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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Montargis, août 2007

La médiation ou la recherche du consensus

La notion de consensus apparaît sous la forme d’une interrogation après la révolution française avec la société nouvelle qui en naît et qui s’inscrit dans l’industrialisation : Quel est le (ou les) fondement(s) qui organise(nt) le vivre ensemble, en société ?

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Jean-Jacques Rousseau souligne que l’état de nature est un état de paix auquel la société fait succéder un état de guerre qui ne prend fin que par la domination. « L’homme est né libre et partout il est dans les fers ». Par « du Contrat Social », il tente de proposer une solution à ce problème. Devant l’impossibilité de retourner à la pure nature, il conviendrait de « trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé et par laquelle chacun s’unissant à tous, n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant ». Il s’agit ici non d’un pacte de soumission entre les hommes mais d’un pacte d’association.

La souveraineté individuelle est inaliénable. Mais si le souverain dans l’état civil est la volonté générale, - celle-ci étant composée des volontés individuelles en obéissant à la volonté générale en tant que sujets -, les citoyens n’obéissent qu’à eux-mêmes. Ainsi la souveraineté de la volonté générale peut être absolue sans nuire à la volonté individuelle. Se trouve créée l’image d’une forme de démocratie s’appuyant sur la volonté populaire. Et on mesure que pour la réaliser, il faut déployer une action s’appuyant sur une « commune vision », donc un consensus. Cette idée d’une obéissance à la volonté générale représentant la totalité des idées individuelles ne convient pas aux penseurs de la démocratie libérale. Locke, lui, propose comme moyen d’association des hommes en société le contrat comme seul fondement légitime du pouvoir politique en vue d’éviter l’état de guerre et de conserver leur propriété. « Les hommes sont tous par nature libres, égaux et indépendants (…) et nul ne peut être dépossédé de ses biens, ni soumis au pouvoir politique d’un autre, s’il n’y a lui-même consenti » et encore : « La liberté de l’homme en société consiste à ne relever d’aucun autre pouvoir législatif que celui qui a été établi dans la république d’un commun accord et à ne subir l’empire d’aucune volonté, ni la contrainte d’aucune loi, hormis celle qu’institue le législatif, conformément à la mission dont il est chargé ». Ici se trouve affirmée une volonté d’association s’appuyant sur le contrat librement consenti, ainsi la souveraineté du pouvoir politique a pour limite infranchissable les droits de l’individu. La mise en forme de cette vision suppose que soit partagé le contrat comme fondement de l’association mais aussi plus fondamentalement que ce contrat ait pour limite le droit de l’individu. C’est-à-dire un partage consensuel du vivre ensemble fondé sur la primauté du droit individuel.

Par ces approches succinctes de l’homme et de ses divers rapports à la nature, à la loi, à l’état, à la souveraineté, aux autres, nous voyons apparaître des logiques différentes qui semblent mettre en question l’idée même du consensus lorsque nous les considérons de l’extérieur l’une par rapport à chacune d’elles mais qui développent à l’intérieur de chacune des perspectives consensualistes, l’une fondée sur la souveraineté populaire qui emporte la soumission de chacun, l’autre sur le contrat associatif qui ne doit pas soumettre la liberté individuelle considérée comme inaliénable. Nous remarquons que le consensus peut-être considéré comme possible dans des contextes ou se partagent entre les hommes des visions du monde, des valeurs, des règles.

Définition de la notion de consensus

Charles-Henri Cuin nous en propose la définition suivante : « Accord explicite ou tacite des membres d’un groupe ou d’une société, le consensus représente la dimension cohésive des systèmes sociaux. Il peut porter sur des valeurs, des règles ou des décisions communes. Auguste Comte y voit la condition essentielle de l’ordre social résultant de l’assimilation des consciences individuelles entre elles ce que Emile Durkheim appellera « conscience collective ». Il fonde la prééminence de l’ensemble sur les parties ».

En considérant de plus près cette définition on peut distinguer deux niveaux de sens qui se renvoient l’un à l’autre. Le lien social implicite et inconscient par lequel indépendamment de ce qui les oppose les membres d’une communauté se retrouvent autour d’une même identité et se reconnaissent dans le partage de symboles. Les membres de la société se conforment aux normes collectives parce qu’ils adhèrent « aux systèmes de croyances et de sentiments » admis dans le groupe. Cette formule fait dépendre la conformité de l’adhésion a un consensus intellectuel et moral. Qu’il y ait nécessité d’un corps de convictions et d’attitudes semble aller de soi. Donc toute société est par nature fondée sur le consensus, condition et expression de la volonté collective. Toutefois, en encourageant l’individu à exiger son accomplissement individuel, elle en arrive à faire oublier les règles et les contraintes propres à la vie collective. Il y là un risque d’anomie c’est-à-dire de pertes de normes, de règles ou de lois, ou encore de limitation des moyens pour parvenir à un but supérieur défini, prescrit par le système social.

