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Bangalore, November 2006

La gouvernance participative à travers le plaidoyer, la médiation et le consensus

Ce court document offre une vision et une méthodologie pour l’avancée efficace du bas vers le haut de la gouvernance participative, avec le pluralisme, la responsabilité et la justice sociale.

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Nous faisons face au défi de la bonne gouvernance partout dans le monde. Même dans les endroits où les procédés démocratiques sont formellement appliqués, il est clair que la corruption ou les intérêts des politiciens, des bureaucrates, des hommes d’affaire, des groupes religieux ou ethniques et les rivalités entre les partis politiques détournent souvent le système.

Qu’est-ce que la Gouvernance Participative ?

La Gouvernance Participative est l’exercice de l’autorité économique, politique et administrative par les citoyens et les officiels, pour gérer les affaires de la société à tous les niveaux. Cela implique des procédés et des institutions à travers lesquelles les citoyens et les groupes articulent leurs intérêts, exercent leurs droits, rassemblent leurs devoirs, et font la médiation de leurs différences.

La gouvernance et le gouvernement ne sont pas une même chose, mais pour qu’une bonne gouvernance s’installe, ses différents acteurs doivent articuler leurs intérêts, négocier dans un cadre de valeurs éthiques, trouver des zones d’entente pour parvenir à des objectifs politiques et à la mise en place de programmes concrets.

La bonne gouvernance est dans l’idéal un processus ascendant où la participation des pauvres et des exclus de manière égale, est l’expression du reste de la société. La gouvernance participative est une option en faveur des pauvres, sans ignorer les autres intérêts, justes et légitimes.

Limites de l’ancienne gauche

Les organisations de la société civile basées sur des idéologies sectaires de gauche de lutte des classes, sont incapables de mobiliser efficacement les gens pour la résolution des problèmes, car ils ont délaissé de nombreux acteurs-clés. Ils n’acceptent pas l’idée qu’il y ait plusieurs parties-prenantes dans la société, et que même si une préférence est faite aux pauvres et aux opprimés, il serait contre-productif de ne pas permettre à d’autres acteurs-clés de participer aux objectifs généraux et aux processus de création d’une société plus juste. Cependant, bien que les approches de la vieille gauche ont perdu de leur lustre et de leur efficacité, leurs préoccupations sous-jacentes en matière de justice sociale et de protection de l’environnement sont toujours vitales au processus de transformation.

La crise du développement intégrée dans un processus néo-libéral

Après la guerre froide, le soutien par la mobilisation de masse et les processus d’autonomisation ont considérablement diminué. Il y a même une tentative de voir le développement seulement en termes d’intégration des pauvres de manière plus efficace dans les forces du marché. Les organisations de la société civile sont souvent réduites à faire des projets concrets comme des micor-crédits, la mise à disposition de logements, la prévention du VIH/SIDA etc. Ils sont bons en soit, mais n’ont pas d’impact significatif sur la structure de la gouvernance.

Manque de clarté des ONG, des mouvements sociaux et d’autres agents de changement

Bien des années après la fin de l’Union soviétique et de la guerre froide, de nombreuses ONG et organisations de la société civile sont conscientes qu’il n’est pas facile de savoir quelles orientations prendre. Même le Forum Social Mondial, au-delà de l’accomplissement d’importantes tâches qui rassemblent les organisations sociales dans un espace commun, reste incapable de prendre des mesures qui pourraient briser l’inertie d’un processus politique plus large.

Proposition d’éléments d’une utopie concrète originale

J’ai utilisé le terme de « originale » et non de « nouvelle » pour désigner ce processus, car les idées contenues ici sont nées de l’expérience de beaucoup d’organisations, mouvements sociaux et individus. Personne ne devrait avoir la prétention de proposer de “nouvelles” idées dans le domaine social. Ce serait un exercice futile qui aurait très peu d’importance face à la réalité de terrain. Une approche originale doit nécessairement se baser sur une expérience concrète et les acquis d’un grand nombre de personnes.

Il est difficile de fonctionner sans une vision de l’avenir pour nous motiver ; un avenir vers lequel nous avançons régulièrement et pour certains, prudemment. Chacun d’entre nous qui se sent concerné par une société plus humaine et plus durable est une personne d’espoir. Le penseur italien Gramschi fait référence à une époque où les militants sociaux sont pris au piège par l’optimisme de la volonté et le pessimisme de l’esprit. Ce n’est pas le cas avec nous. Nous sommes suscités tant par l’optimisme de l’esprit et l’optimisme de la volonté.

Nous utilisons l’expression « utopie pratique » pour suggérer l’importance d’une vision réalisable, une vision ancrée dans des possibilités concrètes. Nous sommes bien trop réalistes pour nous préoccuper de rêves romantiques ou mièvres sans rapport avec les processus historiques.

