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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche d’analyse Dossier : La formation des volontaires de paix

Cluj, Roumanie, 2007

Analyse de la formation à la paix

S’il existe plusieurs interprétations différentes de ce que devrait être la préparation des adultes au travail de paix et à l’intervention non-violente dans les conflits, toutes s’accordent sur le fait que la formation à la paix doit s’effectuer à divers niveaux pour être efficace.

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Les différents niveaux auxquels la formation à la paix doit s’effectuer sont, selon certains, la raison, les émotions et le savoir-faire (Lederach, 2006). Pour d’autres, la formation touche au savoir, à l’être et au faire. Nous utiliserons ici la terminologie définie dans le cadre du Projet « Peaceworkers » d’International Alert selon laquelle les compétences nécessaires sont le savoir, les qualités humaines et les compétences professionnelles (Peaceworkers, UK 2006).

I. Savoir

Dans le cadre de la formation à la paix, le principal savoir nécessaire aux intervenants de paix est la connaissance d’eux-mêmes et du contexte dans lequel ils travaillent. De manière générale, le savoir est nécessaire chez ceux qui travaillent sur et dans des conflits qui

  • 1/ nécessitent spécifiquement un travail de paix ;

  • 2/ ne nécessitent pas directement un travail de paix mais dont le savoir permettra d’améliorer considérablement le travail de paix.

Même s’il est impossible de dresser une liste exhaustive, voici certaines connaissances très importantes qu’il est nécessaire de garder à l’esprit lors des formations d’adultes à l’intervention non-violente dans les conflits.

Les savoirs clef de la formation à la paix

  • 1. Approches sensibles au conflit en matière de construction de la paix : la sensibilité au conflit implique de respecter la situation propre à chaque conflit et les cultures locales et d’agir en collaboration avec des acteurs internes de manière à nuire le moins possible et à maximiser les effets constructifs sur le conflit.

  • 2. Rôles des divers acteurs et contexte du conflit : le savoir concernant un maximum d’acteurs au conflit est déterminant. Cela inclut soi-même en tant qu’intervenant, les relations entre les différents acteurs, ainsi que les positions, objectifs et besoins de chacun. Non seulement faut-il saisir comment les intervenants extérieurs peuvent aider les acteurs internes, mais il est aussi essentiel de savoir quels acteurs risquent d’être des « diviseurs » ou au contraire des « connecteurs » dans le cadre d’un processus de paix. (Anderson, 2004). Au-delà des acteurs locaux, il est important de cartographier les contributions des acteurs internationaux et des donateurs, l’action coordonnée entre ONG, armée et civils, et toute interaction susceptible d’être négligée. Enfin, l’histoire et le calendrier d’un conflit doivent être connus ainsi que le rôle, par commission ou par omission, des différents acteurs dans le déclenchement de la violence.

  • 3. Techniques de travail sur le terrain : il s’agit des techniques mises en œuvre dans les zones de conflits comme les compétences en matière de gestion des projets, les différentes pratiques de transformation des conflits, les méthodes d’intervention non-violente par des tiers, l’analyse des conflits, etc.

  • 4. Environnement des missions : afin de travailler de manière durable et sensible dans les zones de conflit, les qualités suivantes sont nécessaires : capacité à travailler en équipe, conscience des questions liées au genre, qualités de communication, gestion du stress, respect des codes éthiques de conduite et dévouement à sa mission.

  • 5. Sûreté et sécurité : cela inclut non seulement la sécurité des personnes et des groupes mais aussi les conséquences potentielles des actions des intervenants extérieurs sur la sûreté et la sécurité des acteurs locaux. De plus, il est primordial de s’intéresser aux traumatismes mais aussi aux traumatismes secondaires (appropriation des traumatismes des acteurs locaux par les intervenants qui en souffrent à leur tour).

Le savoir lié aux conflits doit être aussi global que possible. Pour cela, il faut comprendre à la fois le contexte général d’un conflit mais aussi la manière dont les éléments individuels y sont connectés. La complexité des conflits oblige à une mise à jour constante des connaissances du contexte mais aussi du rôle que les intervenants doivent jouer en fonction de ce contexte.

III. Qualités humaines

En plus du savoir, les formations à la paix s’intéressent particulièrement au développement des qualités humaines propres à chacun. Ces qualités sont souvent décrites comme les « compétences douces » des intervenants ou leurs manières d’être. Elles évoluent en fonction du comportement des travailleurs de paix, de leur vision du monde et de leurs expériences passées. Lorsqu’ils interviennent sur un conflit, ils doivent comprendre comment ils se perçoivent eux-mêmes dans cet environnement propre à chaque zone d’intervention, mais ils doivent aussi se rendre compte de la manière dont ils sont perçus par les autres. Une perception du monde faite de préjugés et de croyances rigides peut compromettre leur capacité à travailler auprès des acteurs internes aux conflits. Ainsi, l’une des principales qualités du travail de paix est l’ouverture d’esprit. Cela implique l’humilité, mais aussi la conscience profonde des conséquences négatives ou positives que peuvent avoir nos manières de penser sur le conflit.

Un grand nombre d’autres compétences sont nécessaires au travail de paix. Si nous insistons ici sur l’ouverture d’esprit, c’est que de nombreuses attitudes et qualités humaines découlent de celle-ci. Les autres qualités humaines communément reconnues comme nécessaires au travail de paix en zone de conflit sont :

  • Diplomatie et sensibilité ;

  • Créativité et capacité à résoudre les problèmes pratiques ;

  • Flexibilité, adaptabilité et confiance en soi ;

  • Attitude positive et capacité à travailler en équipe ;

  • Sang-froid face en cas de stress (Peaceworkers UK, 2006)

En bref, les qualités humaines d’un travailleur de paix doivent s’allier pour que sa présence non-violente soit à même de transformer les conflits de manière positive. Des qualités personnelles inadaptées à un environnement de conflit peuvent enflammer un contexte déjà violent.

