociaux pour chercher un endroit où s’installer de façon transitoire, de ne pas avoir la santé et être obligé de rester immobilisé chez soi, de ne pas avoir accès à l’éducation donnant des outils pour mieux comprendre l’importance de la menace ou tout simplement d’être trop faible et trop seul pour pouvoir partir. Cela, aux États-Unis, produit une situation de faiblesse sociale extrême.
Sur le territoire des États-Unis, personne n’avait jamais vu des dizaines de milliers de personnes sans nourriture, sans eau, sans toilettes, cohabitant avec des morts. Personne n’avait jamais vu de mamans avec, dans leurs bras, leurs bébés morts ! Pour les Américains le choc ne fut pas uniquement de constater que les pauvres étaient nombreux et bien réels. Pour la première fois, la pauvreté n’était plus un phénomène exotique toujours à l’extérieur des frontières. La pauvreté prenait le visage des américains qui chez eux, aux États-Unis, avaient faim, qui pleuraient, qui étaient en colère, obèses, vieux, des mères célibataires avec des enfants. Les américains ont été forcés de découvrir leur pauvreté. Le véritable choc fut de voir qu’une partie de la société s’était tellement bien accommodée à l’individualisme radical que des responsables politiques étaient cyniquement indifférents à la souffrance de milliers de personnes.
Les puissants étaient bien représentés au sein de l’équipe du président Bush, mais les faibles, en revanche, constituaient la masse de ces gens qui se sont trouvés abandonnés à leur sort face à la puissance meurtrière de l’ouragan, alors qu’ils se trouvaient dans des conditions de fragilité extrême.
Pour quelles raisons ne pas avoir évacué tout le monde avant l’ouragan et d’abord les plus démunis ? Pour des raisons de logistique ? Les autorités des États-Unis sont-elles capables de coordonner une aide humanitaire à l’autre bout du monde mais pas chez eux ? Dans ces conditions, les blessés, les traumatisés, les morts ont compté de nombreux Noirs ainsi que les individus les plus faibles. Ces fractures ont, elles aussi, tué, aussi sûrement que l’ouragan et que les eaux libérées par les digues rompues. On a rarement eu illustration aussi dramatique d’une société à multiples composants dont les liens sociaux censés les réunir n’existent plus.
Les modalités de mise en place des opérations d’évacuation ont donné lieu à la condamnation de la minorité la plus faible à subir l’ouragan. Il peut être socialement explicable que des milliers de victimes de l’ouragan aient été totalement abandonnées pendant plusieurs jours, que toutes ces victimes soient des pauvres et des Noirs, mais cela reste totalement incompréhensible du point de vue humain.
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LE DÉFI DE LA PAIX
Si les images de chaos, de cohortes de sinistrés désemparés et de cadavres abandonnés à La Nouvelle-Orléans rediffusées par la télévision ont montré l’étendue de la catastrophe, les scènes de pillages et de guérilla urbaine ont révélé une autre dimension, bien cachée quant à elle.
Si les faiblesses des infrastructures et le décalage entre haute technologie et incapacité de réponse sociale immédiate sont évidents, l’absence de tissu social est un problème majeur. Les scènes de criminalité expriment un profond malaise social sous-jacent. Il faut faire la différence absolue entre les personnes qui allaient chercher de la nourriture dans des magasins vides en raison de la pénurie dans laquelle ils se trouvaient, et des délinquants qui, profitant du chaos, se sont pris à ce qui était resté débout ainsi qu’aux survivants démunis.
Les actes de délinquance aveugle et la montée de la criminalité sociale montrent l’absence de repères sociaux minimaux pour réussir à vivre ensemble. Quand il n’y a plus de sens pour la vie en société, quand c’est le chacun pour soi, sans et contre les autres, la violence sociale s’installe. La société américaine a pu constater qu’elle avait donné naissance à des citoyens frustrés et écorchés qui, n’ayant que la haine comme recours, devenaient des pilleurs armés, des délinquants, des criminels capables de s’en prendre autant à des policiers qu’à des vieillards abandonnés…
Si les États-Unis sont aujourd’hui à la pointe sur beaucoup de domaines : scientifique, littéraire, économique, culturel, donnant naissance constamment à des Nobel, voire à des génies, il ne faut pas oublier qu’ils sont aussi traversés de fractures profondes, d’inégalités extrêmes et d’oppositions dangereuses. La société américaine sait mettre en place aujourd’hui des conditions sociales de destruction du tissu social favorisant la multiplication de la criminalité interne ainsi que la banalisation de la violence.