Cette vision se préoccupe de la construction d’une notion mystique autour de la citoyenneté. Le Professeur Trent Schroyer a mentionné que la notion moderne de l’individu est centrée sur l’individu économique et l’individu juridique, alors que nous devrions nous concentrer sur l’individu moral et l’individu en tant que citoyen.

La citoyenneté fleurira seulement dans un contexte de consensus démocratique plus profond à travers la gouvernance participative. Culturellement, c’est un processus pluraliste qui repose sur le vieil axiome de l’unité dans la diversité. La forme actuelle de la démocratie où le gagnant prend tout n’est pas basée sur une notion de citoyenneté responsable. De plus, de larges débats sont nécessaires pour parvenir à un consensus et à un accord sur les problèmes de pauvreté, des droits de l’homme et d’environnement…

Les idées clefs du processus sont complètement légitimes et constituent, au moins formellement une part des fondements juridiques sur lesquels tous les Etats-nations modernes sont basés. Des phrases comme « approfondissement de la démocratie consensuelle », « évolution de la gouvernance participative », « promotion de l’unité dans la diversité », « promotion d’une citoyenneté responsable », « promotion de la responsabilité publique et de la transparence » etc… sont les pierres angulaires sur lesquelles l’Etat-nation moderne est censé s’être construit.

La résolution des questions concrètes liées à l’eau, au logement, à la santé, à l’agriculture etc… avec un accent sur ces notions est un processus totalement légitime protégé par les lois de la plupart des pays et légitimée par leur constitution (même si les intérêts empêchent ces objectif d’être atteints de fait).

La méthode

Comment parvenir à le faire ?

De toute évidence, il n’y a pas de procédé facile dans un monde où les valeurs de l’individualisme égoïste et du « chacun pour soi » sont diffusées par le système mondial néo-libéral du fondamentalisme de marché, où l’être humain devient essentiellement une création de valeurs de marché.

J’ajouterai ici que nous ne suggérons pas de nous passer du marché. Le marché a toujours existé, depuis les premiers pas de l’histoire de l’humanité, et continuera sans doute dans l’avenir. Ce qui pose sérieusement problème tient au fait qu’actuellement la notion de marché l’emporte sur les préoccupations humaines ou environnementales dans l’intérêt du profit. Cette approche rapproche le monde d’un désastre social et environnemental.

Il est possible de progresser vers des formes de capitalisme de non-monopole qui respectent la démocratie, les droits des êtres humains et la terre. Par exemple, aux États-Unis environ six groupes d’exploitation possèdent et contrôlent 90 % de la presse écrite et des médias électroniques. Comment le public peut-il être informé si les médias sont contrôlés par des intérêts particuliers ? Et la démocratie peut-elle fonctionner si les gens ne sont pas informés sur les faits objectifs de la société et de la politique ? Je ne prétends pas que l’objectivité absolue soit possible. Mais, si au lieu de six entreprises, il y en avait cinq-cents, nous aurions un débat politique plus authentiquement démocratique aux États-Unis. Les notions de non-monopole du capitalisme et du capitalisme communautaire ont besoin d’être étudiées et débattues plus profondément. Il va de soi que dans une telle approche du marché les pratiques débilitantes de consumérisme n’auront pas leur place.

Mais permettez-moi de revenir à la question d’une éventuelle méthodologie d’action. Dans l’approche que nous proposons, nous devons construire des coalitions de différents acteurs et secteurs de la société, pour lutter contre la pauvreté, l’injustice et la dégradation de l’environnement. D’une manière générale une telle coalition serait composée de politiciens concernés par les questions sociales, de bureaucrates, d’ONG / mouvements sociaux et autres organisations de la société civile, d’entreprises ouvertes d’esprit, de chefs religieux et de médias.

Les problèmes spécifiques d’une ville ou d’une zone rurale seront examinés, débattus et un consensus en émergera. De toute évidence, il doit y avoir des médiateurs qualifiés avec une juste vision qui permettra à ce processus de fructifier. Cela implique nécessairement un processus « donner et prendre » sans pour autant sacrifier les droits des pauvres et des opprimés de la société.

Même si un certain groupe social doit faire face, cela doit être fait sans considérer l’adversaire comme un ennemi. C’était l’approche de Gandhi à la résolution des problèmes : ne jamais désigner l’autre côté comme un ennemi. Traiter l’adversaire avec respect, même si cela est terriblement difficile dans de nombreuses situations.

Un tel processus de médiation et de sensibilisation doit être collectif et non pas dirigé par un seul dirigeant charismatique, aussi courageux et dévoué, qu’il ou qu’elle puisse être. Les principaux acteurs doivent apprendre à éviter l’auto-glorification et les dérives de leur engagement dans la promotion de l’Utopie concrète à laquelle ils croient.

