Grenoble, April 2008
La transition politique au Somaliland
Quel futur pour un pays qui n’existe pas ?
Keywords: To analyse conflicts from a politic point of view | | | | | | |
Introduction
Le Somaliland tel que nous le connaissons aujourd’hui n’est encore officiellement que l’une des régions de la Somalie. Son histoire récente est pourtant très riche et sa situation a bien changé depuis 1991, date à laquelle s’est formé un gouvernement indépendant. Celui-ci réclame aujourd’hui en vain d’être reconnu sur la scène internationale. Ce territoire est en effet l’un des rares de la région est-africaine a avoir su mettre en place une paix durable et de qualité, et ce sans aide de la part des institutions internationales.
Le futur de ce « pays qui n’existe pas » comme de l’ensemble de la région dans laquelle il se trouve est aujourd’hui incertain.
Ancienne colonie britannique, cette partie de la Corne de l’Afrique s’était rattachée au reste du territoire somalien en 1960. Mais depuis 1991, à la suite de mouvements sécessionnistes, elle s’est autoproclamée indépendante. Le processus de paix y a été long et fastidieux et a encore aujourd’hui de lourdes conséquences tant aux plans politiques qu’économiques. Mais malgré la réussite remarquée de ces démarches de paix, peu sont ceux qui s’accordent à la féliciter.
I. Les étapes de la construction de la paix
1. Historique politique du Somaliland avant 1991
Le territoire actuel du Somaliland a été placé sous protectorat britannique en 1884. Cette colonisation a été relativement tardive comparée à celle du reste du continent africain. En effet, les puissances coloniales se sont d’abord intéressées aux pays dotés de plus importantes quantités de ressources naturelles que celles existant en Somalie Britannique. Mais avec l’attraction grandissante du continent asiatique, le Somaliland devient intéressant du fait de sa position stratégique. Les anglais se serviront donc de ce territoire sans toutefois chercher à y développer réellement d’activités autres que celles relatives à l’extraction de matières premières. Ceci peut d’ailleurs permettre d’expliquer la quasi-absence de contestation de la présence anglaise de la part de la population locale. C’est également la raison pour laquelle les britanniques n’y ont fait que très peu d’investissements. Eux « qui n’avaient occupé le pays que pour contrôler le détroit stratégique du Bab-el-Mandeb et accessoirement pour trouver un approvisionnement alimentaire à bas prix […] se souciaient fort peu de « leur » Somalie » .
Avec la vague de décolonisation qui touche l’Afrique dans la seconde moitié du XXe siècle, la Somalie britannique et sa voisine du Sud-est, la Somalie italienne, accèdent à l’indépendance en 1960. Elles s’uniront très rapidement pour former la Somalie.
Quelques années plus tard, en 1963, est créée l’Organisation de l’Union Africaine (remplacée par l’Union Africaine en 2002). Elle adopte en 1964 le principe d’« Uti possidetis juris » qui rend définitives et inchangeables les frontières de chaque Etat membre. Ceux-ci sont alors reconnus comme étant indivisibles. Il est donc impossible de diviser ou de faire fusionner des Etats.
Cependant, la fusion des deux régions de Somalie ayant eu lieu avant que ce principe de soit reconnu, elle est évidemment acceptée par l’OUA. La formation de la Somalie, reconnu sur la scène internationale, se fait par le biais d’un consensus entre les deux territoires qui sera très bien accueilli au sein de leurs populations. Mais cette union très rapide a des failles. Les deux entités, d’origine et de traditions différentes, n’ont pas le même poids économique : le Sud est déjà plus développé. D’autre part, elles ne se voient pas représentées équitablement au sein des instances de gouvernance, et ce, une nouvelle fois au détriment de la région du Nord.
C’est dans ce contexte de montée des mécontentements que le Général Barré prend le pouvoir par un coup d’Etat fin 1969. L’un de ces premiers objectifs est la mise en place d’une véritable politique de nationalisation du pays : il cherche à unir le pays pour créer une nation forte. Parmi les actions positives qu’il mène, l’instauration d’une langue officielle permet une meilleure compréhension entre les différentes régions somaliennes. Mais le régime dictatorial qu’il met en place est de plus en plus dur au fil des années qui passent. Le pouvoir en place supprime alors de nombreuses libertés afin de tenter de faire face à sa perte progressive de légitimité, de soutient et d’autorité. La défaite de Barré en 19978 dans la guerre qu’il menait face à l’Ethiopie, lui fait perdre encore plus de crédibilité.
