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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Paris, 2006

Analyse théorique et comparative de la thèse de Samuel Huntington ; « Le choc des civilisations »

La guerre des cultures est d’abord et avant tout, une guerre au sein des cultures elles mêmes. D’où la nécessité de repenser le concept de culture, et de civilisation.

Mots clefs : Théorie du choc des cultures | Analyser des conflits du point de vue culturel | Construction et utilisation de l'identité culturelle | Culturalisme et paix | Chercheurs pour la paix | Promouvoir une culture de paix | Déconstruire les discours identitaires

I. Problématique des termes de l’échange entre les cultures :

Contexte politique (international) moderne et Efficience du dialogue interculturel

Rappelons en préambule que l’étude des relations internationales renvoie plutôt à l’image d’un champ destructuré où s’affrontent des modèles explicatifs en mal de légitimé, difficilement conciliables, qu’à celle d’un domaine éclairé par le savoir en expansion, dont les éléments s’inscriraient dans un tout cohérent.

La guerre moderne crée de la distance, des besoins de prise de recul, et fait de la compréhension de la différence, et des autres, une nécessité afin d’éviter d’engendrer des manifestations multiples et variées de la violence sociale. La typologie de Cooper permet d’opposer à Huntington et son découpage en 8 blocs monolithiques civilisationnels du monde, une autre version de celui-ci, composé de trois grands ensemble ; le pré moderne, le moderne et le post moderne. On perçoit ainsi plus efficacement les logiques à l’œuvre dans la constitution et la dynamique des civilisations et des cultures qui les portent selon les termes du progrès, de l’invariable mutation qui s’opère en tout groupement humain constitué. Il nous donne ainsi à comprendre l’idée d’importance d’une structuration du monde post moderne ayant refusé de recourir aux grands récits de la puissance. La condition naguère de la paix, était la diplomatie du XXe siècle, là où le multilatéralisme entre les Etats, technique de concertation préférée des européens, ne se faisait pour certains que la preuve de leur faiblesse. De la géopolitique classique, fondée sur le monopole de la violence légitime et des Etats-Nations (esprit de Westphalie), nous sommes passés à une géopolitique critique, fondée sur la légitimité d’espaces reconnus par les normes partagées, dans le souci d’une société- Monde.

Or, cet ordre de conciliation à envergure planétaire n’existe pas. Au mieux est-il un idéal d’aspiration pour l’avenir que l’on souhaite pacificateur.

Le programme de la laïcité qui a permis de faire de la culture moderne non le support d’une idéologie mais un héritage intériorisé, porte cependant en elle la menace de fusion des identités culturelles (et religieuses).

Ainsi, la question en filigrane posée par Huntington, est de savoir si la culture est un facteur d’aggravation ou de pacification du dialogue (au travers notamment de certains facteurs comme le religieux). Echanger c’est apprendre des différences qui communiquent entre elles. Sur quelle base commune dialoguer, référence à un cœur de valeurs, croyances partagées… des référents non idéologisés, une utopie pour l’homme symbolique. Quelle actualisation du facteur religieux ? Quelle forme de défense possible sans violence ?

La garantie d’universalité de la reconnaissance culturelle du droit de l’homme est sanctifié dans l’article 18 de la Déclaration universelle selon que le choix du culte est libre d’épouser telle ou telle conception du monde, religieuse ou athée. Le dialogue est une vertu nécessaire à la paix pour l’avenir, qu’il faut préparer, c’est une réalité de lutte, qui na va de soi.

Le rôle culturel du symbolique dans la connaissance factuelle et l’analyse contextuelle des conflits interculturels permet une approche culturaliste. L’hypothèse de violence culturelle, appuyé par le principe de hiérarchie, alimenté par la thèse évolutionniste, invite à repenser les catégories de valeurs comme source de compatibilité entre des visions différentes, voire opposées. Ainsi, de la notion de frontière culturelle ; quel lieu de rencontre ?

