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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Alternatives Non-violentes, Rouen, mars 2007

Désobéissance civile ou civique ?

Existe-t–il, oui on non, une ou plusieurs différences sémantiques entre « désobéissance civile » et « désobéissance civique » ? Le débat a tendance à susciter de plus en plus d’échos. Il n’est pas qu’académique tant il est vrai qu’il est relatif à la logique même de la non-violence.

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Depuis la publication de l’ouvrage de José Bové et Gilles Luneau Pour la désobéissance civique (La Découverte, 2004), le débat sur la traduction de l’expression anglaise civil disobedience et sur la meilleure façon de dénommer la désobéissance non-violente aux lois injustes a été relancé. Ainsi, plusieurs articles récents parus dans Le Monde Diplomatique et dans Politis notamment, ont préféré utiliser l’expression « désobéissance civique » à celle de « désobéissance civile ».

Toutes les traductions françaises de l’expression civil disobedience ont jusqu’à maintenant privilégié le terme de « désobéissance civile ». Dans les écrits de Thoreau, Gandhi et Martin Luther King, tout comme dans les ouvrages d’Hannah Arendt et de John Rawls, le lecteur français ne trouvera pas l’expression « désobéissance civique ». La définition donnée par Gandhi qui insistait sur la civilité (la non-violence) de la désobéissance s’imposait et permettait de la différencier de la désobéissance « criminelle ». Durant la lutte du Larzac, les campagnes de refus-redistribution de l’impôt et de renvois de papiers militaires étaient bien qualifiées de « désobéissance civile ».

Toute considération sémantique appelle une question : peut-on totalement occulter l’histoire d’un concept et son usage courant pour dénommer un combat non-violent contre les injustices qui a recours à des actions illégales, mais légitimes ? C’est ainsi que la « désobéissance civile », dans notre langue, a toujours été considérée comme une démarche collective et politique, à la différence de « l’objection de conscience » qui est assurément une démarche individuelle de refus n’ayant pas vocation à créer un rapport de force, mais à permettre à l’individu de poser un acte par lequel il reste en accord avec sa conscience. Hannah Arendt et John Rawls ont écrit des pages lumineuses et définitives pour définir et distinguer ces deux concepts.

L’origine de l’expression « désobéissance civile » apporte une difficulté supplémentaire à cette réflexion. En effet, Henry David Thoreau est généralement considéré comme le « père » de la désobéissance civile. Or, il se situait personnellement dans une démarche de refus individuel pour ne pas être complice du mal qu’il condamnait. Il a refusé de payer ses impôts pour ne pas cautionner l’esclavage et la guerre, mais il ne participait à aucun mouvement collectif organisé. La démarche de Thoreau se situe davantage dans le registre de l’objection de conscience. Ceux qui aujourd’hui défendent l’expression « désobéissance civique » y trouvent argument pour affirmer que la « désobéissance civile » est une démarche individuelle… Cependant, dans son célèbre texte édité après sa mort sous le titre Du devoir de désobéissance civile, (le titre de la conférence de Thoreau était en réalité « les droits et les devoirs de l’individu vis-à-vis du gouvernement »), il propose des ouvertures vers une action collective susceptible de faire pression sur l’État. « Une minorité ne peut rien tant qu’elle se conforme à la majorité, affirme Henry David Thoreau ; ce n’est même pas alors une minorité. Mais elle est irrésistible lorsqu’elle fait obstruction de tout son poids. S’il n’est d’autre alternative que celle-ci : garder tous les justes en prison ou bien abandonner la guerre et l’esclavage, l’Etat n’hésitera pas à choisir. Si un millier d’homme devaient s’abstenir de payer leurs impôts cette année, ce ne serait pas une initiative aussi brutale et sanglante que celle qui consisterait à les régler, et à permettre ainsi à l’Etat de commettre des violences et de verser le sang innocent. Cela définit, en fait, une révolution pacifique, dans la mesure où pareille chose est possible. » (1) Thoreau a de toute évidence l’intuition de la force organisée par le nombre.

Il apparaît cependant que l’expression « désobéissance civique » est de plus en plus utilisée aujourd’hui par certains acteurs qui veulent s’affranchir de l’exigence de non-violence. Ce n’était pas l’intention de José Bové et Gilles Luneau. Mais leur volonté de raccrocher la notion de « désobéissance civique », et donc « citoyenne », au droit de « résistance à l’oppression » permet toutes les ambiguïtés conceptuelles et toutes les diversités tactiques quant au choix des moyens de lutte. Les auteurs ont oublié, selon nous, trois points essentiels :

  • La résistance à l’oppression est un droit reconnu par la Constitution, ce que n’est pas encore la désobéissance civique.

  • De plus, c’est un droit qui peut légitimer le recours à la violence face à l’oppression subie.