Le virage autoritariste de Barré entraîne l’émigration d’un grand nombre de somalien, dont de nombreux intellectuels somalilandais. Ceux-ci formeront par la suite une importante diaspora qui influencera de l’extérieur les changements politiques internes de la Somalie. En parallèle, l’opposition somalilandaise au régime somalien s’arme et s’organise, notamment grâce au soutien de l’Ethiopie. Le Mouvement national somalien (SNM), créé en Angleterre et essentiellement composé de membres de clans du nord, prend peu à peu le contrôle de la région du Somaliland, malgré quelques oppositions claniques, et est à l’initiative de la demande de séparation du Somaliland d’avec le reste de la Somalie.
En 1990, une partie de la population somalilandaise se positionne contre le régime en place. Ceci se manifeste par de nombreuses émeutes.
Le gouvernement somalien tombe en 1991. Alors que le reste de la Somalie rentre dans une longue période de luttes armées, le SNM organise une réunion à Burco dans un but pacifiste, entre les principaux leaders claniques du Nord dans la ville portuaire de Berbera. Ils y décident ensemble d’un cessez-le-feu pour le Somaliland.
2. Depuis 1991, le Somaliland en quête de résolution de conflit
Nous tenons à montrer ici comment au fil des années, l’équilibre des forces au Somaliland a été affiné à chaque fois qu’un nouveau facteur d’instabilité émergeait, et dans quelle mesure il y a alternance successive entre conflits et amélioration du système.
a) Le processus de paix
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Le premier cessez-le-feu et la conférence de Burco :
Alors que le reste de la Somalie s’enfonce dans une longue guerre civile, les différentes parties qui composent le futur Somaliland expriment très vite une volonté commune d’instaurer une paix durable. La construction de l’Etat somalilandais ne peut se faire sans l’appui des différents clans qui le forment. En effet, ce sont eux qui détiennent traditionnellement la légitimité du pouvoir. Ainsi, suite au cessez-le-feu, le SNM et les principaux leaders décident de tenir une grande conférence dans laquelle se décidera l’avenir de la région. Les représentants des clans disposent ainsi de 2 mois pour consulter leur communauté afin de les représenter le plus fidèlement possible lors de cette conférence.
C’est ainsi qu’en Avril 1991 se tiendra la conférence de Burco, menée par le SNM et à laquelle assistent les chefs de clans, mais aussi des artistes, intellectuels, hommes d’affaire, qui représentent la société dans son ensemble. Une telle situation qui rassemble les intérêts de toute la société a de fortes chances de parvenir au meilleur consensus possible, c’est-à-dire au meilleur équilibre pour la paix.
C’est donc au cours de cette grande conférence qu’il sera décidé de prendre l’indépendance, et ce dès Mai 1991. Le gouvernement transitoire pour ce nouvel état sera mis entre les mains du SNM, avec la participation consultative des différents chefs de clans.
Cette première tentative de résolution du conflit et de transition politique se révèlera un échec moins d’un an plus tard : les différences émergent au sein de la société somalilandaise, et le SNM lui-même souffre de dissensions. La faction « Red Flag » du SNM se soulève contre le gouvernement et mène le pays à la guerre civile.
Un premier élément d’explication serait qu’une fois le gouvernement central de Somalie oublié, le pays n’ayant plus d’ennemi commun se retrouve confronté à ses problèmes internes, qui avaient été sublimés par l’Union contre Siad Barré.
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Conférence de Boramé :
Quoi qu’il en soit, en octobre 1992, un nouveau cessez-le-feu est décidé, et une nouvelle grande conférence est préparée pour mai 1993, sur le même principe que la première : la recherche de la paix, de l’équilibre des forces, des mécontentements et la recherche de compromis durables.
C’est donc dans ce contexte que se tient la conférence de Boramé, qui décide cette fois de prendre un autre président, civil, et qui n’appartienne pas au SNM. S’opère ainsi le transfert du pouvoir, et les participants à la conférence décident de mieux cadrer le mandat de ce nouveau président au moyen d’une Charte dite « Nationale » et d’une Charte dite « de Paix ». Ces Chartes sont en quelque sorte des traités, ou plutôt des constitutions provisoires. Celles-ci définissent une nouvelle période de transition de 2 ans, et établit une Chambre des Sages (en anglais, House of Elders, mais le mot Sage traduit mieux la réalité que le mot Ancien, les chefs de clan n’étant pas forcément âgés mais représentant un certain nombre de valeurs et de qualités, par exemples d’oration, de connaissances artistiques et religieuses, de générosité, de persuasion, etc.). Cette chambre, qui a un rôle consultatif uniquement, est chargée de veiller à la paix et au bon déroulement des affaires politiques. Enfin, la conférence décide la dissolution du SNM.