Si la culture est un discours intégré, elle doit éclairer ce qui la rend nécessaire, soit les coulisses anthropologiques de sa formation, ainsi que la pertinence de ses productions (inconscientes, rapport à l’imaginaire social) comme les peurs et fantasmes.

Le remaniement des lois de fonctionnement de la société moderne s’accompagne inévitablement d’une réflexion sur la sécurité internationale à cette heure où le terrorisme de groupes minoritaires s’attaque à ses principales fondations ; la sécularisation de la sphère publique, la société des individus, la construction de l’image de l’Autre, l’égalitarisme, l’optique cosmopolitique…

Les récentes manifestations conflictuelles entre des entités culturelles variées pose ouvertement et de façon urgente la question de la poursuite de la modernité. A un moment critique où nombre d’Etats instrumentalisent la religion, la volonté de puissance, comme autant d’éléments constitutifs des identités, et permet de confirmer la tendance aux stratégies identitaires (exploitation des lignes de fracture, précarité des phénomènes de constitution d’identité collective, manipulation des discours et sources de projection- identification).

Pour la première fois dans l’histoire classique des Etats- Nations, fondés jusque là sur la puissance effective à imposer une vision du monde, les sociétés semblent capables de refuser la mythologie de la puissance décisionnaire au profit d’une concertation qui userait des instruments pacifiés de la modernité (dialogue, ouverture, accueil de la parole différenciée).

La laborieuse et lente construction d’un modèle cosmopolitique fondé sur le respect mutuel des existences diverses (idéologies et pratiques), cher à la modernité, semble miné de l’intérieur, et renforce par le truchement idéel, le basculement vers les sociétés fermées, archaïques, prônées ouvertement par l’islamisme politique.

Or, il est juste de préciser que la thèse soulevée par Huntington ne rentre pas dans le cadre de théorisation des relations internationales. La popularité de ce thème comme anticipation des changements de l’après guerre froide et les efforts des démocraties de resserrer leurs alliances, participe de la réflexion sur le réalisme néo classique, là où les américains, depuis Théodore Roosevelt, sont les tenants de la Realpolitik. Pour autant, le monde de l’après guerre froide allait-il devenir un terrain privilégié d’affrontement entre 8 puissances constituées que seraient ces ensembles civilisateurs décrits ? Sa thèse centrale est une réfutation de celle de Fukuyama. En effet, Huntington s’inscrit directement en porte à faux de l’idée d’une possible universalisation de la démocratie sous forme d’occidentalisation du monde suivant que celle-ci serait en toute logique, sinon le meilleur, du moins le plus adapté à la nature de l’homme des régimes de gouvernement.

II. M. Gauchet (cf. « La condition moderne », « La démocratie contre elle-même ») ;

« Vivre dans sa culture au sein d’une autre, c’est vivre en marge et dans l’humiliation de ne pas posséder les clés de l’univers dans lequel on est condamné à évoluer. Si le multiculturalisme se résume à la curiosité des autres cultures, on y est tous favorable.

La coexistence anarchique des cultures est dangereuse, chacun vit dans sa culture et ne se préoccupe de l’autre, il faut donc ouvrir la faculté de comprendre les autres cultures.

Ne pas être socialisé dans la culture dominante, c’est ne pas être armé.

Il n’y a pas de société multiculturelle, il n’y a que les individus qui le soient ».

