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Paris, February 2008

La médiation interculturelle au service de la réconciliation

Réflexion sur la médiation interculturelle et les similitudes entre la médiation et l’action non-violente. Et application de ces deux concepts dans l’étude de l’exemple d’Equipes de paix dans les Balkans (EpB) : un acteur non-violent mettant en œuvre les principes de la médiation interculturelle.

Keywords: | To analyse conflicts from a cultural point of view | | Cultural exchanges for peace | | | | Balkan | Kosovo

I. Qu’est ce que la médiation interculturelle ?

La médiation, au sens général du terme, est une action qui vise la résolution d’un conflit par les parties en présence. Son recours découle principalement des motivations individuelles des usagers à mettre définitivement fin à leur problème. Ces derniers apparaissent motivés et expriment un besoin important de voir leur altercation se terminer. Toute non-violente qu’elle est, la médiation n’en demeure pas moins au départ un affrontement d’intérêts et de passions. Si le but de chacun est bien au début de l’emporter sur l’autre, la finalité de la médiation est de l’amener à comprendre que la satisfaction de l’autre est la condition sine qua non de sa propre satisfaction.

Aujourd’hui, la médiation est pratiquée à l’égard de divers conflits : familiaux, pénaux, internationaux ou interculturels. Ici, nous nous intéresserons à la médiation interculturelle.

La spécificité de la médiation interculturelle, au regard d’autres types de médiation, se trouve dans le fait qu’elle considère la culture dans un sens large, comme un système de référence avec ses règles et ses habitudes. Il est alors question de cultures d’origine, de cultures liées à la classe sociale ou à l’âge. Du fait de sa particularité, le médiateur interculturel possède un certain nombre de qualités intéressantes à observer. Outre les qualités requises de tout médiateur (neutralité, indépendance, capacité d’écoute et d’empathie), celui qui travaille dans le domaine interculturel doit posséder ce que l’on appelle une compétence interculturelle. Cette dernière repose sur trois démarches.

  • Tout d’abord, ce médiateur doit être capable de se décentrer, autrement dit, il doit avoir la capacité à reconnaître ses propres référents culturels, en prendre distance, ce qui doit lui permettre d’aller vers l’autre et d’être véritablement à l’écoute.

  • Puis, il doit être capable de comprendre l’autre, à travers notamment sa culture, et ainsi pouvoir pénétrer un nouveau système référentiel. Il est capable d’appréhender les codes et les valeurs de la communauté culturellement différente et il est extérieur à toute institution.

  • Par ailleurs, le médiateur interculturel devra aussi faire preuve de connaissances linguistiques et culturelles concernant les communautés pour lesquelles il va intervenir. Sa spécificité est liée à sa proximité avec les populations, et il a la charge de se renseigner sur la culture des personnes avec qui il va travailler, pour les aider le mieux possible.

Le médiateur doit posséder des qualités particulières dans le cadre d’une médiation interculturelle, c’est-à-dire celle qui concerne deux individus ou groupes d’une culture différente. La médiation interculturelle est née d’un déficit de communication et d’un besoin de recréer un lien social entre des populations culturellement minoritaires et des personnes ou des institutions culturellement dominantes. Elle vise à favoriser le rapprochement entre plusieurs cultures, la rencontre et la compréhension entre des groupes d’origines différentes présents sur un même territoire. Pour comprendre, il est nécessaire de donner une définition du terme « culture ».

Anthropologiquement, la culture se réfère à un groupe ou à un peuple. Elle est en général confondue avec la nation, la civilisation ou encore la langue, c’est pourquoi il est nécessaire d’expliquer ce qu’elle signifie. Elle est composée d’un ensemble de connaissances, de codes, de règles formelles ou informelles, de modèles de comportement, de valeurs, d’intérêts et de croyances. Elle constitue le patrimoine global de l’individu, mais surtout des groupes sociaux auxquels il appartient et elle interagit dans les transformations propres d’une société donnée dans l’espace et le temps. Il existe plusieurs cultures et elles ne constituent pas des « blocs » figés et stables. Elles sont portées par des personnes dont les identités se construisent et évoluent. Concernant le terme interculturel, il peut être défini comme étant un « processus dynamique d’interaction entre individus et groupes porteurs de représentations et de valeurs différentes ». Ceci {« implique d’emblée une vision non figée de la culture, de la société, des identités individuelles et collectives ».}

II. Les similitudes entre la médiation et l’action non-violente.

Tout comme la médiation, l’action non-violente est centrée sur la résolution des conflits. En effet, un acteur non-violent propose d’apprendre à gérer un conflit en tenant compte des besoins, des sentiments et des valeurs respectifs des parties et des personnes en conflit. L’objectif est de satisfaire les uns et les autres de la même manière, et sans avoir recours à la violence.