Ces nouvelles mesures permettront au pays de fonctionner pendant un certain temps. Mais toutes les tensions n’ont pas été désamorcées, et d’autres problèmes viendront bientôt se greffer : certaines régions, notamment à l’ouest, se sentent délaissées et défavorisées (une des raisons qui avait d’ailleurs poussé le Somaliland à se révolter contre le gouvernement central somalien), et l’opposition au gouvernement, trop peu représentée et écoutée, se rebelle et amène une nouvelle fois le pays à la guerre civile. Ce nouveau conflit interne durera de la fin 1994 à 1996, où un nouveau cessez le feu aura lieu, suivi en toute logique d’une nouvelle conférence de paix.
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Conférence de Hargeisa :
La 3ème grande conférence aura lieu à Hargeisa en Février 1997, et va enfin parvenir à trouver un équilibre relatif. Il y sera décidé, entre autres, la cessation des hostilités, la mise en place d’une constitution provisoire de transition, qui doit durer 3 ans avant d’être confirmée ou abandonnée, et le président sortant sera réélu pour 5 ans. Enfin, il y sera décidé de mieux prendre en compte l’opposition, en l’intégrant au gouvernement, notamment en ouvrant la Chambre des Sages à 82 sièges au lieu de 75. La constitution sera par la suite confirmée par referendum en 2001. La population, qui vote pour la première fois, le fera massivement (99.9% des inscrits se déplaceront) en votant a 97,1% pour.
Cette constitution établit un type de gouvernement très particulier, qui concilie à la fois la démocratie représentative et le système traditionnel de gouvernance (la Chambre des Sages, qui regroupe les chefs de clan selon leur appartenance clanique). La première épreuve de ce gouvernement surviendra peu de temps après, lorsque le président Egal décède. La passation du pouvoir se fit toutefois sans heurts, et en accord avec la Constitution.
Comme nous le disions en introduction, l’alternance successive entre conflits et recherche de paix ont permis d’arriver à un équilibre des forces. Nous avons vu que c’était le travail des conférences, mais c’est également le résultat d’une volonté de paix particulièrement marquée parmi la population, ce qui est rarement autant le cas à d’autres endroits en Afrique ou ailleurs, et notamment en Somalie où le consensus n’est pas si facile à atteindre. Malgré l’hétérogénéité politique et sociale, la pauvreté et la faiblesse de l’Etat central, les observateurs internationaux remarquent que le peuple somalilandais a beaucoup accompli et accomplit encore d’énormes efforts pour la sécurité et la paix. En effet, il y a eu de graves tensions et des conflits potentiels qui ont été évités depuis 1997 jusqu’à aujourd’hui. Le Somaliland est maintenant considéré comme un exemple pour le reste de la région du fait de sa stabilité politique.
b) L’introduction des partis politiques
La transition du système traditionnel au système hybride (principalement démocratique tout de même), s’est fait selon un agenda logique qui comprend un certain nombre d’étapes. Tout d’abord l’acceptation de la constitution par référendum, préalablement expliquée à la radio, distribuée par courrier et affichée en ville. Avant de pouvoir introduire les partis dans la vie politique, le gouvernement provisoire a estimé qu’il était d’abord nécessaire qu’un certain nombre d’éléments soient réunis : d’abord assurer la sécurité sur l’ensemble du territoire, puis s’assurer que la démobilisation soit complètement terminée, puis établir des institutions gouvernementales fortes, qui aient un réel pouvoir, et enfin améliorer les conditions de vie, grâce à une restructuration de l’économie. En effet, quand une population n’a pas les moyens d’assurer sa survie, elle a plus de chances de reprendre les armes.
Ce n’est qu’ensuite que le gouvernement a décidé d’implanter les partis politiques, et avant tout au niveau local, pour que ceux-ci prennent forme petit à petit, et qu’ils soient acceptés par la population. Par la suite, ils ont procédé à des élections locales, moins risquées que des élections nationales (assurer une légitimité politique régionale d’abord permet de s’habituer au système démocratique).