III. Samuel Huntington- interview janvier 05 « Déclin de l’Occident »

« Il ne faut pas confondre mondialisation, phénomène de globalisation économique et technique, avec intégration des valeurs occidentales par les autres. La modernisation ne va pas de pair avec l’occidentalisation, elle renforce au contraire les différences culturelles et le besoin de revendication, consécutif à la reconnaissance exigée. Les nationalismes s’expriment alors comme des repères d’identification stables face au changement brusque qui impose la confusion. Puissance relative en déclin, rayonnement et diffusion des Lumières plutôt que prégnance néocolonialiste. On peut très bien se développer, se moderniser, adopter un système démocratique, des élections libres, sans la pratique du libéralisme politique, sans le respect des individus et des droits humains, ainsi il en va des démocraties qui ne sont pas libérales. La démocratie peut alors être anti occidentale, voire un repli, une notion refuge, Turquie et Algérie. Les antagonismes vont s’accentuer à mesure de la modernisation, ils se distancieront de l’occident. Jusqu’à quand l’Occident. Restera t-il la civilisation phare ?

A long terme, sa puissance relative décline ; en 1920 il règnait sur la moitié de la population mondiale. Aujourd’hui, sur 10% seulement de la planète. Il faut alors prendre en compte l’impact des diasporas et les effets de croissance démographique du monde non occidental, espagnol, arable, hindi, bungali. »

Ainsi, il n’y aurait pas de village planétaire comme pensé par Mc Luhan, mais un système polycentrique nourrit des cultures du monde (selon Morin). Or, on ne communique qu’avec ceux dont on a le désir.

La problématique de l’ouverture renvoie à une éducation des esprits qui problématise non de façon anxiogène, le discours de l’altérité. S’il permettrait une plus facile communication, il n’abolirait pas les différences entre civilisations, ce qui s’avère non souhaitable. La menace vient du monde islamique en pleine phase de grande relativisation.

Les guerres des populations misérables, offrent le chômage de masse et l’endoctrinement comme autant de terreaux fertiles à ce terrorisme, devenue arme du pauvre.

Problème à résoudre semble d’ordre moral, mais la menace vient proprement de ce qu’il autoriserait sous couvert de bienfait et d’empathie, la propagation des valeurs occidentales matérialistes. Si la dimension éthique décline, à l’inverse, l’Extrême orient pense sa réussite de modernisation non par emprunts à l’Occident mais par adhésion à ses propres valeurs.

La résurgence religieuse est probablement une réaction à la laïcisation occidentale.

Le projet d’éducation des peuples inférieurs est l’élément central de la période des Lumières, où la prétention à l’universalisme occidental se révèle comme un danger pour le reste du monde (ayant pour corollaire le déni de l’autre différencié).

Une telle violence serait à l’origine d’une guerre interétatique entre dominants qui luttent pour le leadership civilisateur. Aussi, une politique globale ne peut être que multicivilisationnelle. La raison du « clash » pour Huntington est la suivante : le reste du monde aura emprunter à l’Occident son système sans en partager les valeurs. Ses arguments recoupent l’idée que l’ouverture des frontières accélérée en période manifeste de mondialisation n’est pas synonyme d’universalisation culturelle. On retrouve le paradoxe classique entre la globalisation des échanges et la relocalisation des identités. Le fondamentalisme religieux sert ici d’illustration à cette antinomie, considérant la langue et la religion comme des éléments centraux d’une civilisation. Il incite l’Occident à ressouder sa civilisation qu’il voit menacée par une alliance du monde musulman.

Ainsi, la tentative d’un village planétaire n’est –elle pas un risque de gommer les spécificités culturelles et identitaires ? Au vu des multiples réactions de protection qu’engendre le règne du même, accompagné des revendications d’exception et des phénomènes de résistance, ne faut il pas au contraire battre en brèche l’idée que l’humanité serait à la merci d’un conflit général des civilisations. La valeur d’annonce de cette thèse qui prête un caractère belliqueux à toute entité constituée dans la multitude, réside en ce qu’elle peut être une grille de lecture, à ne pas mettre entre toutes les mains.

IV. Fukuyama- thèse de la Fin de l’homme 1989, Fin du genre humain dans la post humanité 1999

Il rectifie sa thèse, selon qu’on ne peut raisonner en terme historique, car il n’y a plus de trajectoire inévitable du progrès.

