Xavier Guigue, Bruxelles, décembre 2004
Renoncer à la toute puissance : le fondement de notre humanité et de l’Humanité, première étape vers la construction de la paix
Résumé : les religions, l’histoire, la littérature nous montrent la nécessité de ce renoncement. L’interdit fondateur moral rejoint l’interdit juridique à travers la notion de crime contre l’humanité, et réclame toute notre vigilance pour faire avancer la paix.
De monstrueuses atrocités ont été commises au vingtième siècle. De ces horreurs s’est concrétisé un bien : cela a conduit à l’universalité de la prise de conscience morale et juridique de la notion « d’humanité » . Il y a obligation pour chaque être humain de renoncer à faire de l’autre un objet, de renoncer à la la toute puissance, de renoncer à la loi du plus fort.
Ce renoncement à la toute puissance est fondateur des sociétés humaines. Quelques exemples pourront mieux le faire saisir :
Dans « le seigneur des anneaux » , Gandalf, le magicien, ne veut pas être tenté par l’anneau qui symbolise la toute puissance, les humains qui ont voulu le détenir sont devenus des ombres hantés par la folie qu’elle représente. La survie de l’humanité passe par la destruction de cet anneau, il n’y a pas d’autre choix possible.
Dans « Utopie et liberté » , Miguel Benassayag, psychanalyste argentin qui a été torturé par le régime militaire, explique à partir de sa propre expérience les conditions de viabilité d’une société humaine : les détenteurs du pouvoir doivent renoncer à la toute puissance, ils doivent renoncer à disposer du corps de l’autre comme un objet que l’on peut torturer. Plusieurs fois, lors des séances de tortures, le bourreau apparaît masqué, inconnaissable. A d’autre moment la même personne, que l’auteur reconnaît à la voix, sera revêtu d’un uniforme militaire représentant l’autorité. Il fera alors subir un interrogatoire « normal » … dans l’exercice de ses fonctions. Cette partie de cache-cache est selon l’auteur l’expression de la volonté de l’Etat argentin de cacher le fait qu’il ne respecte pas la règle essentielle à l’existence de toute société.
Dans le fait religieux qui traverse les civilisations, seul Dieu, auquel l’être humain croit, dispose de la puissance éternelle, de la toute puissance… et aucun Terrestre ne peut se permettre de rivaliser.
La construction juridique de l’Etat de droit et du droit international est un prolongement de ce qui est nécessaire à la construction de l’humanité, nécessaire et non suffisant. C’est le sens que l’on retrouve derrière la notion de crime contre l’humanité, crime qui vise à détruire l’être biologique comme tout meurtre mais aussi l’humanité qu’il y a en chacun de nous. La loi, le droit sont nécessaires et non suffisants : la loi, le droit international, même si celui-ci n’est pas toujours respecté est nécessaire (en France, personne ne remet en cause l’interdiction d’assassiner quelqu’un même s’il y a des assassinats).
Renoncer à la toute puissance amène à savoir comment poser, s’imposer et imposer les limites : c’est la notion d’interdit , ce qui est parlé (dit) entre (inter) nous et qui nous permet de vivre ensemble, de respecter l’autre, même en désaccord… C’est cette parole échangée qui nous donne les premiers repères, les premières limites… pouvant conduire l’humanité dans une dynamique de paix. L’histoire nous montre que ce cheminement n’est jamais acquis une fois pour toute. Il réclame toute notre vigilance de citoyen et d’être humain.