La violence commence là où se termine le dialogue. Quand il existe un conflit, l’action non-violente vise à restaurer le dialogue, à favoriser la communication et l’expression de chacun pour trouver une solution commune. L’approche non-violente part du postulat que l’injustice et le refus de respecter son adversaire sont les véritables sources de la violence. Comme la médiation, l’action non-violente n’existerait pas dans un monde sans conflit, car leur acceptation est la première démarche vers cette philosophie. Quand ils sont maîtrisés, les conflits ont un effet dynamique et constructif. L’attitude non-violente consiste à appréhender la situation conflictuelle sans à priori et sans indifférence pour engager un processus de gestion capable d’aboutir à la solution la plus satisfaisante pour les parties en présence. L’intérêt de ce type d’action, de même que la médiation, est que les parties retrouvent la maîtrise de « leur » conflit et parviennent elles-mêmes à le résoudre sans avoir recours à l’agressivité et à la violence. Tout acteur non-violent et tout médiateur s’efforce de faciliter le passage d’un processus de type « compétitif » vers un processus de type « coopératif ».

L’acteur non-violent doit être médiateur car il tente d’établir une relation plus juste que celle qui existait précédemment. De plus, il doit posséder les mêmes qualités du médiateur lorsqu’il intervient dans un conflit. Il vise en effet, d’une part, le rétablissement de la communication entre des parties en conflit et le rapprochement de points de vue opposés. D’autre part, il doit maintenir une position de neutralité, d’empathie et de bienveillance. C’est un agent de facilitation et non de décision, il est là pour aider les parties à trouver une solution et non pour imposer sa vision. Ceci suppose donc sa neutralité et son indépendance vis-à-vis de chacune des parties en conflit.

Il participe de plus à la responsabilisation des personnes et à la résolution du différend. Le principe de confidentialité est aussi omniprésent. Son travail consiste à instaurer un climat de confiance pour favoriser la compréhension réciproque des parties et les aider à dialoguer comme tout bon médiateur. Son engagement à l’égard des parties doit être équilibré et il se doit d’éviter toute attitude d’évaluation. De la même manière, l’accompagnement et l’écoute maîtrisés sont des qualités importantes d’un acteur non-violent lorsqu’il tente de gérer un conflit.

Il y a ainsi de grandes similitudes entre le mécanisme de médiation et celui de l’action non-violente et il est possible d’affirmer que la médiation est un processus de résolution non-violente des conflits.

III. L’exemple d’Equipes de paix dans les Balkans (EpB) : un acteur non-violent mettant en œuvre les principes de la médiation interculturelle.

L’objectif essentiel de EpB est d’œuvrer, dans un contexte post-conflictuel, en faveur de la gestion non-violente des conflits et la facilitation du dialogue entre les communautés du Kosovo. Cette ONG a travaillé à la résolution des conflits en y impliquant ses volontaires internationaux aux côtés des groupes locaux et en organisant des rencontres et des formations à la gestion non-violente des conflits entre les Serbes et les Albanais principalement. Son travail consiste à favoriser la résolution pacifique des conflits entre les communautés du Kosovo et elle souhaite créer un climat propice au dialogue intercommunautaire fondé sur le respect mutuel et l’écoute. C’est pour cela qu’elle développe une culture de non-violence et des moyens d’action non-violente. Cette ONG veille au respect des droits humains et à leur promotion dans le contexte de conflits violents. Ainsi, elle incite les personnes, avec lesquelles elle est en collaboration, à garantir le respect de ces droits et des principes internationaux humanitaires. De la même manière, elle met en avant l’importance du respect des différences culturelles sans aucune distinction.