« L’histoire, au sens Hegel et Kojeve, est abolie, par une radicale transformation des cadres de référence, et une augmentation des peuples sans histoire, c’est là la post humanité.

Est-ce que la démocratie libérale est le système le plus compatible avec la nature humaine ? Peut-être pas le seul possible, mais le plus compatible, celui qui fait un contrat social sur le compromis du corps politique et liberté naturelle. Son mérite est d’être la plus réaliste possible. Nous entrons dans la post humanité, fin de l’homme comme tel, comme l’être compris jusque là. Les recherches biotechnologiques, la manipulation génétique sur la descendance, la fin de la transmission des gènes, conduisent aux générations post humaines, grâce aux nouvelles sciences et techniques qui réussiront là où toutes les idéologies d’un homme neuf et utopies ont échoué ; à changer l’homme ».

Mais sa thèse semble erronée car une nouvelle histoire d’un genre nouveau commence. Malgré les normes éthiques, l’évolution est pour lui quasi inéluctable. La concurrence internationale fera taire les scrupules d’Etat. Or, le problème est précisément que personne dans le monde moderne ne peut revendiquer un pouvoir de contrôle, d’où la grande menace en plus de l’incertitude. Pour lui, l’histoire résulte des antagonismes entre les différentes idéologies et formes d’organisation sociale, luttant pour leur reconnaissance (transnationalisation des acteurs et cosmopolitisme apolitique).

Le danger est là où l’Europe se persuade d’avoir évacué l’idéologie, alors que de nombreuses manifestations prouvent la persistance de préjugés.

Le pessimisme actuel touchant la possibilité de progrès dans l’histoire, né de deux crises, celle de la politique du XX e siècle, et celle de la crise intellectuelle du rationalisme occidental.

La violence des conflits engendrés par l’idéologie et leurs terrifiants résultats, a eu des effets dévastateurs sur la confiance des démocraties libérales, dont l’isolement dans un monde de régimes totalitaires a entraîné des doutes sur l’universalité des notions libérales en droit.

Mais le monde s’améliore. Les dernières décennies ont démontré l’importante faiblesse structurale des totalitarismes, qui suggère que les leçons de l’histoire pessimistes doivent être repensées d’une manière nouvelle. La seule forme de gouvernement qui ait survécu intacte est la démocratie libérale. Ce qui est victorieux ce n’est pas la pratique mais l’idée libérale, aucune autre idéologie ne pouvant rivaliser sur la prétention universelle. Une partie de la cause du renouvellement actuel des fondamentalismes est la force de la menace exercée par les valeurs occidentales libérales sur les sociétés islamiques traditionnelles. Malgré la puissance démontrée par l’Islam dans son renouveau actuel, cette religion n’exerce virtuellement aucun attrait en dehors des contrées qui ont été culturellement islamiques, le temps des conquêtes culturelles de l’islam est passé (1/5e de la population mondiale appartient à la culture islamique). L’Islam est un autre système idéologique comme le communisme, mais l’appel de l’Islam semble potentiellement universel, avec son propre code de moralité, sa propre doctrine juridique, politique et sociale. Il est possible que la présente tendance à la démocratisation soit un phénomène cyclique. Vouloir imposer le schéma de la démocratie libérale résulte d’un ethnocentrisme coupable, et les succès des droits sont le fait de la révélation de la nature de l’homme, dont la véracité augmente en fonction du cosmopolitisme. Le développement de la liberté est le principal moteur de l’écriture d’une histoire universelle de l’humanité, mais comment intégrer en même temps le devenir de tous les peuples ?

