Fiche d’analyse Dossier : La transformation politique des conflits

Grenoble, avril 2008

Le sixième clan en Somalie

Le rôle des femmes dans la construction de la paix.

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Le rôle des femmes dans la société somalienne en général et plus particulièrement dans la construction de la paix est souvent négligé ou sous- estimé. Notre travail a pour but dans un premier temps de décrire l’évolution de la place occupée par les femmes dans la société, les clans et le système politique. Les femmes sont en effet reléguées à l’arrière plan et leurs actions ne sont souvent pas visibles ou reconnues en tant que telles. Cependant, la communauté internationale a pris conscience de leur importance dans la construction de la paix et les a soutenues. Nous montrerons comment, en s’appuyant sur l’exemple de SSWC (Save Somali Women and Children). SSWC est une ONG à vocation humanitaire, fondée en 1992, à Mogadiscio, à l’initiative d’un groupe de femmes somaliennes appartenant à différentes sections de la société. Leur mission est de contribuer à la création d’une situation de paix durable en Somalie, en dénonçant les violences et la marginalisation ainsi que la pauvreté au sein des communautés. Enfin, nous verrons de quelle manière s’est affirmé le rôle des femmes dans la Somalie actuelle, en présentant quelques uns des nombreux programmes mis en place pour le maintien de la paix : éducation, santé et alimentation. En effet ce sont les gages d’une paix durable et les femmes, du fait de leur statut de mères, sont les plus à même de diriger ces programmes.

Evolution de la situation des femmes en Somalie

Une avancée mais encore un long chemin à parcourir

Le conflit a coûté la vie à de nombreux hommes, résultant que plus de la moitié des femmes sont veuves et environ 70% des enfants sont élevés par des femmes seules. Le rôle des femmes dans la société somalienne est donc très important.

Aspects socio-économiques:

Traditionnellement, leur rôle se limitait à avoir des enfants, à les élever et à effectuer les tâches ménagères. L’éclatement des familles somaliennes, provoqué par la guerre civile, a poussé les femmes à assumer de nouvelles fonctions économiques. Avant, elles dépendaient financièrement de leur mari et la principale activité du pays était l’agriculture, mais après le conflit, il fût difficile de récupérer les terres, les infrastructures avaient été détruites et il n’y avait pas de source de revenus dans ce secteur. Les femmes n’ont pas toutes eu la possibilité de récupérer les terres de leur mari mort au combat et se sont vu parfois sans terre et sans maison. Il était donc nécessaire de trouver d’autres sources de revenus et les femmes ont du sortir du foyer pour trouver un emploi : on a alors assisté à la féminisation du marché du travail. Elles se sont dirigées principalement vers les secteurs des affaires et du commerce. Les femmes en Somalie représentent la part la plus importante de la main-d’œuvre. Toutefois, selon la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, le nouveau rôle des femmes dans la sphère économique n’a pas changé radicalement leur statut dans la société. Il est vrai que les femmes essaient d’accéder à des postes de direction, mais c’est extrêmement difficile sans la formation et l’éducation nécessaires pour assumer de telles fonctions.

Education:

L’idée que les femmes n’ont pas les compétences professionnelles requises pour occuper des fonctions de direction n’est pas sans fondement : elles n’ont eu jusqu’ici pratiquement aucun accès à l’éducation ou à une formation. Aujourd’hui encore, nombreuses sont les femmes illettrées en Somalie. Le taux de scolarisation des enfants est très faible et les filles y sont sous-représentées à cause des contraintes traditionnelles et islamiques qui limitent le mouvement des jeunes filles célibataires à l’extérieur de la maison et le fait que l’on accorde moins d’importance à l’instruction des filles somaliennes qu’à celle des garçons puisque les filles sont considérées comme ne faisant partie que temporairement du foyer familial. Nombreuses sont les mères qui pensent que leurs filles auront une vie meilleure si elles trouvent rapidement un mari. En réalité, cela ne se vérifie pas car les unions sont, dans la plupart des cas, suivies d’un divorce et si les femmes n’ont pas acquis les compétences pour avoir un emploi décent, elles ne pourront pas nourrir leurs enfants et finiront dans un bidonville. L’éducation des filles et des femmes adultes reste donc un des domaines dans lequel de nombreux progrès restent à faire.

Cibles de violence sexuelle:

La violence fait également partie du quotidien des femmes en Somalie. Après des années de guerre, le viol est devenu une menace à laquelle sont exposées les femmes qui se déplacent le long des axes routiers, en raison de la présence de barrages de contrôle établis illégalement par les milices. Elles sont également exposées à ce danger dans les sites de déplacés, localisés en banlieue des villes, trop isolés pour offrir une sécurité satisfaisante. Veuves, sans homme pour les protéger, ni de porte solide pour se barricader, elles sont des victimes de choix pour les violeurs.