Des sociétés traversées par des fractures profondes, disloquées, sans véritable tissu social, dépourvues de sens, où des citoyens sans repères ne trouvent aucune raison de vouloir vivre ensemble avec les autres, sont des terreaux efficaces à la violence. L’effondrement total du concept de « société » qui laisse la place à celui d’« individu », peut facilement mener au « chacun pour soi et sans les autres » et au « chacun pour soi et contre les autres ».
B. SUR DES ENJEUX INTERNATIONAUX
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LA DIALECTIQUE INTÉRIEUR/EXTÉRIEUR
Le gouvernement, pourtant prévenu, n’a pas voulu affronter la menace. Alors que l’agence gouvernementale chargée de la prévention et de la gestion des catastrophes, la FEMA (Federal Emergency Management Agency), avait prévenu qu’un cyclone ou une inondation à La Nouvelle-Orléans faisait partie des trois catastrophes majeures qui menaçaient l’Amérique, le gouvernement a choisi d’investir sur la guerre en Iraq, en privilégiant le budget militaire à celui de l’entretien des infrastructures à risque du pays. L’argent destiné à la protection civile et à la sécurité des citoyens américains a été utilisé pour les besoins militaires en Iraq.
S’il est vrai que la guerre en Iraq n’explique pas le manque de réponse immédiate aux besoins vitaux des victimes du cyclone, elle reste un facteur important. Après avoir renversé la dictature en Iraq, les États-Unis se sont trouvés dans une situation très compliquée sur place. Malgré la déclaration de la fin de la guerre en Iraq la violence ne s’arrête pas. L’armée américaine est obligée de continuer à investir d’importants moyens et ressources, en matériel, en hommes et en argent. Cette situation ne l’a pas aidé à répondre de manière adéquate aux besoins de dizaines de milliers de ses citoyens en danger de mort. Voulant montrer au monde, notamment au monde arabe, un visage d’hyperpuissance planétaire, les États-Unis ont négligé une question fondamentale : le bien-être de ses habitants, notamment des plus faibles.
Paradoxalement, une grande partie de la communauté internationale a commencé à fournir de l’aide aux États-Unis, y compris des pays pauvres. Les rôles sont renversés. Habituellement, les États-Unis donnent de l’aide aux autres. Cette fois-ci, les autres viennent en aide au pays le plus riche du monde.
Les conséquences de l’ouragan Katrina auront-elles une portée internationale et géostratégique ?
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LE NOUVEAU DÉSÉQUILIBRE POLITIQUE DES USA
Le pouvoir aux États-Unis connaissait depuis quelques siècles un certain équilibre. Le bipartisme avait réussi à canaliser la diversité de choix politiques des citoyens tout en faisant une place aux tendances un peu plus radicales. Les différentes gauches, socialistes, réformistes et même révolutionnaires trouvaient leur place au sein du parti démocrate. Les différentes droites, conservatrice, nationaliste et même extrême trouvaient leur place au sein du parti républicain. La majorité des citoyens et les dirigeants des deux partis étaient toujours des modérés, capables de négocier et de passer des accords avec la diversité de forces sociales.
L’administration Bush représente un changement important. Pour la première fois depuis plus d’un siècle le gouvernement ne représente pas la majorité des citoyens. Une minorité du parti républicain, nationaliste, conservatrice et raciste, a pris le pouvoir. L’équilibre est rompu.
Les conséquences de l’ouragan Katrina montrent bien la fin d’une longue période d’équilibre politique, caractérisé par l’alternance entre démocrates et républicains permettant la représentation politique de la majorité des citoyens américains. Cette équilibre politique révélait l’existence d’un accord tacite : malgré les différences idéologiques et pratiques des deux tendances, le dialogue mutuel et le dialogue avec la société ne cessait d’exister. Alliance apparemment étrange mais nécessaire et efficace. C’est aussi cette stabilité intérieure qui permettait aux États-Unis de se présenter au monde comme un acteur premier en toute légitimité.
L’effrayant coup de vent de Katrina a soulevé le voile sur cette Amérique d’aujourd’hui, de plus en plus fracturée par la discrimination raciale et par les inégalités socio-économiques, et de plus en plus déstructurée par l’égoïsme radical favorisant des phénomènes de désocialisation allant de l’indifférence jusqu’au cynisme. Non seulement ces phénomènes n’ont pas cessé de croître sous l’administration Bush, mais ils la caractérisent.
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QUEL AVENIR POUR LE RÔLE INTERNATIONAL DES USA ?