Même si tous les pays du monde ne sont pas capables de devenir des sociétés de consommation, il n’est pas une société qui ne conçoive cet objectif comme sa propre finalité. L’existence de discontinuités ne rend pas moins remarquable et réelles les similitudes dans les expériences des peuples qui vivent la modernisation. La modernité a ouvert de nouvelles perspectives à la perversion humaine, mise en doute du progrès moral, tout en continuant à croire en un devenir historique orienté, et cohérent. La démocratie s’installera là où le sentiment de nation, d’unité commune est suffisamment développé et ancré, et agit comme une force de cohésion et de légitimité au vivre ensemble pacifiquement. Huntington fait remarquer que la plupart des démocraties sont basées sur des systèmes catholiques, issus du christianisme. Ainsi, la religion pourrait être non un obstacle, mais un aiguillon pour la démocratisation. Pourtant, elle n’a jamais crée par elle-même de société libre, là où l’agent de la laïcisation fut le protestantisme. Nous avons besoin d’un critère transhistorique pour mesurer le caractère démocratique d’une société, soit un concept opérationnel de l’homme en tant qu’homme. Le désir de reconnaissance est l’aspiration humaine la plus fondamentale et la mieux partagée. Or, cette lutte a dirigé le sens de l’histoire de l’humanité, histoire terminée quand l’Etat universel et homogène incarne la reconnaissance réciproque et satisfait cette aspiration. Il reste le cadre approprié pour comprendre les perspectives futures du libéralisme, car les phénomènes de religion, nationalisme, démocratie, peuvent être compris comme des manifestations de ce besoin de reconnaissance. L’économie moderne a aboli le problème du besoin naturel. Dans les démocraties, l’amour de l’égalité a été plus prégnante que l’amour de la liberté, là où la nature distribue les capacités de manière inégale, la société est compensatrice, régulatrice. Le relativisme culturel est une invention européenne.

Les différences entre les langages du bien et du mal apparaissent comme des éléments artificiels propres aux stades particuliers de développement.

La figure du convoi de chariot pour l’humanité permet de saisir la complexité des mouvements variés, parfois contraires, de la modernisation ;

Tandis que certains sont tirés irrésistiblement vers la ville, d’autres restent sur le bord de la voie, d’autres encore attendent dans le désert, enlisés au passage du col. Quelques convoyeurs étourdis se perdent ou empruntent des routes alternatives, mais pour franchir les sommets, une seule est possible. A la fin, la grande majorité aura accompli le lent voyage.

Les différences entre les chariots qui se ressemblent tous, mais ont une structure fixe et une apparence mobile, ne sont pas des différences permanentes et inéluctables, mais une conséquence directe de leur position sur la route. Il n’y a qu’un seul voyage, et une même destination, malgré la récente révolution libérale qui a secoué le monde entier, les témoignages sur la direction des chariots et les modes d’arrivée (migration complexe) ne permettent pas de conclure. Les occupants après être arrivés et regardant autour d’eux, inspirés ou non par l’endroit trouvé, pourraient envisager pour certains de repartir pour un nouveau et long voyage ».

Sa perspective critique intervient à l’époque où les démocraties venaient de vaincre les totalitarismes, et contribua à autonomiser le courant libéral américain (école dominante).

Prenant acte de la faillite des modèles communistes, il pense la démocratie comme le point final de toute évolution idéologique et forme aboutie, du moins ultime, de tout gouvernement respectueux des droits humains. Sa thèse s’inscrit dans un schéma évolutionniste et se présente comme la réhabilitation de la dimension planétaire, à l’opposé de la thèse d’Huntington. Pour Fukuyama, la démocratie triomphe avant tout dans les esprits, dans les consciences investies d’un monde idéel, d’où la critique de certains de cette occidentalisation des esprits, et de l’urgence d’une décolonisation de l’imaginaire (voire les discours alter mondialistes, notamment issus de « l’école de la décroissance », représenté par S. Latouche).