Femmes, le sixième clan ? :

Mais le pays a tout de même fait des progrès allant dans le sens d’une meilleure participation des femmes dans la société somalienne, notamment dans la vie politique. Aujourd’hui la société somalienne est composée de cinq clans différents et d’un sixième qui n’en est pas vraiment un, il s’agit plutôt d’une sixième voix. Les cinq premiers sont menés par des hommes adultes et le « sixième clan », apparu en 2000, est issu d’une initiative féminine. C’est la première initiative en son genre car les femmes ont toujours été tenues à l’écart de la vie politique en Somalie. La plupart d’entre elles pensaient jusqu’alors que la gestion du pays n’était pas de leur ressort même si elles reconnaissent l’importance du rôle de chacun dans la société. Elles se trouvaient souvent écartées des prises de décisions -trop occupées par leur rôle au sein du foyer. Il en va de même pour la gestion des conflits. Au début du processus de réconciliation, le processus de paix était basé sur l’appartenance aux clans. Les femmes ont toujours été considérées d’une manière générale « sans clan ». Et pourtant, leur statut de premières victimes (viols, exploitation sexuelle…etc.) pendant les conflits renforce leur légitimité dans la participation à la vie politique. Avant la création de ce sixième clan, les femmes n’avaient aucune opportunité de s’exprimer au niveau politique, elles n’avaient pas le droit de vote et n’avaient pas le droit de se présenter en tant que candidate aux élections. Désormais la constitution de Puntland permet aux femmes de se porter candidates aux élections et réserve un certain nombre de ses sièges au Parlement à des femmes. La participation des femmes reste tout de même relative et à améliorer. En 1997, au Caire, aucun délégué de sexe féminin n’a assisté aux pourparlers et la même année lors des pourparlers de paix et de réconciliation, qui se sont tenus en Ethiopie, au Kenya et à Djibouti, les participantes n’ont eu qu’un rôle de soutien.

Leur participation occasionnelle à ce genre d’instances constitue tout de même l’opportunité de faire entendre leur voix et d’imposer le respect de leurs droits.

Le rôle des femmes dans la construction de la paix

Selon des groupes de féministes et certains spécialistes en analyse de conflits, comme Mme Omotayo Bukky O., la paix serait chez les femmes quelque chose d’inné : si elles participaient plus à la vie politique en Afrique, de nombreuses guerres pourraient sans doute être évitées. Toujours selon les partisans de cette théorie, si l’avis des femmes comptait plus au sein des sociétés africaines, de nombreux conflits n’auraient jamais eu lieu. Les femmes donnent la vie et connaissent ainsi mieux les conséquences d’un conflit : la mort. Elles mesurent plus sensiblement les effets néfastes de la guerre et sont donc plus à même de mener les processus de paix. Des études menées par l’UNESCO confirment les rôles essentiels et déterminants qu’ont joués et que peuvent jouer les femmes de Somalie dans la prévention et la résolution des conflits comme dans la promotion d’une culture de la paix en s’appuyant sur des méthodes traditionnelles. Cela tend à démontrer l’existence de tendances universelles inhérentes à la contribution des femmes en faveur de la paix et de la résolution des conflits.

Les femmes sont souvent les intermédiaires dans des situations de conflit, participant à des missions de reconnaissance pour évaluer les possibilités de paix et faciliter par la suite la communication et les négociations. Nous allons à présent voir comment les femmes somaliennes agissent à différents niveaux de la société.

Les processus de paix informels viennent en complément des processus de paix formels et les femmes ont plus d’opportunités que les hommes de participer à ces processus. Elles s’engagent rapidement dans la vie politique au niveau local ou international (en se positionnant pour ou contre la guerre) pendant le conflit et restent engagées après le conflit.

Les femmes rencontrent de nombreux problèmes pour faire reconnaître leurs droits et les faire respecter, beaucoup d’entre elles décident donc de s’engager dans la vie politique ou aux côtés d’organisations non gouvernementales afin de mieux s’organiser, d’être mieux représentées et d’être reconnues par la communauté internationale.

En somalie, les femmes ont été très actives du fait du nombre important d’hommes tués pendant la guerre. Elles ont ainsi agit localement dans la prévention du recrutement de leurs fils pour servir les seigneurs de guerre et les milices mais aussi pour la reconnaissance et le respect de leurs droits, le rétablissement de la paix et de la justice ainsi que pour l’amélioration de la situation économique du pays.

Beaucoup de femmes, de part leur conscience des conséquences gravissimes que peut avoir le conflit, ont envoyé leurs fils loin de la guerre ou bien les ont poussé à prendre les armes lorsque la violence fût perçue comme le seul moyen légitime d’établir la paix à un moment précis du conflit. Au foyer, des femmes ont tenté d’inculquer leurs valeurs et d’éduquer les hommes de leur famille sur l’inutilité du conflit et sur les intérêts qu’ils avaient à restaurer la paix.