Les ressemblances avec la tragédie du 11 septembre 2001 sont aussi importantes que les différences. Il y a quatre ans, les victimes étaient de tous les milieux, maintenant celles-ci sont majoritairement issues d’un seul milieu. Les États-Unis avaient trouvé alors un élan de responsabilité commune dans la fierté de leurs pompiers héroïques, dans le courage des passagers du vol 93. Cette fois il n’y a pas de héros. Ceux qui avaient le devoir d’être les premiers à exercer leurs responsabilités étaient inexplicablement absents. À leur place on voyait la face sombre de l’empire. Celle d’un pays déchiré par la discrimination autant raciale que sociale, où ceux qui étaient noirs et pauvres restaient abandonnés à leur impuissance.
Comme lors du 11 septembre 2001, alors que le pays se veut la première puissance du monde, celui-ci se montre très vulnérable aux yeux du monde. Les images sont transmises par les télévisions du monde entier. Dans les pays les plus pauvres de la planète on voit, cinq jours après le passage de l’ouragan, comment l’hyperpuissance planétaire laisse mourir ses citoyens dans le stade et dans les rues de la Nouvelle-Orléans. Le combat pour le respect des droits humains ne doit-il pas commencer à la maison ? Où sont les valeurs éthiques de solidarité et de lutte pour la liberté de ceux qui sont empêchés de l’exercer, valeurs pourtant prêchées au monde entier par les États-Unis ?
Si les digues ont cédé à La Nouvelle-Orléans, ce n’est pas uniquement en raison de la force de l’ouragan, mais aussi en raison d’un problème de décision politique, de capacité de gestion de risques, de responsabilité. La force de l’ouragan n’est pas à elle seule l’explication du retard des secours aux victimes, il existe en trame de fond un problème politique, ainsi qu’un problème d’éthique.
Les images montrant les victimes de Katrina rappellent fortement le tsunami qui a frappé l’Asie du Sud-Est en décembre 2004. Mais alors, il était inimaginable que la même tragédie humaine et le même spectacle de désolation, puisse advenir dans le pays le plus puissant du monde. Or, avec Katrina, les États-Unis montrent au monde ainsi qu’à eux-mêmes que le Tiers-Monde fait partie intégrante de leur société. Ce qui est plus grave encore, c’est le fait que des responsables politiques du pays, à toutes les échelles, sont capables de regarder la souffrance de leur Tiers-Monde et de détourner leur regard.
La condition et le nombre de victimes, l’inefficacité manifeste des autorités, les disfonctionnements scandaleux, la portée de la catastrophe et ses conséquences, tout ce que l’ouragan a dévoilé, pourrait amener l’opinion publique américaine à repenser ses priorités et à revoir ses choix au moment d’élire ses autorités à tous les niveaux. Cela pourrait aussi amener l’administration fédérale à changer de cap, à prendre en compte l’importance de ses défis intérieurs et des attentes concrètes de ses citoyens et à mettre en œuvre une autre politique. Son rôle sur la scène internationale serait alors l’objet d’un changement fort.
Tandis que la télévision montrait des images des victimes tout en interpellant fortement les autorités politiques, le débat a commencé aux États-Unis. À partir de la question, pragmatique : les ressources déployées en Iraq n’auraient-elles pas dû être employées à prévenir la catastrophe et à porter secours aux sinistrés ? Une autre question s’est posée : à quoi sert-il de vouloir « libérer » des peuples opprimés, exporter la démocratie et investir beaucoup de ressources et de moyens pour s’imposer comme la première puissance militaire au monde, si en même temps on est incapable de donner aux citoyens américains les conditions minimales pour leur bien-être ? Autrement dit : à quoi bon de vouloir chasser les démons de par le monde si l’on est incapable de chasser les nôtres ?
Une troisième voie semble probable. Les américains pourraient bien choisir de travailler sur leurs vulnérabilités internes pour ne pas donner au monde l’impression d’être un pays hyperpuissant cachant un Tiers-Monde en son sein, tout en continuant à vouloir un rôle majeur, sinon premier, sur la scène internationale, notamment en termes économiques ainsi que militaires. Pour cela, il faudrait accepter l’une des leçons les plus importantes tirées de la gestion de Katrina : il serait plus utile pour les peuples du monde de constater que les États-Unis s’efforcent de devenir un exemple en matière de liberté, de démocratie et de respect des droits de l’homme, plutôt que de les percevoir comme le simple exportateur d’un modèle fictif. Plus que de cow-boys venant imposer la loi du plus fort, plus que de prédicateurs venant moraliser les institutions, le monde a besoin aujourd’hui de constructeurs de liberté et de justice sociale, d’artisans de démocratie et de paix. Non, ce n’est plus le cri venant uniquement de l’Afghanistan, de la Palestine, de l’Iraq. L’ouragan Katrina a montré au monde, et aux États-Unis d’abord, que c’est aussi le cri de milliers de citoyens américains, pour la plupart des Noirs et des pauvres : We want help !