L’occidentalisation est un rapport problématique à l’autre, puisque vécu comme déracinement planétaire, produisant déculturation et ethnocide. A entendre la définition de la mondialisation selon Vandana Shiva comme « l’inverse de la fertilisation croisée des diverses sociétés, soulignant l’imposition à autrui d’une culture particulière », on comprend mieux les perspectives de résistance, usant de la violence non seulement symbolique mais physique pour contrecarrer des projets d’unification sans fondement réel. Le dialogue dans ce point d’achoppement de l’histoire ne peut plus être une option, il est une nécessité. Or, ce sont bien ses conditions de réalisation pacifiées qui font défaut. De toutes manières, le dialogue ne peut se faire que dans un esprit pacificateur. La question qui nous agite et à laquelle renvoient les détracteurs de la thèse d’Huntington, est ici de savoir dans quelle mesure la culture (ou son ensemble civilisateur) est un élément de contribution à l’effectivité de ce dialogue.

Une question qui au besoin de réponse s’alimente successivement des enseignements transdisciplinaires tant de la sociologie, de l’anthropologie culturelle, de la psychologie sociale, de la philosophie politique ou encore de la politique internationale.

V. A. Mattelard, « Diversité culturelle et mondialisation »

Dans cet ouvrage, A. Mattelard revient sur la spatialité globale ordonnée qui oblitère le caractère pluriséculaire du mouvement vers l’unification du monde. Pour lui, la dissociation est inéluctable dès lors que les discours de l’identité prennent le pas sur les discours de l’égalité (en principe).

« Les prophètes de l’espace post national, indépendamment de leurs filiations idéologiques, clament que la fin de l’Etat- nation marque l’avènement d’une société civile métissée mondiale. Les fondamentalismes de la différence dénient ainsi le brassage des croyances et se crispent sur l’identité culturelle ou ethnique ». La position de la culture comme puissance de reconfiguration du concept d’hégémonie permet la pertinence du regard géopolitique. Il met en garde l’Occident selon qu’il ne peut y avoir d’unité complexe fondée sur la diversité qu’en considérant le droit des peuples, de tous les peuples indifféremment, à disposer d’eux-mêmes. La négation de cette autodétermination est pour lui la persévérance d’une vision enfantine des peuples mis sous tutelle. Dans sa géopolitique de la diversité, il pense l’enjeu civilisationnel ainsi ; « de l’essaimage de l’exception à la théorie du heurt des civilisations, la grille d’explication en terme de choc interculturel occulte la complexité des logiques d’unification et de fragmentation du monde contemporain ». Il faut dès lors raisonner avec la triple mutation induite par la mondialisation dans la définition du pluralisme culturel, soit la tension entre migration et citoyenneté, l’exacerbation des stratégies identitaires et le renforcement des tendances préexistantes à la xénophobie.

VI. M. Wieviorka, « Une société fragmentée ? Le multiculturalisme en débat »

M. Wieviorka, sociologue français, a travaillé sur les manifestations du multiculturalisme dans cet ouvrage (Ed. La Découverte- 1996). Il y voit une posture rigide de la république, qui maintient l’idée vivante d’un espace public où les minorités, religions, particularismes culturels n’auraient de place pour s’exprimer que dans la sphère privée qui est l’ordre de légitimité. L’absence de reconnaissance sociale pousse ainsi vers des identités vigoureuses, auxquelles il n’est plus possible de répondre par rétroaction républicaniste qui somme les exclus de s’intégrer sans leur en donner les moyens véritables, restent à conquérir. Il en va ainsi du modèle néorépublicain où l’idéal est appelé à s’accommoder des identités particulières et multiples, et de leurs revendications.

Dans la perspective tendancielle actuelle du relativisme culturel, comment échapper à une incohérence ? Il faudrait pouvoir en finir avec l’idée d’un choix incontournable entre deux absolus ; valeur universelle et identité particulière (principe d’individuation).