De toute évidence, cela implique également la mise en réseau et la rétroaction transversale.

Une telle approche a peut-être une chance de sortir de l’impasse méthodologique à laquelle nous sommes confrontés. Elle constituera une manière de stimuler, sans frais supplémentaires, des milliers de mouvements sociaux, ONG et autres organisations de la société civile pour apporter des changements grâce à des coalitions non-violentes (composées des hommes politiques concernés, des bureaucrates, des ONG et des dirigeants de la société civile, des organisations populaires, des chefs religieux, des médias et des hommes d’affaires).

Ce processus doit également aider les exclus et les groupes pauvres à construire une solidarité avec les alliances pour promouvoir leurs objectifs. Ces groupes ne jetteront évidemment pas tous leurs œufs dans le même panier, mais poursuivront des stratégies multiples afin de maximiser les gains pour eux-mêmes. La recherche de consensus ne peut être faite artificiellement, ni les différences masquées, dans la mesure où le terrain de jeux n’est pas au même niveau et où les pauvres peuvent facilement être désavantagés dans un processus de consensus. La médiation doit essayer de mettre en avant mon aide à adoucir les conflits non-antagonistes et à parvenir à des solutions concrètes.

La méthode peut être brièvement clarifiée par les scénarios potentiels de résolution de conflits suivants :

Logement :

Le problème du logement pour les pauvres est un cas d’Ecole. Dans les villes du monde entier, qu’il s’agisse de Rio de Janeiro, Mumbai ou Johannesburg, des millions de pauvres vivent dans des conditions de vie sordides sans assainissement, sans approvisionnement en eau, ni services de santé ou de sécurité. Pourtant, les gouvernements ont beaucoup fait pour commencer à résoudre ces problèmes.

Il nous faut maintenant mentionner un cas assez ambitieux et complexe pour illustrer notre méthodologie qui aura au moins le mérite de définir clairement la méthodologie. L’an dernier, le gouvernement a commencé une campagne de démolition de bidonvilles dans la ville de Mumbai et a effectivement démoli arbitrairement et injustement 9 000 maisons. Le problème du logement à Mumbai est aigu. « Les taudis » sont visibles partout où vous allez et les citoyens pauvres n’ont pas de système adéquat d’assainissement, d’eau ou de sécurité.

Toutefois, la mafia des terres garde constamment un œil sur les bidonvilles de Mumbai, puisqu’il est la première propriété urbaine qui vaut une fortune.

Pour faire progresser notre compréhension de la gouvernance participative, nous proposons ci-après une méthodologie participative pour résoudre les problèmes. Pour commencer, il est nécessaire de réunir tous les principaux acteurs. Bien sûr, les organisations citoyennes locales passent avant tout. Il y a ensuite les mouvements sociaux démocratiques, les hommes politiques progressistes, les bureaucrates, les journalistes, d’autres organisations de la société civile, des architectes, des chefs religieux, des hommes d’affaires et des constructeurs. Après un plaidoyer et une médiation créative, il est possible de parvenir à un consensus pour construire un plan-cadre d’équipement en vue d’accueillir tous les pauvres dans le centre-ville de Mumbai. De toute évidence, ce ne sera pas un processus facile et de nombreux intérêts pourraient réussir à saboter ce processus.

Evidemment, la grande question est : d’où viendra l’argent ? Cette question n’est peut-être pas un problème impossible à résoudre. Si l’on considère qu’au moins 200 000 acres de la propriété urbaine est l’endroit où les « taudis » sont situés, alors nous pouvons supposer que plusieurs constructeurs pourraient être heureux de monter les prix, en échange de, disons, dix ou vingt mille acres de ces pièces urbaines de terres. Dans un tel scénario, c’est gagnant-gagnant pour tout le monde. (Bien sûr, comme je l’ai mentionné plus tôt un tel processus n’est pas facile, et nécessitera de la médiation créative). Mais il est certainement possible et moins complexe que la résolution de tous les problèmes de logement de Mumbai).

Projet de loi sur la garantie de l’Emploi Rural :

Le Projet de loi sur la garantie de l’Emploi Rural est un bon exemple, où la stratégie intelligente d’un petit nombre d’individus et d’organisations a permis à une loi historique de passer. Le projet de loi a été adopté en Inde au cours du troisième trimestre 2005. C’est une importante législation et de nombreuses autres régions du monde pourraient bénéficier des leçons apprises ici.

La loi stipule que, dans 150 districts du pays (l’Inde compte au total environ 600 districts,) un adulte d’une famille peut chercher un emploi pendant 100 jours de l’année. Compte tenu des maigres saisons agricoles et des situations de sécheresse dans de nombreuses régions du pays, ce programme sera d’un grand secours pour les paysans pauvres.