Les premières élections ont eu lieu en 2003, et trois partis étaient représentés (UDUB, KULMIYE, UCID). Voilà les résultats :
Candidate (Party) | Number of Votes | % of Votes |
Dahir Riyale Kahin (UDUB) | 205,595 | 42.08 % |
Ahmed Mohamed Mohamud Silanyo (KULMIYE) | 205,515 | 42.07 % |
Faysal Ali Warabe (UCID) | 77,433 | 15.85 % |
Taux de participation d’environ 50 % (chiffre approximatif, pas de donnée officielle)
Les élections de 2005 (élection parlementaires) :
Party | Number of Votes | % of Votes | Number of Seats (82) |
Unity of Democrats Party (UDUB) | 261,449 | 39.00 % | 33 |
Solidarity (KULMIYE) | 228,328 | 34.06 % | 28 |
Justice and Welfare Party (UCID) | 180,545 | 26.93 % | 21 |
Taux de participation d’environ 80% (chiffre approximatif, pas de donnée officielle)
Les prochaines élections auront lieu en août 2008.
II. Une paix durable à travers la gouvernance
Il est important de rappeler que rares étaient ceux qui croyaient à l’indépendance du Somaliland, que ce soit dans la région ou dans le reste du monde. En particulier les Unionistes (ceux qui veulent d’une grande Somalie, qui comprendrait le Puntland, le Somaliland et la région de l’Ogaden) ont très fortement décrié l’indépendance, prétextant entre autres que le Somaliland est une région trop pauvre et trop petite pour survivre indépendamment. C’est peut-être une des raisons qui pousse la communauté internationale à s’obstiner à refuser de reconnaître le pays. Ces aspects (économie et reconnaissance internationale) seront développés dans une partie qui suivra, mais il était important de les mentionner dans les obstacles au bon fonctionnement du gouvernement, et à les avoir en tête lors des analyses qui suivront.
Parmi les critiques au gouvernement hybride, on note en tout premier lieu que c’est un système qui peut aisément favoriser les liens de parenté et l’appartenance clanique, et donc engendrer du clientélisme et de la corruption. En effet, même si certains affirment que voir la société somalilandaise uniquement par les aspects claniques fausse la lecture, il n’empêche que toutes les activités du pays ont une composante clanique. Sachant que les affaires, autant du public que du privé, passent par l’aval du système clanique, on peut supposer que cette corruption est en effet possible. Par ailleurs, certains ministres confirment qu’ils passent autant de temps à négocier par le biais du système clanique que pour ses fonctions officielles. Le corolaire de ces deux raisonnement, c’est que les membres de la Chambre des députés (82 sièges également), élus par le système représentatif, se sentent aussi représentant de leur communauté (ou clan). Ainsi, démocratie et clanisme s’entremêlent quotidiennement.
Parmi les détracteurs du système traditionnel, certains disent également qu’il n’encourage pas la méritocratie, le professionnalisme et le recentrage des questions autour des enjeux politiques avant tout. Ils affirment également que la démocratie seule permettrait une administration plus efficace (certains membres devant leur poste plus à leur appartenance clanique qu’à leurs compétences) et plus juste (le gouvernement actuel favorisant les clans majoritaires).
Mais ce gouvernement semble refléter la société telle qu’elle est, et imposer un autre système de gouvernement qui ne reflète pas la réalité du pays ne mènerait-elle pas à l’échec ? Le tout semble être d’atteindre un équilibre entre les deux systèmes, et ce d’autant plus que l’évolution du système politique paraît nécessaire pour aider à la reconnaissance internationale.
1. Les interférences au pouvoir
Il a été brièvement évoqué que le Somaliland avait traversé des épreuves de tension où des conflits avaient été évités depuis 1997. Certains de ces éléments, qui sont autant d’interférences au pouvoir, existent encore aujourd’hui. En voici quelques uns à titre d’exemple, qui paraissent les plus représentatifs.
Le premier élément de critique qu’émettent les somalilandais eux-mêmes, c’est que la Chambre des Sages a plusieurs effets pervers. Déjà, les chefs de clan élus sont maintenant en ville, et les villageois se plaignent qu’ils délaissent leurs fonctions traditionnelles. Il n’y a parfois plus personne pour veiller sur l’activité du village . Autre problème, les somalilandais dénoncent une double dérive : d’une part ils constatent que le rôle de la Chambre n’est pas suffisamment défini, et la population elle-même est très divisée sur la question du rôle qu’elle doit remplir. Par ailleurs, le système hybride a engendré un large éventail d’institutions, dont l’interaction est très vague et souvent informelle.