Il faut au contraire promouvoir les projets de conciliation. Notre auteur fait du débat sur le multiculturalisme une nécessité. Il problématise le rapport entre pluralisme culturel et démocratie moderne, prenant en compte les impasses de l’universalisme abstrait et de ses contradictions politiques (identités et citoyenneté, identités et démocratie, néo libéralisme et tribalisme, question sociale renouvelée et fragmentation culturelle, ethnicité, dispersion identitaire, racisme culturel, crise des sociétés nationales, micro communautés déviantes, ethnicisation et stratagèmes, l’islamisme comme procédure d’ethnicisation…), il revient en dernière analyse sur la guerre supposée des cultures.

Faisant un détour par le temps des guerres communautaires (réflexions sur le nouveau désordre belliqueux, monde unifié, modernité et décomposition, guerre pour la reconnaissance, régionalisme et supranationalisme…), il en vient à interroger la notion de l’Etranger qui reste largement ambivalente dans le contexte du multiculturalisme latent (outsider et figures de l’immigré, conciliation et interrogations insolubles, diasporas et métamorphoses). Enfin, il donne à entendre l’importance de la position des problèmes, notamment en étudiant les conditions de la communication interculturelle (décomposition du politique, instrumentalité et identité du sujet personnel, majorité et minorités, laïcité). A la façon d’un Huntington non sans différence qualitative et prospective, il pense les guerres des cultures comme un nouveau type de conflit, concomitants des désintégrations des structures étatiques traditionnelles, qu’aurait inauguré dans les années 70, la guerre libanaise.

« Depuis, des mouvements communautaires, de violents conflits identitaires sont apparus, ont refait surface ou se sont autonomisés au fur et à mesure de l’usure des régimes issus de la décolonisation et des ruptures de l’ancien ordre mondial ».

Nous percevons là l’ordre d’enchâssement des problématiques. Il note en illustration de ce propos le paradigme simplificateur du choc des civilisations de Huntington et des controverses qu’il a suscité.

« Ainsi, les guerres communautaires actuelles se jouent dans des sociétés traversées de part en part par les processus de modernisation, de mondialisation des échanges économiques et culturels et de dissociation de l’économie et du culturel ».

Il en va alors des multiples interrogations adjacentes à ce constat qui mêle des ordres aussi disparates que complexes.

Aussi, pour conclure au soin de Wieviorka, et en accord à son positionnement relatif, gage de vigilance :

« Le paradigme de Huntington est réducteur, là où la multiplication des conflits faisant référence à des cultures ou à des religions est à la mesure des fractures qui se creusent en leur sein. Ainsi, les évènements présentés à sa manière comme relevant de guerres entre des civilisations sont avant tout des manifestations de projections des ruptures internes aux communautés, aux sociétés et aux cultures. En ce sens, les guerres communautaires sont d’abord des guerres civiles ».

 

La guerre des cultures est d’abord et avant tout, une guerre au sein des cultures elles mêmes. D’où la nécessité de repenser le concept de culture, et de civilisation.

Conclusion

Dans l’approche interculturelle de l’agencement potentiellement conflictuel des logiques symboliques (les cultures étant comprises comme des systèmes entiers et clos de traduction les uns entre les autres), la présente perspective souligne avec ambivalence l’antagonisme culturel (du fait de son inscription dans le fait social) des interprétations possibles issues des valeurs qu’incarne chaque culture et qu’elle véhicule, prône, non sans échange de vue. Le problème est alors d’estimer les tendances les plus unidimensionnelles et exclusives qui tendent à rejeter le dialogue comme pacificateur des échanges en communication interculturelle, laquelle n’est jamais acquise, car la traduction en substance de la culture est elle-même toujours en devenir, en changement.

Nous rejetons donc toute thèse holiste qui asseoid la valeur d’une culture comme unité de domination. Le futur du dialogue interculturel convoqué pour parfaire la communication interhumaine à dimension globale ne pourra enfin se passer du partage d’un sens commun (d’équité, de justice et d’égalité fraternelle et culturelle pour déjouer l’abstraction de l’universalité équivoque), ce que Balibar appelle « la communauté des contractants », et qui fonde l’humanité dans sa diversité d’ensemble.