Le risque est que ce programme soit gaspillé par des programmes de secours mal pensés. Si les programmes en cours d’exécution peuvent contribuer au développement durable, au lieu du secours, la société dans son ensemble gagnera. La plupart des programmes communs sont en lien avec la construction et la réparation des routes, la construction de barrages et la réhabilitation des lacs.

A la fin, cet argent pourrait être gaspillé sur des programmes mal conçus qui ne contribuent ni au secours ni au développement durable. En outre, les fonctionnaires corrompus peuvent mettre des centaines de milliers de noms fictifs de personnes qui ont prétendument trouvé un emploi dans le cadre de ce programme.

C’est une grande opportunité pour créer des processus de gouvernance participative où des jeunes ruraux, des étudiants, des professeurs d’université, d’honnêtes bureaucrates, des ONG et d’autres peuvent se réunir.

Ils peuvent aider à créer un processus de planification de développement durable local mis en oeuvre par les Programmes de Garantie de l’Emploi.

Depuis la loi du droit à l’information adoptée en Inde, les groupes ci-dessus et les coalitions peuvent l’exiger de l’administration locale pour toutes les informations. Par exemple, ils peuvent demander de la transparence dans les finances du programme, la clarté sur le processus de prise de décision qui choisit les candidats pour l’emploi dans une famille, les noms de ces paysans pauvres qui ont bénéficié du programme, comment le projet de développement a été conçu etc.

Ce sont là des exemples de problèmes résolus et de graines de la gouvernance participative qui ont été semées.

Des efforts similaires de gouvernance participative peuvent être réalisés autour de la question d’eau, de santé, de VIH-sida, des droits de l’enfant, de résolution des conflits interreligieux, de foresterie sociale, d’agriculture, des droits de l’homme etc.

La gouvernance participative et la non-violence :

Il est clair que, dans un monde complexe et inter-connecté comme le nôtre, les objectifs de la gouvernance participative ne peuvent être atteints seulement par des méthodes non violentes. La coalition, la médiation, les activités de plaidoyer, de lobbying et de pression de mouvements sociaux contribuera à créer les conditions favorables à l’efficacité d’une gouvernance participative. De toute évidence, il y aura des situations où les différences et l’opposition ne pourront être évitées. Cependant, les négociations non-violentes et l’affrontement doivent toujours rester ouverts au dialogue.

L’articulation de l’interactivité (transversalité) locale, mondiale et transversale :

La gouvernance participative doit prendre en compte toute la gamme de gouvernance pour réussir. Ainsi, par exemple, une question telle que le logement soulèvera inévitablement des questions liées à la santé publique et à l’assainissement. De même la question de l’eau va soulever la question des types de cultures et de méthodes de l’agriculture qui utilise moins d’eau.

Des questions concrètes seront sélectionnées sur les besoins urgents des personnes. Dans un domaine particulier, les pénuries d’eau pourraient être la priorité. La redistribution des terres agricoles grâce à des réformes agraires peut être une priorité dans de nombreux États. Mais quelle que soit la question abordée, cela touchera d’autres questions et articulera les processus de gouvernance participative qui allant au-delà de la question en cause. L’un des objectifs de ce programme consistera à articuler des vues transversales sur la gouvernance participative à des questions concernant les niveaux local, national et international. Le défi est de constamment surveiller un tel trans-sectoriel ainsi que les articulations des collectivités locales, nationales et internationales.

La mise en réseau :

Cette approche et cette méthodologie peuvent être reproduites dans de nombreux contextes et situations différentes sans encourir de dépenses supplémentaires. Pour commencer, la plupart des ONG et des mouvements sociaux peuvent facilement faire davantage dans cette ligne. Cela suscitera également en eux un nouvel idéalisme fondé sur la gouvernance participative, la démocratie consensuelle, l’éthique et un pluralisme basé sur l’unité dans la diversité.

La construction de capacités :

Un domaine important du travail est centré sur le renforcement des capacités. Il est impératif que la vision et la méthodologie dans la gouvernance participative, de médiation et de sensibilisation soient mises en place dans le plus de pays possible. Nous n’avons pas à réinventer la roue pour le faire. Nous pouvons bâtir sur l’expérience de tous ceux qui ont travaillé dans ce domaine et l’améliorer. Un grand nombre de groupes et d’organisations peuvent être renforcés par la construction de capacités de terrain, dans cette vision et de la méthodologie.

Site internet :

Un site créatif est important pour diffuser la vision, la méthodologie et les activités d’une telle approche de gouvernance participative. Ce site peut relier les personnes dans une zone géographique particulière, en gardant tout le monde informé. Il aura également des liens vers d’autres sites nationaux et internationaux tout aussi motivés.

Notes