Ils constatent d’autre part que petit à petit, la Chambre des Sages comporte de moins en moins de chefs de clan et de plus en plus de politiciens, d’hommes d’affaire, de militaires, etc.
En ce qui concerne les militaires, on note d’ailleurs la réémergence récente d’anciens membres du SNM qui, ayant gardé un certain prestige, tentent de s’intégrer à la vie politique. Cette réapparition crée des interférences et ramène certaines rancœurs à la surface, ou confronte plusieurs visions de la politique et ramène un certain désordre là où il avait fallu des années pour arriver à un relatif consensus. De plus, ceux-ci représentent généralement le clan Issaq (de par leur appartenance à ce même clan ou à des fins électoralistes), c’est-à-dire le clan majoritaire. Cela a pour effet de rendre plus difficile encore les efforts d’union.
Second élément de critique, les responsables politiques et observateurs internationaux disent que les ONG sur place, qui sont comparativement nombreuses au Somaliland par rapport à la Somalie, en partie dû au fait de la réussite du modèle politique, sont autant d’interférences car elles drainent les intellectuels et les hommes politiques. En effet, les ONG payent bien mieux leur personnel que ne le fait le gouvernement somalilandais, qui dispose d’un budget très limité. En même temps, ces ONG remplissent aussi des fonctions de l’Etat et il est donc difficile de faire un bilan, positif ou négatif, de cet effet.
Un troisième type d’interférence est celui de la Somalie en général et des tribunaux islamiques, qui revendiquent l’union pour les uns, et qui rejettent la démocratie pour les autres. Les pressions de la Somalie sont une source de tensions, et d’autant plus que la nouvelle génération somalilandaise, fière de son identité propre, estime que la souveraineté du pays est maintenant incontestable et en aucun cas discutable. D’autre part, les jihadistes des tribunaux islamiques somaliens sont une des plus grosses interférences au bon déroulement de la démocratie, et s’opposent tout particulièrement à la présence des femmes dans la politique (nombreux attentats dans les bureaux de vote et assassinats d’observateurs internationaux, pour tenter de faire annuler les élections, etc.).
2. Contestations au système démocratique
Suite à l’élection de 2003, où le président Rayale a été élu à 80 voix près sur 1 million de bulletins, des questionnements ont été soulevés. La Cour suprême a statué, et a autorisé l’élection de Rayale, mais le plus étrange, c’est que Rayale était un officier du régime somalien, ce contre quoi s’est construit le Somaliland. En plus, son clan faisait partie de ceux qui s’étaient alliés avec Barré pendant la guerre civile, donc encore une fois contre le Somaliland. Le voir à la tête du pays a donc été un choc… D’autant plus que son adversaire, Ahmed Siilaanyo, était un politicien respecté, membre du SNM. Du point de vue de la démocratie, c’est par contre une preuve solide que le Somaliland est réellement un état de droit, qui a su statuer en accord avec la majorité démocratique.
Autre point, on remarque aussi que l’administration manque globalement de transparence, particulièrement en ce qui concerne les finances. Une commission pour lutter contre la corruption devrait voir le jour prochainement. Par ailleurs, comme cela a déjà été souligné, les Chambres sont relativement faibles, et leur indépendance est somme toute questionnable (elles favorisent les clans déjà majoritaires). Or la croyance qu’un groupe bénéficie du système politique au détriment des autres est un des principaux facteurs d’instabilité et de violence. C’est une des raisons pour lesquelles nombreux sont ceux qui aimeraient un Etat décentralisé voire fédéral.
3. Démobilisation
La démobilisation et le désarmement sont des enjeux particulièrement importants dans un contexte d’après guerre civile.
Le gouvernement somalilandais a donc procédé en commençant par soustraire l’armement et les milices et de l’influence de leur clan, afin de minimiser les probabilités de violences entre communautés. Il n’y a pas de programme de démobilisation a proprement parler, mais les milices sont généralement recrutées par l’armée et par la police, ou bien elles se démobilisent spontanément par inadaptation à la rigueur militaire ou à la discipline policière et au plus généralement au fil du temps. Les miliciens qui n’arrivent pas à s’intégrer dans l’armée ou la police se sentent généralement redevable à leur clan de ne pas les représenter, et font donc des efforts redoublés pour s’intégrer à la vie civile. D’autre part, certaines associations s’occupent de réhabiliter les démobilisés, en les aidant à se former par exemple.