Même si les femmes ont le plus souvent été victimes de la guerre, cela n’enlève rien à leur rôle dans le processus de paix.

Le travail que les femmes font aux niveaux local et régional est capital pour les processus d’édification de la paix, mais le rôle des femmes est souvent sous-estimé ou ignoré, bien que ce soit leur droit de participer, dans les mêmes conditions que les hommes, à tous les processus de gouvernance et de prise de décision.

Selon des experts en implication des femmes dans les négociations de paix, travaillant au service des nations unies, les femmes sont au premier plan de la résolution des conflits au niveau communautaire mais elles sont rarement incluses dans les processus de paix de haut niveau, ce qui conduit à une politique sexiste de paix.

Des mesures ont ainsi été prises au Conseil de sécurité de l’ONU comme la résolution 1325, votée en 2000, qui donne mandat pour une plus grande implication des femmes dans les négociations nationales et internationales. Ces mesures ont provoqué une prise de conscience sur le problème de la représentation inégale entre les hommes et les femmes dans la résolution des conflits. Cependant, la prise de conscience n’a pas encore été traduite en action dans toutes les zones ne conflit.

Programmes mis en place par les femmes pour le maintien de la paix et la reconstruction en Somalie

« Les femmes participent quotidiennement à la consolidation de la paix, particulièrement dans le contexte somalien. Je pense qu’il est essentiel d’examiner leurs rôles spécifiques, en particulier en ce qui a trait à la consolidation de la paix et à la reconstruction dans les collectivités touchées par les conflits. » – Shukria Dini

En effet, les femmes somaliennes sont à l’origine de nombreux efforts de reconstruction post-conflit, ce qui constitue un rôle clé dans la prévention de la violence. Elles tentent aussi d’améliorer les soins médicaux et les services éducatifs dans leurs collectivités. Cependant, leurs initiatives en matière de consolidation de la paix demeurent souvent invisibles pour les responsables des politiques et les institutions de développement, ainsi que pour leurs propres sociétés. Les femmes agissent en silence. Leur contribution commence au foyer : elles tentent d’inculquer leurs valeurs et d’éduquer leurs fils, oncles, maris (tous les hommes de leur famille), de leur montrer la futilité des conflits et la nécessité de restaurer la paix pour le bien de toutes et tous. Leur sentiment après le conflit est très souvent partagé, même au sein des différents clans. Elles ont vu leurs hommes mourir et ne voient pas les fruits de leurs sacrifices.

Dans une démarche de prévention des conflits, les femmes racontent l’histoire à leurs enfants pour que celle-ci ne se répète pas. Selon elles, la compréhension des raisons du conflit permet d’en éviter un nouveau. Les erreurs du passé doivent ainsi bénéficier au présent et au futur.

Dans la plupart des cas ces femmes s’engagent dans une ONG qui leur permet de s’organiser en groupe(s). Cependant quelques unes de ces ONG ont été accusées d’avoir trouvé des accords trop vite avec les parties prenantes du conflit et cela a renforcé le sentiment des femmes d’être mal relayées par ces agences sociales. C’est pourquoi le travail en collaboration, en réseaux, est une chose nécessaire et indispensable pour la construction d’une paix durable et pour que les réels besoins des individus soient entendus.

Conclusion

Pour résumer la situation des femmes en Somalie, on peut dire qu’elles sont à l’origine d’un « sixième clan » et ont choisi de s’engager auprès d’organisations non gouvernementales pour faire entendre leur voix. Elles sont de plus en plus nombreuses à occuper un poste de direction au sein d’une organisation, coopérative ou institution de crédit. Les somaliennes ont été très actives au niveau local, que ce soit dans la prévention du recrutement de leurs fils pour servir les seigneurs de guerre et les milices, dans la lutte pour la reconnaissance et le respect de leurs droits, dans les processus de rétablissement de la paix et d’instauration de la justice mais aussi dans les processus de redressement économique du pays. On note des progrès significatifs de la société somalienne en termes d’accès à l’éducation ou encore au système de santé grâce aux programmes que les femmes ont pu mettre en place. Une grande majorité de ces initiatives locales et internationales (dans le cas des pourparlers de paix) ont été prises par des femmes. Cependant, la société somalienne ne leur en est pas très reconnaissante : beaucoup de leur contributions restent inaperçues, ce qui est du au fait que leurs actions commencent le plus souvent au sein même de leur foyer -à une échelle infime de la société. C’est pourtant la somme de toutes ces « petites » actions très locales qui font changer les choses à une plus grande échelle. On peut donc retenir les progrès déjà fait au sein de la société somalienne, sans oublier qu’un long chemin reste encore à parcourir.

Auteurs de la fiche :

  • Aurélie MOTEL

  • Elodie BARRALON

Notes

  • Sources :

    • Invisibles spécialistes en consolidation de la paix.

www.idrc.ca/fr/ev-114798-201-1-DO_TOPIC.html