Les procédures par lesquelles se construit une volonté commune et s’organisent les débats qui se substituent à la violence du tout contre un. Le consensus s’inscrit au sein du monde moderne entre deux types extrêmes de société. Celui d’une part de la société conçue comme une communauté indivise, corps-un, et celui d’autre part résultant de la désagrégation du corps social par l’individualisation absolue de ses membres et qui dit la hantise du corps morcelé.

Ambivalence du consensus

S’il appelle à la recherche d’unité, de dépassement de soi et de chacun, le consensus ne peut faire oublier son ambivalence. Il y a toujours dans chaque chose, chaque objet, une part de lumière et d’ombre, comme en chacun d’entre nous. Ceci nous permet d’accéder à la fraternité : je ne peux pas condamner l’autre sans me condamner moi-même. D’ailleurs comment aimer l’autre comme soi-même si je ne suis pas consensuel avec moi-même ? Au fait qu’est-ce qui m’empêche (nous empêche) d’être consensuel(s) et lorsque je le suis, sur quoi s’appuie ce consensualisme ? L’accord des hommes pour vivre ensemble se produit rarement sans que soit désigné un objet contre cet accord (le croyant/le mécréant). Le consensus implique toujours une relation d’exclusion et de mort pour que se réalise le lien d’amour.

Une société ne réussit à organiser l’espace de la « fraternité » qu’en déplaçant et en polarisant sur le bouc émissaire l’agressivité inhérente à ses membres. Acte de paix civile, le consensus ne se définit jamais que sur fond de guerre. La recette de tout pouvoir politique n’est-elle pas de savoir désigner l’objet à exécrer. Examinons par exemple nos dernières campagnes politiques et analysons comment les groupes concurrents au pouvoir ont organisé leur discours. Sur quels axes, valeurs et intérêts est fondé l’intervention guerrière en Irak ? Quelle fonction joue la communauté musulmane, l’étranger, l’immigration pour souder notre société en voie de désagrégation individualiste et rétablir un consensus sur et par le rejet de l’autre ? Il ne s’agit pas de jugement de valeurs, de se donner bonne conscience ou de culpabiliser mais de regarder les faits en face. La dénonciation est un moyen d’établir le consensus. Et nous profitons tous de ces faits soit en y adhérent, soit en les combattant. René Char nous dit, pour l’avoir vécu : « La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil ». Notons que ce qui nous autorise ce discours c’est une référence à des valeurs qui nous dépassent et que nous pensons partagées dans cet espace d’écriture et de lecture : donc le pari de l’existence d’un certain consensus entre nous.

Des membres protestataires, en faisant dissidence ou en étant exclus, pourront rétablir le consensus ou le renforcer au sein du groupe. La protestation d’un membre du groupe peut renforcer le consensus en conduisant les membres à se souder pour faire face à l’agression.

Le conflit est le symptôme d’un dérèglement qui naît de la différenciation extrême des fonctions et des personnes, donc une rupture du consensus à écouter et à traiter comme tel. Il peut s’agir de jeux de pouvoirs pour s’assurer la prééminence d’une vision sur une autre, entre des valeurs qui se disputent la primauté du champ relationnel, entre des intérêts qui n’osent s’avouer, entre un individualisme et une vision plus solidaire plus fraternelle du vivre ensemble…et combien d’autres choses qui déchirent l’espace relationnel et affectif.

Nécessité de la construction du consensus

Quand le lien social est conçu comme un relais associatif volontaire entre sujets individualisés, quand se dissout la société de solidarité, la recherche du consensus devient une priorité. Une gageure pour les sociétés démocratiques et la qualité du vivre ensemble.

Le consensus est une construction. Il ne peut être obtenu si on se contente de consulter puis de formuler ensuite une solution venue du haut, établie en fonction d’un hypothétique intérêt général. Il doit se construire à partir de discussions à tous les niveaux de responsabilité. Ce qui se passe en Suisse ou au Japon. Dans ces pays le consensus n’est pas une donnée culturelle mais une construction qui passe par de nombreuses instances de concertation et de délibération.

L’esprit de médiation, la médiation entendue dans un sens large de création et de re-création de liens social, de recherche de sens collectif, dans une discussion et une confrontation des valeurs, des intérêts propices à amener soi et chacun à se dépasser. Il s’agit d’avancer en construisant une coopération qui ne soit pas réductrice au plus petit dénominateur commun, un repli sur des quant à soi fussent-ils partagés, mais au contraire une ouverture dans un esprit ouvrant sur l’universel, sur la fraternité.

Notes

  • (*) : Claude de Doncker, Médiateur, chargé d’enseignement à l’IFOMENE (ICP), membre de l’ANM.