Cette démobilisation par l’intégration au corps militaire et policier pose un gros problème : la surcharge de forces de sécurité (18 000 personnes) a un coût énorme pour un budget tel que celui de l’Etat somalilandais (elles accaparent 70% des ressources de l’Etat) Une étude estime par exemple que cela représente plus de trois fois les besoins réels du pays.
Le dernier problème lié à l’armement est désormais la présence de mines et de bombes à sous-munitions (estimées à environ un million). De nombreux champs ne sont pas cultivés par peur des mines, ainsi que des points d’eau, des villages, etc.
III. Les nouveaux défis auxquels doit faire face le Somaliland
1. L’absence de reconnaissance internationale
En s’autoproclamant indépendante, la République du Somaliland pensait surement acquérir une place conséquente à son nouveau statut par l’ensemble de la communauté internationale. Mais en l’absence de gouvernement somalien depuis 1991, qui aurait éventuellement pu reconnaître cette indépendance, le Somaliland se voit refuser la reconnaissance de son indépendance. Cet enjeu est donc encore stratégique.
Aucun Etat, même les plus récemment formés, ni aucune organisation internationale, qu’il s’agisse de l’ONU, de l’Union Africaine ou de la Ligue arabe, ne reconnait l’existence de cet Etat. Même l’Ethiopie, qui pourrait pourtant avoir intérêt à déstabiliser d’avantage la Somalie en reconnaissant la région du Nord du pays.
Le jeune gouvernement somalilandais, qui fait la fierté de sa population, continue cependant à s’obstiner dans sa volonté d’être reconnu au niveau international. Cette reconnaissance de statut serait en effet corolaire de la reconnaissance par la communauté internationale de la souveraineté du gouvernement en place. Très peu de pays entretiennent aujourd’hui des relations avec le Somaliland, à l’exception notable de l’Ethiopie. Ainsi, différentes actions ont été menées par le gouvernement pour aller dans le sens d’une reconnaissance de son indépendance, mais elles n’ont eu que très peu d’écho. Le président Egal s’est par exemple rendu aux Etats Unis pour s’entretenir avec le gouvernement américain et les institutions financières internationales mais cela n’a pas eu de répercussion directe. Il a également « écrit une lettre au secrétaire général des Nations Unies lui demandant de respecter les aspirations à la liberté et à l’autodétermination de toute une population » . Quelques institutions ont quand même fait un petit geste. En 2005, L’Union africaine a envoyé des représentants à Hargeisa pour la première fois mais sans que cela n’ait d’effet quelconque sur la reconnaissance du statut du Somaliland. Par ailleurs, l’US Committee for Refugees s’est prononcé en faveur de cette reconnaissance.
En tenant compte du fait que cette partie de la corne d’Afrique est exemplaire du fait de sa stabilité politique, un encouragement venant de l’extérieur serait le bienvenu. La population ne comprend pas ce refus, elle qui a pourtant réussi à faire ce que l’on demande sans cesse aux pays en développement.
Mais la communauté internationale ne peut réellement se prononcer sur le cas du Somaliland en l’absence d’un Etat en Somalie, car, celui-ci ayant disparu, l’indépendance du Somaliland n’a pas non plus pu être validée au niveau national.
Cette absence de reconnaissance s’explique par ailleurs par la situation dans laquelle se trouve une grande partie des pays de cette partie d’Afrique. Les frontières établies ne reconnaissent pas toutes les disparités culturelles, et accepter l’indépendance du Somaliland pourrait être le premier pas vers un processus de « balkanisation » de la région. La communauté internationale se prononce donc en faveur de la réunification de ce qui était encore, il y a moins de 20 ans, appelé la Somalie. Certains pays, notamment ceux du Golfe vont même jusqu’à boycotter le Somaliland (dans ce cas, les exportations de bétail).
La non-reconnaissance de l’exception somalilandaise ne permet pas de transformer l’essai au niveau national. Il n’y a pas d’encouragement venant de la communauté internationale, qui, paradoxalement, se prononce pourtant régulièrement en faveur de l’instauration de la paix et de modèles de gouvernance respectant les libertés individuelles partout dans le monde.