  • Enfin, la désobéissance civique ne peut être systématiquement considérée comme « une forme de résistance à l’oppression » lorsque l’action se situe dans le cadre d’un État démocratique.

Dans l’ouvrage Pour la désobéissance civique, les auteurs affirment que « le civisme inclut la civilité et non pas l’inverse. » Selon eux, dans notre culture politique, le civisme est identifié au « respect de l’individu ». Mais une désobéissance « civique », au nom de la cause citoyenne, peut très bien finir par légitimer le recours à la violence ! La magistrate Évelyne Sire-Marin, par ailleurs membre de la Fondation Copernic et du Comité central de la Ligue des Droits de l’Homme, explique dans Politis (7 septembre 2006, n° 916) qu’elle préfère l’expression « désobéissance citoyenne » (plutôt que « désobéissance civique ») ou « résistance citoyenne » qui lui « semble plus proche de l’histoire récente de la contestation en France ». Et elle en vient à affirmer, sans se contredire, que « dans des circonstances exceptionnelles, la désobéissance citoyenne peut conduire à des actions non pacifistes ». Toute l’ambiguïté de l’expression « désobéissance civique » est là.

L’avantage d’utiliser l’expression « désobéissance civile » aujourd’hui, outre qu’elle se situe dans la continuité historique des luttes non-violentes, est justement de mettre l’accent sur le caractère civil et non-violent de l’action collective qui est forcément une action citoyenne… Une lutte collective qui aurait recours à des moyens « non-violents », voire à des actions illégales, mais qui défendraient des objectifs incompatibles avec la justice et les lois de l’humanité, ne pourrait être qualifiée de « désobéissance civile », ni de « désobéissance civique » d’ailleurs. L’expression « désobéissance civique non-violente » pourrait être un compromis, mais très rapidement, par facilité, on en reviendrait à l’expression « désobéissance civique » avec toutes les inévitables confusions que génère cette expression.

Le nouveau Dictionnaire Larousse 2007 a peut-être tranché ce débat sur la dénomination qu’il convient de privilégier. Il vient en effet d’intégrer l’expression « désobéissance civile » à l’article « désobéissance ». Il ne s’agit donc plus seulement de la réunion opportune d’un nom et d’un adjectif (comme « désobéissance civique »), mais d’un concept à part entière, tout comme celui de « non-violence » (qui n’est pas seulement le refus de la violence…). La définition du Larousse (2), il est vrai, n’est pas totalement satisfaisante… Nous en resterons donc à celle édifiée à partir de l’usage courant tant dans les textes de la philosophie politique que dans les luttes collectives non-violentes et dont la mémoire collective se souvient.

En quel sens la désobéissance est-elle civile ?

« La racine étymologique du mot civil est le terme latin ‘civilis’ qui lui-même provient de ‘civis’, citoyen. Le premier sens de la désobéissance civile est donc qu’elle est une désobéissance citoyenne. Mais le terme civilis signifie plus que cela. (…)

Civilis s’oppose à criminalis. Ainsi la désobéissance est civile en ce sens qu’elle n’est pas criminelle, c’est-à-dire qu’elle respecte les principes, les règles et les exigences de la civilité. La désobéissance civile est la manière civilisée de désobéir. Elle est civile en ce sens qu’elle n’est pas violente. (…) La violence est une désobéissance criminelle dès lors qu’elle enfreint les règles de la civilité. (…)

Certains, voulant souligner le caractère citoyen de la désobéissance à une loi injuste, préfèrent l’expression « désobéissance civique ». Cependant, cette expression a l’inconvénient de faire passer au second plan le caractère « civil », c’est-à-dire non-violent que doit garder l’action de désobéissance pour rester… civique. C’est pourquoi, l’expression « désobéissance civile » semble préférable. Elle dit plus et elle dit mieux en mettant en valeur que ce qui donne tout son sens à la citoyenneté, c’est la civilité. La citoyenneté est un statut, la civilité une vertu. « Elle est précisément la vertu du citoyen. (…)", Jean-Marie MULLER (3).

Notes

  • Auteur de la fiche : Alain Refalo, Président du Centre de ressources sur la non-violence de Midi-Pyrénées www.non-violence-mp.org

  • (1) : Henry David Thoreau, La désobéissance civile, Castelnau Le Lez, Ed. Climats, 1992, p. 66-67.

  • (2) : La définition du Petit Larousse illustré : La désobéissance civile est une action militante, généralement pacifique, consistant à ne pas se soumettre à une loi pour des motifs politiques ou idéologiques (p. 356).

  • (3) : Extrait du Dictionnaire de la non-violence de Jean-Marie Muller, Gordes, Relié Poche, 2005, pp.104-105.