IV. Compétences professionnelles

Alors même qu’ils s’efforcent d’alléger les souffrances des personnes sur les zones de conflits, les travailleurs de paix peuvent faire plus de mal que de bien s’ils ne possèdent pas les compétences professionnelles adaptées. Ainsi, la formation à la paix doit mettre en avant les compétences qui peuvent améliorer les techniques d’intervention afin de maximiser les effets positifs de l’action des travailleurs de paix. Ces compétences professionnelles qui ont fait leurs preuves dans la construction de la paix et la transformation des conflits doivent faire partie du processus de formation pour que les intervenants puissent donner une forme pratique et concrète à leur savoir et leurs qualités humaines. Ils pourront ainsi se rendre utiles sur les zones de conflit.

Deux de ces compétences les plus importantes sont : {{la capacité à comprendre l’interconnexion qui caractérise les conflits et la capacité à réunir les acteurs clefs, capables de créer les structures nécessaires à la lutte contre la violence. Lederach compare, à ce propos, les travailleurs de paix à des araignées : « Pour soutenir les changements constructifs dans des environnements violents, […] il faut se poser cette question : comment construire une structure de connexions stratégiques dans un environnement imprévisible, structure qui comprend et s’adapte continuellement aux contours d’une géographie sociale dynamique et parvient à trouver les points d’achoppement permettant de préserver ce processus ? La construction du changement social relève est l’art de repérer et de construire des réseaux(Lederach, 2005, p.84 ».} Il y a deux façons d’y parvenir :

  • 1/ Faire interagir les acteurs de conflits aux trois niveaux de la société (les dirigeants politiques, militaires et les grands patrons ; les acteurs clef de la société civile et la population) avec les acteurs de même niveau dans d’autres conflits ;

  • 2/ Aider ces différents acteurs à trouver des intérêts communs au sein de leur propre groupe. La capacité des intervenants de paix à encourager les relations entre ces acteurs est à la base des réseaux qui permettent de construire des structures durables pour la paix dans les zones de conflit.

La plupart des conflits reposent sur des contradictions internes à une société (Galtung, 2000). Si de profondes divisions (quelles soient politiques, économiques, sociales, etc.) sont ignorées, le risque de conflit est grand. Ainsi, la formation à la paix doit insister sur l’importance de la connaissance du contexte de chaque conflit et permettre d’ajuster les compétences professionnelles nécessaires à la transformation des racines du conflit en question. La flexibilité, par conséquent, est fondamentale. En effet, si les intervenants s’efforcent de faire évoluer les comportements et les états d’esprit dans les sociétés en conflit sans pour autant chercher à en résoudre les contradictions profondes, alors le conflit ne peut être résolu. Cela explique pourquoi Johan Galtung, l’un des fondateurs et pionniers de la recherche sur la paix, insiste sur la créativité dans la quête d’une solution efficace pour transformer les contradictions sous-jacentes, la structure profonde de chaque société ainsi que les éléments de sa culture qui sont à l’origine des conflits. Pour lui, cette créativité est l’une des compétences les plus importantes des travailleurs de paix.

Pour faire face aux dynamiques complexes des zones de conflit, il est nécessaire que les intervenants de paix disposent d’autant de compétences professionnelles que possible. S’appuyer seulement sur l’une ou l’autre de ces compétences serait comme n’avoir qu’un marteau dans sa boîte à outils, et pour John Galtung, « si un marteau est tout ce que vous avez dans votre boîte à outils, alors le monde commence à ressembler à un clou. »

Notes

  • Tiré de l’ouvrage : « Formation à la paix, Formation des adultes au travail de paix et à l’intervention civile de paix lors de conflits » ; Auteurs :Robert Rivers, Giovanni Scotto, Jan Mihalik et Frode Restad. Ouvrage réalisé dans le cadre du projet ARCA. Le projet ARCA (Associations and Resources for Conflict Management Skills) a été mis en place afin de contribuer directement à l’amélioration de la qualité, contenu et méthodologies des formations à la paix et à la transformation de conflits. Le projet, financé par la Commission Européenne, Socrates/Grundtvig1, comptait avec la participation 13 organisations originaires de 11 pays européens, dont le MAN (Mouvement pour une Aternative Non-violente), France.

  • (1) : Cf. www.conflictsensitivity.org pour plus d’informations.

  • (2) : Le Code de conduite pour le travail de transformation des conflits d’International Alert en est un excellent exemple (International Alert, 1998).

  • (3) : Le Département britannique pour le Développement international (DFID) applique ce principe en produisant régulièrement les rapports qui lui sont commandés : www.dfid.gov.uk. Swiss Peace a été l’un des pionniers en matière de cartographie des conflits, d’évaluation et et de systèmes d’alerte rapide, avec sa méthodologie FAST : www.swisspeace.org. Le Réseau ouest-africain pour l’édification de la paix (WANEP) enfin dispose également d’un système d’alerte rapide pour l’Afrique de l’Ouest : www.wanep.org.

  • (4) : Johan Galtung s’est exprimé à ce propos dans son discours intitulé « What Does Professionalization Mean in Peace Research? » (Qu’est-ce que la professionnalisation dans la recherche sur la paix ?) lors de la conférence organisée par l’International Peace Research Association (IPRA) en 2006, à Calgary, au Canada. L’ensemble du discours peut être consulté sur le site Web de l’IPRA : soc.kuleuven.be/pol/ipra/calgary_highlights.html.