Mais, le Somaliland n’est plus la seule partie de Somalie à avoir remis en question son appartenance au pays. La région du Puntland, au Nord-est du pays, s’est prononcée en 1998 en faveur d’une indépendance partielle.
2. La réalité économique somalilandaise
L’absence de reconnaissance internationale a des conséquences directes sur l’économie de ce pays pauvre : sa monnaie n’est pas reconnue, les investissements étrangers y sont limités…
En prenant son indépendance, le Somaliland s’est muni d’une nouvelle monnaie : le shilling du Somaliland, SlSh ; quand le reste de la Somalie utilise encore le shilling somalien. Toutefois, la langue officielle est restée le somali, aux côtés de l’arabe et de l’anglais.
Mais la question est de savoir si, au-delà de son indépendance politique, le Somaliland peut être indépendant économiquement et rendre ainsi cette volonté de séparation la plus viable possible.
L’économie somalilandaise est actuellement dans une période de croissance, car elle est portée par les initiatives privées. Une grande majorité des fonds investis par le secteur privé provient de la diaspora, mais l’industrie reste toutefois quasiment inexistante au Somaliland. Les faibles ressources de l’Etat servent à en assurer le fonctionnement et à mettre en place des politiques de développement des infrastructures publiques. Une grande partie de ces quelques ressources provient de l’activité portuaire, qui tire profit de la position géographique du pays, à la croisée des continents. Une partie conséquente de la production éthiopienne destinée à l’exportation transite d’ailleurs par le Somaliland (notamment depuis l’accord de 2005 autorisant l’utilisation du port de Berbera par l’Ethiopie), qui entretient de meilleures relations avec ce voisin que celles qui lient Somalie et Ethiopie.
L’une des activités principales productrices de ressources pour le pays est l’élevage destiné à l’exportation. Le Somaliland possède par ailleurs quelques richesses minières et pétrolières qui lui permettent d’avoir d’autres rentrées d’argent, bien que leur exploitation soit cédée à des compagnies d’extraction étrangères, et notamment britannique. L’industrie, hors industrie extractrice, est quasiment inexistante au Somaliland.
Mais ces exportations ne sont pas le signe d’une réelle autonomie économique, le Somaliland important une partie des biens de consommation présents sur son marché, notamment une part conséquente de son énergie et de son alimentation. Cette situation est paradoxale puisque le pays possède des ressources énergétiques, mais qui bénéficient malheureusement davantage à des compagnies étrangères qu’à l’Etat et donc à la population ; et que l’économie somalilandaise est essentiellement vivrière (mais l’agriculture y est très peu productive et l’élevage, lorsqu’il est destiné à la consommation locale, ne comble pas ce manque).
Quant à la démographie somalilandaise, les données correspondent à celles d’un pays en développement. La population du Somaliland est estimée a environ 3,5 millions de personnes (dont près d’un demi million vit dans la capitale, Hargeisa) alors que son taux de croissance est de 3,1%. La durée de vie moyenne oscille autour de 50 ans pour les hommes contre 55 ans pour les femmes. 55% de cette population est nomade ou semi-nomade. Cependant elle devrait se sédentariser d’avantage, notamment avec le développement d’infrastructures publiques ou privées de santé, d’éducation et de transport.
Conclusion
Cette analyse avait pour ambition d’éclaircir la situation politique et économique du Somaliland, afin de montrer d’une part en quoi il peut être un exemple de stabilité et de résolution de conflits, et d’autre part dans quelle mesure cette situation est viable.
Le bilan nous paraît relativement bon, et ce d’autant plus si l’on garde bien à l’esprit les conditions dans lesquelles s’est faite la transition, et combien cet Etat est jeune. Il faudra probablement un certain temps avant que le Somaliland ne finisse de s’adapter aux principes démocratiques (ou de revenir à une autre forme de gouvernement, mais cela paraît peu probable), et n’arrive à rendre son économie plus fiable et son administration plus légère, soulagée du poids des effectifs militaires et policiers dus à la démobilisation. La nouvelle génération semble porteuse de ces espoirs, déterminée qu’elle est à conserver son identité, à perpétuer le système de gouvernement hybride, et à faire du Somaliland un Etat à part entière.
Auteurs de la fiche :
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Jonathan GARCIA-PRAT
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Jeanne ROUSSEL
Notes
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Africanelections.com, Elections in Somaliland. africanelections.tripod.com/so.html
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