Pour atteindre ses objectifs et accomplir des missions d’Intervention Civile de Paix (ICP), elle exige que ses volontaires soient impartiaux envers toutes les parties, que ce soit en parole ou en action, et que le processus de résolution des conflits soit confidentiel. Le travail de EpB entre dans le domaine de la médiation interculturelle car les deux visent à favoriser la rencontre, la compréhension et le rapprochement entre des gens d’origine différente sur un même territoire. Comme pour la plupart des projets réalisés par l’ONG, la médiation qui sera visible concernant le projet de voyage d’études et de formation ne vise pas la résolution du conflit qui existe entre les participants. Il ne s’agit pas d’aider les acteurs de paix locaux à trouver une solution à leur problème, mais de leur fournir les outils permettant d’échanger et de discuter en vue d’un rapprochement. La guerre de 1999 entre les Serbes et les Albanais a engendré dans chaque communauté, et dans la majorité de leurs membres, une impossibilité à communiquer et un refus de reconnaître réciproquement les codes et les valeurs de l’autre communauté. Il y a cependant des personnes comme les animateurs des ONG locales avec lesquelles EpB collabore qui retrouvent cette communication. La médiation aura alors pour objet de faciliter la communication et de servir d’intermédiaire.

Les différents projets réalisés par EpB atteignent les objectifs de rétablissement du dialogue et de la paix, souhaités dans toute médiation, par un biais détourné et à l’aide d’un support. Par exemple, la réunion des diverses communautés autour d’un projet commun, permet d’atteindre les objectifs d’une médiation interculturelle. De la même manière, une formation avec des participants issus de communautés différentes permet un travail sur les mécanismes de communication, sur les représentations et les origines, ce qui va favoriser leur rapprochement. L’ONG a mis en place des ateliers de jeux pour la coopération et ces derniers représentent un outil de médiation dans le sens où les associations locales kosovares qui les mettent en œuvre peuvent se réunir pour travailler ensemble.

Le dernier projet de EpB consiste à réaliser un voyage d’études et de formation, en France, à destination des acteurs de paix du Kosovo. Par la réalisation de ce voyage en commun entre des acteurs de paix serbes, albanais et roms, par la formation et les rencontres, l’esprit d’une médiation interculturelle sera présent. Le séjour est basé sur le consentement mutuel des parties comme toute médiation. Les participants sont en effet volontaires et d’accord pour participer au séjour organisé.

Lors du voyage, un contexte favorable à la communication et au rapprochement entre les communautés participantes sera instauré par l’intermédiaire de plusieurs moyens tels que le partage d’un lieu de vie commun au quotidien, la formation ou les découvertes culturelles. Le fait que des personnes d’origines différentes voyagent et vivent ensemble pendant plusieurs jours, dans un climat de confiance, permet la réalisation d’importants échanges. De plus, l’intérêt du fait que ce projet se déroule en France est la neutralité du lieu et le dépaysement que vont ressentir les participants. Faire venir des groupes de personnes en conflit, dans un lieu neutre, afin de faciliter le dialogue, est une forme de médiation. Le besoin d’écoute, de reformulation, d’impartialité et de confidentialité sera aussi observé tout au long du séjour. Ce seront les membres accompagnateurs de EpB qui feront office de médiateurs car ils auront un rôle de facilitateurs et devront fixer un cadre et un climat de confiance. Ils devront être neutres, bienveillants, indépendants et faire preuve d’une empathie équilibrée et de décentration. Ils possèdent tous des connaissances sur les codes et les valeurs des communautés. EpB a vérifié plusieurs fois l’efficacité de cette approche au cours de stages intercommunautaires de formations organisés au Montenegro ou à Gjilan.

L’interculturalité sera présente tout au long du séjour. Les participants proviennent en effet de diverses communautés et le conflit est interethnique et non interpersonnel. Les dimensions interculturelle et communautaire de la rencontre seront observées et elles se situeront à deux niveaux. Elles seront tout d’abord présentes entre les Kosovars d’origines différentes réunis pendant tout le séjour. Ensuite, elles seront visibles entre eux et la société française d’où l’intérêt aussi qu’ils viennent en France et qu’ils rencontrent des personnes de milieux variés. Cela permettra notamment à chacun d’apprécier ses propres repères culturels, de consentir à leur particularisme et d’analyser des ressemblances ou des dissemblances entre les personnes en contact coopératif ou conflictuel. Les accompagnateurs de EpB et les autres personnes présentes pendant le séjour seront aussi touchés dans leur identité et leur culture. Ce projet permettra ainsi d’analyser les impacts et les interactions entre différentes identités culturelles. Il semble donc posséder une forte dimension interculturelle par le travail de l’équilibre identitaire qui sera observé à travers les nombreux échanges entre les cultures française puis serbe, rom et albanaise du Kosovo. Les principes d’une médiation interculturelle seront ainsi présents et ils serviront l’action non-violente mise en œuvre par l’association EpB pour la réconciliation des communautés du Kosovo, afin qu’elles puissent vivre ensemble sur un même territoire.